Le maire, la mariée et l’étranger sous OQTF
Alors qu’une proposition de loi visant à interdire le mariage aux personnes sous OQTF, soutenue par le gouvernement, est examinée ce jeudi au Sénat, dans le prolongement de l’affaire de Béziers, on fait le point avec la magistrate Valérie-Odile Dervieux sur l’état du droit.

Robert Ménard, es qualité d’officier d’état civil (OEC) est attrait en justice pour avoir refusé de célébrer le mariage d’un étranger sous OQTF (obligation de quitter le territoire[1]) dans le cadre d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).
Sans porter d’appréciation sur une procédure que je ne connais pas, la polarisation des positionnements interroge :
Quel est le droit positif en la matière ?
Comment expliquer les procédures judiciaires en cours ?
Les règles pourraient-elles évoluer ?
Se marier ?
Le droit de se marier est fondé sur les articles 144 et suivants code civil, 2 et 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC), 8,12 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)
L’opposition au mariage appartient à certains particuliers et à l’Etat.
Régie par les art 172 à 179 CC, elle vise, s’agissant de l’Etat, à empêcher, dans le cadre d’une procédure contradictoire et susceptible d’appel, le mariage contracté dans des conditions pouvant justifier son annulation du chef, pour l’essentiel, de défaut ou de vice du consentement.
Ces derniers peuvent correspondre à la volonté de contracter le mariage dans un but qui lui est étranger et notamment le souhait de contourner les règles de séjour d’un étranger en France, voire, à terme, d’en acquérir la nationalité.
C’est le fameux « mariage blanc » ou « gris », la couleur dépendant des saisons politiques.
L’art 175-2 CC précise strictement les rôle, fondement et cadre d’intervention de l’OEC ou de son délégué, dont une des fonctions les plus symboliques est de célébrer le mariage :
Avant le mariage, l’OEC a un rôle de publication et de contrôle qui lui permet notamment, au visa de l’art 63 CC de procéder à l’audition des prétendants si cela « apparait nécessaire » face à un risque de fraude, au visa des art 146 [2] et 180[3] code civil.
Pendant le mariage l’OEC, s’il relève « des indices sérieux faisant présumer, au vu notamment des auditions et de l’entretien de l’art 63 CC, que le mariage envisagé pourrait être annulé au visa des mêmes art 146[4]ou 180[5] code civil », ne peut que saisir le procureur de la République (PR) et en informer les intéressés.
Seul le procureur peut alors décider soit de laisser procéder au mariage, soit d’y faire opposition directement, soit d’ordonner une enquête avec sursis à célébration, avant de prendre une décision.
Toutes ces décisions sont spécialement motivées, encadrées par des délais impératifs et susceptibles de recours. Le principe étant la liberté du mariage, le non-respect des formes et des délais de la part des magistrats en charge est sanctionné par la levée de l’opposition et donc la possibilité du mariage.
Aucun texte ne semble donc permettre à l’OEC de s’opposer, seul, à un mariage ou de refuser de le célébrer en dehors du cadre de fond et de forme prévu par ces articles 172 à 179 du Code civil.
Dans une note du 17/05/13 intitulée « conséquences du refus illégal de célébrer un mariage de la part d’un officier d’état civil », adressée aux préfets[6], le ministère de l’Intérieur rappelle, au visa des articles L 2122-16 et L212-32 du code général des collectivités territoriales, des décisions du Conseil constitutionnel reconnaissant la liberté du mariage comme l’une des composantes de la liberté individuelle et personnelle[7], des jurisprudences administratives et judiciaires et des art 432-1 [8] et 432-7 du code pénal[9], le droit positif relatif au droit du mariage et d’opposition et les risques encourus en cas de non-respect.
Se marier en situation irrégulière ?
La question des liens entre les droits au mariage et au séjour des étrangers sur le territoire national fait l’objet de règles spécifiques[10] et de débats politiques.
Depuis la loi du 29/10/81 (art 9)[11] relative aux conditions d’entrée/séjour des étrangers et ayant pour objet l’amélioration de la situation juridique des étrangers en France »[12], les personnes en situation irrégulière peuvent se marier.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision 2003-484 DC; 20/11/03, a estimé que si le contrôle de la réalité du consentement des futurs époux n’est pas contraire à la liberté du mariage, l’assimilation de l’irrégularité du séjour à un indice sérieux de non consentement (de nature à fonder la mise en oeuvre de la procédure d’opposition) est contraire à la constitution (cf : considérants 96 à 97)[13]
Une proposition de loi a néanmoins été déposée au Sénat le 11 décembre 2023[14], pour soumettre le mariage à la condition que les futurs époux soient en situation régulière sur le territoire français[15].
L’idée serait soutenue notamment par les ministres de l’Intérieur et de la justice.
Suites judiciaires ?
S’agissant de la procédure relative au mariage de Bézier, le maire et son conseil ont accepté de se soumettre à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) [16] mais ont refusé la peine proposée par le procureur de la République (PR).
Ce refus, qui peut correspondre au refus de la qualification retenue, de la sanction proposée, de maintenir la reconnaissance de culpabilité ou au choix de comparaitre devant une juridiction de jugement lors d’une audience publique, laisse au procureur de la République le choix des suites :
*soit il saisit le tribunal correctionnel, soit il requiert l’ouverture d’une information judiciaire,
*soit il saisit à nouveau le juge d’une CRPC de la 2ème chance[17] sous réserve de son acceptation par le mis en cause.
Obligation du maire versus obligation de l’étranger sous OQTF ?
En l’espèce, le maire de Béziers estime être soumis à une « injonction contradictoire » en étant obligé de marier sur le territoire national un étranger lui-même obligé de le quitter.
Comment résoudre ce paradoxe ?
Par la hiérarchie des normes ?
L’obligation de célébrer un mariage emprunte de la conventionalité et de la constitutionnalité du droit au mariage tandis que l’obligation de quitter le territoire français relève de la police administrative.
Mais le maire est un officier d’état civil et un officier de police judiciaire.
Par la cohérence temporelle et spatiale ?
La célébration du mariage et la procédure d’opposition à mariage sont enserrées dans des conditions et des délais. Toutes les décisions prises dans le cadre de l’opposition à mariage sont susceptibles de recours.
L’OQTF, généralisée aux situations du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui prévoient l’éloignement de l’étranger pour séjour irrégulier[18], peut également faire l’objet de recours[19].
Si les délais et recours ne sont ni identiques, ni coordonnés, aucun texte ne semble prévoir qu’un projet de mariage puisse suspendre la mise à exécution d’une OQTF ou qu’un mariage ne puisse avoir lieu hors du territoire national.
Par le contexte ?
Le Conseil constitutionnel a reconnu, encore récemment, de nouveaux droits aux étrangers en situation irrégulière[20] en déclarant inconstitutionnels des textes leur refusant des aides sociales au nom de l’égalité ou en soumettant leur bénéfice à des conditions jugées disproportionnées.
La jurisprudence du Conseil ne parait donc pas favorable à la restriction des droits des personnes sous OQTF.
D’où les questions à se poser si l’on n’est pas satisfait de la situation actuelle :
La problématique est-elle opérationnelle et ne suppose-t-elle alors qu’une meilleure application des règles en vigueur ?
La solution est-elle de « clarifier la loi » pour « protéger le droit et les maires » en appliquant et en coordonnant de manière plus fluide les règles et en préservant les maires de risques de poursuites dans le cadre de circulaires adressées aux parquets ?
La problématique est-elle juridique, autrement dit faut-il changer un texte, mais alors lequel ?
Le législateur doit-il, peut-il changer les règles du mariage, les modalités d’opposition à mariage, ou/et les conditions d’accès au séjour/naturalisation sur le territoire français des étrangers en situation irrégulière ou sous OQTF[21], revoir les procédures de recours, donner plus de pouvoirs aux OEC [22], les préserver légalement de sanction disciplinaire et pénale dans ces situations « d’injonctions contradictoires » ?
La problématique est-elle constitutionnelle ? Pourrait-elle- faire l’objet d’une QPC[23]?
Et enfin, la problématique est-elle conventionnelle ?
Le législateur pourrait-il saisir cette occasion pour redéfinir les motifs d’opposition, d’annulation et de consentement au mariage[24], au regard de la décision de l’affaire H.W. c. France (requête no 13805/21), du 23 janvier 2025 estimant le devoir conjugal contraire à la liberté sexuelle, au droit de disposer de son corps et à l’obligation des États contractants de lutter contre les violences domestiques et sexuelles[25] , et qui parait induire une nouvelle vision de la fraude au mariage ?
On le voit, de nombreuses questions se posent autour de sujets qui déchainent des passions bien éloignées de ce qu’inspire, en principe, en ce lendemain de la Saint-Valentin 2025, le mariage
[1] L’étranger sous OQTF et la procédure pénale ; Xavier Pottier, vice-président au tribunal administratif de MelunAJU010z3
[2] absence de consentement
[3] Absence de consentement libre et éclairé
[4] absence de consentement
[5] Absence de consentement libre et éclairé
[6] L 17 mai 2013
[8] « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
[9] « La discrimination définie aux articles 225-1 et 225-1-1, commise à l’égard d’une personne physique ou morale par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsqu’elle consiste :
1° A refuser le bénéfice d’un droit accordé par la loi ;
2° A entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque. »
[10] Quels sont les droits des étrangers ?
Loi immigration : plusieurs dispositions entrent en vigueur
[11] Cet article abroge les articles 13 et 18 de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 :
« L’officier de l’état civil ne peut célébrer le mariage d’un étranger résident temporaire que si celui-ci justifie d’une autorisation dans les conditions qui seront fixées par décret pris sur le rapport du ministre de la justice et du ministre de l’intérieur.
[12] Exposé des motifs : i1980_1981_0366.pdf
[13] Mariage des sans-papiers : une « liberté fondamentale » protégée par la Constitution (La Croix)
[14] Mariage en France et résidence irrégulière sur le territoire
[15] Retailleau et Darmanin favorables à l’interdiction du mariage avec 1 personne en situation irrégulière (Le Point)
Interdire les mariages entre Français et étrangers illégaux : pourquoi le Sénat s’apprête à débattre d’un texte inconstitutionnel ? (Public Sénat)
[16] Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ; Articles 495-7 à 495-16 CPP
La CRPC a 20 ans : rappel des évolutions
[17] Loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023 : l’irrésistible ascension du parquet face au siège, VO DERVIEUX AJU414122
[18] Commentaire de DC n° 2018-709 QPC du 1er juin 2018
[19] L’étranger sous OQTF et la procédure pénale X.POTTIER, magistrat administratif AJU010z3
[20] Décision n° 2024-1091/1092/1093 QPC du 28 mai 2024 déclarant inconstitutionnelle l’exclusion des étrangers en situation irrégulière du bénéfice de l’aide juridictionnelle dans tous les domaines au visa du principe d’égalité devant la justice.
Décision n° 2024-6 RIP du 11 avril 2024 sur la PPL visant à réformer l’accès aux prestations sociales des étrangers, déclarant inconstitutionnelle un texte textes subordonnant le bénéfice de prestations sociales à des délais pour l’étranger en situation régulière non ressortissant de l’Union européenne
[21] Obligation de quitter le territoire français (OQTF)
[22] La régularisation par le mariage : quelles sont les conditions ?; Mariage avec un sans papier ; Le droit de se marier pour les personnes en situation irrégulière
[23] Jean-Éric Schoettl : « Sur le droit au mariage des étrangers sous OQTF, le Conseil constitutionnel au pied du mur » , le Figaro 19 fev .25
[24] Des devoirs et des droits respectifs des époux : articles 212 à 226 Code civil
[25] Devoir conjugal : le mariage obstacle à la liberté sexuelle ? Xavier Labbée, Professeur émérite à l’Université de Lille – Avocat au barreau de Lille AJU496134 ; CEDH : la mort du devoir conjugal annonciatrice de la fin du divorce pour faute ? Michèle Bauer Avocate au Barreau de Bordeaux ; AJU496191
Référence : AJU496910
