Confiance dans l’institution judiciaire : quelles nouveautés en matière de liberté de communication ?

Publié le 06/01/2022

Diverses dispositions des projets de la loi organique n° 2021-1728, du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l’institution judiciaire, et de la loi n° 2021-1729, du même jour, ayant le même objet, étaient susceptibles d’avoir un impact sur la liberté de communication et particulièrement sur les conditions d’enregistrement et de diffusion des audiences des juridictions. L’application très encadrée qui pourra être faite des lois promulguées justifiera-t-elle les attentes ou les inquiétudes manifestées à cet égard ? L’éclairage d’Emmanuel Derieux, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) et auteur de Droit des médias. Droit français, européen et international.

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Photo : ©AdobeStock/Microgen

La loi n° 2021-1729, du 22 décembre 2021, dite « pour la confiance dans l’institution judiciaire », comporte, parmi d’autres éléments relatifs au « déroulement des procédures pénales », au « service public pénitentiaire », à la « simplification des procédures pénales », et à la « confiance du public dans l’action des professionnels du droit », diverses dispositions partielles éparses (modifiant la loi du 29 juillet 1881, le Code de procédure pénale, le Code pénal) relatives à la liberté de communication. En pratique, celle-ci s’en trouvera-t-elle véritablement confortée à l’égard de l’enregistrement audiovisuel des audiences des juridictions et, plus accessoirement, des procès en diffamation et du secret de l’enquête et de l’instruction ?

Enregistrement audiovisuel des audiences

 L’enregistrement audiovisuel des audiences des juridictions constitue un des aspects du projet de loi qui a le plus retenu l’attention et a préalablement été le plus débattu (« Faut-il téléviser les procès ? », Actu-Juridique.fr, 3 janvier 2020 ; « Vers une justice de télé-réalité ? », Actu-Juridique.fr, 7 octobre 2020 ; « Filmer les procès ? Gare aux risques d’une télévision justicière », Actu-Juridique.fr, 21 avril 2021). Sont désormais nouvellement déterminées les conditions de l’enregistrement, celles de la diffusion, et les peines encourues en violation de ces dispositions dont « les modalités d’application » devront encore être « précisées par décret ».

Conditions de l’enregistrement

L’adoption des dispositions nouvelles relatives à l’enregistrement audiovisuel des audiences des juridictions laisse subsister celles de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 aux termes duquel, par principe : « dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit […] Toutefois, sur demande présentée avant l’audience, le président peut autoriser des prises de vues quand les débats ne sont pas commencés et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent ».

Persistent également les dispositions dérogatoires des articles L. 221-1 et suivants du Code du patrimoine concernant la constitution d’archives audiovisuelles de la justice. Sans doute sont-elles largement privées d’intérêt ou d’utilité, dans leurs spécificités, par la loi de décembre 2021, de portée plus générale.

Par cette nouvelle loi, est introduit, dans la loi de 1881, un article 38 quater selon lequel, « par dérogation au premier alinéa de l’article 38 ter, l’enregistrement sonore ou audiovisuel d’une audience peut être autorisé, pour un motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique, en vue de sa diffusion ». Avec l’une ou l’autre de ces raisons, ne peut-on pas ainsi toujours motiver et justifier un tel enregistrement ?

Il est posé que « l’autorisation est délivrée, après avis du ministre de la justice », par les présidents de chacune des plus hautes juridictions, et « par le premier président de la cour d’appel concernant les cours d’appel et les juridictions de l’ordre judiciaire de leur ressort ».

« L’accord préalable » des parties ou de leurs représentants légaux est exigé « lorsque l’audience n’est pas publique », ou s’agissant de majeurs protégés et de mineurs.

Précision est encore apportée que « les modalités de l’enregistrement » ne doivent porter « atteinte ni au bon déroulement de la procédure et des débats, ni au libre exercice de leurs droits par les parties et les personnes enregistrées, dont la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client », et que « le magistrat chargé de la police de l’audience peut, à tout moment, suspendre ou arrêter l’enregistrement ».

Des dispositions spécifiques, mais sans doute assez inutiles parce que répétitives des règles ci-dessus énoncées, régissent l’enregistrement des « audiences intervenant au cours d’une enquête ou d’une instruction ».

Il est à noter que, à l’égard des dispositions de la loi organique pour la confiance dans l’institution judiciaire, « relatives à l’enregistrement et à la diffusion des audiences devant la Cour de Justice de la République », le Conseil constitutionnel a considéré que, bien qu’il soit posé qu’y seraient applicables « les règles et les sanctions fixées à l’article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 », en prévoyant qu’un tel enregistrement « est ‘de droit’, sans déterminer précisément les conditions et modalités de cet enregistrement, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence et privé de garanties légales les exigences découlant des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789 » (respect de la vie privée et présomption d’innocence). La différence tenait ici au fait que l’enregistrement aurait été « de droit », alors que, pour toutes les autres juridictions, il est subordonné à autorisation de leurs présidents, « après avis du ministre de la justice ». En conséquence, l’article visé a été déclaré contraire à la Constitution et n’a pas pu être promulgué.

Conditions de la diffusion

Indépendamment de ce que prévoient, de manière désormais sans doute assez inutile et dépassée, les articles L. 222-1 et suivants du Code du patrimoine, à l’égard de la « communication et reproduction » des archives audiovisuelles de la justice, le nouvel article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 détermine les conditions de diffusion des enregistrements audiovisuels réalisés.

Il y est posé que « la diffusion intégrale ou partielle de l’enregistrement n’est possible qu’après que l’affaire a été définitivement jugée ». Contrairement au souhait exprimé par certains, cela ne correspond évidemment pas au rythme des médias et de l’information d’actualité. Il est ajouté que, « en cas de révision d’un procès […] la diffusion de l’enregistrement peut être suspendue ».

S’agissant des « audiences publiques devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation », il est prévu que, « après recueil de l’avis des parties », elles peuvent être diffusées, non pas en direct cependant, mais, en différé, « le jour même, sur décision de l’autorité compétente au sein de la juridiction » et « dans des conditions fixées par décret » dont la rédaction est attendue. S’agissant d’un arrêt de cassation avec renvoi, il ne peut pas alors être considéré que « l’affaire a été définitivement jugée ». Aux termes de la disposition précédente, cela empêche la diffusion de l’audience !

Il est indiqué que la diffusion doit être « réalisée dans des conditions ne portant atteinte ni à la sécurité, ni au respect de la vie privée des personnes enregistrées, ni au respect de la présomption d’innocence ». Il ne peut être question de cette dernière dès lors que « l’affaire a été définitivement jugée » !

Il est ajouté que « cette diffusion est accompagnée d’éléments de description de l’audience et d’explications pédagogiques et accessibles sur le fonctionnement de la justice ». Les médias d’information générale en auront-ils la compétence et les moyens ? Est-ce ce que le public y cherchera ?

Diverses restrictions sont apportées à la liberté de diffusion, en considération du risque d’atteinte aux droits des individus. Il est en effet posé que « l’image et les autres éléments d’identification des personnes enregistrées ne peuvent être diffusés qu’avec leur consentement », tandis que « l’image et les autres éléments d’identification des mineurs ou des majeurs » protégés « ne peuvent, en aucun cas, être diffusés ». Il est encore ajouté que, au nom d’une sorte de droit à l’oubli, « aucun élément d’identification des personnes enregistrées ne peut être diffusé cinq ans après la première diffusion de l’enregistrement ou dix ans après l’autorisation d’enregistrement ». Comment une telle diffusion pourra-t-elle alors être réalisée ? De telles dispositions sont-elles compatibles avec celles du Code du patrimoine relatives aux archives audiovisuelles de la justice qui, à l’inverse, n’en permettent la diffusion qu’après l’expiration d’un plus long délai ?

Sanction de la violation

Alors que l’article 38 ter de la loi de 1881, modifié par la présente loi, et l’article 308 du Code de procédure pénale sanctionnent, chacun à sa manière, « l’emploi », dès l’ouverture de l’audience des juridictions, « de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image », le nouvel article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 réprime seulement la diffusion faite en violation de certaines au moins des dispositions précédemment évoquées, et non les enregistrements réalisés.

L’article 48 de la loi du 29 juillet 1881 détermine la ou les personnes qui peuvent être à l’initiative de l’action en justice, s’agissant des infractions que cette même loi détermine. Une mention y est nouvellement introduite de l’article 38 quater, prévoyant que « la poursuite pourra être exercée à la requête de la partie lésée ».

Procès en diffamation

Bien que figurant sous l’intitulé des « dispositions relatives à l’enregistrement et à la diffusion des audiences », certaines règles nouvelles concernent les procès en diffamation, sujet distinct, et particulièrement le moyen de défense que constitue la preuve de la vérité du fait diffamatoire, ainsi que les comptes rendus desdits procès par les médias.

Preuve de la vérité du fait diffamatoire

L’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 fait de la preuve de la « vérité du fait diffamatoire » un moyen de défense de la personne poursuivie pour diffamation.

Suite aux décisions du Conseil constitutionnel des 20 mai 2011 et 7 juin 2013, déclarant que n’étaient pas conformes à la Constitution les dispositions dudit article 35 qui interdisaient de faire l’apport d’une telle preuve s’agissant de faits remontant plus de dix ans ou constituant une infraction amnistiée ou prescrite, la nouvelle loi procède à la clarification de la rédaction de la disposition en cause. Cette interdiction ne subsiste que « lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne ».

En pratique, bien plus que l’apport de la preuve de la vérité du fait diffamatoire, c’est, aujourd’hui, l’argument de la bonne foi qui est, bien plus facilement, invoqué et retenu par la justice pour permettre au prévenu d’échapper à la condamnation.

Comptes rendus de procès en diffamation

La rédaction de l’article 39 de la loi de 1881, relatif à l’interdiction de « rendre compte des procès en diffamation », est adaptée au seul cas (« lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne ») où il est interdit de faire l’apport de la preuve de la vérité du fait diffamatoire. Dérogation y est même nouvellement posée « lorsque les parties ont donné leur accord ».

 Secret de l’enquête et de l’instruction

 Enonçant le principe du secret de l’enquête et de l’instruction, l’article 11 du Code de procédure pénale est modifié, par la loi nouvelle, dans la possibilité qu’il offre cependant, au procureur de la République de communiquer sur une affaire, ainsi que dans la référence faite aux moyens de sanction des faits de violation.

Intervention du Procureur de la République

A la possibilité, pour le Procureur de la République, de s’exprimer publiquement sur une affaire en cours d’enquête ou d’instruction, « afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexacte ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public », la loi de décembre 2021 ajoute le cas où « tout autre impératif d’ordre public le justifie », et le fait qu’il puisse intervenir ainsi « directement ou par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire agissant avec son accord et sous son contrôle ».

Sanction de la violation du secret

La disposition du même article 11 du Code de procédure pénale, qui sanctionnait la violation dudit secret par renvoi aux articles 226-13 et 226-14 du Code pénal réprimant les faits d’« atteinte au secret professionnel », est remplacée par le renvoi qui est désormais fait à l’article 434-7-2 du même Code relatif aux « entraves à l’exercice de la justice ».

Celui-ci est complété pour y introduire un nouvel alinéa qui, de manière plus sévère, pose que, « sans préjudice des droits de la défense reconnus à la personne suspectée ou poursuivie ou des droits des victimes, le fait, pour toute personne qui, en raison de ses fonctions, a connaissance, en application du Code de procédure pénale, d’informations issues d’une enquête ou d’une instruction en cours concernant un crime ou un délit, de révéler sciemment ces informations à des tiers est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende »

Les pratiques judiciaires et médiatiques à venir montreront ce qui, dans ce nouveau cadre légal, pourra véritablement être réalisé, au nom de « la confiance dans l’institution judiciaire », comme des garanties et des limites de la liberté de communication, s’agissant notamment des enregistrements audiovisuels de procès. D’un de ces objectifs ou points de vue, comme de l’autre, était-il justifié de s’en satisfaire ou de s’en inquiéter d’avance ?