Le sort des dividendes de parts sociales non négociables en régime de communauté

Publié le 13/06/2018

Les dividendes des parts sociales non négociables acquises pendant le mariage appartiennent à l’indivision post-communautaire s’ils sont perçus après la dissolution du régime, car la valeur des parts sociales est affectée à l’actif commun durant le régime.

Cass. 1re civ., 28 mars 2018, no 17-16198, PB

1. « Toute qualification est un choix »1. Le conflit qui l’anime oblige à opter pour une qualification mixte ou unitaire, et à rechercher le critère de distinction à employer2, dont le droit des régimes matrimoniaux ne saurait s’émanciper3. Les biens mixtes sont l’exemple le plus caractéristique de la dichotomie imprégnant certains biens d’un régime de communauté, par essence binaire, où le propre s’oppose au commun. Au point que la doctrine dispute la classification à adopter, certains refusant cette binarité4, d’autres optant pour une classification tantôt propre5, tantôt commune6. C’est à une qualification mixte que se ralliait l’époux dans l’espèce jugée par la Cour de cassation le 28 mars 2018. Titulaire de parts sociales, il souhaitait exclure les dividendes produits par ces parts de l’indivision post-communautaire afin de les conserver personnellement. Pour ce faire, il convenait d’adopter une dénomination idoine. Ce que l’époux trouva dans la nature propre des parts, sans nier leur valeur commune. Ainsi, propre par nature, la part engendrait des revenus qualifiés de propres, parce que rattachés à la qualité d’associé dont le conjoint est nécessairement détaché. En conséquence de quoi les comptes de l’indivision post-communautaire devaient rester muets à leurs propos. Si le raisonnement ne prospéra guère devant la cour d’appel, il pouvait avoir plus d’avenir devant la Cour de cassation. D’autant que la valeur en valait la peine pour l’époux – le sort d’environ un demi-million d’euros se jouait –, bien qu’elle lui causât sa perte. Car, l’affectation de cette valeur des parts à l’actif commun impose, pour la Cour de cassation, d’inscrire les dividendes dans les comptes de l’indivision succédant à la communauté lors de la dissolution du régime. La solution est à première vue classique. En soi, les ramifications de la part sociale en titre d’un côté, et finance de l’autre, aboutissent à choisir l’aspect commun de cette dernière branche avec le régime qui s’ensuit. Néanmoins, en n’accordant le caractère commun qu’à la seule valeur de la part, les juges laissent planer le doute sur la qualification à conférer au rameau plus discret que constitue sa nature. De sorte que la certitude sur la valeur commune des parts (I) n’évince pas l’incertitude sur la part de communauté du bien (II).

I – La valeur commune des parts

2. Pour la Cour de cassation, la mixité du bien conférée aux parts sociales semble aspirer le dividende dans une qualification commune, sans doute, en raison de la source du fruit, laquelle réside dans la valeur de la part.

3. La mixité du bien. À suivre la première chambre civile, les parts sociales non négociables seraient un bien mixte. Ce rappel implicite est essentiel, même si le différend ne portait guère sur cet aspect, le pourvoi ne niant pas une telle désignation. En effet, la Cour de cassation observe l’acquisition des parts sociales pendant le mariage. Il en résulte l’inscription de leur valeur à l’actif commun, contrairement à « la qualité d’associé s’y attachant ne relevant pas de l’indivision » poursuivant la communauté à la dissolution du régime. Or le demandeur soutenait un raisonnement similaire, à savoir que « la contre-valeur des parts sociales » obtenues pendant le mariage tombe nécessairement en communauté. En revanche, la qualité d’associé en est exclue, ainsi que de l’indivision post-communautaire.

Les deux argumentaires s’inscrivent en faux avec l’approche unitaire des parts sociales, qui constitue une des deux thèses principales en la matière. Selon cette approche moniste, la part est soit entièrement propre, car étant un bien purement personnel aux yeux de l’article 1404 du Code civil, soit totalement commune, car l’article 1424 du Code civil, qui exige le double consentement pour sa cession, concerne les biens communs. Cette simplicité de raisonnement nuit, hélas, à ces conceptions, qui ne parviennent pas à dissiper l’opposition des dispositions légales. Aussi une seconde théorie, dualiste, est-elle proposée. Elle distingue le titre, qui demeure personnel à l’époux, de la finance, qui tombe en communauté7. Historiquement dérivée de celle attribuée aux offices notariaux à exercice individuel8, cette qualification a ensuite séduit les juges dans la qualification des parts attachées aux sociétés de personnes9. C’est ainsi que le 9 juillet 199110, la Cour de cassation a rappelé que l’indivision successorale portait, non pas sur la titularité des parts, mais uniquement sur la valeur de celles-ci. L’arrêt rendu le 28 mars 2018 paraît confirmer ce slogan désormais bien ancré dans les esprits, distinguant le titre de la valeur. Même raisonnement que le pourvoi, donc, mais d’où découle un résultat antagoniste sur le sort des fruits.

4. La source du fruit. Fruits et revenus des parts sociales, les dividendes sont qualifiés d’indivis par la première chambre civile, et de personnels par le pourvoi. Le processus de clôture de la communauté sonne le début d’une période d’indivision post-communautaire. S’ensuit la création de fruits, dont la source ne saurait résider dans l’esprit de solidarité conjugale initiale, et qui tourmente l’esprit du liquidateur devant trancher leur sort. Lequel dévoile un « inconvénient réel »11 si l’on adopte la conception dualiste, et dont la présente décision se fait l’illustration. Pour cause, la qualification du dividende est liée au bien qui lui donne vie. C’est-à-dire, pour la Cour de cassation, à la valeur des parts sociales et non au titre d’associé. La décision est ancienne12, mais avait pu, un temps, être discutée par des juges refusant d’intégrer les revenus des parts dans l’indivision13. Ce qui appelle trois remarques.

D’une part, la qualification du dividende comme fruit est confirmée. Dès lors que les bénéfices réalisés par la société prennent la forme de dividendes, ils constituent des revenus du capital14.

D’autre part, cette source justifie le transfert de qualification du bien à son fruit. Seul l’esprit communautaire du régime légal autorise une déconnexion des deux, où les fruits et revenus des biens propres sont affectés à l’actif commun15. Mais quand la communauté cesse, son âme s’envole. Le droit commun des biens se réaffirme et l’article 815-10, appliqué par la première chambre civile, permet à nouveau aux fruits et revenus des biens indivis d’accroître à l’indivision.

Enfin, la source du fruit constitue le cœur de la divergence des thèses en présence.

Pour le pourvoi, la source du fruit résidait dans la nature de la part. Or dans une vision unitaire du droit social, cette nature pourrait étrangement résider dans la qualité d’associé. Si cette dernière est propre, par propagation, la nature de la part, puis le fruit, seront également propres. L’originalité du pourvoi tenait donc à cette qualification dualiste. Pour la Cour de cassation, la source du fruit se situait dans la valeur de la part. Si la valeur est commune, le dividende est commun. La décision pourrait donc, à nouveau, appliquer la distinction du titre et de la finance, en exécutant un nouveau trait du régime découlant de la qualification choisie, après celui relatif à la cession16 ou à l’attribution des parts17. Cette théorie aurait la faveur des tribunaux. Sans doute, avance-t-on, parce qu’elle se fonderait « moins sur la dissociation entre les prérogatives d’associé et la valeur de la part sociale, que l’on retrouve quelle que soit la nature de la société, que sur la conciliation du caractère fermé de la société avec les droits du conjoint »18. Pourtant, elle doit être discutée. Ce qui oblige à s’interroger sur la part de communauté du bien que constitue la part sociale non négociable.

II – La part de communauté du bien

5. En limitant la part de communauté du bien à la seule valeur, la Cour de cassation ne dit mot de la nature de la part sociale. Cette restriction, il est vrai, incertaine, de la part de communauté à la seule valeur du bien générerait, si tel était le cas, l’éviction possible de la nature du bien dans la part de communauté, alors que son inclusion serait opportune.

6. La restriction incertaine à la valeur du bien. Le contrôle lourd opéré par les juges obligeait la cour d’appel à qualifier, « à juste titre », d’indivis les dividendes et de commune, la valeur des parts sociales. Ainsi, la cour d’appel « a exactement retenu que ces parts seraient portées à l’actif de communauté pour leur valeur au jour du partage ». Si la valeur est indéniablement commune, est-ce à dire que la nature de la part ne l’est pas ? Une réponse négative n’est pas inconcevable à la lecture de la décision, et trouverait appui auprès de la doctrine.

D’abord, la rédaction de l’arrêt laisse dubitatif sur la portée à lui accorder. D’un côté, le fait d’évoquer exclusivement la valeur semble exclure, a contrario, la qualification commune de la nature. Toutefois, le raisonnement s’avère dangereux quand on sait que, d’un autre côté, lors de la liquidation, ce n’est pas tant la nature d’un bien que l’on « porte à l’actif » que sa valeur. D’où peut-être les termes qui sont employés par les juges. D’autant que la décision ajoute que « les fruits accroissent à l’indivision », ce qui implique de faire des parts sociales des biens initialement communs. Le rejet de la nature commune des parts sociales est donc incertain, si l’on veut bien admettre que le titre est extérieur à toute patrimonialité et demeure une simple « notion ressortissant au droit professionnel »19.

Ensuite, si l’arrêt était interprété de la sorte, ce dernier ferait sien une théorie moderne qui a pu s’affranchir d’une vision moniste absolue, et demeure défendue par une partie importante de la doctrine20. Laquelle considère la part sociale commune, en nature et en valeur, excluant la qualité d’associé du débat21. Avec raison, sans doute, puisque la loi du 10 juillet 1982 a réglé le sort de la qualité d’associé seulement, pour la qualifier de propre. D’où la tentation de déduire du silence sur la nature de la part un libre cours aux régimes matrimoniaux pour décider de la qualification des droits attachés aux parts22. Ainsi, plus généralement, on peut légitimement penser que la distinction antérieure du titre et de la finance n’a constitué, à défaut d’autre chose, qu’une « réponse pragmatique à la dépréciation monétaire »23. Son application aux sociétés de personnes révélerait alors « une transposition commode, mais théoriquement boiteuse »24, dont l’incongruité se ressent sur le terrain du régime, et dans le présent arrêt en est l’illustration.

7. L’inclusion opportune de la nature du bien. Le choix opéré par la Cour de cassation de ne pas affirmer, expressément, la nature commune des parts, peut s’expliquer par des difficultés pratiques qui, pourtant, ne sont pas insurmontables.

Quant au sort des parts à la dissolution du régime, à première vue, on peut craindre de la nature commune des parts une revendication de propriété du conjoint, au titre des règles de l’indivision. Toutefois, comme l’observe un auteur, aussi bien la clause d’agrément dans les statuts, que le mécanisme de l’attribution préférentielle, conjurent ce danger25. Au fond, « dès lors que l’intuitus personae est préservé par l’attribution possible de la qualité d’associé, rien ne s’opposerait plus à [l’inclusion des parts], non seulement en valeur, mais aussi en nature, dans la masse commune »26. S’il peut y avoir, théoriquement, un partage en nature, il n’y a là qu’une faculté mise en échec en pratique.

Quant à la cession des parts sociales, si la gestion exclusive est tolérée par l’article 1421, alinéa 2, on sait que la cogestion de l’article 1424 prime pour la disposition des parts sociales non négociables. Or la jurisprudence a parfois jugé le contraire27. La cession pourrait être effectuée par la seule volonté de l’époux associé. Opportune, la solution est juridiquement discutable. Comment un bien soumis à cogestion au cours du régime pourrait-il, par la suite, être soumis à une gestion exclusive28 ? Reprenant la théorie du titre et de la finance, on a expliqué une telle solution en interprétant la notion de valeur au-delà d’un droit de créance conféré29. La valeur ne devrait pas simplement être perçue dans son versant abstrait mais plus largement, dans ce qu’elle recèle30. Au contraire, on peut penser que la valeur n’est autre chose que la finance appréhendée de manière comptable, dans le cadre des opérations de liquidation et partage de la communauté. C’est pourquoi « l’époux associé perçoit les dividendes afférents à sa part d’intérêt pour le compte de l’indivision, comme tout indivisaire qui est resté en possession d’une chose indivise »31. De sorte que ce serait davantage la nature commune de la part qui légitimerait une cession sans l’accord du conjoint non associé. Quant à l’objection textuelle précitée, la particularité de cette copropriété due au régime légal oblige à concilier sa gestion avec une certaine indépendance des époux, justifiant l’absence d’immixtion du conjoint32. On y verrait une catégorie originale des biens communs qui rappellerait celles des revenus. Ce qui relativiserait, encore une fois, le principe de corrélation entre la composition de la fortune conjugale et sa gestion.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Labarthe F., « Les conflits de qualification », in Mélanges B. Bouloc, 2006, Dalloz, p. 539 et s., n° 1.
  • 2.
    Ibid., n° 3.
  • 3.
    Colomer A., Les régimes matrimoniaux, 2004, Litec, n° 733.
  • 4.
    Parlant d’actif controversé : Cabrillac R., Droit des régimes matrimoniaux, 2017, LGDJ, nos 176 et s. Préférant la dénomination de biens mixtes : Malaurie P. et Aynès L., Droit des régimes matrimoniaux, 2017, LGDJ, nos 364 et s.
  • 5.
    Les classant parmi les propres : Terré F. et Simler P., Les régimes matrimoniaux, Dalloz, 2015, nos 331 et s., et spéc., n° 334 ; Flour J. et Champenois G., Les régimes matrimoniaux, 2001, Armand Colin, nos 320 et s.
  • 6.
    Les classant parmi les communs : David S. et Jault A., Liquidation des régimes matrimoniaux, 2015, Dalloz, n° 111.51, p. 33 ; Beignier B. et Torricelli-Chrifi S., Droit des régimes matrimoniaux, du PACS et du concubinage, 2016, LGDJ, n° 68.
  • 7.
    Chabot G., « Retour sur la distinction du titre et de la finance », in Mélanges R. Le Guidec, 2014, LexisNexis, p. 37.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 4 janv. 1853 : DP 1853, 1, 73.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 10 févr. 1998, n° 96-16735 : Defrénois 30 sept. 1998, n° 36866, p. 1119, note Milhac O.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 9 juill. 1991, n° 90-12503 : Bull. civ. I, n° 232 ; Defrénois 29 févr. 1992, n° 35202, p. 236, note Savatier X.
  • 11.
    Terré F. et Simler P., op. cit., n° 334.
  • 12.
    Cass. 1re civ., 10 févr. 1998, préc.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 9 juill. 1991, préc.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 12 déc. 2006, n° 04-20663 : Bull. civ. I, n° 536 ; JCP 2007, I 142, n° 17, obs. Simler P.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 31 mars 1992, n° 90-17212, Authier : Bull. civ. I, n° 96.
  • 16.
    Cass. 1re civ., 12 juin 2014, n° 13-16309 : D. 2014, p. 2434, obs. Rabreau A.
  • 17.
    Cass. 1re civ., 4 juill. 2012, n° 11-13384 : D. 2012, p. 2493, note Barabé-Bouchard V.
  • 18.
    Naudin E., « L’époux associé et régime légal de la communauté réduite aux acquêts », in Mélanges G. Champenois, 2012, Defrénois, p. 632.
  • 19.
    Chabot G., op. cit., p. 38.
  • 20.
    Derrupé J., « Régime de communauté et droit des sociétés », JCP 1971, I 2403, n° 8 ; Martin D., Le conjoint de l’artisan ou du commerçant, 1984, Sirey, n° 294 ; Terré F. et Simler P., op. cit., n° 334.
  • 21.
    V. Terré F. et Simler P., op. cit., n° 333, qui expliquent une troisième doctrine.
  • 22.
    Martin D., op. cit., nos 292 et s.
  • 23.
    Ibid.
  • 24.
    Ibid.
  • 25.
    Naudin E., p. 626.
  • 26.
    V. Terré F. et Simler P., op. cit., n° 333.
  • 27.
    Cass. 1re civ., 22 oct. 2014, n° 12-29265 : Bull. civ. I, n° 176 ; D. 2015, p. 649, obs. Douchy-Oudot M.
  • 28.
    Bicheron F., « L’actif : biens acquis au cours du mariage », in Droit patrimonial de la famille, dir. Grimaldi M., 2017, Dalloz, n° 132.104.
  • 29.
    Redaud G., Les parts sociales sous le régime de la communauté, 1929, Sirey, n° 156.
  • 30.
    Naudin E., op. cit., p. 627-628.
  • 31.
    Redaud G., op. cit., n° 156.
  • 32.
    Martin D., op. cit., n° 297.
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