Qualification des frais d’acquisition liés à un acte de vente et évaluation de la récompense

Publié le 15/03/2017

Encourt la cassation la décision des juges du fond qui évalue les frais liés à l’acte d’acquisition en tant que dépense faite au regard de l’article 1469, alinéa 2, du Code civil.

Cass. 1re civ., 19 oct. 2016, no 15-27387, F–PB

1. Il convient d’emblée de souligner que la notion de récompense en droit des régimes matrimoniaux est un point de « friction » entre deux disciplines juridiques1 : celle du droit des obligations, d’une part, et celle du droit des régimes matrimoniaux, d’autre part. Les faits ayant donné lieu au litige méritent d’être rappelés car ils soulignent la complexité de la décision rendue par la Cour de cassation2. Un couple marié le 2 septembre 2006 sous le régime de la communauté légale réduite aux acquêts divorce en vertu d’un jugement prononcé le 18 mars 2009. Deux difficultés apparaissent quant à la liquidation de leur régime matrimonial.

2. Tout d’abord, l’ex-époux tente d’obtenir le remboursement de 12 500 € prêtés à sa compagne avant le mariage. Sur ce point, la haute juridiction censure les juges du fond en précisant que : « (…) Attendu que, pour dire que Mme Y doit à M. X la somme de 12 500 € correspondant au montant de chèques émis à son profit avant le mariage, l’arrêt retient que si la remise de chèques ne suffit pas à établir l’existence d’un prêt, il doit être effectivement tenu compte du lien affectif et de la communauté d’intérêts de M. X et Mme Y existant au cours des cinq mois précédant leur mariage, facteurs objectifs qui constituent des éléments d’appréciation suffisants pour dire que M. X se trouve dans l’impossibilité morale de fournir la preuve du prêt, que, de son côté, Mme Y, qui ne conteste pas la matérialité des sommes remises avant mariage à hauteur de 12 850 €, ne démontre pas que son époux, lorsqu’il lui a remis ces chèques, ait été animé d’une intention libérale (…) ».

3. Ensuite et enfin, l’ex-mari sollicite le versement d’une récompense due par la communauté pour avoir financé l’acquisition d’un immeuble commun. Les juges d’appel y font droit et ajoutent de surcroît qu’il peut aussi prétendre à récompense pour le paiement des frais d’acquisition3. La cour suprême censure une nouvelle fois les juges du fond en précisant « qu’en statuant ainsi, alors que la récompense due par la communauté pour la totalité de l’apport de M. X, y compris les frais liés à l’acquisition et la commission de l’agent immobilier, ne pouvait dépasser le profit subsistant évalué à 319 000 €, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

4. La première chambre civile de la Cour de cassation apporte en l’espèce des précisions sur la qualification (I) et le régime juridique (II) des frais d’acquisition au regard de la théorie des récompenses.

I – La qualification des frais liés à un acte à titre onéreux

5. Le silence du Code civil sur la notion de frais d’acquisition au regard de l’évaluation des récompenses incite la haute juridiction à exclure les frais d’acquisition en tant que dépense faite (A) pour la classer dans la catégorie des dépenses d’acquisition (B).

A – Exclusion des frais d’acquisition en tant que dépense faite

6. Alors que la notion de frais en matière d’acte à titre gratuit inclut l’ensemble des débours4, il est aujourd’hui admis qu’en matière d’acte à titre onéreux, les frais s’entendent notamment des droits de mutation, honoraires du notaire, salaire du conservateur des hypothèques, commission de l’agent immobilier5. La doctrine majoritaire considère qu’en ce qui concerne les actes à titre onéreux : « tout pourrait conseiller de qualifier les frais d’acquisition de dépense simplement nécessaire, et de conclure que la récompense à ce titre se chiffre seulement à la dépense faite »6. Deux approches sont en effet possibles. La première théorie consiste à considérer que les frais d’acquisition, accessoires à cette dépense, n’ont pas pour contrepartie directe l’acquisition du bien et ne génèrent donc pas un profit subsistant7. La seconde théorie conduit à assimiler la dépense accessoire à la dépense principale et à la soumettre au mécanisme d’évaluation prévue par l’article 1469, alinéa 3, du Code civil8.

7. Les juges montpelliérains avaient évalué le compte de récompenses de la manière suivante : la valeur de bien au jour du partage estimée à la somme de 319 000 € au titre de la récompense due par la communauté, et les frais d’acquisition s’élevant à la somme de 37 000 € au titre d’une récompense supplémentaire due par la communauté à l’ex-mari. Au total, la récompense s’élevait à 356 000 €. Étant précisé que les juges d’appel considèrent les frais d’acquisition comme une dépense nécessaire et ils liquident la récompense en vertu de l’article 1469, alinéa 2, du Code civil à hauteur de la dépense faite, c’est-à-dire au nominal de la somme déboursée9.

B – Les frais qualifiés de dépenses d’acquisition

8. Dans un contexte doublement litigieux, les juges du fond avaient, en l’espèce, confirmé la possibilité de récompenser les deux sommes avancées par l’époux ayant intégralement financé l’acquisition litigieuse10. Telle n’est pas l’analyse de la haute juridiction qui censure ledit arrêt au visa de l’article 1469, alinéa 3, du Code civil en considérant que la récompense se limite à la somme de 319 000 €. La haute juridiction réaffirme sa jurisprudence antérieure consistant à analyser les frais en dépenses d’acquisition au grand dam de la doctrine qui considère que « les frais ne sont pas à proprement parler une dépense d’acquisition, contrairement à la soulte, car ils représentent une conséquence, certes inéluctable, mais simplement dérivée, de l’acquisition »11.

9. Il convient de rappeler que lorsque le financement d’une opération est double c’est à dire qu’il est réalisé pour une partie avec des deniers appartenant en propre à un époux et pour une autre partie avec des deniers présumés communs, cela conduit les juges du fond à rechercher la nature du bien acquis. S’il s’avère que la communauté a participé de manière plus importante au financement que le patrimoine propre de l’époux, la jurisprudence applique donc la règle major pars trahit ad se minorem12 issue de l’article 1436 du Code civil13. En effet, l’article 1436 du Code civil dispose que : « quand le prix et les frais de l’acquisition excèdent la somme dont il a été fait emploi ou remploi, la communauté a droit à récompense pour l’excédent ». Un fait est sûr. L’article 1436 du Code civil prévoit expressément l’hypothèse de frais payés par la communauté14. Traditionnellement la jurisprudence juge ainsi en précisant que : « Mais attendu qu’il résulte de l’article 1436 du Code civil que la contribution de la communauté ne comprend que les sommes ayant servi à régler partie du prix d’acquisition du bien nouveau, à l’exclusion des fonds utilisés pour l’achat et pour la conservation du bien ancien »15.

II – Le régime juridique des frais d’acquisition d’un acte à titre onéreux

10. La haute instance classe les frais d’acquisition dans la catégorie des dépenses d’acquisition, de conservation et d’amélioration prévue à l’article 1469, alinéa 3, du Code civil (A) sans pour autant résoudre la difficulté liée à la notion de « valeur empruntée » (B).

A – Les frais d’acquisition à titre onéreux financés par le patrimoine propre d’un époux

11. Dérogeant à l’alinéa 1er de l’article 1469 du Code civil, l’alinéa 3 dispose qu’« elle ne peut être moindre que le profit subsistant quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver, ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, le profit est évalué au jour de l’aliénation ; si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, le profit est évalué sur ce nouveau bien »16.

12. En l’espèce, la haute juridiction précise une nouvelle fois que la valeur empruntée ayant servi à acquérir un bien comprend, pour évaluer les récompenses, les frais liés à cette acquisition17. Pour la doctrine, ce raisonnement : « fait prévaloir une apparente simplicité, mais en réalité alimente la confusion ou sème le doute sur la solution de nombre de cas »18. La dépense faite recouvre non seulement les intérêts d’emprunt mais également les frais d’acquisition19.

13. La pratique notariale rejoint sur ce point la jurisprudence de la Cour de cassation en assimilant les frais aux dépenses d’acquisition20. Ainsi, un couple marié sous le régime de la communauté légale réduite aux acquêts a procédé à l’acquisition d’un bien immobilier pour un prix d’achat de 160 000 € (prix d’acquisition + frais d’acquisition). Le mari a financé partiellement le bien immobilier à concurrence de 45 000 €. Le bien est évalué à 200 000 € au jour du partage. Conformément à l’article 1469, alinéa 3, du Code civil, la récompense due par la communauté au mari sera égale à 45 000 / 160 000 x 200 000 soit 56 250 €. La récompense due par la communauté au mari s’élève à la somme de 56 250 €21. Cette approche de la pratique notariale n’a rien de surprenante car force est d’observer qu’en droit des régimes matrimoniaux, la pratique notariale a exercé et exerce encore un rôle important22 en imaginant des clauses – stipulation de propres, ameublissement… – consacrées ensuite expressément par le législateur23.

14. Au cas d’espèce, les magistrats du Quai de l’Horloge interprétant, au regard de la locution ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus, l’article 1469, alinéa 3, du Code civil considèrent « (…) qu’au sens de ce texte, la valeur empruntée ayant servi à acquérir un bien comprend les frais liés à cette acquisition ; que ce texte ne distingue pas selon que la valeur empruntée a financé entièrement ou partiellement cette acquisition (…) ». L’interprétation spécieuse de l’ex-mari consistant à soutenir que les frais liés à cette acquisition et la commission de l’agence, pouvaient lui permettre d’obtenir une récompense supplémentaire en application du deuxième alinéa de ce texte, fut balayée par la Cour de cassation.

B – La notion de frais d’acquisition et celle de « valeur empruntée »

15. Malgré les vives critiques de la doctrine la plus autorisée en la matière24, celle-ci s’est justifiée dans les termes suivants : « Les frais, accessoires inéluctables du prix, ont contribué à rendre l’acquisition possible. Or, l’article 1469 se réfère, non au concept strict de prix, mais à celui de “valeur empruntée [ayant] servi à acquérir”. Il n’y a aucun artifice à comprendre les frais dans ce concept de valeur ayant servi à l’acquisition »25. Pour autant, la haute juridiction avait déjà accepté d’interpréter l’article 1469, alinéa 3, du Code civil en considérant que la valeur empruntée ayant servi à acquérir un bien comprend les frais liés à cette acquisition26.

16. Relevons, pour conclure, que le choix opéré par la Cour de cassation n’est pas aisé tant la théorie des récompenses se ressent de ces tiraillements entre contraintes juridiques et nécessités économiques27.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Terré F. et Simler P., Droit civil. Les régimes matrimoniaux, 7e éd, 2015, Dalloz, p. 5, n° 6.
  • 2.
    « Récompenses : précisions sur la prise en compte des frais d’acquisition », Defrénois Flash 21 nov. 2016, n° 136r6, p. 18. Kilgus N., « Charge de la preuve en cas d’impossibilité morale d’obtenir un écrit et calcul d’une récompense en présence de frais d’acquisition », Dalloz actualité, 7 nov. 2016 ; C. L. G., « La valeur empruntée ayant servi à acquérir un bien comprend les frais liés à cette acquisition », Dr. & patr. hebdo, nº 1076.
  • 3.
    C. L. G., « La valeur empruntée ayant servi à acquérir un bien comprend les frais liés à cette acquisition », art. préc.
  • 4.
    Mathieu M., « Partage de communauté. – Récompenses. – Acquisition à titre gratuit », JCl. Notarial Formulaire, fasc. 16.
  • 5.
    David S., « Fiche pratique : Le calcul des récompenses », AJ fam. 2010, p. 173.
  • 6.
    Vareille B., « Communauté légale (50 liquidation et partage) », Rép. civ. Dalloz, n° 241.
  • 7.
    Vareille B., « Communauté légale (50 liquidation et partage) », art. préc., spéc nos 238 et 242 ; Valory S., « Récompense et frais d’acquisition. Document », LexisNexis, Dossiers d’actualité, 19 juill. 2013.
  • 8.
    Valory S., « Récompense et frais d’acquisition. Document », LexisNexis, Dossiers d’actualité, 19 juill. 2013, préc.
  • 9.
    Vareille B., « Régimes de communauté : montant de la récompense due à raison des frais de licitation et de partage liés à l’acquisition d’un bien propre », RTD civ. 2005, p. 446.
  • 10.
    Kilgus N., « Charge de la preuve en cas d’impossibilité morale d’obtenir un écrit et calcul d’une récompense en présence de frais d’acquisition », art. préc.
  • 11.
    Vareille B., « Régimes de communauté : montant de la récompense due à raison des frais de licitation et de partage liés à l’acquisition d’un bien propre », art. préc.
  • 12.
    Major pars trahit ad se minorem : La plus grande part attire à elle la moindre. Peterka N., Régimes matrimoniaux, Dalloz, HyperCours, p. 181. Il convient de noter qu’un mécanisme similaire est prévu en matière d’échange de biens (v. C. civ., art. 1407, al. 2).
  • 13.
    Blaringhem-Lévêque C., « Lorsque qualification de bien et calcul de récompense font l’objet d’un rappel de la loi par la Cour de cassation », LPA 14 mai 2013, p. 7.
  • 14.
    Aulagnier J., « Biens propres par subrogation réelle », Lamyline, n° 625-55.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 15 juin 1994, n° 92-20201.
  • 16.
    Le Guidec R., « Communauté entre époux : liquidation et partage », JCl. Notarial Formulaire, fasc. 33.
  • 17.
    Kilgus N., « Charge de la preuve en cas d’impossibilité morale d’obtenir un écrit et calcul d’une récompense en présence de frais d’acquisition », art. préc.
  • 18.
    Vareille B., « Communauté légale (50 liquidation et partage) », art. préc.
  • 19.
    David S., « Fiche pratique : Le calcul des récompenses », AJ fam. 2010, p. 173.
  • 20.
    Cabrillac R., Les régimes matrimoniaux, 9e éd., 2015, LGDJ, n° 294.
  • 21.
    Le Guidec R., Recueil de solutions d’examens professionnels, t. 2, 2013, Defrénois, p. 144.
  • 22.
    Terré F. et Simler P., Droit civil. Les régimes matrimoniaux, 6e éd., 2011, Dalloz, p. 34 et s.
  • 23.
    Niel P.-L., « Innovation juridique et pratique notariale », LPA 21 mai 2014, p. 10.
  • 24.
    Terré F. et Simler P., Droit civil. Les régimes matrimoniaux, n° 681, 7e éd., 2015, Dalloz.
  • 25.
    Terré F. et Simler P., Droit civil. Les régimes matrimoniaux, n° 681, 7e éd., 2015, Dalloz.
  • 26.
    Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 12-13757, PBI.
  • 27.
    Vareille B., « Régimes de communauté : montant de la récompense due à raison des frais de licitation et de partage liés à l’acquisition d’un bien propre », art. préc. Aynès L. et Dupichot P., « Juin–décembre 2011 : L’actualité des sûretés vue du Belvédère », Dr. & patr., n° 211.
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