Le triste bilan de la réforme de l’appel civil

Publié le 26/12/2019

L’Inspection générale de la justice a remis son rapport intitulé : « Bilan des réformes de la procédure d’appel en matière civile, commerciale et sociale et perspectives » le 21 novembre dernier. Si l’IGJ conclut que la réforme dite Magendie a constitué une « avancée », elle n’a toutefois pas permis de réduire le stock d’affaires en cours.

L’Inspection générale de la justice (IGJ) vient de rendre son rapport sur la procédure d’appel. Il lui était demandé par la ministre de la Justice Nicole Belloubet de dresser le bilan de la réforme de l’appel issue du décret du 9 décembre 2009, dit « Magendie » (en référence aux deux rapports de Jean-Claude Magendie de 2004 et 2008 qui ont inspiré la réforme), d’évaluer le fonctionnement et l’efficacité de la procédure et de procéder à une analyse des performances des cours d’appel. Dans les grandes lignes, la réforme a consisté à l’époque à rompre avec la traditionnelle mise en état pour la remplacer par des délais impératifs sanctionnés par la caducité de la déclaration d’appel ou l’irrecevabilité des conclusions. L’objectif alors était de répondre à la situation d’asphyxie dans laquelle se trouvaient les cours d’appel. Dès 1997, un rapport du premier président Jean-Marie Coulon montrait qu’entre  1975 et 1995, le nombre d’affaires nouvelles devant les cours d’appel saisies en matière civile, sociale et commerciale, avait augmenté de 208,7 % et que  le stock d’affaires en cours avait, pour sa part, été multiplié par 7,3 ce qui représentait une augmentation de 630 %. Sur la même période l’effectif total de magistrats n’avait progressé que de… 19,1 % au niveau national !

Déni de justice

Dix ans plus tard, le rapport de l’IGJ salue les avancées constituées par la procédure d’appel issue de la réforme, sous réserve de procéder à certains ajustements. Mais il est forcé de constater que l’objectif recherché, à savoir la résorption des stocks, n’a pu être atteint. Et pour cause ! S’il est vrai que les difficultés de l’institution judiciaire proviennent sans doute en partie de problèmes d’organisation, ils demeurent essentiellement dus au manque de moyens. Or après avoir analysé l’efficacité de la nouvelle procédure en première partie du rapport, l’IGJ consacre la deuxième partie  intitulée « Des réformes qui se heurtent au principe de réalité » à décrire méticuleusement les conséquences de l’insuffisance des effectifs. En langage administratif, on parle pudiquement de décorrelation entre  les effectifs et l’activité. Concernant l’activité justement, le rapport note que la courbe du nombre d’affaires nouvelles est fluctuante, après avoir atteint 250 000 en 2014 et 2016, elle se situe à 230 000 en 2018, soit le même niveau qu’en 2009. En revanche, le nombre des affaires terminées diminue depuis 2017. Surtout, le délai moyen de traitement des affaires ne cesse de croître depuis 2009 pour s’établir à 14,9 mois en 2018. Le stock des affaires a augmenté pour sa part de 24,6 % sur la période considérée. « La mission n’a pu objectiver l’impact réel des réformes procédurales intervenues depuis 2011 sur la durée de la procédure, souligne les auteurs du rapport. Il est cependant constant que l’allongement de la durée de traitement des affaires, alors que les décrets de procédure imposent, depuis 2011, une mise en état plus rapide, est dû à une insuffisante capacité d’audiencement liée à l’importance du stock des dossiers en attente de jugement.  La durée excessive de la procédure, assimilée à un déni de justice, a conduit à une forte augmentation du nombre de condamnations de l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice ».

L’urgence d’élaborer un référentiel d’activité

L’IGJ conclut à la nécessité de « consolider les effectifs ». À l’échelon des cours d’appel en effet, la période 2008-2018 se caractérise par une phase de recul des effectifs localisés et réels des magistrats. Le rapport poursuit en relevant que « depuis cinq ans, plus de 50 % des cours d’appel sont en sous-effectif avec, en 2014, un pic à 58 %, induisant ce que d’aucuns qualifient de fonctionnement en « mode dégradé » des chambres. Une situation particulièrement critique en matière civile car les chefs de cour pour parer aux urgences en matière pénale sont souvent obligés de prélever sur les effectifs en principe dédiés au civil. Pour résoudre ce problème l’IGJ, dans le prolongement des préconisations de la Cour des comptes, recommande d’élaborer un référentiel d’activité des magistrats de cours d’appel intégrant une évaluation de la charge de travail (proposition 13) et, sur la base de ce référentiel d’activité, de contractualiser avec chaque cour d’appel un plan de résorption des stocks prévoyant l’octroi des moyens idoines (proposition 14).

Sans surprise, le problème des effectifs de magistrats se double d’une difficulté identique concernant les greffiers. Malgré une très légère hausse des localisations d’emplois de greffe dans les cours d’appel sur la période analysée, soit de 2009 à 2018 (+ 0,54 %), les effectifs réels ont subi une baisse globale de 1,55 %, note le rapport. En réalité, la situation est plus grave encore car ces données statistiques ne reflètent pas les taux d’absentéisme, les temps partiel et les taux de rotation dans certaines cours. « Cette insuffisance régulière d’effectifs disponibles est une source de désorganisation dans les juridictions, surtout dans un contexte de réformes des procédures et de développement de la communication électronique, qui exige l’appropriation de nouveaux textes et outils et des constructions nouvelles d’organisation », souligne le rapport. Là encore on ne résoudra le problème qu’en procédant à une évaluation sérieuse de la charge de travail des personnels de greffe ce qui impose d’actualiser et rénover Outilgref pour objectiver la charge de travail des greffes des cours d’appel (proposition 16). Et bien entendu il convient de d’assurer une corrélation entre les localisations d’emploi des magistrats du siège et des fonctionnaires de greffe (proposition 15) car augmenter les effectifs de magistrats sans faire de même dans les greffes ne permet pas de résorber les stocks.

Depuis quelques années, l’École nationale de la magistrature et l’École des greffes connaissent des promotions record. La Chancellerie annonce de manière imminente la fin de vacances de postes concernant les magistrats. Mais il n’en va pas de même des greffiers. Aussi et surtout, ces vacances sont calculées sur la base d’effectifs théoriques sous-évalués par des outils dont l’insuffisance a été pointée par la Cour des comptes (voir rapport précité). Par conséquent même si l’on parvenait à supprimer les vacances de postes, les effectifs demeureraient insuffisants. C’est tout l’enjeu des travaux actuels de la Chancellerie pour élaborer de nouveaux outils d’évaluation de la charge de travail. Les syndicats de magistrats redoutent que ce soit une fois de plus l’occasion non pas d’évaluer les besoins réels sur la base d’une analyse précise de la charge de travail mais simplement de répartir la pénurie. Affaire à suivre…

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