Matthieu Quinquis : « Il faut mettre en oeuvre une politique de déflation carcérale »

Publié le 10/06/2022

Matthieu Quinquis, avocat au barreau de Paris,  vient d’être élu à la tête de l’Observatoire international des prisons (OIP). Il succède à sa consoeur Delphine Boesel. Alors que le taux de surpopulation carcérale explose, le nouveau président nous confie ses inquiétudes sur la situation pénitentiaire en France. 

Prison
Azaliya (Elya Vatel)/AdobeStock

Actu-Juridique : Sur votre site,  un article évoque le suicide d’un jeune homme à la prison de St Brieuc l’an dernier, à ce jour toujours pas éclairci. Qu’en est-il actuellement des morts violentes en prison ?

Matthieu Quinquis : Les suicides et plus généralement les morts violentes en détention sont une actualité permanente, elles illustrent la violence des conditions de détention et l’extrême vulnérabilité des personnes détenues. La cause en est l’enfermement mais aussi les conditions et régimes de détention imposés : vétusté, promiscuité, difficultés d’accéder à des activités, mesures de contrôle et de surveillance qui s’ajoutent à des situations déjà souvent précaires. On compte deux morts tous les trois jours en détention en France, avec en moyenne 120 suicides par an, et parfois malheureusement des établissements plus concernés que d’autres. Globalement, le taux de suicide, multiplié par 7 en détention par rapport à l’extérieur, est extrêmement important en prison. Malgré la détresse documentée de ce détenu à Saint-Brieuc et les mesures de protection mises en œuvre, visiblement insuffisantes, le drame n’a pu être évité. Il faut maintenant obtenir des réponses. C’est un spécialiste, Me Étienne Noël, qui accompagne les parents ; il a déposé une plainte avec constitution de partie civile pour mise en danger ainsi qu’un recours devant le Tribunal administratif pour faute. Ces procédures devraient permettre d’obtenir des explications. Et d’accorder une indemnisation aux parents, même si évidemment une telle perte n’est pas réparable.

Actu-Juridique : Durant la crise sanitaire, la population carcérale a baissé, mais elle retrouve actuellement son niveau d’avant avec 71 000 détenus au 1er avril, soit un taux de surpopulation de 137 % dans les maisons d’arrêt…

MQ : Tous les mois nous dénonçons cette aggravation de la surpopulation. En dépit de la parfaite identification des facteurs à l’origine de cette situation, le gouvernement et le parlement refusent toujours d’activer les leviers utiles pour freiner et surtout endiguer la surpopulation structurelle des établissements pénitentiaires français. On connaît les causes, on connaît les remèdes, mais ils continuent de refuser d’agir.

Actu-Juridique : Quelles sont donc ces causes ?

MQ : La prison demeure la sanction de référence, en particulier dans certaines procédures comme les comparutions immédiates. Par ailleurs, on continue de recourir de façon massive à la détention provisoire. En dépit des quelques progrès constatés après la loi Guigou du 15 juin 2000 qui avait encadré les procédures de placement en détention, crée le juge des libertés et de la détention, et renforcé les critères, notamment de délais. Cela intervenait sur fond de prise de conscience de l’état des prisons et avait donné des résultats. Mais aujourd’hui, 30 % des personnes en prison le sont dans le cadre d’une détention provisoire. Il y a aussi un problème à la sortie avec un durcissement des conditions d’aménagement de peine. Sans oublier l’allongement de la durée des détentions, on était à 4 mois de durée moyenne dans les années quatre-vingt contre 11 mois aujourd’hui. Autrement dit pour résumer, les entrées sont facilitées, les durées allongées, les sorties rendues plus difficiles.

Actu-Juridique : La question de la sortie est en effet sensible, que pensez-vous des solutions explorées à l’heure actuelle, par exemple celle consistant à réhabituer les détenus à la liberté via la médiation animale ?

MQ : Le retour à une vie normale à l’extérieur est difficile en effet, nous sommes attentifs à ce sujet, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle on considère que les dispositifs d’aménagements de peine en milieu ouvert doivent être développés. Ils sont insuffisamment prononcés. C’est un moyen très simple de résoudre la question de la violence de l’entrée en prison et celle de la sortie. En ce qui concerne la médiation animale, elle ne concerne qu’une toute petite minorité de personnes détenues, lesquelles se trouvent souvent seules pour préparer leurs sorties.

Actu-Juridique : Quels remèdes préconisez-vous contre la surpopulation ?

MQ : Il faut mettre en œuvre une politique de déflation carcérale reposant sur plusieurs leviers. D’abord la dépénalisation d’un certain nombre d’infractions et l’exclusion de la prison pour certains délits. Il faut aussi cesser de considérer que la prison est l’unique sanction et favoriser les alternatives. La loi regorge de possibilités, il n’est pas nécessaire de faire une réforme pour inventer de nouveaux dispositifs, mais simplement créer les conditions de leur utilisation. Aujourd’hui, les alternatives sont soumises à des critères trop restrictifs et on manque de moyens de sorte que les magistrats craignent que les peines en milieu ouvert ne soient pas exécutées.

Actu-juridique : Il semblerait que les membres du comité Sauvé dans le cadre des États généraux aient entendu le message puisque leur rapport, pas encore publié, renoncerait à créer de nouvelles places de prison…

MQ : Tant que nous n’avons pas le rapport, il est difficile de le commenter. Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’Emmanuel Macron a bien l’intention de poursuivre durant son second mandat son programme de construction de 15 000 nouvelles places. Nous critiquons ce choix politique, qui en plus de ne pas constituer une solution sérieuse ne peut répondre à l’urgence de la situation.  C’est très long de construire des places tandis que la surpopulation soulève des questions urgentes : des milliers d’hommes et de femmes sont victimes en ce moment de traitements indignes. Rappelons que le principe de l’encellulement individuel a été pour la première fois adopté en 1875 ; depuis lors, il fait l’objet de moratoires réguliers, le prochain vient à échéance en décembre 2022 et sera très certainement prorogé, c’est un point sur lequel droite et gauche s’accordent sans difficultés. Je pense qu’il ne faut rien attendre des états généraux, les solutions existent, on les connait, elles ne consistent pas à annoncer de nouvelles places, mais à mettre en œuvre les mesures permettant de diminuer la population carcérale.  C’est une question de volonté politique.

Actu-Juridique : Cela semble d’autant plus nécessaire de résoudre le problème que la France a été condamnée le 30 janvier 2020 par la CEDH sur ce sujet…

MQ : Deux ans déjà… La décision de la CEDH constate un phénomène de suroccupation dans 6 établissements et en déduit que la France a un problème structurel, ce qui la pousse à demander la création d’une voie de recours effective au bénéfice des détenus pour contester leurs conditions de détention, cela a donné naissance à l’article 808-3 du code de procédure pénale. Elle a également demandé que la France adopte des mesures en urgence pour mettre fin à la surpopulation carcérale. Un premier contrôle d’exécution a été réalisé par le comité des ministres du conseil de l’Europe, 1erseptembre 2021. Il est très sévère : la situation est inchangée, l’arrêt n’a donc pas été exécuté. Le prochain examen aura lieu en décembre 2022, nous travaillons donc à documenter la situation pour transmettre une analyse au comité des ministres. D’ores et déjà, nous constatons que non seulement la situation n’a pas changé mais qu’elle s’est aggravée : la baisse de 10 000 personnes incarcérées liée à la crise sanitaire a été effacée en moins d’un an, cela signifie que la population carcérale a augmenté de 9 % en quelques mois ! Pour la CEDH, cette situation est la conséquence de trois décennies de politique répressive.

Actu-Juridique : Comment envisagez-vous votre présidence ?

MQ : J’ai l’honneur de succéder à Delphine Boesel et je souhaite rendre hommage au travail qu’elle a accompli et l’en remercier. Ma mission va consister à assurer sa succession en poursuivant sur la dynamique qu’elle a impulsée. Dans la mesure où la situation pénitentiaire s’est dégradée, notre résistance doit être encore plus solide, nos positions plus affirmées. L’exécution de l’arrêt de la CEDH est aujourd’hui notre priorité, car cela concerne les personnes actuellement en prison mais aussi leurs familles qui subissent elles aussi les effets de cette situation.

Actu-Juridique : Y a-t-il un sujet dans l’actualité qui retient particulièrement votre attention en ce moment ?

MQ : Les polémiques récentes sur la responsabilité pénale des personnes souffrant de troubles psychiatriques nous inquiètent, parce que la population pénale est particulièrement vulnérable sur ce terrain. Non seulement, il y a une plus forte proportion de troubles psychiatriques chez les personnes condamnées que dans la population en général, mais la prison elle-même génère des troubles. Or, une loi récente décide que l’on va désormais envoyer certaines personnes atteintes de pathologies psychiatriques devant des formations de jugement. Déjà nous voyons régulièrement des magistrats prononcer des peines de prison ferme contre des personnes atteintes de troubles évidents. Ils savent qu’ils les envoient dans des établissements où ils subiront des traitements inhumains et dégradants. Il faut se mettre sur pause et prendre la mesure de ce type de décision, la société ne peut pas accepter une telle chose. D’autant plus qu’il n’y a pas forcément de soins adaptés en prison, et quand ils existent, à quel prix ? La prison n’est pas un médicament et donc la prescription est mauvaise. Mais il est vrai que les magistrats travaillent dans des conditions si dégradées eux-mêmes…

Actu-Juridique : Que prépare l’OIP actuellement ?

MQ : Nous allons publier dans les prochaines semaines deux rapports. Le premier, produit en collaboration avec Amnesty International, dresse un état des lieux du respect de la dignité en prison deux ans après la condamnation européenne. Le second est un rapport sur les soins spécialisés en détention : accès à des soins dentaires, ophtalmologiques, kiné… Il va révéler que les prisons aussi sont des déserts médicaux.  Les détenus éprouvent d’immenses difficultés à accéder aux soins, comme l’a d’ailleurs mis en lumière un incident récent au procès des attentats du 13 novembre. Nous avons voulu les documenter et les analyser.

 

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