Les dimensions juridiques internes et externes de l’Union européenne
T. Konstadinides, The Rule of Law in the European Union : The Internal Dimension, Bloomsbury 2017, 180 p. ; V. Moreno-Lax, Accessing Asylum in Europe : Extraterritorial Border Controls and Refugee Rights under EU Law, Oxford University Press, 2017, 550 p.
Le célèbre théoricien du droit Herbert Hart préconisait une double approche du droit : à la fois interne et externe. C’est à cette forme d’exercice que nous invite la lecture de ces deux ouvrages remarquables sur la dimension juridique à la fois interne et externe de l’Union européenne.
Le premier ouvrage porte sur le concept de « rule of law », que l’on peut traduire notamment par l’expression « prééminence du droit ». À travers cette entrée, l’auteur cherche à expliciter la construction juridique de l’Union européenne dans ses rapports essentiellement internes (États membres et citoyens européens). Cette perspective théorique conduit l’auteur à marquer la singularité de la notion qui ne s’apparente pas, selon lui, à ce que l’on peut connaître dans le contexte national (notamment en France avec « l’État de droit ») ou international. On ne peut qu’approuver cette démarche qui prend le parti de poser la construction européenne comme un entre-deux qui n’est compréhensible que si l’on accepte de sortir des clivages (notamment national/international) existants. Fort de cette analyse, l’auteur concentre l’essentiel de son effort de définition sur l’identification des valeurs communes partagées au sein d’espace européen. Ce prisme permet à l’auteur de revisiter à la fois les dispositions de droit primaire européen (notamment l’emblématique article 2 du Traité sur l’UE) et les fameux principes de droit européen dégagés par la jurisprudence de la Cour de justice. L’analyse se poursuit par l’examen des modalités de mise en exécution (« enforcement ») de cette « rule of law » européenne. Deux contextes — et c’est un choix également heureux — sont distingués. Le premier, de rang européen, envisage un déploiement protéiforme de la notion par les différents actes de droit européen et les différentes institutions européennes et nationales chargées de leur application. Le second, de rang spécifiquement national, se focalise sur les crises auxquelles la « rule of law » européenne a été confrontée ces dernières années dans différents États membres et les mécanismes, là encore multiples, susceptibles d’être mis en œuvre pour la faire respecter.
Le second ouvrage vise les rapports externes que l’Union européenne entretient sur la question sensible de l’accueil des réfugiés et le traitement des demandes d’asile. Cette somme se présente comme une analyse critique des politiques rivées sur la question du contrôle des frontières externes à l’UE. L’auteur passe au crible l’ensemble des dispositifs qui ont été imaginés ces dernières années pour empêcher l’arrivée de migrants sur le sol européen : la gestion intégrée des frontières, l’énoncé de critères communs (Schengen), la politique commune des visas, la participation d’acteurs privés (transporteurs) dans la gestion des frontières en coopération notamment avec les officiers de liaison chargés des questions d’immigration, le rôle de l’agence Frontex dans les opérations maritimes, etc. Les multiples combinaisons qu’offrent ces différents dispositifs sont passées au crible des principes fondamentaux qui gouvernent la matière au niveau tant international qu’européen. Au terme d’une analyse mesurée et toujours très ciselée, l’auteur dénonce la mise à mal du principe de non-refoulement, l’étroitesse du traitement des situations par la seule question de l’asile auquel devrait s’ajouter, selon l’auteur, un droit européen de fuir, l’illusion du maintien des garanties fondamentales quand l’accès au territoire européen est rendu impossible. Le travail se termine sur une série de conclusions qui distinguent la situation telle qu’elle est aujourd’hui et telle qu’elle devrait être, toujours selon l’auteur.
Ce double regard interne et externe sur la construction juridique européenne montre que les défis auxquels l’Europe est confrontée placent le droit, dans sa dimension prééminente et fondamentale, au premier rang des instruments de nature à donner du sens à des actions politiques marquées par un fort opportunisme et une bonne dose d’hypocrisie. Or cette recherche de sens est d’autant plus nécessaire que la situation est incertaine.