Rentrée du TJ de Paris : dans un contexte tendu, les hauts magistrats parisiens serrent les rangs

Publié le 26/01/2021

Sur fond de tensions multiples avec les politiques mais aussi les avocats, les chefs de juridiction parisiens ont montré qu’ils faisaient bloc lors de la rentrée solennelle du tribunal judiciaire de Paris le 22 janvier dernier. 

 

Rentrée du TJ de Paris : dans un contexte tendu, les hauts magistrats parisiens serrent les rangs
Rentrée solennelle du tribunal judiciaire de Paris 2021 (Photo : ©P. Cluzeau)

En période de crise, la magistrature sert les rangs.

Lors de la rentré solennelle du tribunal judiciaire de Paris, les chefs de juridiction – le président et les trois procureurs – ont ainsi rendu un  hommage très appuyé à la procureure générale de Paris, Catherine Champrenault, qui quittera ses fonctions en juin prochain. Un élan de sympathie qui s’explique sans doute par le traumatisme consécutif à l’ouverture d’une enquête préliminaire à Nanterre. Celle-ci, déclenchée par le député LFI Ugo Bernalicis vise plusieurs hauts magistrats dont Catherine Champrenault. Lors de la commission parlementaire sur l’indépendance de la justice, l’ancienne chef du PNF Eliane Houlette s’est dite en effet victime de pressions de la part de sa hiérarchie dans l’affaire Fillon. Catherine Champrenault s’est défendue en expliquant qu’il ne s’agissait que des discussions habituelles au sein d’un parquet sur la meilleure suite à donner à à une procédure. A l’époque, Eliane Houlette voulait rester dans le cadre de l’enquête préliminaire (et donc conserver la main), quand Catherine Champrenault pensait plus judicieux d’ouvrir une information (transmettre le dossier à un juge d’instruction). L’information sera ouverte avec les suites que l’on connait. Des déclarations contradictoires qui ont suscité le soupçon chez Ugo Bernalicis et l’ont poussé à saisir la justice contre les deux magistrates. Sont également visés  dans cette procédure le Premier président de la Cour Jean-Michel Hayat sur le même dossier, ainsi que le procureur de Paris Remy Heitz, le préfet Didier Lallement sur d’autres sujets. 

Pluie d’hommages sur Catherine Champrenault

Rentrée du TJ de Paris : dans un contexte tendu, les hauts magistrats parisiens serrent les rangs
Catherine Champrenault (au premier rang à gauche) lors de la rentrée solennelle du tribunal judiciaire de Paris (Photo : ©P. Cluzeau)

 

Le président du tribunal Stéphane Noël s’est adressée à la procureure générale en ces termes « je tiens à témoigner de votre attention constante à l’égard du siège et vous en remercier très vivement ». Le procureur de Paris Rémy Heitz, qui devrait logiquement lui succéder, a pour sa part déclaré « vous avez toujours défendu, dans des contextes parfois tendus, avec force et conviction les valeurs et principes fondant le fonctionnement de notre ministère public. Nous nous souviendrons du soutien que vous nous avez apporté, humainement et professionnellement, dans les moments difficiles ». Sans oublier évidemment Jean-François Bohnert, nouveau chef du PNF, qui s’en est toutefois tenu à des voeux plus classiques  « très chaleureux pour une année 2021 chargée d’espérance, généreuse en bonne santé et en satisfactions personnelles, et riche en réussites professionnelles ».

Faut-il voir aussi dans ces hommages un soutien au combat que semble avoir décidé d’engager la procureure générale  contre les avocats ? Lors de la rentrée solennelle de la cour d’appel le 14 janvier, elle leur a en effet reproché  d’avoir risqué, par leur grève,  de provoquer la remise en liberté de détenus dangereux.  Pas forcément. Au début de son discours, Stéphane Noël s’est adressé de façon particulièrement affable à l’ex vice-bâtonnière de Paris, (nommée entre temps à la tête de l’ENM) et au bâtonnier de Paris, leur donnant du « Chère Natahalie Roret et du Cher Olivier Cousi ». Il est à noter par ailleurs que pas un mot n’a été prononcé lors de la rentrée du tribunal pour reprocher aux avocats leur grève en début d’année. La hache de guerre, au moins sur ce sujet, semble donc enterrée à Paris, au moins en première instancel.

Jean-François Bohnert dénonce le comportement des avocats dans l’affaire Bismuth

Mais la paix entre avocats et magistrats est bien fragile et il se trouve toujours quelqu’un pour la remettre en cause. Lors de cette audience, les coups  sont venus de Jean-François Bohnert, nouveau procureur national financier. Ainsi a-t-il déclaré à propos du procès Bismuth qui s’est tenu à la fin de l’année dernière : « J’ai été peiné, même choqué, par les attitudes inappropriées et les attaques personnelles qui ont visé, sans relâche, les représentants du parquet national financier tout au long de ce procès  où seul le débat juridique aurait dû avoir sa place ». Il le regrette d’autant plus que, assure-t-il,  « le ministère public avait pris le parti de ne blesser personne, ni parmi les prévenus, ni dans les rangs des auxiliaires de justice indispensables que sont les avocats ».

Gageons que les avocats concernés n’auront sans doute pas perçu les choses de la même manière, le PNF ayant précisément émis des soupçons à l’encontre d’un avocat proche du dossier atteint d’une pathologie qui rendait l’attaque particulièrement malvenue. La demande à l’audience du procureur Jean-Louis Blachon d’entendre les enregistrements des conversations a également déclenché la colère des avocats qui ont dénoncé en choeur le « sensationnalisme » et le « marketing pénal ». Aussi et surtout, les tensions s’expliquent lors de ce procès quand on se souvient que l’été dernier on découvrait grâce au Point que  plusieurs avocats célèbres avaient vu leurs fadettes épluchées par le PNF durant des années. L’objectif ?  Tenter d’identifier qui avait pu informer Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog que leur ligne « Bismuth » était sur écoute. Or, parmi ces avocats figuraient notamment Hervé Témime, le défenseur de Thierry Herzog dans cette affaire. De quoi tendre légèrement les relations dans le prétoire…

Mais comme l’heure semble être aux meilleurs efforts pour rapprocher avocats et magistrats, Jean-François Bohnert s’est empressé de préciser :  « ces excès sont tout sauf représentatifs des vraies relations que le PNF entretient au jour le jour avec les membres du barreau. Ces derniers soulignent si souvent la qualité de l’accueil qui leur est réservé au sein de notre parquet, la loyauté avec laquelle sont menées les négociations à l’occasion de procédures transactionnelles ainsi que la qualité du débat juridique ». Dont acte. 

 

Rentrée du TJ de Paris : dans un contexte tendu, les hauts magistrats parisiens serrent les rangs
Jean-François Bohnert, procureur national financier (Photo : ©P. Cluzeau)

PNF : un « résultat financier » annuel de 2,2 milliards d’euros et deux trophées

Si les rentrées solennelles sont l’occasion pour les chefs de juridiction de présenter leurs voeux et parfois de régler des comptes, leur objet consiste avant tout à dresser le bilan d’activité de l’année écoulée.

Celui du PNF est, comme chaque année depuis sa création, assez remarquable. Le parquet financier  visiblement emprunte à ceux qu’il poursuit un peu de leur culture et de leurs réflexes. C’est donc presque comme un dirigeant de société cotée que Jean-François Bohnert a présenté les « résultats financiers imputables au PNF ». En pratique, ce qu’il qualifie de « résultats financiers » consiste dans le  montant cumulé des amendes, confiscations et dommages intérêts alloués à l’état, lequel atteint en 2020  le chiffre de 2,2 milliards d’euros. C’est moins que la somme record de 5,7 milliards de 2019, mais mieux que les 829 millions de 2018. Depuis sa création en 2014, le « résultat financier » du PNF  s’élève à 10 milliards d’euros, soit plus que le budget de la justice (8,2 milliards hors pension en 2021). Les 133 affaires nouvelles de 2020 (léger fléchissement) portent le nombre total de dossier en cours à 602 dont 84% sont traités en enquête préliminaire, le reste en information judiciaire, sachant que le PNF compte 16 magistrats 8 assistants et 15 fonctionnaire de greffe.

Un bilan qui a permis à ce parquet de décrocher  deux récompenses décernées  par La Global Investigations Review. Il a en effet  été désigné « parquet de l’année » pour l’ensemble de son travail et a décroché par ailleurs le trophée de la « réussie procédurale majeure » grâce à la conclusion dans le  dossier Airbus d’une convention judiciaire d’intérêt public à hauteur de 3,6 milliards d’euros. 

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Jean-François Ricard, procureur national anti-terroriste (Photo : ©P. Cluzeau)

Un nouveau pôle dédié à la haine en ligne au parquet de Paris

Le parquet national anti-terroriste, quoique jeune (il a été mis en place il y a un an et demi) développe déjà lui aussi une activité soutenue, même si ses résultats ne se traduisent pas en termes de performances financières. Il totalise 262 dossiers en enquête préliminaire et 416 faisant l’objet d’une ouverture d’information. Rien qu’en 2020, 7 nouveaux dossiers dans lesquels on dénombre 14 décès  sont venus grossir la pile du volet terrorisme islamiste. Parmi les sujets d’inquiétudes du chef de ce parquet Jean-François Ricard figure le fait que l’extrême droite et l’ultra gauche n’excluent plus le recours à la lutte armée. Le procureur s’inquiète également du suivi des sortants et réclame un dispositif complémentaire à l’existant pour prendre en charge des personnes qu’il décrit à fort risque de récidive à leur sortie.  Quant au parquet de Paris,  il souligne l’explosion de la délinquance imputable aux mineurs non accompagnés. Ils représentaient les deux tiers des plus de 4000 mineurs déférés au parquet à Paris en 2020, ils en constituent désormais  les trois quart. Ces mineurs  sont responsables de 27,4 % des cambriolages et de 31% des vols avec violence. Parmi les innovations à signaler, figure la création du nouveau pôle national dédié à la lutte contre la haine en ligne, prolongement direct de Pharos. Créé par une circulaire du 24 novembre 2020, il est opérationnel depuis le 4 janvier et a été saisi notamment de l’affaire Mila ou encore de celle de Miss Provence. Le parquet soutient la procédure bientôt examinée devant le Parlement consistant à permettre de recourir à la comparution immédiate pour certaines infractions à la loi de 1881 sur la presse. 

 

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Rémy Heitz procureur de Paris (Photo : ©P. Cluzeau)

Un tribunal au bord de l’apoplexie en matière civile

Le président du tribunal Stéphane Noël quant à lui s’inquiète de la dégradation de ses délais de jugement en matière civile. Quelques minutes avant le début de l’audience solennelle, un film a été projeté aux invités vantant les mérites du nouveau tribunal, ses terrasses arborées, ses restaurant et cafétéria, sa bibliothèque….. Las ! Cet étalage de confort moderne dissimule une situation juridictionnelle inquiétante. Le délai de traitement des dossiers en matière de contentieux social, bancaire, copropriété ou construction s’élève à…..30 mois ! De même la juridiction n’arrive plus à traiter dans « des délais brefs » les dossiers de grand banditisme ou encore de presse. « Le décrochage est à craindre » prévient le président. En cause ? Le manque de moyens, comme d’habitude aggravé par les choix stratégiques du ministère. Le tribunal a en effet reçu des renforts du mois de septembre, mais ils ont été pour l’essentiel  affectés  au parquet. Et ça ne va pas s’améliorer. « La capacité de jugement du tribunal de Paris est fortement obérée pour ce premier semestre 2021 par une dégradation sans précédent de ses effectifs, entrainant une diminution de notre capacité de jugement dans de nombreux domaines » prévient le président. Pour Stéphane Noël, il faut engager une réflexion sur les capacités de jugement du tribunal.

Le président a consacré la fin de son propos aux attaques menées à l’encontre des juges et principalement du PNF ces derniers mois. Dénonçant une déstabilisation sournoise, il a conclu :

« En attaquant les magistrats, c’est l’état de droit que l’on attaque au risque de susciter des crises plus profondes que celles que nous connaissons déjà à l’égard de la méfiance que le corps social peut exprimer à l’égard des institutions ».

 

Rentrée du TJ de Paris : dans un contexte tendu, les hauts magistrats parisiens serrent les rangs
Stéphane Noël, président du Tribunal judiciaire de Paris (Photo ©P. Cluzeau)