La justice française mal-classée en Europe

Publié le 31/07/2021

Comme chaque été, depuis neuf ans, la Commission européenne dévoile son tableau de bord annuel sur la justice dans l’Union européenne. Marquée par la pandémie de la Covid-19, celui-ci dresse notamment un bilan de la numérisation des systèmes judiciaires européens. Sur ce point, et beaucoup d’autres, la France fait figure de mauvais élève.

« La justice française manque de moyens, financiers et humains », « Elle n’est pas suffisamment efficace », « Ni assez indépendante », voilà trois poncifs habituels quand on évoque l’état du système judiciaire de notre pays. Même les différents garde des Sceaux, tous bords politiques confondus, n’ont de mots trop durs pour évaluer le fonctionnement de l’institution dont ils ont la charge. Éric Dupond-Moretti en tête. Mais dès lors comment séparer le bon grain de l’ivraie parmi ces affirmations et sur un sujet si sensible et complexe à évaluer ? En se comparant, peut-être. Et qui plus est à des pays proches du nôtre, ceux de l’Union européenne. Le tableau de bord 2021 de la justice de la Commission européenne, dévoilé en juillet, permet de multiplier ainsi les superpositions. Il repose sur trois critères (efficience, qualité et indépendance), eux-mêmes illustrés par de multiples graphiques. Et n’en déplaise aux plus optimistes, les clichés ont la vie dure.

L’argent, sujet majeur et manquant

 

Commençons par les moyens. La France débourse en moyenne 80 € par an et par habitant pour le fonctionnement de son système judiciaire (hors prisons). Un montant en augmentation depuis 2012 (moins de 75 €) et qui place la pays dans le « ventre mou » du classement européen : 13e sur 27. Peut mieux faire dira-t-on. Surtout si l’on confronte cette donnée à celle de pays similaires par leur population. Espagne et Italie dépensent, en moyenne, respectivement 85 et 100 € par an et par habitant. Et que dire de l’Allemagne ? Notre voisin de l’Est déployait en 2019 près de 160 € par habitant pour le fonctionnement de sa justice. Soit deux fois plus que la France. Rapporté au produit intérieur brut (PIB) du pays, le constat est encore plus cinglant. La France consacre un peu plus de 0,2 % de son PIB pour sa justice, et se place, cette fois-ci, en queue de peloton, 23e sur 27. Seuls le Luxembourg, l’Irlande, le Danemark et Chypre font moins bien. L’Allemagne, elle, dédie près de 0,4 % de son PIB  – plus élevé que le nôtre – pour sa justice.

Logiquement, les ressources humaines souffrent de la même tendance. Dix juges pour 100 000 habitants en 2019 en France. Un ratio de 1 pour 10 000, le quatrième plus faible des États membres. Et si le nombre d’avocats est dix fois plus élevé pour le même échantillon, il est encore l’un des plus faibles du continent, le huitième précisément. Conséquence, en 2019, le temps d’attente pour trancher en première instance une affaire frôle les 400 jours en France. Il est de moins de 200 jours dans 16 pays de l’UE. À l’heure de la crise sanitaire ces mauvaises données pourraient être contrebalancées par une numérisation avancée des pratiques judiciaires. Encore loupé.

La justice française mal-classée en Europe

 

Selon la Commission européenne, la France est à la traîne sur cet enjeu aussi : 3,5/10. Pas de bonnet d’âne mais presque. Ainsi il était encore impossible en France, en 2019, de faire parvenir des preuves au format numérique uniquement quel que soit le type d’affaire, quand cela était déjà le cas dans 20 États membres.

De la même manière, les Français, en comparaison avec leurs voisins, n’ont, d’après la Commission européenne, qu’un accès limité en ligne aux décisions judiciaires, et ne peuvent que difficilement entamer ou suivre des procédures sur internet. En revanche, la France est le seul État européen à ne pas réclamer de droit de greffe pour entamer une procédure judiciaire dans une affaire relevant du droit de la consommation (selon l’exemple retenu par la Commission européenne). La justice française paraît ainsi plus abordable financièrement pour les plus démunis, ce qui n’est pas la moindre des qualités pour un État de droit.

La justice française mal-classée en Europe

Une indépendance difficile à juger

Enfin, à l’heure de la mise en examen du ministre de la Justice française et la multiplication des débats quant à la réelle indépendance de l’institution judiciaire, la Commission européenne s’est aussi penchée sur cette épineuse problématique. L’indépendance de la justice, explique-t-elle, est « une exigence découlant du principe de protection juridictionnelle effective établi à l’article 19 du Traité de l’Union européenne (TUE) et du droit à un recours effectif devant une cour ou un tribunal énoncé à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE ». Elle est aussi, ajoute-t-elle, « un facteur de nature à favoriser la croissance, tandis que la perception d’un manque d’indépendance peut décourager l’investissement ».

Difficile néanmoins de statuer précisément du réel niveau d’indépendance de la justice dans chacun des États membres. Qu’en est-il alors de la perception des citoyens, premiers intéressés par la question ? D’après le tableau de bord de la Commission européenne, et une enquête d’opinion menée à l’échelle du continent, les Français, à rebours de l’impression véhiculée notamment par les réseaux sociaux, considèrent plutôt positivement l’indépendance de leur système judiciaire. Ils sont près de 60 % à l’estimer « bonne » ou « très bonne ». C’est bien moins, certes, que les Finlandais ou Danois, ou plus de 80 % de la population a un avis positif sur la justice de leur pays, mais c’est beaucoup mieux qu’en Pologne ou en Hongrie, deux pays souvent pointés du doigt pour leurs atteintes à l’État de droit, ou les avis positifs plafonnent à 20 %. Cependant, comme un dernier clin d’œil cruel pour la France, l’ultime graphique de ce tableau de bord – qui en comprend 58 – relatif à l’indépendance des barreaux et des avocats en 2020, place l’Hexagone en dernière position continentale. Impossible, cette fois-ci, d’échapper au bonnet d’âne.