MARD et nouvelles technologies, quelles relations ?

Publié le 07/09/2018

Les modes amiables de règlement des différends, comme les nouvelles technologies, sont aujourd’hui sous le feu des projecteurs. Présentés ensemble ou séparément, ils apparaissent comme des remèdes aux maux de la justice. Ils ne font même qu’un dans le cadre des différentes plates-formes de e-règlement amiable. Pour autant, si les nouvelles technologies peuvent apparaître comme un facteur de développement des MARD, leur portée en matière de MARD connaît des limites tant l’intervention humaine reste primordiale en matière de médiation notamment.

Les MARD et les nouvelles technologies ont un point commun d’actualité, qui justifie de les appréhender ensemble ; les deux sont présentés comme des remèdes aux maux de la justice. Parmi ces maux les plus souvent dénoncés on peut citer la lenteur, mal que l’on lie généralement au manque de moyens conjugué à l’augmentation du contentieux, de telle sorte que les juridictions sont encombrées pour ne pas dire engorgées. On peut encore citer la complexité. La complexité liée à l’enchevêtrement des juridictions et à l’inflation législative, laquelle conduit à un manque de prévisibilité des décisions de justice. On peut encore citer, sans doute en lien avec les inconvénients précédents, l’impression pour les justiciables d’être dépossédés de leur litige et de ne pas être effectivement entendus par l’institution, ce qui renvoie à une impression de non-respect des droits de la défense. Enfin, le dernier grief le plus souvent cité est le coût des procès et la difficulté ab initio d’évaluer ce coût, ce dernier étant évolutif en fonction de l’évolution de la procédure et devenant exponentiel avec l’introduction des recours. On pourrait encore faire état d’une inquiétude quant à l’exécution des décisions de justice, la plupart des justiciables n’étant pas au bout de leur marathon judiciaire avec le rendu d’une décision qui ne sera pas toujours spontanément suivie d’effet, notamment en matière familiale. Face à cette problématique multi forme, les modes amiables de règlement des différends, tout comme les nouvelles technologies, sont souvent convoqués comme remèdes potentiels à ces difficultés et pourrait permettre de contrebalancer les effets de la managérialisation de la justice1 en ne réduisant pas son accessibilité. Force est de constater que, depuis quelques années, les MARD ont le vent en poupe sous l’impulsion du législateur qui a favorisé le développement de la conciliation, y compris en l’imposant dans certaines circonstances, rendu obligatoire la médiation dans certains cas et créé, avant d’en étendre le champ d’application, la convention de procédure participative sans préjudice des avocats qui pratiquent le droit collaboratif. Au-delà des seuls mots qui donnent à penser qu’il existerait une différence fondamentale entre les outils existants, les MARD ont de nombreux points communs. Que la médiation et la conciliation soient judiciaires ou conventionnelles, elles partagent avec la convention de procédure participative la caractéristique d’être alternatives à la justice étatique et d’être amiables. Ce dernier caractère implique que le litige connaîtra une solution non juridictionnelle et ne sera pas, sauf à ce que le processus échoue, soumis à la justice étatique. Tous les outils ont pour points communs que ce sont les parties qui trouvent ensemble, avec l’aide d’un tiers conciliateur ou médiateur, ou de leurs avocats dans le cadre de la convention de procédure participative, la solution à leur différend. De ce point de vue, les MARD peuvent avoir l’effet escompté du législateur de détourner une partie des flux d’affaires du prétoire. Toutefois, sur ce point, il ne faut pas espérer de diminution majeure du contentieux judiciaire à court terme, dans la mesure où il arrive souvent que le recours aux MARD soit ordonné par le juge ou intervienne même à l’initiative des parties en cours d’instance.

Le développement des nouvelles technologies au service de la justice est tout autant que les MARD une préoccupation d’aujourd’hui2. On leur prête de nombreuses vertus. Elles pourraient favoriser l’accès à la justice en faisant évoluer la répartition de l’offre de justice en permettant qu’une partie des comparutions puisse être organisée par visioconférence. Elles seraient encore favorables à l’équité du procès en favorisant sa publicité. L’Open Data permettrait d’améliorer la prévisibilité des décisions de justice par le traitement de grandes masses de données. D’aucuns envisagent encore que la formulation des demandes, la production des preuves et des mémoires pourraient être traitées et même, éventuellement, le jugement rendu et exécuté en ligne. On pourrait encore créer des juridictions numériques délocalisées. La dématérialisation de nombreux actes et échanges est d’ores et déjà une réalité qui permet de simplifier et d’accélérer la communication entre les avocats et avec les greffes. Ainsi présentés, les MARD comme les nouvelles technologies apparaissent comme des remèdes aux différentes difficultés de la justice et aspirations des justiciables qui réclament une justice plus proche et plus facilement accessible, une justice qui ne postule pas nécessairement le juge. On pourrait penser que le rapprochement des nouvelles technologies et des MARD en multiplierait les effets et que les unes pourraient entraîner un développement exponentiel des autres. Pour autant, la réalité est plus complexe. De la même manière que les MARD contribuent à l’accès à la justice en proposant des alternatives au procès, les nouvelles technologies peuvent contribuer au développement des MARD (I) mais leur influence connaît des limites (II).

I – Les nouvelles technologies facteurs de développement des MARD

Le développement des modes amiables de règlement des différends postule deux éléments essentiels : d’abord que les justiciables les connaissent (A) et ensuite qu’il existe des mécanismes incitatifs pour y recourir (B). Les nouvelles technologies peuvent influer sur ces deux aspects.

A – Le développement de l’information sur les MARD

Une grande majorité des Français considère qu’il n’est pas nécessaire d’aller directement devant le juge pour certaines des affaires civiles3 et pourtant le recours effectif aux solutions alternatives au juge est toujours proportionnellement plus faible. Dans le cadre des travaux sur la justice du XXIe siècle, différents rapports ont abordé la question des modes alternatifs de règlement des différends et souligné la nécessité de les développer4. Le législateur a bien compris l’enjeu et les récentes réformes vont dans ce sens5. Pour autant, le développement effectif et quantitatif du recours aux modes amiables reste des plus limités. Le constat est fait que les alternatives au juge existent et pour certaines, depuis déjà bien longtemps mais qu’elles restent parfois confidentielles pour le justiciable6. La préoccupation de la diffusion de l’information sur les MARD n’est pas nouvelle. Déjà, la directive de 2008 sur certains aspects en matière de médiation civile et commerciale7 retenait en son article 9 que « les États membres encouragent, par tout moyen qu’ils jugent approprié, la mise à la disposition du public, notamment sur internet, d’informations sur la manière de contacter les médiateurs et les organismes fournissant des services de médiation ». Le rapport de l’inspection générale des services judiciaires de 20158 mettait lui aussi l’accent sur la nécessité du développement de l’information sur les MARD et, à l’heure actuelle, personne ne doute qu’internet soit un moyen efficace de toucher le plus grand nombre. Ce rapport, dans les solutions qu’il préconise, vise notamment le lancement de campagnes de communication autour des MARD. Il faut en effet rendre les MARD plus attractifs pour le justiciable et à cette fin, il est nécessaire de renforcer l’information des justiciable mais aussi l’orientation de leur contentieux. En effet, les MARD ne doivent pas être compris comme un processus de déjudiciarisation mais davantage comme des outils parajudiciaires. Les modes amiables existent au côté du juge. Tous les contentieux n’ont pas vocation à être traités par un processus amiable de la même manière que tous les contentieux ne gagnent pas à être traité par un juge. Il existe pour chaque litige en fonction de ses caractéristiques, de la personnalité des plaideurs un mode optimal de résorption de la difficulté. La détermination de cette voie optimale suppose un travail d’orientation du justiciable, orientation qui doit se faire à deux niveaux. Au moment où le justiciable envisage une action contentieuse, il est possible en fonction des éléments du différend et de la psychologie du demandeur de proposer une première orientation entre la voie contentieuse et la voie amiable. Lorsque la voie amiable ne semble pas devoir être envisagée prima facie, cela ne signifie pas qu’elle est fermée. Les magistrats et les avocats font en effet très souvent le constat qu’à l’origine du litige, le demandeur notamment, n’est pas en situation psychologique d’entendre la proposition de règlement amiable, position qui peut évoluer après des échanges de conclusions et de pièces. Le législateur l’a bien compris et ce, depuis longtemps, en indiquant parmi les principes directeurs du procès civil, qu’il entre dans la mission du juge de concilier les parties9 et en mettant en place la conciliation10 et la médiation judiciaire11, c’est-à-dire ordonnée par le juge une fois celui-ci saisi. Désormais, la convention de procédure participative est elle aussi ouverte une fois le litige engagé12. En revanche, lorsque la voie amiable semble devoir être privilégiée encore faut-il orienter le justiciable entre les différents outils existants en fonction des caractéristiques du différend. Il existe en effet trois modes amiables prévus par le Code de procédure civile, la médiation conventionnelle13, la conciliation conventionnelle14 et la convention de procédure participative15. Chacun de ces outils n’est pas efficace de la même manière pour tous les litiges et à chaque type de litige correspond un mode amiable plus adéquat que les autres16. Cette opération d’orientation peut évidemment se faire par une personne physique notamment dans le cadre des CDAD mais il est envisageable qu’elle se fasse par l’utilisation d’algorithmes après que le justiciable ait répondu à quelques questions sur une plate-forme dédiée à l’information et à l’orientation. Il ne fait pas de doute que dans leur fonction de diffusion de l’information, les nouvelles technologies soient favorables au développement des MARD pour peu qu’elles ne noient pas le destinataire sous une avalanche d’informations ou de services non hiérarchisés dans lequel le justiciable se perdra. Mais les nouvelles technologies ne sont pas seulement des vecteurs de l’existant et peuvent elles-même être des instruments de développement des MARD notamment par le biais de ce que l’on appelle la justice prédictive.

B – L’incitation au recours au MARD grâce à la justice prédictive

Avant même de montrer les interactions a priori peu évidentes entre justice prédictive et développement des MARD, il convient de préciser les contours de ce que l’on appelle la justice prédictive17. On peut définir la justice prédictive comme un « ensemble d’instruments développés grâce à l’analyse de grandes masses de données de justice qui proposent, notamment à partir d’un calcul de probabilités, de prévoir autant qu’il est possible l’issue d’un litige »18. Sur cette seule définition on peut d’ores et déjà observer que le terme de « prédictive » est discutable et qu’il est d’ailleurs discuté19. Plus que de prévoir l’issue d’une procédure, il s’agit de probabilité et de prévisibilité. La justice prédictive établit en effet des corrélations et non des causalités. C’est un fait et non une règle20. En matière de justice dite prédictive, il s’agit d’analyser une masse importante de décisions passées pour en déduire la solution future dans des situations analogues. Il ne s’agit pas ici de faire le procès des legaltech qui entendent s’emparer de la question pour vendre leurs produits mais de déterminer dans quelle mesure la justice prédictive peut influer sur le développement des MARD. Il est bien évident que les accords obtenus lors d’un réglement amiable ne sont pas soumis à publicité et que l’absence de droit comme fondement aux accords où chaque solution est personnalisée et contingente rend les MARD rebelles à toute prévisibilité. Ce n’est pas sur ce terrain qu’il faut chercher l’apport de la justice prédictive pour l’amiable. Son influence sera trouvée sur le terrain qui est le sien, à savoir déterminer des probabilités de chances de succès d’une action que l’on envisage. De ce point de vue, la justice prédictive peut agir comme une prévention du contentieux en matière civile21, d’où la proposition n° 47 de « favoriser et encadrer le développement des outils de “justice prédictive” pour prévenir le contentieux en matière civile ». Il serait inacceptable que le développement de la justice prédictive ne serve qu’à décourager les justiciables d’accéder à la justice et ce d’autant plus que cela frapperait par définition les plus vulnérables, ceux dont la faiblesse des moyens les ferait hésiter à saisir le juge sans certitude de succès. Dans cette perspective, il est d’autant plus important de proposer une autre forme de justice, alternative au juge judiciaire, ce que sont les modes amiables de règlement des différends22. L’accès à la justice ne se réduit pas aujourd’hui à l’accès au juge23. Les potentialités de la relation entre MARD et justice prédictive sont nombreuses et simples à appréhender. Une victime placée face à une offre transactionnelle de son assureur pourrait évaluer le montant qu’elle serait susceptible d’obtenir en justice afin de se déterminer à accepter ou non l’offre qui lui est faite24. Cela n’a pas échappé aux professionnels qui voient dans le résultat de ces algorithmes un moyen d’inciter les justiciables à négocier des accords amiables sur la base d’éléments chiffrés reflétant l’issue prévisible de leur litige25. Une fois dérivées de la justice étatique, les parties encouragées à la voie amiable éviteront les difficultés liées à la longueur, au coût, et peut-on encore le dire, l’imprévisibilité du résultat du procès26 ainsi que, surtout, la rigidité d’une solution motivée en droit. Cet effet incitatif à la négociation sur la base d’informations dont il est nécessaire qu’elles soient partagées par les parties27 est validé par la théorie des jeux. Les professionnels et notamment les huissiers de justice l’ont bien compris lorsqu’ils retiennent à propos de la justice prédictive qu’elle donnera des éléments très intéressants à leurs médiateurs de leur plate-forme medicys.fr pour faire aboutir leur médiation et qu’elle « orientera très fortement la proposition finale faite par le médiateur »28. On peut sur ce dernier aspect ne pas partager la proposition. En effet, autant il est certain que le fait de « savoir » ce que va probablement décider le juge peut avoir une influence sur le choix d’un mode amiable autant selon nous, la méthodologie du processus de médiation, sa philosophie même fait obstacle à ce que le médiateur propose une solution, encore moins à ce qu’il oriente cette solution. On touche la précisément aux limites de ce que peut faire la technique en termes de MARD.

II – Les limites des nouvelles technologies en matière de MARD

Les nouvelles technologies semblent être devenues des outils importants permettant la mise en œuvre de modes alternatifs de règlement des différends mais il apparaît à l’analyse que cette apparence est trompeuse (A) tant la place du facteur humain est importante en matière de MARD (B)

A – Une illusion trompeuse

L’importance quantitative des initiatives numériques pour faciliter le règlement amiable des différends, n’est pas une illusion mais bel et bien une réalité observée par les auteurs du rapport Transformation numérique lesquels « ont constaté une très grande profusion d’initiatives privées liées au règlement des litiges sur la base de plates-formes digitales. Ils ont été saisis par beaucoup de structures (professionnels du droit, éditeurs, sociétés plus ou moins grandes, legaltech…) qui rivalisent d’imagination pour proposer des plates-formes et des solutions techniques »29. Concernant cette somme d’initiatives dont il faut bien constater qu’elle ne concerne guère que la médiation laquelle n’étant qu’un des outils composant les MARD, l’analyse doit se faire à deux niveaux. S’agit-il de solutions purement digitales ? Le développement de ces outils permet-il réellement un règlement satisfaisant de tous les différends ? Les plates-formes de médiation se développent rapidement, le plus souvent en dehors de toute intervention des professions réglementées. Le mouvement est réel mais ne concerne pas de la même manière tous les types de litiges et une analyse fine des plates-formes de e-règlement amiable des différends fait apparaître que la dématérialisation est à géométrie variable30. C’est d’abord pour les litiges de consommation du e-commerce que l’Union européenne31 a encouragé la mise en place de telles plates-formes principalement en raison du faible montant des enjeux et de la distance entre les acteurs du litige. Elle a d’ailleurs ouvert sa propre plate-forme de médiation pour les litiges de consommation en 2016 notamment pour les achats en ligne. Dans le cadre de cette plate-forme, la dématérialisation est limitée au dépôt de la demande et des pièces en ligne. La plainte est ensuite transmise au défendeur professionnel qui accepte ou non le règlement amiable32. En cas d’acceptation, les parties doivent se mettre d’accord sur le choix d’une entité de règlement extrajudiciaire des litiges qui sera une personne physique et qui utilisera la procédure en ligne ou non. La dématérialisation peut aller au-delà du dépôt de la demande sans toutefois que le processus soit totalement dématérialisé, il s’agit alors de solution hybrides mêlant présentiel et échanges à distance. C’est de cette manière que fonctionne la plate-forme medicys mise en place par la chambre nationale des huissiers de justice33. Selon la formule d’Hervé Croze, il ne s’agirait plus de « MARC mais de MARCEL », mode alternatif de règlement des conflits en ligne34. La phase ultime de la dématérialisation serait l’intervention d’un médiateur numérique faisant disparaître de la négociation toute personne physique et ce, grâce à un algorithme faisant des propositions de solutions en fonction des éléments renseignés par les parties35. Sur ce dernier point, la direction des affaires civiles et du sceaux travaille à une réglementation dans le cadre de la loi de programmation sur la justice qui imposerait une présence physique. C’est ainsi que, dans sa dernière version présentée au conseil des ministres et transmise au Sénat, l’article 3 du projet de loi précise que les plates-formes devront informer l’usager de l’utilisation d’un algorithme et qu’elles ne pourront pas proposer une solution résultant exclusivement d’un traitement automatisé puisqu’un conciliateur, médiateur ou arbitre devra nécessairement intervenir36. Cette orientation semble bien montrer l’irréductible importance du facteur humain dans les MARD pour lesquels les nouvelles technologies ne peuvent être qu’un outil facilitateur mais difficilement un outil acteur autonome de règlement amiable. Il est en effet essentiel de concevoir la médiation non simplement comme un facteur d’allègement des tâches des personnels judiciaires mais comme un élément de confiance des citoyens dans la justice, parce qu’utilisée à bon escient elle correspond aux attentes et besoins des justiciables.

B – L’importance du facteur humain

Il est aujourd’hui acquis, et c’est particulièrement vrai en matière de litiges de consommation, que les MARD sont un des éléments d’amélioration de l’accès à la justice dans la mesure où, dans les « petits litiges », il existerait une disproportion entre l’enjeu économique de l’affaire et le coût de son règlement judiciaire, d’où l’importance de promouvoir une alternative au juge. Attention toutefois au raccourci trop rapide entre « petite somme égale petit litige »37. Certains litiges avec des demandes chiffrées moindres, ou même ne comportant pas de demandes de sommes d’argent, revêtent une importance considérable pour les parties. Attention encore à ce que le recours au MARD ne permette pas l’accès à une justice au rabais ou ne conduisent à une restriction de l’accès au juge. Ce dernier doit toujours être garanti en cas de non-volonté de recourir à un processus amiable ou en cas d’échec de celui-ci38. Il convient donc tout à la fois de développer les MARD pour faciliter l’accès à la justice et de développer des MARD de qualité, de telle sorte que les droits fondamentaux des justiciables ne soient pas en péril. De ces deux points de vue, la proportion d’homme et de technologie doit être évaluée, l’une ne pouvant exclure totalement l’autre en vue d’atteindre les objectifs précédemment définis. Le numérique est généralement considéré comme abolissant les distances ce qui peut être un facteur d’accès à la justice notamment après la réforme de la carte judiciaire qui éloigne davantage certains justiciables des palais de justice. Pour autant, il faut être vigilant et prendre garde à ne pas mettre en place une fracture numérique envers ceux qui ne maîtrisent pas l’outil informatique ou qui géographiquement sont dans des zones non couvertes par les réseaux. La Cour de justice de l’Union européenne a considéré qu’on ne pouvait proposer des voies d’accès à la justice uniquement électroniques au risque de voir l’exercice des droits rendu pratiquement impossible pour certains justiciables39. Déjà sur ce point, tout est question d’équilibre entre l’homme et la machine. Un autre homme est encore indispensable, le juge. Lui seul en effet sera en mesure de vérifier qu’une clause imposant un règlement amiable ne constitue pas une manœuvre dilatoire imposée à un cocontractant par la partie la plus forte40. Au-delà de cet aspect important, force est de constater que la legaltech se développe avec des systèmes de contrôle limité et que les offres notamment en matière d’amiable sont le fait d’opérateurs privés alors même que dans les propositions du rapport Chantier de la justice : amélioration et simplification de la procédure civile41 figure celle de « développer le recours aux MARD par de nouvelles mesures incitatives et envisager la césure du procès ». Il s’agirait alors de « l’instauration d’une césure du procès civil, permettant au juge de ne statuer que sur les questions de principe et de renvoyer les parties vers la médiation, la conciliation ou la procédure participative pour convenir des mesures qui en découlent, qu’elles soient de réparation ou d’indemnisation »42. Ce rôle de l’amiable tout entier intégré dans le processus judiciaire ne saurait s’accommoder de l’absence d’homme. D’une part, parce qu’il importe que les initiatives privées qui sont encouragées43, un service public de l’amiable n’étant pas envisagé, soient encadrées et permettent de s’assurer de ce que ceux qui interviendront dans le processus amiable présentent des qualités « d’impartialité de compétence et de diligence »44, ce qui se traduira par la nécessité d’obtenir une certification délivrée par un organisme accrédité45. D’autre part, les liens intellectuels avec la procédure judiciaire et la maîtrise du fond du dossier permettront difficilement ou alors dans des hypothèses marginales parce que simplement chiffrées, le traitement algorithmique du processus amiable. Le projet de loi de programmation l’envisage toutefois, en précisant qu’en ce cas il devra y avoir « une mention explicite en informant l’intéressé qui doit expressément y consentir ». On ne peut que souscrire à cette dernière exigence à l’instar de M. Payan et souhaiter « que toutes les garanties soient prévues à commencer par une information facilement accessible et complète des intéressés »46. Enfin, il faut prendre garde que le développement des MARD numériques ne se fasse pas au détriment des droits des parties, que les libertés des personnes soient garanties et que le règlement amiable soit équitable et sécurisé et qu’il se déroule dans la confidentialité et le respect d’une durée raisonnable. Une plate-forme qui fonctionnerait sans contrôle des autorités publiques ou professionnelles ne garantirait pas que les parties aient été informées de la portée des accords qu’ils pourraient accepter en ligne47. Le souci de mettre les nouvelles technologies au service du procès équitable n’est pas nouveau48 mais il est plus que jamais d’une brûlante actualité. Il faut encore être vigilant à ce que les MARD ne perdent pas leur âme au prisme des nouvelles technologies. Un médiateur dûment formé aurait sans doute du mal à reconnaître la roue de Futak et le processus de médiation proche de la maïeutique dans ce qui n’est souvent en réalité qu’une forme de négociation, bien éloignée de la notion de médiation ou même de conciliation au sens strict du terme. Sur le terrain des relations de la justice et du numérique nous retiendrons qu’il ne faut pas confondre vitesse et précipitation au risque de se heurter à de cruelle désillusions49 notamment en termes d’accessibilité effective pour les justiciables.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Commaille J. et Hurel B., « La réforme de la justice française, un enjeu entre instrumentalisation et démocratie », Dr. sociétés 2011, comm. 391.
  • 2.
    « Justice : faites entrer le numérique », Rapport de l’institut Montaigne, nov. 2017.
  • 3.
    http://www.justice.gouv.fr/art_pix/1_infostat125_20140122.pdf.
  • 4.
    Delmas-Goyon P., Le juge du XXIe siècle, 2013, La documentation française, p. 54 à 68 ; Marshall D., Les juridictions du XXIe siècle, 2013, La documentation française, p. 15 ; Garapon A., Perdriole S. et Bernabé B., La prudence et l’autorité, Rapport de l’IHEJ, 2013, p. 36 et s. ; Tasca C. et Mercier M., Rapport d’information fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur la justice familiale, 2014, p. 49 et s. ; Lacabarat A., L’avenir des juridictions du travail : vers un tribunal prud’homal du XXIe siècle, 2014, p. 69 et déjà auparavant, Guinchard S., L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, 2008, La documentation française, p. 128 et s.
  • 5.
    Pour les initiatives les plus récentes, D. n° 2015-282, 11 mars 2015, relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends : JORF n° 0062, 14 mars 2015, p. 4851 ; L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice du XXIe siècle : JORF n° 0269, 19 nov. 2016, texte n° 1.
  • 6.
    Andry C., « Règlement amiable des litiges : l’avenir dans les solutions numériques ? », https://www.village-justice.com/articles/Reglement-amiable-des-litiges-avenir-dans-les-solutions-numeriques,%2023448.html#3HxvdTvZXqJUJuZv.99.
  • 7.
    Dir. n° 2008/52/CE du PE et du Cons., 21 mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale.
  • 8.
    Le développement des modes amiables de règlement des différends, avr. 2015, Inspection générale des services judiciaires, p. 41.
  • 9.
    CPC, art. 21.
  • 10.
    CPC, art. 128 et s.
  • 11.
    CPC, art. 131-1 et s.
  • 12.
    Suppression de la condition de non saisine du juge pour conclure une convention de procédure participative par la loi J 21 (18 nov. 2016) ayant conduit à la modification de C. civ., art. 2062.
  • 13.
    CPC, art. 1532 et s.
  • 14.
    CPC, art. 1536 et s.
  • 15.
    CPC, art. 1542 et s.
  • 16.
    Tirvaudey C., « Les modes alternatifs de règlement des différends : complémentarité ou interchangeabilité », RRJ. Droit prospectif 2016/4, p. 1641.
  • 17.
    Garapon A., « Les enjeux de la justice prédictive », JCP G 2017, doctr. 31.
  • 18.
    Définition retenue par le rapport, Cadiet L. (ss-dir.), L’open data des décisions de justice, nov. 2017, tirée de Dondero B., « « Justice prédictive : la fin de l’aléa judiciaire ? », D. 2017, p. 532.
  • 19.
    Rapp. préc., p. 24 ; Meneceur Y., « Quel avenir pour la “justice prédictive” ? Enjeux et limites des algorithmes d’anticipation des décisions de justice », JCP G 2018, doctr. 190.
  • 20.
    Croze H., « La factualisation du droit », JCP G 2017, 101.
  • 21.
    Rapport d’information fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale par la mission d’information sur le redressement de la justice, « 5 ans pour sauver la justice ! », Sénat, rapport d’information n° 495 (2016-2017), 4 avr. 2017, disponible sur www.senat.fr, p. 138.
  • 22.
    Cadiet L., « Réflexions sur la justice à l’épreuve des mutations contemporaines de l’accès à la justice », D. 2017, p. 522.
  • 23.
    Strickler Y., « Les modes alternatifs de règlement des différends dans la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle », Procédure 2017, étude 7.
  • 24.
    Chassagnard-Pinet S., « Les algorithmes en droit : prédire ou dire le droit », D. 2017, p. 495.
  • 25.
    Dupré J. et Levy J., « L’intelligence artificielle au service de la valorisation du patrimoine jurisprudentiel », D. 2017, p. 500
  • 26.
    Barraud B., « Un algorithme capable de prédire les décisions des juges : vers une robotisation de la justice ? », Cah. just. 2017, p. 121-139, « Confronté à près de 600 affaires jugées par la Cour européenne des droits de l’Homme, leur algorithme a retenu huit fois sur dix la même solution que les magistrats ».
  • 27.
    Sur les conséquences de la dissymétrie d’information, Chappe N., Lambert E.-A. et Tirvaudey C., « Vers des principes directeurs de la médiation : une analyse juridico-économique », in Osman F. (dir.), La médiation en matière civile et commerciale, 2013, Bruylant, p. 31.
  • 28.
    Sannino P., « Disruption, Justice prédictive, Block Chain, legaltech : de nouvelles opportunités pour la profession ? », Procédures 2017, entretien 1.
  • 29.
    Transformation numérique, « Chantier de la justice », référent Beynel J.-F. et Casas D., http://www.justice.gouv.fr/publication/chantiers_justice/Chantiers_justice_Livret_01.pdf.
  • 30.
    Chassagnard-Pinet S., « Le e-règlement amiable des différends », D. 2017, p. 506.
  • 31.
    V. la Dir. n° 2013/11/UE, 21 mai 2013, relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation : JOUE L 165, 18 juin, p. 63 – et le Règl. (UE) n° 524/2013 du PE et du Cons., 21 mai 2013, relatif au règlement en ligne des litiges de consommation : JOUE, 18 juin, p. 1. V. préalablement en matière de médiation, la Dir. n° 2008/52/CE du PE et du Cons., 21 mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale : JOUE 24 mai, n° L 136, p. 3, transposée en France par l’Ord. n° 2011-1540, 16 nov. 2011 : JO, 17 nov., p. 19286.
  • 32.
    Bertrand C., « La résolution amiable des litiges transfrontaliers de consommation : les centres européens des consommateurs au cœur de la promotion de la médiation », in Tirvaudey C. (ss-dir.), Le droit comparé au secours des MARD, à paraître, PUFC.
  • 33.
    https://www.village-justice.com/articles/Medicys-nouvelle-plateforme,19313.html.
  • 34.
    Croze H., « Huissiers de justice : ils voient des médiations partout », Procédures 2016, repère 1.
  • 35.
    Chassagnard-Pinet S., « Le e-règlement amiable des différends » préc. 
  • 36.
    Garnerie L., « MARD : la DACS précise l’encadrement des plates-formes en ligne » Gaz. Pal. 29 mai 2018, n° 323p9, p. 6.
  • 37.
    Me Varaut cité in Coignac A., « Accessibilité des services juridiques : un marché à conquérir pour les avocats », JCP G 2014, 708.
  • 38.
    Bénichou M., « L’accès à la justice un droit menacé » Gaz. Pal. 13 sept. 2014, n° 191z3, p. 9.
  • 39.
    CJUE, 8 mars 2010, nos C-317/7 à C-320/08, Rosalba Alassini et a. c/ Télécom Italia.
  • 40.
    Serverin E., « La part des procédures amiables dans le traitement des litiges en droit européen de la consommation », Dr. & patr. n° 112, 1er fév. 2003, p. 30.
  • 41.
    Agostini F. et Molfessis N., « Chantier de la justice : amélioration et simplification de la procédure civile », proposition 21, janv. 2018, http://www.justice.gouv.fr/publication/chantiers_justice/Chantiers_justice_Livret_03.pdf.
  • 42.
    Rapp. préc., p. 26.
  • 43.
    Rapport sur la transformation numérique préc., p. 11, « de la concurrence et de l’imagination créative naitront les outils les plus efficients ».
  • 44.
    L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, projet d’art. 4-1 de la loi de programmation pour la justice.
  • 45.
    L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, projet d’art. 4-2, al. 2, de la loi de programmation pour la justice.
  • 46.
    Payan G., « Développer la culture du règlement amiable des différends », Dalloz actualité, 28 mars 2018.
  • 47.
    Fricero N., « Modes amiables de résolution des différends (MARD) et nouvelles technologies : vers une plus grande sécurité juridique », in Le Guide de l’avocat numérique, 2016, LexisNexis, p. 126.
  • 48.
    Menut B., « Les technologies de l’information et de la communication au service du procès équitable », in Mélanges en l’honneur de Serge Guinchard, 2010, Dalloz, p. 341.
  • 49.
    Deffains B. et Thierry J.-B., « Transformation numérique, pourquoi la fin doit justifier le moyens », JCP G 2018, 133.
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