Cours en semi-distanciel : « On aimerait se dire qu’on pourrait tenir bon mais rien n’est moins sûr »
Alors que flotte sur le pays la rumeur de la fermeture des lycées, les parents d’élèves se sentent démunis face aux différents protocoles qui se sont succédés entre le déconfinement et ce second confinement. En Seine-Saint-Denis (93), la situation est encore plus compliquée qu’ailleurs.
Au printemps déconfiné, les élèves ont d’abord regagné l’école par ordre de priorité, puis en septembre dernier, tous ont regagné leur classe avec masques obligatoires dès la sixième, mais non remboursés. Et puis, le 29 octobre dernier, ils ont été généralisés pour les enfants, dès 6 ans. Le moral était donc bien bas, quand l’assassinat de Samuel Paty et les cafouillages autour de l’hommage qui lui a été rendu ont mis le feu aux poudres.
Partout, en Seine-Saint-Denis, dans le Val-de-Marne, les Yvelines, l’Essonne, la Seine-et-Marne, les Hauts-de-Seine ou le Val-d’Oise, le vent de la révolte a soufflé sur les établissements scolaires. En Seine-Saint-Denis, de nombreux mouvements de grève ont été organisés aux collèges Joliot-Curie et Pablo-Neruda de Stains, aux lycées Flora-Tristan de Noisy-le-Grand et Louis-Pasteur à Villemomble, au collège Politzer de Bagnolet, Gabriel-Péri à Aubervilliers ou encore La Courtille à Saint-Denis. Les enseignants ont montré les dents, et à raison. « L’absence de concertation a mis le feu aux poudres, imaginer que nous pouvons dans le même temps réfléchir à l’hommage, préparer la mise en place du protocole sanitaire et faire cours est bien la marque de l’ignorance et du mépris de ce qu’est notre métier », a expliqué Gabriel Holard, co-secrétaire du SNES-FSU 94, à nos collègues du Parisien. « Pour faire face, nous avons besoin d’une stratégie collective, le ministère s’est rendu compte qu’il préférait que l’on ne se parle pas, nous prenons cela pour de la défiance de la part des autorités ».
Les parents d’élèves, jonglant entre télétravail ou travail tout court, armés de leurs attestations, se sont joints à leurs revendications. Alors que le Premier ministre a annoncé, le 12 novembre dernier, maintenir le confinement au moins juqu’au 1er décembre prochain, l’antenne de Seine-Saint-Denis de la FCPE a décidé de pousser un cri d’alarme dans un communiqué : « Monsieur le président, dans notre département – et il est loin d’être le seul dans ce cas – ni les lycées, ni les familles, ni les enseignants ne sont correctement équipés pour de l’enseignement purement à distance, sans parler de la solution internet de la région Île-de-France. L’espace numérique de travail est tombé plusieurs fois en panne en début de semaine, alors que les lycées n’étaient qu’en phase de test. L’enseignement à distance, c’est l’absence d’enseignement pour beaucoup d’élèves. Ne fermez pas les lycées ». Dans ces conditions, pas simple de représenter les parents d’élèves. Laure Arto-Toulot, coprésidente de l’UCL-FCPE de Montreuil, a accepté de répondre à nos questions.
Les Petites Affiches : La Seine-Saint-Denis est le département le plus pauvre de métropole. Quels ont été les principaux problèmes auxquels ont été confrontés les parents d’élèves lors du premier confinement ?
Laure Arto-Toulot : C’était d’abord des difficultés concernant la continuité pédagogique : l’arrêt des cours a eu lieu brutalement et nous nous sommes rendu compte que l’enseignement en distanciel n’avait pas du tout été préparé. C’était le chaos dès le début. Nous avons ensuite fait le constat de la fragilité de certaines familles, de la différence entre les accompagnements, entre celles qui télétravaillent et n’arrivent pas à gérer l’aide aux devoirs, celles qui ont baissé les bras, celles qui n’ont pas l’outil informatique adéquat… Heureusement, toute une chaîne de solidarité s’est mise en place au sein des quartiers, parce que, malgré les déclarations de Jean-Michel Blanquer, il n’y a pas eu réellement d’aide apportée aux familles les plus précaires, sauf à l’échelle très locale entre voisins ou grâce à des instituteurs allant au-delà de leur mission. La FCPE a aussi dû prendre en compte la précarité alimentaire de certaines familles car nous nous sommes vite aperçus que certains enfants mangeaient à la cantine, mais pas ou peu chez eux. La ville de Montreuil, en cela, a été très réactive.
LPA : Est-ce que ce chaos du confinement s’est confirmé à la rentrée ? Avez-vous constaté des décrochages ou des pertes de niveau ?
L.A.-T. : Oui bien sûr ! Il y a eu des évaluations en septembre dernier qui ont confirmé qu’il y avait chez les familles socialement défavorisées, un accroissement des retards scolaires, et que les familles plus aisées ont moins souffert.
Sur le terrain, il y a de nombreux facteurs qui s’ajoutent : des familles plus aisées ont également baissé les bras parce qu’elles télétravaillaient et que les enfants n’avaient pas le droit d’être scolarisés. Même pour des professions dites intellectuelles, même pour des familles privilégiées, cela a été difficile.
LPA : Comment les parents ont réagi aux différents protocoles qui se sont succédé depuis le début du déconfinement jusqu’à aujourd’hui ?
L.A.-T. : C’est une succession d’ordres et de contre-ordres et les parents ont réagi comme la plupart des Français : ils ne comprennent pas du tout ce qui se passe. Au sein même de l’institution, il existe un agacement profond chez les enseignants et chefs d’établissement qui doivent retravailler les mesures sanitaires en accord avec les mairies et les collectivités. Les écoles ont été ouvertes aux élèves soi-disant prioritaires, lors du déconfinement. Mais cela ne s’est pas fait avec une réelle équité. D’après certains chefs d’établissements, les parents qui se plaignaient le plus obtenaient de faire scolariser leurs enfants. Mais il est difficile de juger : chacun s’en est sorti comme il pouvait et ce, à tous niveaux. C’était et cela reste chaotique.
LPA : Lors de la rentrée du 2 novembre dernier ainsi que le 10 novembre, des grèves ont touché plusieurs établissements en Seine-Saint-Denis et dans la France entière. Les enseignants du secondaire réclament entre autres la mise en place du semi-distanciel. Vous rangez-vous du côté des professeurs ?
L.A.-T. : La rentrée a été très dure pour les professeurs et bien sûr nous les avons beaucoup soutenus lors des hommages à Samuel Paty. Concernant le protocole sanitaire, nous sommes plutôt d’accord sur le fait qu’il est inapplicable notamment en ce qui concerne les pauses méridiennes : dans la cantine les élèves sont entassés. Les personnels de nettoyage sont en sous-effectifs et à tous les niveaux : à l’école (responsabilité incombant aux mairies), dans les collèges (responsabilité incombant au département) et dans les lycées (responsabilité incombant à la région). Nous soutenons donc les revendications des enseignants sur ce point.
Là où il existe un point de désaccord, c’est sur l’éventualité de mettre en place les cours en semi-distanciel… Il y a une grande peur des parents de notre département de retomber dans le distanciel. Nous en sommes convaincus, les enfants doivent rester à l’école. Au lycée, on pense qu’il y aurait moins d’impact, mais au niveau des collèges cela creuserait encore plus de disparités. Beaucoup d’établissements penchent pour des demi-groupes d’élèves mais les parents d’élèves ont très peur de cela, du retour à la situation du confinement. On aimerait se dire qu’on pourrait tenir bon mais rien n’est moins sûr.
LPA : Êtes-vous parvenus à vous faire entendre sur les problèmes de moyens des établissements scolaires du département ? Le sujet a beaucoup été évoqué dans la presse suite au déconfinement…
L.A.-T. : On ne cesse de le marteler mais nous n’avons eu aucune réponse. Ce qui me choque le plus c’est que nous n’avons obtenu aucun moyen supplémentaire depuis la fin du premier confinement. On peut faire le parallèle avec l’hôpital public : c’est aberrant qu’il n’y ait eu aucun changement significatif. Bien sûr, alors qu’on reparle de distanciel, certains enseignants prennent des initiatives personnelles pour anticiper les choses, savoir qui est équipé de quoi à la maison… Mais ce sont des initiatives personnelles qui viennent combler une défaillance des pouvoirs publics.
Notre revendication commune, avec les professeurs, est la suivante : qu’il y ait plus de recrutements. Le problème de la Seine-Saint-Denis et d’autres départements d’Île-de-France, c’est que nous n’avons pas assez de monde et que notre département ne séduit pas les étudiants ou les personnes au sortir des concours. Nous sommes un département mal aimé et cela se sent au niveau des embauches. Ma fille, en classe de CE2, s’est ainsi retrouvée avec une personne qui ne savait pas écrire sans faire de fautes et qui n’aurait jamais dû faire cours… Il a fallu trois mois pour le faire entendre à l’inspection académique qui nous a avoué qu’elle connaissait un problème de recrutement.
Aujourd’hui, par exemple, nous savons qu’en primaire nous arrivons à bout de la réserve de remplacement dans l’académie, les classes sans enseignants sont donc réparties dans les autres classes du même niveau, qui sont déjà pleines rendant encore plus difficile le respect des règles sanitaires.