Un café Brexit pour mieux appréhender les enjeux d’une sortie de l’Europe

Publié le 26/07/2019

Le 15 mars dernier, la CCI Paris-Ile-de-France organisait un « Business café Brexit » à destination des entrepreneurs en lien avec le Royaume-Uni. En Ile-de-France, plusieurs centaines d’entreprises sont concernées, mises à mal par le flou qui entoure la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, en discussion depuis déjà plus de deux ans. Aspects juridiques, économiques, fiscaux, tous les sujets ont été abordés lors des interventions des experts et des témoignages d’entreprises, déterminées à appréhender la transition le plus fluidement possible.

Si le premier « Business Café Brexit » organisé par la CCI-Ile-de-France du 15 mars dernier a rencontré un franc succès – environ cent entreprises étaient représentées – c’est que, comme le rappelle Tatiana Tan, conseillère en développement international, le Brexit affecte tout type d’entreprises. «  Quelle que soit leur taille ou leurs secteurs d’activités, PME ou grands groupes, entreprises dans le négoce avec le Royaume-Uni (import-export) ou grands groupes intégrés dans une chaîne de valeur associant des opérateurs britanniques, sans oublier les porteurs de projets qui voulaient travailler avec le Royaume-Uni et étaient en phase de business plan. Elles sont toutes concernées ». Bernard Cottin, responsable des affaires européennes à la CCI Paris-Val-de-Marne, complète : « Avec les négociations qui avançaient, il était plus que temps d’informer les entreprises pour ne pas les laisser désemparées ».

Trois mois après l’événement, les questionnements ne sont toujours pas tranchés, la faute à un imbroglio autant politique, que juridique et économique. À ce jour, la concrétisation du Brexit prend l’aspect de deux options : la validation de l’accord de retrait par le Parlement britannique, ou une absence d’accord « no deal ». Tiraillée, Theresa May n’a pas réussi à trancher. « Pour tenter d’atténuer l’impact d’une sortie brutale sans accord, les autorités compétentes, à Bruxelles, mais aussi à Londres et dans les capitales européennes, ont adopté, dès l’automne dernier, des dispositions sectorielles transitoires qui sont, certes utiles, mais ne sauraient remplacer un accord en bonne et due forme », précise le guide pratique de la CCI à l’intention des PME intitulé : « Les relations trans-Manche à l’heure du ’’Brexit flou’’ ». Pour les entreprises, la période apparaît comme particulièrement délicate… Spécialement avec la perspective peu réjouissante d’une sortie radicale de l’UE. « Cette hypothèse serait à l’origine d’une crise majeure : la parole d’un État comme le Royaume-Uni, État fondateur de la démocratie parlementaire, remettrait fortement en question la confiance des investisseurs », prédit-il. À ses yeux, les plus grandes sanctions « viendraient des financiers ».

Le temps de l’incertitude

Pour les dirigeants d’entreprise, guidés par leur instinct, les choix et les parcours sont très « erratiques, estime Bernard Cottin. Les entreprises ne savent pas où elles vont ». Pour ne rien arranger, le spécialiste souligne un climat mondial globalement délétère, et s’inquiète du climat commercial sino-américain. « Tout ceci est mauvais pour la croissance et alimente une crise déjà sous-jacente au mauvais moment, celui d’une transition institutionnelle au niveau de l’Europe », alors que les entreprises « ont besoin d’un environnement juridique stable ».

Dès l’été 2018, le Medef et la CCI avaient « alerté » sur les risques d’un Brexit « dur ». Mais à ce moment-là, la prudence était de mise, afin d’éviter la « panique » chez les entrepreneurs. Pourtant, aujourd’hui, les entreprises sont face au mur et doivent bon an, mal an, gérer leurs incertitudes sur les investissements, adapter leurs carnets de commande comme gérer la baisse continue de la livre sterling, d’autant plus intense depuis le début des négociations concrètes depuis 2017. « Les plus puissantes ont commencé à s’organiser dès le référendum. Elles ont entamé les mesures d’impact, sur le plan douanier, ont réfléchi aux conséquences sur leurs établissements (distribution, fabrication locale…) Elles ont su aussi envisager d’éventuels problèmes de recrutements ou de maintien de la main-d’œuvre dans ces conditions », explique-t-il. Mais les PME peuvent se retrouver moins bien armées que les grands groupes. En témoigne Marie Rivenez, grossiste en viandes, PDG de GRG-Maison des viandes, qui importe de l’agneau en provenance du Royaume-Uni. « Que le Royaume-Uni impose des droits de douanes serait problématique. Nous avons estimé que cela impacterait le kilo d’agneau d’environ 45 cents d’euro, ce qui est très élevé. Nous serions obligés de répercuter cette hausse sur le prix de vente », explique-t-elle. Face à de gros besoins, puisque 30 % de la consommation d’agneau en France provient du Royaume-Uni, Marie Rivenez est obligée d’envisager des alternatives, comme de recourir à l’agneau espagnol. « Mais la consommation française (gigot, côtelettes), nécessite une conformation assez ronde de l’agneau, ce qui n’est pas le cas des espèces espagnoles ». S’ajoutent à la qualité de la viande des questions relatives au ralentissement du trafic, dû à des contrôles sanitaires et administratifs, spécialement pour une denrée hautement périssable. Avisée, Marie Rivenez s’est déjà renseignée sur la façon dont son entreprise serait impactée logistiquement par l’instauration de droits de douanes. Résultat : c’est compliqué ! « Les formulaires sont longs et complexes à remplir. Les douanes nous invitent à éventuellement avoir recours à un prestataire extérieur, mais cela signifie des frais supplémentaires » que les PME ne sont pas toutes à même de fournir. En tout état de cause, pour la PDG, « en cas de Brexit dur, si nous perdons 25 % de notre chiffre d’affaires (la boîte revend 25 % d’agneau, parmi d’autres viandes), nous ne nous en remettrons pas ». En attendant la rentrée et la levée du flou, attendue pour octobre, elle continue de se renseigner, notamment auprès de la CCI, dont elle apprécie les initiatives : elle a même participé au « Business Café Brexit » de mars et en a retiré des enseignements précieux.

Le marché britannique, indispensable à la France

Bernard Cottin délivre son conseil numéro 1 aux entreprises : « Continuer à faire des affaires avec les Britanniques et leur montrer l’intérêt des PME françaises ». Car, rappelle-t-il, le marché britannique « est indispensable pour les entreprises françaises. Ce pays est à proximité et nous pouvons placer de nombreux produits, à commencer par l’alimentaire ». Il est important de garder en tête que le marché britannique ne trouvera pas de « remplaçant » de façon mécanique. « C’est loin d’être évident dans un climat mondial de protectionnisme ». Les problématiques des entreprises moyennes au Royaume-Uni renvoient les entreprises françaises à un effet de miroir. « Elles aussi sont dans une situation délicate », rappelle-t-il. Ainsi, les entreprises françaises ont-elles « intérêt à rester proches de leurs clients et prospects britanniques, elles doivent continuer à aller dans des salons professionnels : les Anglais sauront leur être reconnaissants », une fois la vague de flou passée. Car, évoque-t-il, « le marché britannique reste attractif, sur les fin tech, les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle. À l’avenir, nous aurons besoin d’eux ». Face aux incertitudes actuelles, il est nécessaire de continuer à suivre l’évolution des régimes transitoires dans les zones les plus exposées (Hauts-de-France, Normandie, Bretagne) et les secteurs les plus concernés, comme la pêche, l’automobile, la pharmacie, les produits alimentaires, les services et le tourisme…

Mesures d’impact et réflexions stratégiques : comment passer le cap

Face à cette situation inédite, – le Royaume-Uni est le premier pays à sortir de l’Europe et à avoir recours à l’article 50 du traité sur l’Union européenne –, « les entreprises  sont dans une situation anxiogène », confirme Joanna Puma, juriste en droit du commerce international  au sein de la CCI Paris-Ile-de-France. La CCI recommande ainsi d’affiner sa réflexion autour de certains points-clés : volume prévisionnel, contrats en cours, fiscalité, procédures douanières, certifications et autorisations. Joanna Puma détaille ces points. « Les entreprises se sentent surtout concernées par la partie douanière car le Brexit aura un impact sur le rétablissement des formalités douanières et éventuellement le prix de vente et d’achat des marchandises ».

Dans ce contexte, « la Grande-Bretagne  pourra rétablir des droits de douanes à l’entrée sur le territoire lesquels pourront varier selon les produits.  Dans tous les cas, il convient d’attendre le vote de septembre, qui décidera dans quel délai seront mis en place les grilles tarifaires ou si la période de transition se poursuit. En tout état de cause, c’est au plus tard le 1er janvier 2021 que la Grande-Bretagne pourra mettre en place des droits de douane ». Pour le moment, reconnaît-elle, les entreprises ne sont pas en mesure de savoir si leurs produits seront taxés ou non, et si oui, à quel taux.

D’un point de vue commercial, de nouvelles formalités émergeront, « car le contexte ne sera plus celui de la libre circulation des biens. Cela implique de nouvelles démarches à réaliser auprès des douanes. Les entreprises doivent prendre en compte le poids administratif qui en découlera ».

Autre point d’inquiétude : la fiscalité. « Les PME s’inquiètent particulièrement de la facturation, qui se réalisera désormais avec des règles particulières. Avant au sein de l’UE, les entreprises bénéficiaient d’un numéro de TVA intracommunautaire, d’une facturation HT, etc. Désormais, d’autres règles s’appliqueront et les mentions à indiquer sur leur facture commerciale seront différentes. Les entreprises qui ne sont pas familières avec ces règles devront être accompagnées », affirme la juriste.

Les conséquences ne sont pas directes pour l’instant, mais déjà bien palpables. « Dans les relations commerciales, les projections se font à court terme, les clients sont réticents à négocier de nouveaux contrats », analyse Joanna Puma, qui évoque la crainte de changements potentiels dans les normes sur les produits (comme les dispositifs médicaux, les cosmétiques etc.).

Alors que faire pour aider les entreprises ? Pour Joanna Puma, « il faut rester en veille, et accompagner les entreprises. La CCI a par exemple organisé des ateliers d’informations et lancé un numéro azur pour répondre aux questions qu’elles se posent ». En tout état de cause, « il faut partir de leurs contrats avec leurs partenaires, renouer le contact avec eux et renégocier si besoin les conditions de vente et d’achat. Il faut s’assurer que certaines clauses (notamment le prix, les conditions de livraison, la durée du contrat) pourront être renégociées. L’entreprise française ne doit pas oublier que le partenaire britannique se retrouve dans la même situation. Les entreprises qui nous contactent sont principalement de très petites entreprises, qui n’ont pas forcément les moyens de mettre en place une veille juridique ».

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