Entrée en application du nouveau règlement Insolvabilité : nouveau recul du droit international privé commun ?

Publié le 28/06/2017

Le 26 juin dernier le nouveau règlement Insolvabilité n° 2015/848 est entré en application. Son champ d’application a été revisité par le législateur européen et l’on pourrait s’interroger sur la place laissée au DIP commun de la faillite internationale. Or, malgré un champ d’application procédural plus étendu, le règlement n’est pas encore en passe de supplanter définitivement le droit international privé commun. Faut-il le regretter ou s’en satisfaire ? Le bilan est mitigé.

Le droit international privé de l’insolvabilité a connu sur le plan communautaire une importante réforme en 2015 avec l’adoption du règlement (UE) n° 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité. Il avait pour objectif de refondre le règlement Insolvabilité n° 1346/2000 et s’inscrivait dans la volonté de répondre à la crise économique et sociale que traverse l’Union européenne1. À l’origine de cette refonte, l’évaluation du règlement n° 1346/2000 par la commission avait stigmatisé les difficultés liées à sa mise en application. Le problème le plus important résidait dans le fait que le texte était trop axé sur une logique liquidative qui ne correspondait plus aux préoccupations de sauvetage des entreprises qui animent désormais le droit de l’insolvabilité de la plupart des États membres2. Le nouveau règlement a été adopté à l’issue de la procédure législative ordinaire. Ce qui signifie que le Conseil et le Parlement européen ont dû se mettre d’accord. Il était prévu qu’il entrerait en application 2 ans après son adoption de manière à laisser le temps aux États membres et aux professionnels du droit de s’adapter et se familiariser avec le nouveau texte. Or, l’échéance n’est désormais plus qu’à quelques semaines. En effet, conformément au premier paragraphe de son article 84, le nouveau règlement Insolvabilité s’applique aux procédures d’insolvabilité transfrontalières ouvertes après le 26 juin 2017.

Malheureusement, le second paragraphe de l’article 84 jette le trouble en ajoutant que le règlement n° 1346/2000 s’applique aux procédures ouvertes avant le 26 juin 2017. Cette maladresse rédactionnelle laisse dans l’ombre les procédures ouvertes le 26 juin ! Si une telle situation se présentait, il y a cependant fort à parier que la juridiction saisie appliquerait le nouveau règlement car l’article 92, consacré à l’entrée en vigueur du texte, précise qu’il s’applique à partir du 26 juin 2017.

Ainsi, dès cette date, et dans la mesure où la nouvelle version du règlement retient désormais une définition élargie des procédures d’insolvabilité auxquelles il s’applique, on peut augurer du recul corrélatif du domaine du droit international privé commun des faillites.

Cependant, le législateur européen a laissé le soin à chaque État membre de lister les procédures qui relèveront effectivement du champ d’application du règlement. Celles-ci figurent dans l’annexe A du règlement. Dès lors, toutes les procédures d’insolvabilités non listées dans cette annexe A ne seront pas couvertes. Par conséquent, des disparités de traitement seront inévitables selon que le débiteur a le centre de ses intérêts principaux dans tel ou tel État membre (I).

En outre, s’agissant du champ d’application du nouveau règlement dans l’espace, il semble que le législateur européen ait voulu mettre un terme aux velléités expansionnistes de la Cour de justice qui a retenu parfois une interprétation extensive de certaines dispositions du règlement n° 1346/2000 afin de l’appliquer à des situations impliquant un élément d’extranéité localisé dans un État tiers (II).

Dès lors, on ne peut pas véritablement parler d’avancée spectaculaire du champ d’application du règlement Insolvabilité. C’est d’autant plus regrettable que le législateur européen souhaite mettre en place les bases de règles uniformes en droit des procédures d’insolvabilité comme en témoigne la proposition de directive du Parlement et du Conseil relative aux cadres de restructuration préventifs, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficience des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement3.

I – Extension mesurée du champ d’application matériel du règlement Insolvabilité

L’article 1er, dédié au champ d’application matériel du nouveau règlement Insolvabilité, a été profondément remanié mais, il comporte toujours les mêmes exclusions. Ainsi sont exclues les procédures relatives aux entreprises d’assurances ; lesquelles relevaient initialement de la directive n° 2001/17/CE sur l’assainissement et la liquidation des entreprises d’assurance, et qui sont régies désormais par la directive n° 2009/138/CE sur l’accès aux activités d’assurance et de la réassurance et de leur exercice. Sont également exclues les procédures visant les établissements de crédits et les entreprises d’investissement qui relèvent de la directive n° 2001/24/CE sur l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit. Les organismes de placement collectifs sont également en dehors du champ d’application du règlement Insolvabilité4.

Mais hormis ces exclusions, le paragraphe 1er du texte décrit de manière détaillée les procédures susceptibles d’être couvertes par le règlement. Indéniablement, la conception des procédures d’insolvabilité est renouvelée et élargie (A), mais, dans la mesure où il revient à chaque État membre de lister ses procédures d’insolvabilité qui seront couvertes par le règlement, l’élargissement du champ d’application du texte reste tributaire de la (bonne) volonté des États membres (B).

A – Conception élargie des procédures d’insolvabilité

L’article 1, § 1er, du nouveau règlement Insolvabilité donne le ton. Il prévoit que le texte est susceptible de s’appliquer « aux procédures collectives publiques, y compris les procédures provisoires, qui relèvent d’une loi ayant trait à l’insolvabilité et dans le cadre desquelles, aux fins d’un redressement, de l’ajustement d’une dette, d’une réorganisation ou d’une liquidation,

a) le débiteur est totalement ou partiellement dessaisi de ses actifs et un praticien de l’insolvabilité est désigné,

b) les actifs et les affaires du débiteur sont soumis au contrôle ou à la surveillance d’une juridiction, ou

c) une suspension provisoire des actions en exécution forcée individuelles est accordée par une juridiction ou de plein droit pour permettre des négociations entre le débiteur et ses créanciers, pour autant que les actions pour lesquelles la suspension est accordée i) prévoient des mesures appropriées pour protéger l’intérêt collectif des créanciers et ii) soient préalables à l’une des actions visées aux points a) ou b) si aucun accord n’est dégagé.

Lorsque les procédures visées au présent paragraphe peuvent entre lancées dans des situations où il n’existe qu’une probabilité d’insolvabilité, leur objectif doit être d’éviter l’insolvabilité du débiteur ou la cessation de ses activités commerciales.

La liste des procédures visées au présent paragraphe figure à l’annexe A ».

Il marque ainsi une nette évolution par rapport au règlement n° 1346/2000 qui ne s’appliquait qu’aux « procédures collectives fondées sur l’insolvabilité du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur ». Cette conception liquidative des procédures d’insolvabilité ne reflète plus depuis longtemps les préoccupations des législateurs nationaux5. Bien au contraire ; ceux-ci œuvrent de plus en plus au traitement précoce des difficultés pour favoriser le redressement du débiteur et lui accorder une seconde chance. Ils y sont d’ailleurs encouragés par les instances européennes6.

Ainsi, très logiquement, il ressort du nouveau texte que l’insolvabilité et le dessaisissement du débiteur ne sont plus des critères décisifs de l’application du règlement Insolvabilité.

Effectivement, seront désormais couvertes des procédures fondées sur des législations relatives à l’insolvabilité mais qui peuvent « être engagées dans des situations où il n’existe qu’une probabilité d’insolvabilité » dès lors que leur objectif est « d’éviter l’insolvabilité du débiteur ou la cessation de ses activités »7. La procédure de sauvegarde française entre désormais très légitimement dans le champ d’application du règlement. On sait en effet que sous l’empire du règlement n° 1346/2000, son inscription dans l’annexe A était critiquable car il s’agit d’une procédure d’anticipation dont le débiteur peut solliciter l’ouverture à la condition de n’être pas en état de cessation des paiements8 et qui n’entraîne pas le dessaisissement du débiteur9.

À cet égard, si le nouveau règlement évoque encore le dessaisissement, il admet également que le débiteur soit simplement sous contrôle ou sous surveillance d’une juridiction, c’est-à-dire d’un « organe judiciaire », conformément à la définition de l’article 2, 6°), i). Si l’on revient à la sauvegarde française, la mission de surveillance est dévolue à un praticien de l’insolvabilité : l’administrateur, et encore faut-il qu’en soit nommé un, ce qui n’est obligatoire que lorsque le débiteur emploie plus de 20 salariés ou réalise plus de 3 millions d’euros de chiffre d’affaires10. Cependant, le débiteur est soumis à un régime d’interdiction. Certains actes graves, étrangers à la gestion courante de l’entreprise, lui sont interdits et sont sanctionnés par la nullité absolue à la demande de tout intéressé ou du ministère public dans les 3 ans de l’acte11. Il existe donc bien un contrôle par une juridiction – contrôle a posteriori.

On notera cependant que le considérant n° 10 du règlement n° 1346/2000 était plus souple car il englobait sous le terme « juridiction », une « personne ou un organe habilité par le droit national pour ouvrir la procédure d’insolvabilité ». Cela impliquait qu’une commission de surendettement puisse être assimilée à une juridiction pour l’application du règlement, ce n’est plus possible sous l’empire du nouveau texte.

Malgré tout, le procédé du contrôle par un juge, lié à un régime d’interdiction est usité dans toutes les procédures de surendettement des particuliers dès la décision de recevabilité. De fait, l’article L. 722-5 du Code de la consommation interdit au débiteur tout acte de nature à aggraver son insolvabilité sous peine d’annulation de l’acte par le juge du tribunal d’instance à la demande de la commission12 on pourrait dès lors concevoir que les procédures de surendettement des particuliers du droit de la consommation soient couvertes par le nouveau règlement insolvabilité.

Toutefois, il convient de tenir compte du considérant 16 selon lequel les procédures ayant pour objet l’effacement des dettes d’une personne physique ayant de très faibles revenus et des actifs de très faible valeur ne devraient pas relever du champ d’application du règlement si elles ne prévoient en aucun cas le paiement des créanciers. Dès lors, le règlement ne devrait pas couvrir le rétablissement professionnel sans liquidation judiciaire. Pas plus d’ailleurs qu’il ne pourra couvrir la nouvelle procédure de rétablissement professionnel réservée à l’entrepreneur de bonne foi dont les actifs ne dépassent pas 5 000 €.

Parallèlement, à la lumière de l’article 2, 1°) et du considérant 14, le caractère collectif des procédures d’insolvabilité est également revu. Ainsi, la collectivité peut s’entendre d’un nombre important de créanciers, voire à la seule catégorie des créanciers financiers, à la condition que les droits des autres créanciers ne soient pas affectés. D’où la possible inclusion de la sauvegarde financière accélérée (SFA) dans le champ matériel du texte car le plan de sauvegarde n’aura d’effet qu’à l’égard des seuls créanciers financiers13 sans affecter les autres créanciers. S’agissant de la sauvegarde accélérée, en revanche, certains auteurs y voient une véritable procédure collective qui produit ses effets erga omnes14. Pourtant, cette procédure est mentionnée dans l’annexe A.

Cela étant, pour être couvertes par le règlement, les procédures doivent être publiques. Ce qui, inévitablement, exclut nombre de procédures de pré-insolvabilité dont, paradoxalement, le législateur communautaire reconnaît l’importance15 et prône le développement16. La justification donnée dans le considérant 13 est que le caractère confidentiel s’opposant à toute publicité, il est impossible que les juridictions et les créanciers établis dans un autre État membre sachent qu’une telle procédure a été ouverte et, partant, on ne peut en assurer la reconnaissance automatique. Ainsi la conciliation ne peut pas être couverte par le règlement. Pourtant, dans la mesure où une telle procédure débouche sur un accord amiable dont les effets sont purement conventionnels entre les parties, l’absence de publicité n’empêche nullement les créanciers intéressés par la procédure d’en avoir connaissance puisque par définition, ceux-ci sont parties à l’accord. Si on ne reconnaît pas cet accord de plein droit dans les autres États membres, cela veut dire que les garants et coobligés du débiteur qui sont établis dans un autre État membre ne profiteront pas des dispositions de l’accord alors que ceux qui sont établis dans l’État d’ouverture, à savoir, la France, bénéficient pleinement des dispositions de l’accord, conformément à l’article L. 611-10-2 du Code de commerce. Les créanciers qui ont donné d’une main, pourront reprendre dans les mains de la caution ou du garant !

En définitive, on pourrait reprocher à l’article 1er du nouveau règlement Insolvabilité d’être trop détaillé. Il en devient plus difficile à interpréter. Certes pour éviter au justiciable d’ergoter indéfiniment sur l’inclusion d’une procédure dans le champ d’application du règlement, l’article 1er ne s’adresse qu’aux législateurs nationaux. Il leur revient la responsabilité de dresser la liste des procédures couvertes par le règlement. Donc, outre que l’élargissement de la définition des procédures d’insolvabilité est mesuré du fait d’une interprétation rendue délicate, cet élargissement est sous le contrôle des États qui restent libres de ne pas inclure certaines procédures.

B – Conception élargie des procédures d’insolvabilité sous la toise des États membres

Alors que l’article 2 du règlement n° 1346/2000 définissait la procédure d’insolvabilité par référence à l’article 1er et à l’annexe A du règlement, la nouvelle version est beaucoup plus restrictive. Selon l’article 2, 4), du nouveau règlement Insolvabilité, les procédures d’insolvabilité sont celles qui sont listées dans l’annexe A. Cette disposition redonde avec la dernière phrase de l’article 1er, § 117. Parallèlement, le considérant numéro 9 précise qu’une procédure non mentionnée à l’annexe A n’est pas couverte par le règlement. Et inversement, une fois qu’un État a inscrit une procédure dans cette annexe, celle-ci entre dans le champ d’application du règlement sans qu’aucune juridiction puisse contrôler la légitimité de cette inscription.

Cette solution ne fait qu’entériner la jurisprudence de la Cour de justice. Précisément dans un arrêt Bank Handlowy du 22 novembre 201218, la CJUE avait décidé que dès lors qu’une procédure est inscrite à l’annexe A du règlement, elle doit être considérée comme relevant de son champ d’application. Toutefois, elle avait réservé l’hypothèse où le bien-fondé de cette inscription ferait l’objet d’une question préjudicielle. Mais, sauf à considérer que le terme « juridiction » utilisé dans le considérant n° 9 ne vise que les juridictions nationales, cette disposition ne s’oppose-t-elle pas à ce que la légitimité d’une inscription ne puisse être remise en cause par la Cour de justice par le biais d’une question préjudicielle. On nous rétorquera que les considérants n’ont pas de valeur normative, certes. Mais en tout état de cause, jusqu’à preuve du contraire les États ont le dernier mot pour inclure ou non une procédure dans l’annexe A. À cet égard on notera que dans son projet de décembre 201219, la commission proposait une modification de l’annexe A en deux temps : les États membres notifieraient les procédures qu’ils souhaitaient y inclure et la Commission vérifierait qu’elles remplissent les conditions de l’article 1er du règlement. Si la commission s’était vue déléguer l’acte législatif de fixer et modifier l’annexe, elle aurait eu un réel pouvoir de contrôle, ce que les États n’ont pas souhaité, préférant garder « la main ».

Dès lors, le risque existe que, pour des raisons politiques, des États introduisent des procédures qui ne répondent pas exactement aux critères requis ou s’abstiennent d’inscrire des procédures qui pourtant devraient relever du règlement.

Il y a alors un véritable paradoxe car l’article 1er du règlement, lu à la lumière du considérant n° 7 témoigne d’une volonté de couvrir les procédures qui ne peuvent pas relever du champ d’application du règlement Bruxelles I bis en matière civile et commerciale. Or, il n’y a qu’à prendre l’exemple des procédures de surendettement françaises pour constater qu’elles ne sont pas couvertes par le règlement insolvabilité puisqu’elles ne figurent pas dans l’annexe A et qu’elles ne peuvent pas non plus relever du règlement Bruxelles I bis qui exclut les « faillites concordats et autres procédures analogues »20. Il conviendra donc d’appliquer les règles de DIP commun. Si l’on songe que chaque État est libre de mentionner les procédures comme bon lui semblent, cela introduit une discrimination entre les débiteurs selon la localisation du centre de leurs intérêts principaux (COMI pour centre of main interest), lequel est présumé par le siège statutaire pour les personnes morales et le lieu de l’activité principale ou de la résidence habituelle pour les personnes physiques21. Ainsi, en matière de surendettement par exemple, seuls les débiteurs dont la résidence habituelle est située dans un état qui a inscrit de telles procédures dans l’annexe A (l’Irlande notamment), seront protégés dans les autres États membres où la procédure produira ses effets de plein droit, tandis que les autres, notamment les débiteurs résidents habituellement en France, ne seront pas protégés par le principe de reconnaissance de plein droit. Il s’ensuit un traitement inégal des créanciers car dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité non listée en annexe A, les créanciers établis dans un autre État membre que celui d’ouverture pourront poursuivre localement les biens du débiteur tant que la décision n’a pas obtenu l’exequatur. Dans de telles hypothèses, comment le traitement des difficultés du débiteur pourrait-il être cohérent ?

Il est permis de regretter que le règlement insolvabilité n’ait pas été réellement conçu pour couvrir toutes les « faillites, concordats et autres procédures analogues exclues par le règlement Bruxelles I bis, sans permettre aux États de décider quelles procédures entreraient ou pas dans le champ du règlement Insolvabilité. Cela eut été d’autant plus opportun qu’à moyen terme, si la proposition de directive du 22 novembre 2016 consacrée aux « cadres de restructuration préventifs, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficience des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement » était adoptée, son objectif est un premier pas vers l’harmonisation des procédures d’insolvabilité des États membres.

Par ailleurs et enfin, seules les procédures d’insolvabilité transfrontalières sont susceptibles de relever du règlement Insolvabilité22. Mais, le règlement n’a pas vocation à une application universelle dans l’espace communautaire. Certes, il s’applique dans tous les États membres, à l’exception du Danemark23, mais son champ d’application est restreint aux débiteurs dont le COMI est fixé dans un État membre, ce qui laisse encore une large place au DIP commun.

II – Champ d’application restreint aux situations « intereuropéennes » ?

À vrai dire, le nouveau considérant 25 du règlement Insolvabilité reprend l’ancien considérant 14 du règlement n° 1346/2000. Il prévoit que le texte s’applique « uniquement aux procédures concernant un débiteur dont le centre des intérêts principaux est situé dans l’Union ». Dès lors, le texte conduit à distinguer deux situations.

La première, lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé dans un État membre, ressort de l’application du règlement Insolvabilité.

La seconde, lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé dans un État tiers, ressort du droit international privé commun. A priori, c’est limpide. Toutefois, en pratique, la complexité des situations pourrait inviter l’interprète à adopter une vision plus large du champ d’application territorial du règlement.

A – Application du règlement aux procédures concernant un débiteur dont le COMI est situé dans l’Union

Le principe est clair : dès lors que le centre des intérêts principaux du débiteur est dans un État de l’Union et que la procédure d’insolvabilité est susceptible d’avoir des effets transfrontières, à raison de biens dispersés dans plusieurs États24, de créanciers établis à l’étranger25 ou de sûretés sur des biens détenus à l’étranger26, le règlement s’applique. Toutefois, la question se pose de savoir s’il convient d’appliquer le règlement uniquement lorsque l’ensemble des éléments d’extranéité sont localisés dans l’UE où s’il faut en étendre l’application alors que l’extranéité de la situation du débiteur (dont le COMI est dans un État membre) résulte d’éléments situés dans un État tiers.

À vrai dire, sous l’empire du règlement n° 1346/2000, la Cour de justice a fait preuve de velléité d’interprétation extensive du texte.

On sait que la juridiction compétente pour ouvrir une procédure d’insolvabilité est également compétente pour statuer sur les actions qui dérivent directement ou qui s’insèrent étroitement dans la procédure ouverte. Cela résulte d’une jurisprudence Seagon27 qui a été consacrée par l’article 6 du nouveau règlement Insolvabilité. Cet article fait référence aux actions révocatoires, c’est-à-dire aux actions en nullité de la période suspecte, mais on peut l’étendre aux actions destinées à sanctionner un dirigeant fautif28, aux actions en remboursement contre le gérant de la société débitrice29, ou bien encore aux actions tendant à faire constater des biens déplacés à l’étranger relèvent en fait de la procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre30.

Or, la Cour de justice a étendu dans ces hypothèses, l’application du règlement alors que l’internationalité de l’action « annexe » résultait d’éléments localisés dans un État tiers.

Ainsi, s’agissant d’une action en nullité de la période suspecte intentée contre un défendeur domicilié en Suisse, dans le cadre d’une procédure ouverte en Allemagne, la Cour de justice a jugé dans un arrêt Schmid du 16 janvier 201431 que la juridiction allemande de la procédure d’insolvabilité était également compétente pour statuer sur l’action dirigée contre le défendeur établi en suisse afin de reconstituer l’actif de la procédure. Or, cette jurisprudence semble condamnée par le nouveau considérant 35 qui précise que les juridictions d’un État membre, compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité, sont également compétentes pour connaître des actions révocatoires contre un défendeur établi dans un autre État membre. Cette référence à « un autre État membre » semble bien mettre un terme à l’expansionnisme de la Cour de justice.

D’un autre côté, le considérant 35 ne vise que les actions révocatoires, on pourrait donc soutenir que la jurisprudence de la Cour de justice concernant l’action en remboursement ou l’action annexe afférant à des biens déplacés dans un État tiers peut perdurer32. Toutefois, on ne peut souscrire à ce point de vue.

D’abord l’article 6 du règlement qui vise les actions connexes, précise en son paragraphe 2 que le défendeur est domicilié dans un État membre, on exclut donc l’action en remboursement contre le dirigeant établi dans un État tiers ; ensuite le nouveau considérant 5 qui affiche l’objectif de lutte contre les déplacements des avoirs du débiteur n’envisage ce déplacement que d’un État membre à un autre, contrairement à l’ancien considérant 4 du règlement n° 1346/2000 qui visait plus généralement le déplacement d’un État à un autre, sans aucune précision.

Dès lors, il semble que le règlement Insolvabilité est à rebours de la jurisprudence de la CJUE qui, ces dernières années, tendait vers l’extension du champ d’application du règlement dans l’espace. Cette nouvelle donne laisse ainsi une brèche importante dans laquelle le DIP commun a encore sa place.

Est-ce un mal ? Ce n’est pas si sûr car dans toutes les affaires que nous avons évoquées, les décisions prononcées contre les défendeurs établis en dehors de l’Union européenne ne bénéficient pas du régime de reconnaissance de plein droit assuré par le règlement Insolvabilité. Leur exécution dépend sinon de la bonne volonté de l’État tiers requis, du moins des critères que ses juridictions appliquent pour ordonner l’exequatur d’un jugement étranger. Dès lors, ne devient-il pas plus efficace d’agir directement devant la juridiction du domicile du défendeur ? Dans de telles hypothèses le règlement ne joue pas son rôle protecteur des justiciables, alors à quoi sert de forcer son application à des situations qu’il ne prévoit pas ?

En outre, de nombreuses dispositions du règlement Insolvabilité semblent ne pas se préoccuper des créanciers étrangers domiciliés en dehors de l’Union. La preuve en est que l’article 2, 12°), du nouveau règlement définit le créancier étranger comme celui qui a sa « résidence habituelle, son domicile ou son siège statutaire dans un État membre autre que celui d’ouverture de la procédure ». On peut citer par ailleurs tous les articles dédiés à l’information des créanciers établis dans un autre État membre, ou à l’interconnexion des registres d’insolvabilité qui n’est évidemment, et logiquement, prévue qu’au sein de l’Union. Vouloir faire du règlement un texte d’application universelle par toute juridiction d’un État membre, quelle que soit l’origine de l’internationalité de la procédure serait alors totalement irréaliste. Dans les hypothèses où l’extranéité de la situation trouve son origine dans un État tiers, en dépit du COMI du débiteur dans un État membre, le droit international privé commun devrait s’appliquer.

En revanche on peut regretter l’absence d’application du règlement dans l’hypothèse où à défaut d’avoir son COMI dans un État membre, le débiteur y aurait un établissement.

B – Absence d’application du règlement aux procédures concernant un débiteur dont le COMI est en dehors de l’Union.

Dès lors que le débiteur n’a pas le centre de ces intérêts principaux dans un État de l’Union européenne, le règlement est inapplicable. La solution paraît logique ; le texte n’a pas vocation à régir des situations qui n’ont pas de lien avec l’UE. Toutefois, le débiteur peut avoir des établissements secondaires dans un ou plusieurs États membres. S’il est en difficulté et qu’une procédure est ouverte, sa situation ne sera pas couverte par le règlement. Il conviendra d’appliquer les règles de droit international privé commun.

À cet égard, si l’on raisonne à partir d’un débiteur dont le siège statutaire est situé dans un État tiers, les critères de l’article R. 600-1 du Code de commerce transposés à l’ordre international33 conduisent à retenir la compétence internationale des juridictions françaises lorsque le débiteur exploite un établissement secondaire en France34. En fait, la jurisprudence a même parfois été très libérale en fondant la compétence des juridictions françaises sur la présence en France d’intérêts du débiteur, telle la souscription de prêts en France35. Cela étant, encore faut-il que le débiteur n’ait pas fait l’objet d’une procédure dans l’État de son siège social qui a reçu l’exequatur en France. Sinon, tant que la procédure d’insolvabilité ouverte à l’étranger n’a pas reçu l’exequatur en France, rien ne s’oppose à ce qu’un juge français ouvre une procédure d’insolvabilité à la demande des créanciers locaux36. La situation devient rapidement surréaliste si l’on songe que la jurisprudence française a consacré dès un arrêt Worms l’universalité des procédures ouvertes en France37. Dans une telle hypothèse le principe de l’universalité de la procédure ouverte en France suppose que les actifs du débiteur à l’étranger soient attraits dans la procédure ouverte en France, or, il est évident que, concomitamment, le patrimoine du débiteur sera effectivement administré et éventuellement liquidé par les autorités de la procédure étrangère, sans compter que la décision française ne sera vraisemblablement pas reconnue localement. Autant dire que le traitement du patrimoine du débiteur n’aura aucune cohérence.

Les mêmes observations s’imposent même en l’absence d’ouverture d’une procédure en France. En effet, si le débiteur fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité dans le pays de son siège social, celle-ci ne produit aucun effet qui pourrait impacter la situation des créanciers en l’absence d’exequatur en France. Ainsi le débiteur n’est pas dessaisi en France et la procédure étrangère n’entraîne pas suspension des poursuites à son encontre38, quelle que soit la logique, liquidative ou de redressement, de la procédure ouverte à l’étranger.

Ce regrettable résultat a conduit un auteur à proposer l’abandon du caractère rationae loci du règlement Insolvabilité39. Bien que cette proposition soit séduisante, elle ne résoudrait pas toutes les difficultés. Certes la procédure ouverte dans l’État tiers serait reconnue de plein droit dans les États membres mais, le règlement n’interdit pas l’ouverture d’une procédure secondaire dans l’État où le débiteur à un établissement lorsqu’une procédure principale a été ouverte au siège social. Or ; la procédure secondaire ouverte dans l’UE ne bénéficierait pas du même régime de reconnaissance dans l’État tiers, sauf à introduire une condition de réciprocité, d’où une remise en cause des droits des créanciers locaux.

Quoi qu’il en soit, à s’en tenir aux termes du règlement Insolvabilité, l’heure ne semble pas être à son extension extra européenne et le droit commun des faillites internationales a encore vocation à s’appliquer dans de nombreux cas, soit parce que le COMI du débiteur n’est pas localisé dans l’Union européenne soit parce que la procédure d’insolvabilité n’est pas au nombre de celles qui sont listées dans l’annexe A du règlement Insolvabilité.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Lenzing K., « Règlement (CE) n° 1346/2000 - La nouvelle définition des procédures d’insolvabilité couvertes par le champ d’application du règlement “insolvabilité” », Rev. proc. coll. 2015, dossier 3.
  • 2.
    Rapport de la Commission européenne sur l’évaluation du règlement (CE) n° 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, du 12 décembre 2012, COM(2012)743 final.
  • 3.
    Proposition publiée le 22 novembre 2016, COM(2016)723 final.
  • 4.
    Deux directives posent des règles relatives aux organismes de placement collectif en valeurs mobilière (Dir. n° 2009/65/CE) et aux fonds d’investissement alternatif (Dir. n° 2011/61/CE).
  • 5.
    Henry L.-C., « Le nouveau règlement “Insolvabilité” : entre continuité et innovation », D. 2015, p. 979.
  • 6.
    En témoigne la recommandation de la Commission du 12 mars 2014 relative à une nouvelle approche en matière de défaillance et d’insolvabilité des entreprises COM(2014)1500 final, et la proposition de directive du Parlement et du Conseil du 22 novembre 2016 relative aux cadres de restructuration préventifs, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficience des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement COM(2016)723 final.
  • 7.
    Règl. (UE) n° 2015/848, art. 1er, § 1, al. 2.
  • 8.
    Saint-Alary-Houin C., Droit des entreprises en difficulté, 10e éd., 2016, LGDJ, Précis Domat, p. 253, n° 433.
  • 9.
    C. com., art. L. 622-1, I.
  • 10.
    C. com., art. L. 621-4 et C. com., art. R. 621-11.
  • 11.
    Pérochon F., Entreprises en difficulté, 10e éd., 2015, LGDJ, Manuel, p. 304, n° 672.
  • 12.
    C. consom., art. L. 761-2.
  • 13.
    C. com., art. L. 628-9 et Pérochon F., Entreprises en difficulté, op. cit., p. 461, n° 1069.
  • 14.
    Pérochon F., Entreprises en difficulté, op. cit., p. 472, nos 1094 et s.
  • 15.
    Cons. 13.
  • 16.
    Recommandation de la Commission du 12 mars 2014 relative à une nouvelle approche en matière de défaillance et d’insolvabilité des entreprises COM(2014)1500 final.
  • 17.
    « La liste des procédures visées au présent paragraphe figure à l’annexe A ».
  • 18.
    CJUE, 22 nov. 2012, n° C-116/11, Bank handlowy c/ Christianapol : JCP G 2012, 1050, note d’Avout L. ; Rev. proc. Coll. 2013, comm. 29, note Mastrullo T.
  • 19.
    Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil relatif aux procédures d’insolvabilité́, du 12 décembre 2012 COM(2012)744 final, art. 45.
  • 20.
    Règl. (UE) n° 1215/2012, 12 déc. 2012, du Parlement européen et du Conseil.
  • 21.
    Concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, art. 1er, § 2, b).
  • 22.
    Art. 3, § 1, al. 3 et 4.
  • 23.
    Cons. 8. V. Henry L.-C., « Le champ d’application territorial du règlement », in Jault-Seseke F. et Robine D. (dir.), Le nouveau règlement insolvabilité : « quelles évolutions ? », 2015, Joly, Pratique des affaires, p. 7 et s.
  • 24.
    Cons. 88.
  • 25.
    Vallens J.-L., « La faillite internationale, entre universalité et territorialité : les enjeux » in Jault-Seseke F. et Robine D. (dir.), L’effet international de la faillite : une réalité ?, 2004, Dalloz, p. 8.
  • 26.
    L’article 54 vise l’information des créanciers étrangers.
  • 27.
    L’article 8 évoque les droits réels des tiers sur des biens situés dans un autre État membre.
  • 28.
    CJCE, 12 févr. 2009, n° C-339-07 : D. 2009, p. 1311, note Vallens J-L. ; Europe 2009, comm. 175, note Idot L. ; Act. proc. coll. 2009, n° 13, obs. Mellin F.
  • 29.
    Cass. com., 22 janv. 2013, n° 11-17968, Nob : D. 2013, p. 755, note Dammann R. ; Act. proc. coll. 2013, n° 4, comm. 53, note Legrand V.
  • 30.
    CJUE, 4 déc. 2014, n° C-295/13 : BJE mai 2015, n° 112e1, p. 139, note Dammann R. et Rapp A. ; Europe 2015, comm. 97, note Idot L. ; Gaz. Pal. 5 mai 2015, n° 223x6, p. 17, obs. Henry L. C. ; Act. proc. coll. 2015, n° 8, comm. 79, note Legrand V.
  • 31.
    CJUE, 11 juin 2015, n° C-649/13, Nortel : D. 2015, p. 1514, note Dammann R. et Boché-Robinet M. ; BJE juill. 2015, n° 112k8, p. 209, note Henry L.-C. ; LPA 8 juill. 2015, p. 14, note Legrand V.
  • 32.
    CJUE, 16 janv. 2014, n° C-328/12 : BJE juill. 2014, n° 111k3, p. 67, note Nabet P. ; D. 2014, p. 915, note Jault-Seseke F. et Robine D. ; Gaz. Pal. 1er juill. 2014, n° 185j6, p. 19, obs. Henry L.-C.
  • 33.
    Fabriès-Lecéa E., « Chapitre préliminaire. Considérants », in Sautonie-Laguionie L. et Lisanti C. (dir.), Règlement (UE) n° 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité, commentaire article par article, 2015, Société de législation comparée, TEE, p. 23.
  • 34.
    Il ne s’agit là que de mettre en œuvre la méthode dégagée par les arrêts Pellassa (Cass. 1re civ., 19 oct. 1959 : D. 1960, p. 37, note Holleaux G. ; Rev. crit. DIP 1960, p. 215, note Loussouarn Y.) et Scheffel (Cass. 1re civ., 30 oct. 1962 : D. 1963, p. 109, note Holleaux G. ; Rev. crit. DIP 1963, p. 387, note Francescakis P.).
  • 35.
    Cass. com., 11 avr. 1995, n° 92-20032 : Rev. crit. DIP 1995, p. 742, note Oppetit B. – Cass. com., 21 mars 2006, n° 04-17869 : D. 2006, p. 1466, note Henry L.-C. ; Gaz. Pal. 20 juin 2006, p. 12, obs. Mellin F.
  • 36.
    Cass. com., 1er oct. 2002, n° 99-11858.
  • 37.
    On peut se référer à l’affaire Khalifa Airways ; Cass. com., 21 mars 2006, n° 04-17869, préc.
  • 38.
    Cass. 1re civ., 19 nov. 2002, n° 00-22334 : D. 2002, p. 3341, note Lienhard A. ; Gaz. Pal. 26 juin 2003, n° F1288, p. 29, note Niboyet M.-L. – Cass. com., 21 mars 2006, n° 04-17869, préc.
  • 39.
    Cass. com., 28 mars 2012, n° 11-10639 : Act. proc. coll. 2012, note Legrand V.
  • 40.
    Fabriès-Lecéa E., Le règlement Insolvabilité, apport à la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne, 2012, Bruylant.
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