Greffiers en colère : l’appel des 6 000

Publié le 13/10/2023

La colère des greffiers ne retombe pas. Alors que la Chancellerie a acté la nouvelle grille indiciaire qui ne leur convient pas et que les négociations se poursuivent sur leur accession à la catégorie A, une pétition lancée fin septembre rassemble déjà plusieurs milliers de signatures.

Greffiers en colère : l'appel des 6 000
Manifestation de greffiers 26 juin Tribunal judiciaire de Paris (Photo : ©P. Cabaret)

Mise en ligne le 27 septembre, une pétition lancée par les greffiers pour protester contre l’absence d’évolution de leur statut et de leur rémunération approchait déjà les 6 000 signatures à la date du 13 octobre (5 961 à 12h33). « La tribune des magistrats publiée dans Le Monde n’en rassemblait que 3000 et n’a atteint les 8000 signatures qu’au bout d’un an » souligne une greffière à l’origine du texte, fière de son succès. Dans cet « appel des 3 000 », publié en novembre 2021 dans Le Monde et d’ailleurs signé également à l’époque par une centaine de greffiers, les magistrats réagissaient au suicide d’une de leurs jeunes collègues et dénonçaient la perte de sens de leur métier. La tribune-pétition des greffiers dénonce quant à elle le mépris du ministère à l’égard de ses revendications.

Depuis juin, les grèves et autres manifestations de greffiers* éclatent partout dans le pays. Un mouvement parfaitement inédit de la part d’une profession aussi réservée que discrète habituellement. Comme l’avait observé Jean-Jacques Urvoas lorsqu’il était garde des Sceaux « c’est en arrivant Place Vendôme que j’ai découvert que par conscience professionnelle et respect des justiciables, ce qu’ils appelaient « grève » se résumait volontairement à se rassembler sur les marches du palais entre midi et deux heures » (1). Cette fois, la grève a une toute autre dimension, et les greffiers sont entendus, comme en témoigne notamment la mention désormais systématique dans les discours d’installation de magistrats de leur rôle essentiel dans le fonctionnement de la machine judiciaire. Sans eux en effet, l’institution est paralysée (lire à ce sujet notre article).

Toutes les professions progressent, sauf les greffiers

La colère est montée lentement. En 2018, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) ont accédé à la catégorie A. En 2021, le ministre en visite à l’école nationale des greffes a promis le passage en catégorie A. Mais rien n’est venu. En 2022, les magistrats ont reçu une prime de 1000 euros, tandis que les surveillants de prison montaient en catégorie B. Les greffiers, eux, ne voyaient toujours rien venir. Jusqu’à ce qu’enfin on leur propose en juin dernier une revalorisation indiciaire qui avait le double défaut, à leurs yeux, d’être d’un montant dérisoire et de leur coûter des années d’ancienneté. Le tout sur fond de manque d’effectifs, et de conditions de travail fortement dégradées. « Les syndicats étaient prêts à signer ça, c’est là qu’on s’est soulevés » confie une greffière. Lesdits syndicats assurent que non. La Chancellerie a changé son fusil d’épaule entre-temps, mais question salaire, il semble bien que le combat soit provisoirement perdu. Malgré l’opposition de la CGT et de l’UNSA Services judiciaires, le ministère a mis en place une nouvelle grille applicable au 1er novembre prochain. Elle prévoit une revalorisation des salaires mensuels située entre 10 et 22 points (valeur du point 4,92). « Le problème c’est que très peu sont à 22, l’essentiel est à 10 quand nous demandions 25 » confie Hervé Bonglet, secrétaire général de l’UNSA Services judiciaires qui ajoute, « cela représente quand même une enveloppe de 12 millions d’euros ».

Objectif : la catégorie A pour tous 

Le deuxième volet porte sur le statut. Les syndicats réclament d’accéder à la catégorie A de la fonction publique. « Les assistantes sociales sont catégorie A, les infirmières aussi, les personnels pénitentiaires sont B ou A alors qu’ils sont recrutés au niveau brevet des collèges, et nous qui sommes à 70 % bac + 4 ou 5**, on nous conteste ce statut ! ». La réticence à l’origine aurait porté sur le fait que les greffiers ne réunissaient pas les conditions d’accès à cette catégorie : avoir une activité de rédaction, d’encadrement et de formation. « Les greffiers rédigent certaines décisions, par exemple les désistements et les radiations, nous formons sur poste les nouveaux collègues et par ailleurs dans chaque service il y a des postes d’encadrement de greffiers référent et de greffier fonctionnel » souligne la professionnelle. La situation a évolué puisque désormais des négociations sont en cours au ministère avec les organisations syndicales et elles sont même intenses, au rythme de plusieurs réunions par semaine. La volonté politique est donc au rendez-vous. La pression exercée par les grèves et mouvements de protestation, qui échappent à tout contrôle des syndicats, n’y est sans doute pas pour rien.

La crainte d’une scission artificielle du corps

Le 20 septembre dernier, le ministère a proposé le passage en catégorie A classique, plus avantageuse que celle des CPIP initialement envisagée, pour un tiers du corps, soit 3 200 professionnels, sur trois ans. « Nous n’avons pour l’instant rien signé, mais c’est une bonne base de départ. Elle devrait s’accompagner de promotions au sein de la catégorie B et nous avons par ailleurs obtenu un plan de requalification au bénéfice des collègues adjoints administratifs qui font office de greffiers » explique Hervé Bonglet « en tout, ce sont 6000 professionnels qui devraient bénéficier d’une vraie promotion de carrière dans les trois années à venir ». La base ne veut pas de cet accord. Motif ? Il va engendrer la scission du corps, sans aucune justification. Les greffiers veulent accéder automatiquement et sans condition à la catégorie A. « On le comprend d’autant mieux que ça fait 15 ans qu’on le réclame à l’Unsa Services judiciaires, rappelle Hervé Bonglet. Après tout on vient de passer 3 000 CPIP en catégorie A, 35 000 surveillants pénitentiaires en catégorie B, on peut bien accorder la catégorie A à 11 000 greffiers ».

Le problème, c’est que la méfiance s’est installée entre la base et les syndicats, notamment parce que tous ne se battent pas dans le sens voulu par la profession. Interrogé, l’un des pétitionnaires accuse FO et la CGT de ne pas relayer les demandes relatives au statut, pour des raisons de stratégies dans la défense des différentes professions représentées au sein du ministère de la Justice. C’est pourquoi la mobilisation ne retombe pas, au contraire de nouvelles actions sont à l’étude. Surtout, les greffiers ont compris la nécessité de se structurer et envisagent de créer une conférence nationale, comme il en existe déjà pour les directeurs de greffe. Alors que le ministre vient de présenter une augmentation historique du budget de la justice au titre de la loi de programmation et du projet de loi de finances, la majorité des professions de justice reconnaît et salue l’effort accompli. Mais ces progrès interviennent alors que la machine judiciaire est si épuisée que tout semble exploser en même temps. Et l’on sait qu’il faudra du temps pour que les remèdes mis en œuvre agissent…

S’agissant tout particulièrement des greffiers, le ministre de la justice Éric Dupond-Moretti a confirmé publiquement, le 11 octobre, en réponse à une question de la sénatrice LR du Lot-et-Garonne, le contenu des négociations avec les syndicats : « Les axes de discussions sont : revalorisation statutaire des greffiers de catégorie B+, création d’un corps de greffier de catégorie A, plan de requalification pour les agents faisant fonction de greffier. » Reste à savoir si les intéressés, chauffés à blanc, approuveront les résultats de ces discussions.

(1) Olivia Dufour « Justice, une faillite française » Lextenso 2018. Entretien avec l’auteur p. 209.

*La profession compte 1 500 directeurs de greffe, déjà fonctionnaire de catégories A, 11 000 greffiers, environ 7000 personnels et 2000 professionnels divers accompagnant les métiers du greffe.

**Parmi les greffiers recrutés depuis une dizaine d’années environ, auparavant, le niveau de diplôme était inférieur.

 

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