L’accès à l’information environnementale face à la protection des œuvres de l’esprit

Publié le 04/02/2021

Par une nouvelle circulaire du 11 mai 2020, le ministère de la Transition écologique et solidaire est venu préciser l’étendue du droit d’accès à l’information relative à l’environnement. Celle-ci relate les modalités de mise en œuvre de cette obligation tout en rappelant l’existence d’exceptions. Parmi elles se trouve la protection des œuvres de l’esprit dont la conciliation avec ce droit d’accès s’exerce de manière subtile et a fait l’objet de précisions jurisprudentielles ces dernières années.

Introduit en 2005 par le législateur en droit français, le droit d’accès à l’information relative à l’environnement vise à démocratiser la compréhension et la participation des citoyens aux décisions ayant un impact en matière environnementale. Partant du principe que « chacun a le droit de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être et le devoir, tant individuellement qu’en association avec d’autres, de protéger et d’améliorer l’environnement dans l’intérêt des générations présentes et futures »1, la convention d’Aarhus a consacré ce droit2.

Quelques années plus tard, la directive n° 2003/4/CE du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement intègre ce droit d’accès dans l’arsenal juridique européen.

Quant à la France, elle ratifie la convention d’Aarhus le 8 juillet 20023 et consacre, en 2004, un droit à valeur constitutionnelle d’accès aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participation à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement4. Mais c’est en 20055 que le droit national se dote d’outils législatifs pour la mise en œuvre effective de ce droit6.

En vigueur depuis une quinzaine d’années, le droit d’accès à l’information relative à l’environnement n’est pourtant « pas très bien connu des administrés et de certaines autorités publiques qui tardent à remplir leurs obligations d’information du public dans ce domaine »7. L’un des obstacles à une meilleure connaissance et mobilisation de ce droit par le public peut résider dans la caractéristique suivante : la complexité à le combiner avec d’autres législations et d’autres enjeux, tel que celui de la préservation du droit de la propriété intellectuelle.

Si les travaux des agents de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics administratifs sont cédés de plein droit à l’Administration dès leur création8 et ne posent alors pas de difficultés pour la mise en œuvre du droit d’accès, l’analyse est plus délicate pour les informations qui sont créées par des tiers à l’Administration. On pense notamment aux entreprises qui interviennent dans le secteur de l’environnement. Protégés par le droit de la propriété intellectuelle, les documents de ces entités entrent pourtant dans le champ d’application du droit d’accès à l’information.

Comment, à la lumière de l’évolution des textes et de la jurisprudence, le droit d’accès aux informations relatives à l’environnement et le droit de la propriété intellectuelle se combinent désormais ?

I – Une large appréciation des données soumises au droit d’accès à l’information environnementale

Le législateur a entendu soumettre au droit d’accès un vaste champ de données relatives à l’environnement.

Cette volonté s’exprime dans l’assujettissement de certaines personnes morales de droit privé à l’obligation de communiquer ces informations. En effet, l’article L. 124-1 du Code de l’environnement pose le principe du droit d’accès en indiquant que celui-ci concerne les informations relatives à l’environnement « détenues, reçues ou établies » par les autorités publiques mais également pour le compte de ces dernières. L’article L. 124-3 dudit code précise que ces personnes extérieures aux autorités publiques sont celles « chargées d’une mission de service public en rapport avec l’environnement, dans la mesure où ces informations concernent l’exercice de cette mission ».

À la lumière de travaux parlementaires relatifs à la loi précitée de 20059, il apparaît que cette disposition doit faire l’objet d’une interprétation étendue. Elle vise aussi bien les entreprises publiques que les entreprises privées qui, dans le cadre d’une délégation de service public, se sont vues confier une mission de service public dont l’objectif direct est la préservation de l’environnement (assainissement de l’eau, collecte et traitement des déchets, etc.). Elle cible également les entreprises assurant une mission de service public qui a un impact sur l’environnement, bien que cette mission n’ait pas pour but d’en assurer sa préservation. Cette dernière hypothèse peut par exemple concerner des activités de fourniture d’énergie10. Partant de cette interprétation extensive du Code de l’environnement, le Conseil d’État a considéré que l’Office national des forêts, établissement public à caractère industriel et commercial, était tenu de communiquer les informations environnementales qu’il détenait, même celles qui résultaient de ses activités commerciales11.

Les informations élaborées et détenues par plusieurs entités tierces à l’État, aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs sont donc communicables. Afin d’assurer une effectivité du droit d’accès, l’article R. 124-4 du Code de l’environnement fait obligation aux autorités publiques de mettre à la disposition du public une liste répertoriant l’ensemble des entités qui exercent, sous leur contrôle, des missions de service public en rapport avec l’environnement. Cette liste doit mentionner la dénomination ou raison sociale de l’entreprise, la nature et l’objectif de la mission exercée et les typologies d’informations relatives à l’environnement détenues. Les autorités publiques doivent ensuite informer la commission d’accès aux documents administratifs et le commissariat général au développement durable du ministère chargé de l’Environnement de la constitution de ces listes12. Pour parfaire cette effectivité, il convient de noter que les administrés peuvent solliciter un document sans faire valoir d’intérêt particulier à l’appui de leur demande13.

En outre, certaines informations relatives à l’environnement, mais n’entrant pas dans le champ du Code de l’environnement14, ne sont malgré tout pas épargnées par l’obligation de communication. Pour ces dernières, la logique suivante s’applique : elles pourront être communicables si elles répondent à la qualification de « document administratif »15. Or il ressort de l’article L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’Administration que des données élaborées par des personnes morales de droit privé peuvent être qualifiées de « documents administratifs » dès lors qu’elles sont produites dans le cadre d’une activité de service public. Ainsi, même si elles sont produites par des tiers à l’Administration, elles sont communicables.

Le droit d’accès ne signifie pas pour autant que les administrés sont libres d’obtenir l’intégralité des informations ou qu’ils puissent les utiliser librement. En effet, l’article L. 124-5 du Code de l’environnement et l’article L. 311-4 du Code des relations entre le public et l’Administration précisent qu’une demande de consultation ou de communication peut être rejetée si celle-ci porte atteinte à des droits de propriété intellectuelle.

Si le Code de l’environnement et le Code des relations entre le public et l’Administration sont silencieux sur les données susceptibles d’être couvertes par le droit de propriété intellectuelle, il convient, pour l’apprécier, de se tourner vers la définition jurisprudentielle de l’œuvre de l’esprit. Ainsi, la jurisprudence de la Cour de cassation a une lecture assez extensive des documents relevant de ce régime. Pour être protégées par des droits de propriété intellectuelle, la jurisprudence exige que les œuvres de l’esprit se caractérisent par une « certaine originalité, en ce qu’elles font apparaître l’empreinte, le style ou encore la personnalité de leur auteur, ou encore l’apport ou l’effort intellectuel de ce dernier »16. Cette approche permet de soumettre un vaste échantillon de données à la définition d’œuvres de l’esprit.

Par conséquent, le droit d’accès à l’information en matière environnementale concerne un panel aussi large que celui des documents protégés par les règles du droit de la propriété intellectuelle. Ce constat impose alors d’identifier quelles sont les modalités pratiques d’exercice de ces deux droits qui doivent se combiner.

L’accès à l’information environnementale face à la protection des œuvres de l’esprit

II – Les mécanismes de conciliation entre droit d’accès aux informations relatives à l’environnement et protection des œuvres de l’esprit

L’articulation entre la communication des informations environnementales et le respect des droits de propriété littéraire et artistique s’apprécie tant au niveau de la diffusion de l’information que de son utilisation.

S’agissant de la diffusion, le Conseil d’État, dans la décision n° 375704 du 8 novembre 2017 a considéré qu’une bonne combinaison entre le droit d’accès aux données et les droits de propriété intellectuelle impliquait que, lorsque le document grevé de droits de propriété n’a pas encore fait l’objet de divulgation, sa communication doit préalablement recueillir l’accord de son auteur. Ce faisant, il respecte strictement le principe du droit à la divulgation, dont le corollaire est le refus de divulgation, décision qui n’appartient qu’à l’auteur de l’œuvre17.

Prenant acte de cette solution, la commission d’accès aux documents administratifs en déduit donc que « lorsqu’un tiers détient des droits de propriété intellectuelle sur un document administratif en possession de l’Administration (par exemple, les rapports d’un cabinet d’études figurant dans un dossier de demande d’autorisation de création d’une carrière, ou encore les plans d’un architecte dans un dossier de demande de permis de construire), cette dernière doit solliciter son autorisation avant de procéder à la communication du document »18. La commission en profite néanmoins pour énoncer l’exception suivante : une commune n’a pas besoin d’obtenir l’accord préalable de son agent pour communiquer un document administratif sur lequel ce dernier détient des droits d’auteur. Mis à part ce cas spécifique, le principe demeure donc l’obtention d’un accord préalable à la communication.

Si ces décisions portaient sur des informations relevant du régime général du Code des relations entre le public et l’Administration, il est plus que probable que le juge administratif opterait pour une solution similaire pour des données relevant du champ d’application du Code de l’environnement, puisque la contrainte relative au respect des droits de propriété intellectuelle existe pour les deux régimes.

S’agissant de l’utilisation des informations, il convient de noter que l’article L. 124-1 du Code de l’environnement consacre exclusivement un droit d’accès aux données, et non un droit d’utilisation. Quant aux données qualifiables de « documents administratifs », l’analyse doit être plus fine. En pratique, si ces données constituaient des « informations publiques » au sens du Code des relations entre le public et l’Administration, elles pourraient alors être « utilisées par toute personne qui le souhaite à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus »19. Toutefois, les documents frappés par ces droits ne peuvent en aucun cas être considérés comme des « informations publiques ». L’article L. 321-2 du Code des relations entre le public et l’Administration dispose ainsi que « ne sont pas considérées comme des informations publiques, pour l’application du présent titre, les informations (…) sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle ». Les personnes tierces sont ici les personnes étrangères à l’Administration.

Par conséquent, les droits de propriété intellectuelle font obstacle à une quelconque utilisation des documents conçus par des personnes autres que l’Administration. Si un administré souhaite faire usage des données, il lui appartient alors de trouver un accord avec leur propriétaire20.

Un dernier point relatif à l’articulation du droit d’accès aux informations environnementales et du droit de propriété intellectuelle mérite d’être étudié.

Le régime prévu au Code de l’environnement ne se contente pas de prévoir le libre accès aux documents. Cette liberté s’exerce aussi vis-à-vis des données environnementales en tant que telles21. Ainsi, et comme l’explicite Aurélie Bretonneau, rapporteure public au Conseil d’État, « contrairement à ce qui prévaut dans le régime général, les administrés peuvent, en matière environnementale, former des demandes de renseignements et non seulement de documents »22. Le fait que cette communication puisse porter sur des données précises et non obligatoirement sur des documents dans leur intégralité a permis au juge administratif et à la commission d’accès aux documents administratifs de mettre en œuvre la pratique dite de la mise en balance23. Celle-ci consiste à procéder à un bilan coût-avantage de la communication au regard des différents intérêts en présence24. Le Conseil d’État a, par exemple, jugé que pouvaient être communiquées certaines informations relatives à l’environnement qui sont contenues dans des avis du Conseil d’État, avis en principe non communicables, après appréciation par le gouvernement. Il appartenait alors à ce dernier de mettre en balance le droit d’accès avec le principe du secret des délibérations du gouvernement25.

On peut légitimement imaginer qu’un jour, ce processus de mise en balance pourrait être utilisé par le juge administratif ou la commission d’accès aux documents administratifs pour ordonner la communication d’informations environnementales grevées par des droits de propriété intellectuelle.

L’ensemble de ces mécanismes contribue aujourd’hui à concilier le droit d’accès aux informations relatives à l’environnement et la protection des œuvres de l’esprit. Toutefois, leur mise en œuvre n’est pas chose aisée, ce qui peut parfois engendrer certaines lenteurs dans le processus de communication. La France est d’ailleurs tenue de trouver des solutions opérationnelles pour traiter plus rapidement les demandes de communication si elle veut pouvoir échapper à toute sanction de l’Union européenne à la suite de la mise en demeure dont elle a fait l’objet en mai 202026.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement du 25 juin 1998.
  • 2.
    Il convient de souligner que la déclaration de Rio sur l’environnement, en 1992, prônait déjà le principe d’un accès aux informations environnementales détenues par les autorités publiques dans son principe n° 10. Cependant, ce principe était simplement proclamé de manière très générale.
  • 3.
    L. n° 2002-285, 28 févr. 2002, autorisant l’approbation de la convention d’Aarhus.
  • 4.
    Charte de l’environnement, art. 7.
  • 5.
    L. n° 2005-1319, 26 oct. 2005, portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement, art. 2.
  • 6.
    Une législation générale existait déjà pour l’accès et la communication de certains documents publics détenus par l’administration : L. n° 78-753, 17 juillet 1978, portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public. Cependant, elle ne ciblait pas spécifiquement les données en matière environnementale.
  • 7.
    Ministre de la Transition écologique et solidaire, circ., 11 mai 2020, relative à la mise en œuvre des dispositions régissant le droit d’accès à l’information relative à l’environnement, NOR:TREK2011472C.
  • 8.
    CPI, art. L. 131-3-1 ; CPI, art. L. 131-3-2.
  • 9.
    L. n° 2005-1319, 26 oct. 2005.
  • 10.
    Rapport de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire sur le projet de loi (n° 2278), portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement, A. Venot.
  • 11.
    CE, 21 févr. 2018, n° 410678, ONF.
  • 12.
    C. envir., art. R. 124-4.
  • 13.
    PE et Cons. CE, dir. n° 2003/4/CE, 28 janv. 2003, art. 3.
  • 14.
    L’article R. 124-5 du Code de l’environnement liste de manière limitative les informations soumises au droit d’accès.
  • 15.
    CRPA, art. L. 311-4.
  • 16.
    Avis de la commission d’accès aux documents administratifs, conseil n° 20182893, séance du 28 juin 2018 : https://cada.data.gouv.fr/20182893/.
  • 17.
    CPI, art. L. 121-2.
  • 18.
    Avis de la commission d’accès aux documents administratifs, conseil n° 20180226, séance du 17 mai 2018.
  • 19.
    CRPA, art. L. 321-1.
  • 20.
    Avis de la commission d’accès aux documents administratifs, conseil n° 20180226, séance du 17 mai 2018, partie III.
  • 21.
    CE, 11 juill. 2018, n° 412139, Union nationale de l’apiculture française.
  • 22.
    Conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteure public, CE, 11 juill. 2018, n° 412139, Union nationale de l’apiculture française.
  • 23.
    CJUE, 28 juill. 2011, n° C-71/10, Office of Communications c/ Information Commissionner.
  • 24.
    La pratique de la mise en balance est propre au régime issu du Code de l’environnement et ne s’applique donc pas aux documents administratifs visés par le Code des relations entre le public et l’administration.
  • 25.
    CE, 30 mars 2016, n° 383546.
  • 26.
    Mise en demeure adressée par la Commission européenne consultable au lien suivant : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/inf_20_859.
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