Attentats de janvier 2015 : les leçons d’un procès hors normes

Publié le 14/12/2020

Le procès des attentats de janvier 2015 s’est achevé ce lundi 14 décembre. Le verdict est attendu mercredi. Retour sur un moment judiciaire hors normes à tous égards. 

salle des pas perdus du TJ des Batignolles
Salle des pas perdus du TJ des Batignolles où se tient le procès des attentats de janvier 2015 (Photo : ©O. Dufour)

Le procès des attentats de janvier 2015 a débuté le 2 septembre sous le signe du spectaculaire : 14 accusés dont dix dans les box, un comparaissant libre, et trois en fuite,  171 tomes de procédure,  200 parties civiles, 94 avocats, 144 témoins cités….Son organisation fut un défi à tous les niveaux, il préfigure en cela celui des attentats du 13 novembre qui se tiendra au palais de justice de la Cité à partir de septembre prochain pour une durée de plusieurs mois.  Le procès des attentats de janvier 2015 devait s’achever le 10 novembre,  l’irruption de la COVID qui a frappé trois accusés dont un de façon  invalidante – Ali Riza Polat – l’a allongé d’un mois supplémentaire.

Une justice masquée

Dès le premier jour, les contraintes liées à la crise sanitaire ont fait débat. Fallait-il ou non conserver le masque y compris pour les avocats en plaidant ? Un arrangement fut trouvé tard le soir du premier jour de procès entre le bâtonnier de Paris et le premier président de la Cour d’appel : les accusés et les avocats pourraient l’ôter au moment de s’exprimer. Mais dès son annonce le lendemain,  Me Christian Saint-Palais, avocat d’ Amar Ramdani, fit observer que les intéressés n’étaient pas médecins. Un avis de l’autorité de santé lui donna raison quelques jours plus tard. Tout le monde remit le masque. C’est donc un  procès masqué qui s’est tenu. Masqués les accusés dans leurs box, masqués leurs défenseurs, masquée l’accusation et masquée la Cour. Au début cela choque, on a du mal à parler de façon audible, le masque glisse, l’envie est forte de l’arracher, et puis au fil des semaines on a vu que tout le monde avait fini  par s’habituer.  On s’y est si bien habitué que lorsque Romain D, ce jogger qui a pris plusieurs balles dans le corps un soir de janvier 2015, a l’occasion enfin de pouvoir reconnaitre ou non son agresseur dans le box, personnel’a songé à dire à l’intéressé de baisser son masque….La victime est repartie avec ses doutes et ses questions.

Duplex et micros

Ce procès a aussi été celui des questions soulevées par la technique. Deux salles étaient reliées en duplex à la salle d’audience pour accueillir les nombreuses parties civiles et la presse. Finalement une seule s’avéra nécessaire. Il y avait en outre une retransmission pour le public dans l’auditorium du rez-de-chaussée. Le duplex est une indéniable facilité, le son y est souvent meilleur, les témoins filmés de face quand dans la salle on ne les aperçoit que de dos. Mais il a aussi ses travers. Parfois le son ne fonctionne pas. Même quand il est bon, on n’entend les acteurs du procès que s’ils parlent dans les micros, et donc on ne perçoit pas les rumeurs de la salle, les protestations des accusés dans leur box. Par ailleurs,  on ne voit que ce que le réalisateur veut bien montrer.  Impossible par exemple de regarder la réaction d’un accusé aux propos tenus par un témoin à la barre. Pour les avocats « relégués » en duplex, il y a un risque d’inégalité de traitement dès lors qu’on ne leur donne la parole que lorsque tous leurs confrères de la salle principale se sont exprimés. Ce procès a été aussi l’occasion de confirmer certains défauts d’équipement. En particulier le fait que tous les micros des avocats sont à hauteur d’homme assis (pas ceux du parquet) alors que depuis toujours les avocats se lèvent pour parler. Finalement, à force de protestations, ils ont obtenu l’installation de quelques micros de la bonne taille en bout de rangée, côté parties civiles et côté défense.

Les avocats unis contre la visioconférence

Ce procès a été encore celui de l’improbable unité entre tous les avocats de la défense comme de la partie civile, ce fameux lundi 23 novembre où le président de la Cour a proposé d’utiliser la nouvelle faculté offerte par une ordonnance du 18 novembre de poursuivre les débats malgré l’absence du principal accusé atteint par la COVID. Ce jour là, tous les avocats se sont levés comme un seul homme pour dire non à la visioconférence aux assises. Malgré la fatigue générale, malgré les victimes qui avaient hâte qu’on en finisse, malgré les agendas surchargés. La cour les a suivis. Bien lui en a pris. La disposition de l’ordonnance du 18 novembre permettant le recours à la visioconférence aux assises a été suspendue par le Conseil d’Etat le 27 novembre.

Des parties civiles en si grand nombre…

Il a posé aussi la question de la place de la victime quand onze accusés font face à près de 200 parties civiles. « Le sens de ce procès c’est de juger les accusés, mais de là à dire que c’est le seul sens, ce serait un tort. La partie civile vient avec son sens, elle a sa propre dimension » a plaidé Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo le 4 décembre. Ce à quoi Marie Dosé a répondu, lors de sa plaidoirie qui fut aussi la dernière de la défense :

 

 

La dernière audience s’est tenue ce 14 décembre à 16 heures. Les accusés ont tous exprimé leur compassion aux victimes et affirmé leur innocence. Toute la difficulté de ce procès réside dans le fait que les auteurs – les frères Kouachi et Amedy Coulibaly – sont morts. Les accusés dans le box sont poursuivis pour avoir contribué, en fournissant des véhicules, de matériel ou des armes, à la réalisation des attentats. Pour chacun, la cour va devoir décider s’il a bien apporté son concours et si oui, dans quelle mesure l’intéressé était ou non au courant de ce qui se préparait. Autrement dit ces hommes qui vivent tous de trafics et d’escroquerie se sont livrés à leurs méfaits habituels dans l’ignorance de ce qui se préparait ou bien s’ils ont sciemment contribué à la commission des attentats.  Le parquet a requis des peines comprises entre cinq ans et perpétuité.

Le délibéré sera prononcé mercredi 16 décembre à 16 heures.

 

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