JO de la justice : l’escrime
Duel à fleurets mouchetés, passe d’arme…Il arrive souvent que la chronique judiciaire emprunte au vocabulaire du combat pour évoquer les joutes oratoires dans les prétoires. C’est que les gens de justice bénéficient d’une liberté d’expression à la fois très étendue mais également soumise à des règles strictes, pour que l’on puisse dire tout ce qui est nécessaire à la manifestation de la vérité.
Il y a quelque chose de fascinant dans la liberté d’expression telle qu’elle s’exerce dans une salle d’audience. A l’heure des réseaux sociaux en effet, on est tristement habitué aux débats qui dérapent très vite dans la fureur et l’insulte, aux comptes qui bloquent leurs contradicteurs pour ne plus les entendre, aux attaques en horde de « trolls » pour faire taire une voix qui dérange. Rien de tout cela dans un prétoire. Chacun doit écouter l’autre, jusqu’à l’insupportable, en attendant que vienne son tour de parole qui lui permettra de livrer son analyse et de contredire son adversaire, sous le contrôle du magistrat président l’audience. Si l’émotion y trouve sa place, c’est toujours sous le contrôle serré de la raison.
L’autre logique de la justice spectacle
À l’opposé de cette rigueur dans l’exercice de la liberté d’expression qui en garantit l’étendue quasiment infinie – sous réserve de ne pas déraper dans l’outrage -, le déplacement des débats judiciaires dans les médias engendre des dérapages réguliers de plus en plus spectaculaires. C’est que la logique du spectacle prend le pas sur celle du droit et de la justice. Parfois cependant, un avocat parvient à imposer les règles judiciaires (contradictoire, présomption d’innocence, retenue et mesure…) sur un plateau télévisé. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, le public est plutôt demandeur de cette exigence. L’avocat de la suspecte du meurtre de Lola, Me Alexandre Silva, en avait donné un exemple saisissant lors d’un passage sur BFM TV (lire notre récit ici).
Quand les avocats baissent les armes
Bien sûr, il arrive que surgissent des tensions dans les prétoires et que les principes volent en éclats. On a pu assister ainsi récemment, dans les affaires opposant Les Républicains à leur président Eric Ciotti à des passes d’armes à l’extrême limite de l’urbanité (lire nos article ici et là). Les tensions sont d’autant plus vives que les enjeux sont importants. À l’inverse, il peut arriver que des avocats, adversaires dans un procès, décident de faire cause commune, lorsqu’un principe essentiel est en jeu. Ce fut le cas notamment au procès des attentats de janvier 2015 lorsque la Chancellerie décida, en raison du covid, d’étendre l’usage de la visioconférence aux assises. Cela aurait eu pour effet en l’espèce que le principal accusé, Ali Riza Polat, aurait assisté à la fin de son procès en cellule car il était malade. Fait inédit, tous les avocats des parties civiles se sont levés comme un seul homme pour dire qu’ils ne voulaient pas de cette justice-là. Les avocats de la défense n’avaient plus rien à ajouter quand vint leur tour de parole. Et la cour renonça à faire application de cette mesure.
Référence : AJU456633