Les actifs numériques entrent dans le Code général des impôts

Publié le 06/05/2019

Le traitement fiscal des bitcoins, qui avait fait l’objet d’une précision apportée par le juge le 26 avril 2018, vient d’être codifié. La loi de finances pour 2019 s’appuie sur la définition des actifs numériques proposée par le projet de loi Pacte, et crée un nouveau régime d’imposition des gains réalisés par les personnes physiques.

Signe des temps, les cryptomonnaies et les autres « actifs numériques » entrent dans le Code général des impôts (CGI). La loi de finances pour 2019 (L. n° 2018-1317 28 déc. 2018 de finances pour 2019, JORF n° 0302 du 30 déc. 2018), en son article 41, crée un nouveau régime de taxation des gains résultant de cessions non professionnelles. Il figure à l’article 150 UA du Code général des impôts (CGI).

Désormais, trois régimes de taxation coexistent pour les gains issus de cession, selon les circonstances qui entourent la cession.

Une définition légale

Le bitcoin est une unité de compte virtuelle, stockée sur un support électronique, permettant à une communauté d’utilisateurs d’échanger entre eux des biens et services sans recourir à une monnaie ayant cours légal. Ils peuvent être acquis gratuitement en contrepartie d’une participation au fonctionnement du système, ou à titre onéreux sur des plates-formes internet créées afin de permettre l’achat et la vente de bitcoins contre de la monnaie ayant cours légal.

« Ils peuvent être échangés contre des monnaies ayant cours légal, ou contre des biens et des services comme des applications mobiles. On a vu un cabinet d’avocat français proposer que ses honoraires soient rémunérés en bitcoins, mais cela reste encore très marginal ! », explique Stéphanie Némarq-Attias avocat du cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats. « Aujourd’hui, ces valeurs intéressent aussi bien de jeunes actifs travaillant dans le secteur numérique que des seniors, investisseurs chevronnés, en quête de diversification patrimoniale et qui apprécient ces valeurs pour leur potentiel de croissance. Si la hausse des cours semble se calmer, et avec elle la perspective immédiate et générale d’importantes plus-values, la question fiscale se pose pour l’avenir. Désormais, ces actifs numériques bénéficient d’un cadre fiscal clair ».

La loi de finances pour 2019 donne une définition légale des actifs numériques qui entrent dans le champ du régime fiscal qu’elle instaure. Elle reprend la définition proposée par le projet de loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), actuellement en cours d’adoption.

Elle vise en premier lieu les jetons ou « tokens »  : « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits, pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».

Elle vise ensuite plus généralement « toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ».

Selon Stéphanie Némarq-Attias, « pour  ce deuxième type d’actif numérique, le législateur donne une définition en creux par opposition avec les monnaies ayant un cours légal telles qu’on les connaît ».

La taxation jusqu’en 2018

Jusqu’à la loi de finances pour 2019, le régime fiscal des bitcoins avait été précisé par deux instructions administratives du 11 juillet 2014 et, surtout, par une décision du Conseil d’État intervenue l’an dernier.

« Selon la doctrine administrative (BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40, n° 1080), les gains tirés de l’exercice à titre habituel d’une activité d’achat-revente de bitcoins sont imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), relate Stéphanie Némarq-Attias. Si les gains sont issus d’une activité occasionnelle, ils devaient être taxés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC). Saisi d’un recours pour excès de pouvoir contestant l’applicabilité du barème progressif dans le cadre du régime BNC, le Conseil d’État (CE, 26 avr. 2018, n°s 417809, 418030, 418031, 418032 et 418033) a suivi la position des contribuables qui considéraient qu’ils devaient relever du régime des plus-values sur biens meubles défini à l’article 150 VH bis du CGI ».

Pour mémoire, ce régime conduit à appliquer un abattement pour durée de détention de 5  % par an, à compter de la 3e année, et à exonérer les plus-values issues de cessions inférieures à 5 000 €. Les plus-values ainsi calculées sont taxées au taux forfaitaire de 19  %, auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux.

À compter de 2019  : coexistence de trois régimes fiscaux  ?

Pour les cessions réalisées à compter du 1er janvier 2019, un nouveau régime est introduit par la loi de finances. L’article 150 VH bis du CGI prévoit pour les gains non professionnels une taxation forfaitaire de 12,8 %, soit un taux de 30  % avec les prélèvements sociaux. « Ce régime fait nécessairement penser à la flat tax, le prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus de l’épargne mobilière en vigueur depuis le 1er janvier 2018 et codifié à l’article 200 A du CGI. Mais la comparaison s’arrête à l’identité des taux d’imposition car les deux mécanismes de taxation présentent des caractéristiques très différentes, indique Stéphanie Némarq-Attias. Tout d’abord, pour les gains de cessions occasionnelles d’actifs numériques, l’option pour l’impôt sur le revenu au barème progressif n’est pas possible, contrairement à ce qui est prévu pour les revenus entrant dans le champ du PFU. Ensuite, les moins-values subies au cours d’une année N sont imputables exclusivement sur les plus-values brutes de même nature réalisées au titre de N. Aucun mécanisme de report des moins-values sur les années suivantes n’est prévu. Le régime est donc complètement autonome ».

Quant à l’opportunité d’exonérer les gains réalisés en dessous d’un certain seuil, les parlementaires ont écarté les propositions visant à fixer un seuil de 2 000 ou 5 000 €. « Au final, il a été instauré une exonération très faible, qui ne concerne que les contribuables dont la somme des prix de cession ne dépasse pas 305 € par an ».

Le régime n’a pas été modifié s’agissant des gains professionnels. Il semble que les gains issus d’une activité dite de « minage », c’est-à-dire obtenus en contrepartie de la participation du contribuable à la création et au fonctionnement d’un système d’unité de compte virtuelle sont en principe imposés dans la catégorie des BNC (le Conseil d’État l’avait confirmé dans sa décision précitée).

Quant aux gains issus d’une activité professionnelle d’achat et de revente à titre habituel, ils relèvent de la catégorie des BIC.

Fait générateur

Autre caractéristique de la taxation forfaitaire de l’article 150 VH bis du CGI  : son fait générateur. « En présence d’un échange entre monnaies virtuelles, l’imposition aurait pu être déclenchée par cette opération d’échange, ce que laissait supposer la doctrine administrative, explique Stéphanie Némarq-Attias. Au contraire, la loi en fait une opération intercalaire et l’imposition ne sera pas déclenchée en l’absence d’échange de l’actif numérique contre un bien, un service ou une monnaie ayant cours légal. Or le marché est très actif en opérations d’achat revente de crypto monnaies. Toutes ces opérations ne vont donc pas être sujettes, sur le coup, à taxation. Les plus-values resteront latentes ».

De nouvelles obligations déclaratives

Parallèlement, la loi de finances pour 2019 instaure de nouvelles obligations déclaratives pour les contribuables. Ceux-ci doivent porter sur leur déclaration annuelle des revenus le montant global de leurs plus-values. Ils doivent joindre une déclaration en annexe pour mentionner les calculs qui ont donné lieu à un gain ou une moins-value. Un décret va venir préciser les modalités de ces obligations.

Pour éviter toute évasion fiscale, les contribuables devront également, à compter du 1er janvier 2020, indiquer dans leur déclaration de revenus, les références des comptes d’actifs numériques ouverts à l’étranger. « La majeure partie des portefeuilles virtuels sont gérés par des établissements situés à l’étranger, ce qui posait à l’administration fiscale des problèmes en termes de traçabilité des gains ». L’absence de déclaration sera sanctionnée par une amende de 750 € par compte non déclaré, ou 125 € par omission ou inexactitude, dans la limite de 10 000 € par déclaration. Ces montants sont respectivement portés à 1 500 € et 250 € lorsque la valeur des comptes est supérieure à 50 000 €.

Aujourd’hui, les conventions fiscales ne visent pas expressément les actifs numériques. « On peut s’interroger sur la nature de ces plus-values sur actifs incorporels au regard des conventions bilatérales. Cette qualification aura nécessairement un impact pour identifier lequel, entre l’État de résidence du contribuable et l’État de la source, a le droit d’imposer les gains », conclut Stéphanie Némarq-Attias.