Laure Beccuau, première femme nommée au poste de procureur de Paris
Laure Beccuau a été installée dans ses fonctions de procureur de Paris vendredi 15 octobre en présence du garde des sceaux Eric Dupond-Moretti. Elle est la 70e nomination à ce poste et la première femme.
Décrire le parquet de Paris, c’est plonger dans un univers judiciaire marqué par le superlatif. D’abord s’agissant des chiffres : 128 magistrats, 391 fonctionnaires (dont 32 vacances de postes tient à préciser le vice-procureur Jean-Marc Coquentin), 350 000 procédures par an, 15 000 majeurs déférés et 3500 mineurs. Ensuite sur la complexité des compétences : santé, cybercriminalité, terrorisme, délinquance financière….Cet immense navire est depuis ce vendredi 15 octobre sous la direction d’une femme : Laure Beccuau, 61 ans.
Il y a des magistrats qui naviguent au fil de leur carrière entre siège et parquet, non sans faire parfois quelques détours dans l’administration centrale ou les cabinets de ministres. La trajectoire de Laure Beccuau est quant à elle parfaitement rectiligne. De Lille à Bobigny en passant par Versailles, elle est toujours demeurée côté parquet.
La nouvelle procureure de Paris et l’actuel président du tribunal Stéphane Noël se connaissent bien, ils ont déjà exercé ensemble à Créteil. Un « vieux couple » plaisante-t-elle. Lui salue « une grande professionnelle du ministère public ».
« La route est droite, mais la pente est forte »
Est-ce cette spécialisation chez elle qui lui a inspiré des réflexions sur le statut du parquet ? Toujours est-il qu’en prévision des Etats généraux de la justice qui s’ouvrent ce lundi, Stéphane Noël a évoqué lors de son allocution de bienvenue la question de l’unité du corps « le statut du parquet doit progresser soit vers une indépendance renforcée, soit vers une scission , la réflexion devra être menée avec le politique, dans l’intérêt exclusif du justiciable »estime-t-il. Sur ce point, Stéphane Noël semble franchement favorable à l’unité du corps, comme il l’avait exprimé lors de son audition par la commission Bernalicis en janvier 2020 : « ces allers-retours entre le siège et le parquet ne portent pas atteinte à l’indépendance de la magistrature : il faut simplement veiller – et les conditions statutaires sont bien déterminées – que l’on ne passe pas de l’un à l’autre dans la même juridiction, voire dans la même cour, et qu’il n’y ait pas d’ambiguïté en termes d’apparence vis-à-vis du justiciable ». Si l’essentiel du corps est attaché à l’unité, le sujet toutefois fait débat et figurera peut-être au menu des Etats généraux. Stéphane Noël a profité aussi de l’occasion pour souligner les attentes peut-être excessives qui pèsent sur la justice et qui font que « le prétoire a remplacé l’agora ». S’agissant de la charge de travail exceptionnelle qui pèse sur le premier tribunal de France, Stéphane Noël a prévenu sa nouvelle collègue en reprenant le mot fameux de l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin « la route est droite mais la pente est forte ».
Jean-Marc Coquentin, vice-procureur, a rappelé les événements qu’a dû gérer le prédécesseur de Laure Beccuau, Rémy Heitz, illustrant ainsi tout le poids de la charge : l’attentat de Strasbourg le 11 décembre 2018, l’explosion de la rue de Trévise le 12 janvier 2019, l’incendie de la rue Erlanger dans la nuit du 4 au 5 février, l’attentat de Condé-sur-Sarthe le 5 mars, l’incendie de Notre-Dame le 15 avril. Sans oublier le mouvement des gilets jaunes qui a donné lieu chaque samedi à plusieurs centaine de gardes à vue, le record étant d’un millier !
Mais le parquet a aussi avancé sur de nombreux dossiers grâce à la signature de multiples protocoles : avec la ville de Paris pour une meilleure prise en compte des victimes, en particulier des femmes, avec l’APHP pour la possibilité de déposer des plaintes à l’hôpital St Antoine dans les cas de viols, avec le diocèse de Paris sur la dénonciation des abus sexuels, avec le barreau pour la nouvelle charte de la défense pénale, ou encore avec l’éducation nationale s’agissant notamment du signalement des nouveaux phénomènes comme la prostitution des mineurs.
« Sans Iago, Othello aurait-il tué Desdémone ? »
L’exercice du discours d’installation est souvent convenu. Il est vrai qu’il se heurte à l’importante difficulté de devoir parler de fonctions dont par définition on ignore encore l’essentiel. Mais Laure Beccuau a beau ne pas connaitre dans le détail le parquet de Paris, elle maitrise en revanche parfaitement les arcanes de l’organisation du ministère public. D’emblée, elle se positionne en femme de terrain soucieuse d’entendre les citoyens. Elle se dit aussi attentive à la proximité « qui est aussi celle du temps de la réponse pénale ». Il faudra s’attendre également à des innovations car elle a déclaré vouloir faire preuve d’inventivité en particulier pour le traitement du crack à Paris. Son intention est de placer le parquet au coeur de la Cité mais aussi de l’Etat. Car, estime-t-elle, lutter contre le trafic de stupéfiants et la délinquance en bas des immeubles, c’est favoriser la mixité sociale, combattre les atteintes à la probité, c’est défendre la solidarité, lutter contre les bandes est une autre façon de lutter contre le décrochage scolaire. Parmi les combats auxquels elle s’est dite particulièrement attachée figure celui contre l’antisémitisme, le racisme, et l’homophobie. Il en va de même s’agissant de la haine en ligne car « sans Iago, Othello aurait-il tué Desdémone ? ».
De son allocution il est ressorti le portrait d’une femme déterminée à mener sa mission à bien, et à défendre les valeurs de la République, dans le respect du contradictoire et de l’exercice des droits de la défense : »je suis attachée à une défense libre sans laquelle il n’y a pas de grande justice ». Des propos qui ont certainement plu au bâtonnier de Paris, Olivier Cousi présent dans la salle, ainsi qu’à celle qui va lui succéder le 1er janvier, Julie Couturier. Vincent Nioré, futur vice-bâtonnier était également présent. Le tribunal de Paris ne lui a pas infligé le même affront que la cour d’appel qui, lors de l’installation de Remy Heitz au poste de procureur général de Paris le 27 septembre, avait semble-t-il « oublié » de l’inviter. Peu de temps avant Laure Beccuau, Stéphane Noël avait eu lui aussi des mots bienveillants à l’égard du barreau dans son discours. L’atmosphère semble donc à la détente entre la magistrature parisienne et les avocats.
« On ne voit bien qu’avec le coeur », a conclu la nouvelle procureur de Paris, exprimant ainsi sa volonté d’agir avec détermination, certes, mais aussi humanisme.
Référence : AJU248710