Tribunal de Meaux : Le procureur expérimente une justice préventive et résolutive
Lors de la rentrée solennelle du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), le procureur Jean-Baptiste Bladier a insisté sur la nécessité « d’une justice qui sache gérer le risque pour répondre au besoin de paix sociale ». Son parquet expérimente « un parcours d’accompagnement et de lutte contre les conduites addictives » : deux fois par mois, des magistrats reçoivent des personnes poursuivies, en proie à des tourments criminologiques.
L’audience de rentrée au tribunal judiciaire de Meaux, qui s’est tenue le 19 janvier, a été l’occasion d’adresser un satisfecit à l’ensemble des équipes – les juges et les parquetiers – qui ont notamment réussi à gérer le stock des dossiers en correctionnelle (notre compte rendu détaillé le 23 janvier ici). Parmi les améliorations envisagées en 2024, le procureur de la République a annoncé la généralisation de la procédure pénale numérique, la PPN, qui a rencontré des difficultés de mise en place en France.
Bien que regrettant que son parquet soit « bientôt privé de tout procureur adjoint quand il devrait en compter trois » (le dernier part en février), M. Bladier entend relever « le défi structurel du déploiement », dès le mois de mars, de la PPN « pour les COPJ [les convocations par officier de police judiciaire] et les ordonnances pénales » afin de faciliter la relation avec les justiciables et raccourcir le délai de réponses. La dématérialisation, initiée en 2016 avec la création du site https://www.justice.fr/, s’est élargie à partir de 2021 (55 expérimentations), l’objectif étant qu’elle soit effective à 100 % en 2025.
Conscient des écueils soulevés par certains de ses pairs et les syndicats, il s’est toutefois dit déterminé : « Il faudra sans nul doute faire preuve de patience et de volontarisme, mais nous ne consentirons aucun retour en arrière. »
« Que l’on se demande ce qui marche contre la récidive »
Jean-Baptiste Bladier, qui représente l’accusation, s’intéresse cependant à la prévention. À la volonté de gérer les stocks et les flux, « nous devons ajouter l’ambition d’une justice qui sache gérer le risque pour répondre au besoin de paix sociale ». À ses yeux, les réformes normatives ou réflexions débouchent principalement sur le répressif : « La délinquance augmente ? Instituons des peines plancher. La population pénale explose ? Trouvons des [moyens] permettant d’accélérer les sorties. Tel phénomène – usage de stupéfiants, conduite sans permis – paraît ne pas obtenir de réponse assez dissuasive ? Mettons en place des mécanismes de sanction automatique. » Il apprécierait « que l’on se demande ce qui marche pour lutter contre la récidive ou la réitération ». Punir est facile, considère-t-il, « mais parvenir à ce que l’auteur d’un délit n’y revienne pas est beaucoup moins aisé ».
Il cite à ce sujet l’étude de la Chancellerie, publiée le 12 décembre 2023, révélant que, « parmi les sortants de prison en 2016, 60 % d’entre eux ont commis une nouvelle infraction dans les quatre ans qui ont suivi ». S’il ne stigmatise personne – l’échec est selon lui « collectif » –, le procureur veut empêcher, autant que possible, la réitération. Le parquet va « approfondir l’expérimentation de la justice résolutive des problèmes criminologiques initiée par [sa] prédécesseuse sous le nom de parcours d’accompagnement et de lutte contre les conduites addictives ». Des magistrats tiennent tous les quinze jours des rendez-vous avec des personnes ayant été poursuivies pour des faits en lien avec une addiction. Animée par l’association ARILE, la réunion regroupe un intervenant social, un psychologue et un infirmier addictologue. Il espère la présence, « très vite, d’un médecin spécialisé en la matière ».
Il aimerait d’ailleurs, tout en concédant faire « figure de doux rêveur », que son parquet intègre « au moins un professionnel véritablement formé à la criminologie – au sens québécois du terme – pour nous aider dans le discernement de la bonne réponse pénale ».
« Je connais l’émotion qui a étreint la ville le soir de Noël »
En conclusion, et face aux personnalités politiques du département, il n’a pas pu s’exonérer de « quelques mots » sur « les faits » qui se sont produits à Meaux dans la nuit du 24 au 25 décembre 2023 : un homme est suspecté d’avoir tué sa femme et ses quatre jeunes enfants (nos articles des 27 et 28 décembre ici et ici). Si « le mot “drame” n’appartient au vocabulaire d’un procureur dans l’exercice de ses fonctions » et, qu’en audience solennelle, « il est exclu d’évoquer une procédure particulière », Jean-Baptiste Bladier est soucieux de « ne pas renvoyer l’image d’une justice enfermée sur ses certitudes et jetant un regard condescendant sur le monde extérieur ».
« Je connais l’émotion qui a étreint notamment la ville de Meaux, je mesure la soif de justice de nos concitoyens. » Il l’affirme : « L’institution judiciaire travaille dans la sérénité, même quand elle ne le fait pas savoir. En outre, je n’entends pas considérer que ma seule responsabilité soit de m’assurer du traitement irréprochable de cette procédure. Des questions doivent être posées, nos pratiques doivent être interrogées, les institutions concernées doivent accepter l’introspection. Je ne me soustrairai pas à cette exigence. » Il est ici fait référence aux violences intrafamiliales qui, involontairement, passent parfois sous les radars et s’achèvent par une tragédie. « Le travail a commencé, il se poursuivra, notamment sous le regard de votre parquet général, Madame », a-t-il complété à l’adresse de la procureure générale, Marie-Suzanne Le Quéau, présente à la cérémonie.
Référence : AJU416713