Bertrand Périer : la voix haute
Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Bertrand Périer est passionné par l’art oratoire, qu’il enseigne à Sciences Po et HEC, et à l’université de Saint-Denis (93) dans le cadre du concours Eloquentia. Le documentaire À voix haute, réalisé par Stéphane de Freitas consacré à cette expérience l’a propulsé star des médias.
Le professeur de rhétorique crève l’écran. Dans le documentaire À voix haute, diffusé en novembre dernier sur France 2, l’avocat Bertrand Périer enseigne l’art de la parole à un groupe d’étudiants de la fac de Paris 8, à Saint-Denis (93). Théâtral, il oblige les étudiants à prendre la parole en public sans notes, arrachant au besoin quelques feuilles volantes dans un grand geste. Chauffeur de salle, il organise un débat passionné, garçons contre filles, sur la Saint-Valentin. Les étudiants, bien que parfois malmenés, raffolent de ce prof virevoltant et vibrionnant. Cinquante-deux minutes durant, il sautille, harangue, scande, et finit par devenir la vedette de ce reportage consacré à la jeunesse de Seine-Saint-Denis.
Dans la vraie vie, Bertrand Périer est d’un abord beaucoup plus calme. Il fréquente plutôt le huitième arrondissement que la Seine-Saint-Denis. De son bureau, au quatrième étage d’un immeuble cossu, on aperçoit les cheminées en briques et les toits de zinc des beaux quartiers. Après avoir reçu les journalistes du Monde, de Libération, de France Inter, il accepte de jouer pour les Petites Affiches, le rôle de l’interviewé. Assis à son bureau, une pièce neutre, décor minimaliste dans les tons gris-beige, il semble prendre un certain plaisir à remonter pour nous le fil de sa vie.
Théâtre
Bertrand Périer est un conteur né. Sa vie, telle qu’il la raconte, ressemble à une pièce de théâtre, ponctuée de saynètes potaches et de personnages hauts en couleurs. Acte I, l’enfance dans un décor banal de banlieue parisienne. Une naissance à Neuilly, des premières années à Clamart, entre une mère infirmière et un père serrurier. « J’étais enfant unique, seul dans un monde d’adultes, et j’ai détesté cela », confie-t-il. Acte II, l’école, avec « une institutrice communiste » en Clarks et pantalon en velours côtelé qui emmène cérémonieusement sa classe au défilé du 11 novembre. « C’était une vieille bonne femme moche, mais une femme exceptionnelle ! Une vraie hussarde de la République, une vraie rouge, qui y croyait vraiment !», s’enthousiasme l’avocat, pourtant « plutôt de l’autre bord politique ». Vient ensuite le temps du collège privé de Meudon et de ses « bonnes sœurs cools ». « J’ai appris les règles de la reproduction de la bouche d’une bonne sœur », susurre Bertrand Périer, ménageant des silences à la manière d’un comédien. Il y a du Luchini dans le regard, dans la manière, lente, de prononcer les mots en en détachant chaque syllabe, puis de se taire pour savourer son effet.
Nul en maths, « évidemment », il atterrit sur les bancs de Sciences Po, « comme tous les gens qui ne savent pas quoi faire », puis sur ceux de la fac d’Assas « pour retarder l’heure du choix ». Il échoue à l’ENA, ne veut pas être magistrat. « Je n’ai aucun goût pour juger la vie des autres, moi qui ai déjà du mal avec la mienne. Pour moi, cette fonction implique d’être un esprit divin », détaille-t-il. Il sera donc avocat. « Ce n’était pas une vocation, je n’étais pas délégué de classe, je n’avais aucun avocat dans ma famille pour me servir de modèle ». Il suit des cours à HEC et décroche une maîtrise de droit des affaires à Assas. « Je fais toujours deux choses en même temps », explique-t-il. Diplômé, il souhaite mettre en pratique le droit public appris à Sciences Po et le droit privé acquis à la fac. « Quel était le métier qui permettait de rassembler les deux ? Celui d’avocat aux Conseils ».
Trublion
Pour son premier stage, il atterrit au trente-septième étage d’une tour de la Défense, chez Archibald Andersen. « C’était froid, anonyme, horrible. On ne savait pas pourquoi on était là ». L’année suivante, son deuxième stage, chez Gide, à Bruxelles, est « extraordinaire ». Il travaille sur un dossier dans lequel le cabinet défend l’État ivoirien qui s’oppose à un projet de directive européenne. « Le débat juridique était de savoir ce que l’on pouvait qualifier de chocolat. Pouvait-on utiliser ce terme pour des produits issus du karité ou de l’huile de palme ? Nous faisions valoir que ce produit ne pouvait être issu que du beurre de cacao. Nous avons perdu, mais c’était très amusant, car nous étions à la frontière de la politique et du droit ».
Le concours de la Conférence du stage marque un tournant dans sa carrière. En 2003, il devient quatrième secrétaire de la Conférence. Les habits d’organisateur de la Berryer lui siéent parfaitement. « Le quatrième est supposé drôle, chauffeur de salle, bateleur », explicite-t-il. Le trublion désigné se souvient de moments merveilleux. « Nous avons reçu des personnalités incroyables : Jacques Chancel, qui était très drôle, Guy Gilbert, le curé des loubards, une personnalité intransigeante qui débordait de bonté et d’humanité ; le mime Marceau, qui nous a mimé tout un procès… Ah, quel bonheur de ramener le mime Marceau chez lui et d’avoir une heure de conversation avec lui ! ».
La Conférence lui ouvre aussi les portes de la défense pénale. « Avec la Conférence, on hérite d’une mémoire. On peut demander conseil à tous les anciens. J’ai appris le pénal en accéléré ». Il découvre les interrogatoires, les juges de la liberté et de la détention, les taules de la région parisienne. Et les assises, « avec seulement 4 mois de pénal dans les pattes ». Pour défendre un homme accusé d’inceste, il va chercher son confrère Julien Dreyfus, « pour partager les joies et mutualiser les risques ». « Je me sentais indigne de celui dont le destin m’était confié », précise-t-il. « Comme tous les accusés, ce type se défendait mal ! Il était maladroit et dur, même avec nous. Il fallait le cadrer ». Des années plus tard, l’acquittement reste un grand souvenir. « J’entends encore la présidente dire qu’à l’ensemble des questions, il a été répondu non. J’ignore si l’accusé était ou non coupable, mais nous avons fait respecter la présomption d’innocence. La cour d’assises est un catalyseur de passions. On a trois jours pour se dire les choses, car on sait qu’après on ne se reverra plus jamais ».
Hyperbole
L’adjectif « extraordinaire » revient souvent, ponctue la conversation de Bertrand Périer. L’avocat a le goût des hyperboles, et la très sympathique habitude d’être bien plus disert sur les gens qu’il aime que sur ceux qui l’agacent. Revenant sur sa carrière, il ne peut s’empêcher de faire l’éloge de ceux qui l’ont inspiré. Pêle-mêle, en à peine plus d’une heure de conversation, il rend un bel hommage à Jean-Denis Bredin, aujourd’hui membre de l’Académie française, chez qui il est passé en stage. « Quand il n’était pas là, on pouvait aller voir le manifeste de J’accuse dans son bureau, où trônait aussi un tableau de Monet. C’était un très grand monsieur. Quand on le croisait, il était très gentil, le genre à vous laisser passer devant lui… ». Il garde un grand souvenir de son passage au conseil de l’ordre, entre 2013 et 2015, où il est chargé de la communication. « C’était extraordinaire car Pierre-Olivier Sur est un meneur d’hommes, quelqu’un d’un charisme insensé, visionnaire, intuitif, fédérateur… ». Bertrand Périer semble avancer à l’admiration, dopé par les rencontres avec des confrères qu’il cherche à épater.
Longtemps, Bertrand Périer dit avoir été fâché avec la parole. « Le concours de la Conférence a été une thérapie, un défi sur moi-même ». En rhétorique également, il se trouve un maître, « un mentor absolu » : Marc Bonnant, ancien bâtonnier au barreau de Genève. « Je l’ai vu lors d’une Berryer, c’était éblouissant. Il y avait tout : le lexique, la forme, l’imparfait du subjonctif, l’élégance, la pertinence du propos, la méchanceté », énumère Bertrand Périer admiratif. Un jour, il a affronté cet « orateur immense » lors d’une passe d’arme rhétorique. « Je crois qu’il y a encore un peu de mon sang sur les murs de la pièce », sourit l’avocat. « En parlant du texte auquel je me référais, il m’a dit : “Débarrassez-vous de ce support d’infirme !” Je l’ai écouté, et n’ai plus jamais écrit une ligne de ma vie ».
Bagages
Aujourd’hui, c’est lui le maître qui enseigne ce conseil à ses étudiants. Bertrand Périer enseigne l’art oratoire à HEC et Sciences Po, et, depuis cinq ans, à Paris 8. « Je trouvais le projet joli. Dans les grandes écoles, ils n’ont pas vraiment besoin de nous. Si nous ne le faisons pas, d’autres le feront. En Seine-Saint-Denis, en revanche, le langage enferme ». Comment va sa timidité aujourd’hui ? « Je lutte chaque jour contre elle, je mourrai avec elle », répond-il à voix basse. Puis, avec l’air de celui qui a déjà vécu mille vies, il conclut : « Vous savez, on voyage tous avec nos bagages ».