L’indemnité de remboursement anticipé du prêt n’est pas assimilable à des frais d’acquisition

Publié le 18/01/2019

Il résulte de l’article 1436 du Code civil que la contribution de la communauté ne comprend que les sommes ayant servi à régler une partie du prix et des frais de l’acquisition si bien que l’indemnité de remboursement anticipé du prêt, ne pouvait être assimilée à de tels frais. Qu’en application du même texte, est propre un bien payé avec des fonds propres dont le montant est supérieur à la somme dépensée par la communauté pour parfaire le prix d’acquisition.

Cass. 1re civ., 7 oct. 2018, no 17-25965

1. En droit des régimes matrimoniaux il convient de rester prudent et ne pas baisser la garde tant la matière peut surprendre à certains égards. Au cas d’espèce1, un jugement rendu par la juridiction civile a prononcé le divorce de M. X et de Mme Y, mariés en 1981 sans contrat préalable. Durant leur union M. X et de Mme Y, par acte du 19 juin 1986, avaient acquis ensemble un bien immobilier avec déclaration de remploi par chacun d’eux et financement du solde au moyen d’un prêt. M. X fait grief à l’arrêt d’appel de dire que le bien immobilier acquis le 19 juin 1986 est un bien propre de Mme Y, alors que l’indemnité de remboursement anticipé du prêt constitue une dépense ayant servi à l’acquisition du bien financé et que la cour d’appel, en énonçant, pour dire que le bien immobilier était un bien propre de Mme Y, que l’indemnité de remboursement anticipé ne pouvait être assimilée à des frais d’acquisition qui se limitaient aux frais initiaux, a violé les articles 1437 et 1469 du Code civil, et que d’autre part, que l’époux qui se prévaut du caractère propre d’un immeuble acquis pendant le mariage doit rapporter la preuve de ce qu’il a financé plus de 50 % de la valeur d’achat du bien considéré. La haute juridiction rejette le pourvoi en estimant qu’il résulte de l’article 1436 du Code civil que la contribution de la communauté ne comprend que les sommes ayant servi à régler partie du prix et des frais de l’acquisition si bien que la cour d’appel a exactement retenu que l’indemnité de remboursement anticipé du prêt, constitutive d’une charge de jouissance supportée par la communauté, ne pouvait être assimilée à de tels frais. Faisant application de la règle major pars trahit ad se minorem2 en droit des régimes matrimoniaux (I) la Cour de cassation en vertu d’un critère de quantité prédominante 3en déduit que le bien querellé est propre (II).

I – L’adage major pars trahit ad se minorem codifié à l’article 1436 du Code civil

2. Selon la haute juridiction, la cour d’appel a exactement retenu que l’indemnité de remboursement anticipé du prêt, constitutive d’une charge de jouissance supportée par la communauté (B) ne pouvait être assimilée à des frais d’acquisition qui se limitaient aux frais initiaux (A).

A – La prise en compte des frais pour la qualification d’un bien

3. Aux termes de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 entrée en vigueur le 1er juillet 1986, l’article 1436 du Code civil énonce que : « Quand le prix et les frais de l’acquisition excèdent la somme dont il a été fait emploi ou remploi, la communauté a droit à récompense pour l’excédent. Si, toutefois, la contribution de la communauté est supérieure à celle de l’époux acquéreur, le bien acquis tombe en communauté, sauf la récompense due à l’époux ». Cette disposition surprenante a fait couler beaucoup d’encre en doctrine. Fondé sur « la loi de la majorité »4, cet article évoque deux questions concernant le financement d’un bien acquis aux termes d’une clause d’emploi ou de remploi. D’une part, la première situation concerne la subrogation réelle. Dès lors que l’investissement personnel consenti par un époux représente plus de la moitié du coût de l’acquisition il en résulte que le bien demeure propre à ce dernier. C’est ainsi que le prix initial du bien étant de 1000 000 € et le financement à titre de remploi de l’époux étant de 550 000 €, le bien reste propre à l’époux à charge de récompense due à la communauté. D’autre part, l’article 1436 du Code civil « (…) Impose désormais de prendre en compte les frais pour déterminer la contribution majoritaire »5. Au cas d’espèce Mme Y a apporté une somme supérieure à celle dépensée par la communauté puisque, sur un prix global d’acquisition de 136 981,26 €, elle a apporté une somme de 60 979,61 € et la communauté a dépensé une somme de 60 756,75 €, M. X ayant lui-même apporté une somme de 15 244,90 €6.

4. La haute instance, on le sait, classe les frais d’acquisition dans la catégorie des dépenses d’acquisition, de conservation et d’amélioration énoncée à l’article 1469, alinéa 3, du Code civil sans pour autant résoudre la difficulté liée à la notion de « valeur empruntée »7 qui demeure énigmatique. La pratique notariale rejoint sur ce point la jurisprudence de la Cour de cassation en assimilant les frais aux dépenses d’acquisition8.

B – L’indemnité de remboursement anticipé du prêt n’étant pas assimilable à des frais d’acquisition d’un bien

5. Les indemnités de remboursement anticipé, dénommées également pénalités de remboursement anticipé correspondent aux frais appliqués en cas de remboursement anticipé ou de renégociation d’un prêt immobilier9. En effet, l’article R. 313-25 du Code de la consommation créé par le décret n° 2016-884 du 29 juin 2016, énonce que : « L’indemnité éventuellement due par l’emprunteur en cas de remboursement par anticipation, prévue à l’article L. 313-47, ne peut excéder la valeur d’un semestre d’intérêts sur le capital remboursé au taux moyen du prêt, sans pouvoir dépasser 3 % du capital restant dû avant le remboursement. Dans le cas où un contrat de crédit est assorti de taux d’intérêts différents selon les périodes de remboursement, l’indemnité mentionnée au premier alinéa peut être majorée de la somme permettant d’assurer au prêteur, sur la durée courue depuis l’origine, le taux moyen prévu lors de l’octroi du prêt ».

6. En l’espèce, pour la Cour de cassation, les juges du fond ont exactement retenu que l’indemnité de remboursement anticipé du prêt, constitutive d’une charge de jouissance supportée par la communauté, ne pouvait être assimilée à de tels frais10. Cette solution force la comparaison avec la jurisprudence sur la nature des revenus de biens propres. On se souvient en la matière du célèbre arrêt Authier11 qui, pour qualifier de communs les revenus des biens propres, avait précisé : « Attendu que la communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens ; que, dès lors, leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit de la communauté lorsqu’il a été fait avec des fonds communs ; qu’il s’ensuit que l’époux, qui aurait acquitté une telle dette avec des fonds propres, dispose d’une récompense contre la communauté ; Attendu que pour chiffrer la récompense due par Mme X à la communauté ayant existé entre elle-même et M. Y, ainsi que l’indemnité qu’elle a cru devoir reconnaître à ce dernier, en raison des annuités servies par eux pour l’acquisition de l’immeuble d’Ormesson, la cour d’appel a retenu comme éléments de calcul, le prix d’acquisition du bien, sa valeur au jour du partage et les sommes versées par la communauté et le mari en capital et intérêts ; Attendu qu’en statuant ainsi, alors que pour déterminer la somme due par un époux, en cas de règlement des annuités afférentes à un emprunt souscrit pour l’acquisition d’un bien qui lui est propre, il y a lieu d’avoir égard à la fraction ainsi remboursée du capital, à l’exclusion des intérêts qui sont une charge de la jouissance, la cour d’appel a violé les textes susvisés »12. Aux termes de l’arrêt Authier, et selon une doctrine autorisée, la communauté doit assumer la charge des intérêts qui sont une charge de la jouissance13. Plus récemment il a été jugé que les intérêts de l’emprunt sont une charge de jouissance supportée par la communauté14. En l’espèce, la Cour de cassation approuve les juges du fond si bien que l’indemnité de remboursement anticipé du prêt est une charge de jouissance supportée par la communauté. Quid de l’indemnité de remboursement anticipé au titre des intérêts non encore échu ? On enseigne à ce propos que « l’indemnité de remboursement anticipé au titre des intérêts non encore échus n’est pas une charge de la jouissance et doit suivre le régime du capital15.

II – Effet de la règle major pars trahit ad se minorem

7. Selon la Cour de cassation, les juges du fond ont déduit à bon droit que l’immeuble litigieux était un bien propre de Mme Y (A). Il est permis à ce propos de se demander si une lecture raisonnable de l’article 1436 du Code civil demeure impérative (B).

A – Caractère propre du bien

8. Au soutien de son pourvoi le demandeur avait proposé un moyen qui considérait que « l’époux qui se prévaut du caractère propre d’un immeuble acquis pendant le mariage doit rapporter la preuve de ce qu’il a financé plus de 50 % de la valeur d’achat du bien considéré ; qu’en se bornant, pour dire que le bien immobilier était un bien propre de Mme Y, à énoncer que cette dernière avait apporté plus que la communauté, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la circonstance que sa contribution à l’acquisition du bien était inférieure à la moitié de la valeur d’achat de celui-ci n’excluait pas la qualification de bien propre, de sorte que l’immeuble devait être considéré comme un bien commun, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1436 du Code civil ». Cet argument ne convainc par la Cour de cassation qui rejette le pourvoi en reconnaissant que le bien querellé était propre à Mme Y.

9. La règle « major pars trahit ad se minorem » est appelée à s’appliquer également dans l’hypothèse des biens acquis par le moyen d’un échange avec soulte (C. civ., art. 1407). En effet, cet article dispose que : « Le bien acquis en échange d’un bien qui appartenait en propre à l’un des époux est lui-même propre, sauf la récompense due à la communauté ou par elle, s’il y a soulte. Toutefois, si la soulte mise à la charge de la communauté est supérieure à la valeur du bien cédé, le bien acquis en échange tombe dans la masse commune, sauf récompense au profit du cédant ». À ce propos le professeur Aimé Rodière relève que pour certains auteurs « il n’y aurait plus échange mais achat en vertu de la règle major pars trahit ad se minorem : en sorte que l’immeuble acquis en contre-échange au lieu d’être un propre par application de l’article 1407 serait un conquêt de la communauté conformément à l’article 1401-3°»16.

B – L’impérativité de l’article 1436 du Code civil

10. Au grand dam de la pratique notariale, on enseigne traditionnellement qu’une lecture raisonnée de l’article 1436 du Code civil conduit à le considérer comme impératif17. Cette impérativité aurait pour objectif notamment d’éviter l’application du remploi mixte18. D’aucuns estiment qu’un aménagement conventionnel demeure dans la mesure ou une disposition contractuelle devrait être adoptée aux termes du contrat de mariage ou d’une convention conjointe homologuée conformément à l’article 1397 du Code civil19. Cette situation n’est toutefois pas sans rappeler celle de l’article 214 du Code civil qui dispose : « Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives. Si l’un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l’autre dans les formes prévues au Code de procédure civile ». Des auteurs se sont efforcés, avec beaucoup de brio, d’expliquer que : « Bien que faisant partie du régime primaire impératif, l’article 214 du Code civil ne règle la question de la contribution aux charges du mariage que dans le cas où les époux n’en ont pas convenu autrement. Les époux ont ainsi la faculté de régler la contribution aux charges soit dans le contrat de mariage soit dans les conditions prévues à l’article 1397 du Code civil. Par ailleurs, et bien que le texte fasse référence aux conventions matrimoniales, la jurisprudence se montre libérale. Les époux peuvent en effet conclure une convention ordinaire qui fera la loi des parties »20.

11. Alors que le glas de l’impérativité de l’article 214 du Code civil semble avoir sonné21, celui de l’article 1436 du même Code semble encore avoir de beaux jours !

Notes de bas de pages

  • 1.
    Communauté légale (bien propre) : montant des apports respectifs des époux – Cass. 1re civ. 7 nov. 2018 : D. 2018, p. 2186.
  • 2.
    Roland H., Lexique juridique des expressions latines, 6e éd. Lexis Nexis, p. 207 : « Major pars trahit ad se minorem : la plus grande partie attire à elle la moindre ».
  • 3.
    Brémond V., « Quand l’accession tourne à la confusion », JCP N 2004, p. 1133, à propos de Cass. 1re civ., 17 déc. 2002, Bull. civ. I, n° 308.
  • 4.
    Brémond V., « Quand l’accession tourne à la confusion », JCP N 2004, p. 1133, à propos de Cass. 1re civ., 17 déc. 2002, n°  : Bull. civ. I, n° 308.
  • 5.
    Vareille B., « Communauté légale : liquidation et partage » Dalloz, V° Communauté légale, 2011, n° 144.
  • 6.
    V. pour ex. d’application de la règle major pars trahit ad se minorem codifiée à l’article 1436 du Code civil, Delpérier J.-M., « Cas pratique : déclaration fiscale de succession », La revue des notaires 2009, p. 4.
  • 7.
    Morin M. et Niel P.-L, « Qualification des frais d’acquisition liés à un acte de vente et évaluation de la récompense », LPA 15 mars 2017, n° 124b2, p. 12.
  • 8.
    Cabrillac R., Les régimes matrimoniaux, 9e éd., 2015, LGDJ, n° 294.
  • 9.
    Les indemnités de remboursement anticipé (IRA) https://www.empruntis.com.
  • 10.
    Vareille B., « Régime de communauté : composition active », RTD civ. 2007, p. 618 : « les revenus de biens propres ont le caractère de biens communs ; par conséquent leur emploi à l’amélioration d’un bien propre donne lieu à récompense. »
  • 11.
    Vareille B., « Régime de communauté : composition active », RTD civ. 2007, p. 618 : « les revenus de biens propres ont le caractère de biens communs ; par conséquent leur emploi à l’amélioration d’un bien propre donne lieu à récompense. »
  • 12.
    Cass. 1re civ., 31 mars 1992, n° 90-17212.
  • 13.
    Vauvillé F., « Financement par la communauté d’un bien propre : un arrêt illustre les règles applicables aux récompenses », RJPF 2011.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 5 mars 2008, n° 07-12392, JCl. Liquidations − Partages, V° Remploi, fasc. 10, note Zalewski V.
  • 15.
    Beignier B. et a., « Récompenses dues à la communauté », Le Lamy Droit des Régimes Matrimoniaux, Successions et Libéralités, n° 142-25.
  • 16.
    Rodière A., Pont P., « Traité du contrat de mariage : tome Ier, 1847, Paris, Librairie de jurisprudence de Cotillon, p. 434.
  • 17.
    Aulagnier J., « Biens propres par subrogation réelle », Le Lamy Patrimoine, n° 625-55.
  • 18.
    Aulagnier J., « Biens propres par subrogation réelle », Le Lamy Patrimoine, n° 625-55.
  • 19.
    Cass. 1re civ., 5 mars 2008, n° 07-12392, sous JCl. Liquidations −Partages, V° Remploi, fasc. 10, note Zalewski V.
  • 20.
    Faure A. et Mathieu J.-M., « Les contributions dans le couple (ou “l’impossible qualification des flux financiers”) », JCP N 2011, p. 1314
  • 21.
    Guiguet-Schiélé Q., « Contribution au jour le jour aux charges du mariage et créance entre époux », Dr. famille 2015, comm. 125.
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