Rachat de Twitter : faut-il avoir peur d’Elon Musk ?

Publié le 27/04/2022

« La liberté d’expression est le fondement d’une démocratie qui fonctionne, et Twitter est la place publique numérique où sont débattues les questions vitales pour l’avenir de l’Humanité » a déclaré Elon Musk lors du rachat de Twitter pour 44 milliards de dollars. Faut-il craindre que le nouveau propriétaire du réseau ne décide de l’inféoder à ses propres convictions ? Nous avons posé la question à Me Etienne Drouard, associé du cabinet Hogan & Lovells. Ses réponses sont plutôt rassurantes…

Rachat de Twitter : faut-il avoir peur d'Elon Musk ?
Photo : ©PixieMe/Adobe

Actu-Juridique : En quoi le rachat de Twitter par Elon Musk risque-t-il de modifier les rapports de force relatifs à la protection de la liberté d’expression ? L’émotion est telle ces derniers jours que certains ont lancé le hashtag #AdieuTwitter …

Etienne Drouard : Penser que l’arrivée d’Elon Musk va bouleverser l’application des lois relève du fantasme. Certes, personne ne le croyait lorsqu’il prétendait lors de son entrée au capital qu’il serait un actionnaire passif. Mais quand il explique son intention désormais d’agir pour protéger la liberté d’expression, cela ne modifie pas l’Etat de droit. D’abord, qu’entend-il par protéger la liberté d’expression ? Cela peut être d’assurer l’expression dans les limites de la loi ou au contraire d’en faire sauter les limites. Ce que l’on sait de lui incite à pencher pour la deuxième option. Ensuite et surtout, ce n’est pas l’actionnaire de Twitter qui fait la loi ! Certains imaginent qu’il aurait agi autrement à l’égard de Donald Trump, dont le compte a été fermé, et que c’est cela qui le motiverait. En réalité, il est plus probable que ce n‘est pas la liberté d’expression qui l’intéresse, mais l’investissement dans un média lui permettant d’acquérir un pouvoir mondial d’influence politique, ce qui lui manquait. Et l’influence économique qui va avec vaut amplement 44 milliards de dollars.

Actu-Juridique : Il ne faudrait donc pas s’inquiéter de l’avenir de la liberté d’expression sur le réseau ?

ED : L’acquisition de Twitter est concomitante de l’adoption du Digital Services Act, un règlement européen qui va renforcer les obligations de contrôle et de modération des contenus illicites sur les plateformes. A partir de 2000, la directive sur le commerce électronique, inspirée de la jurisprudence française imposant à l’hébergeur ou au diffuseur de contenus illicites de répondre aux demandes de l’institution judiciaire, a commencé à responsabiliser les acteurs. Puis, à partir de 2012, ils ont commencé à ouvrir les signalements internes pour gagner la paix sociale et éviter des accusations de laxisme. En effet, plus les dénonciations d’utilisateurs sont susceptibles de déclencher des mécanismes de régulation, moins les plateformes risquent de procès en responsabilité. Ils ont en quelque sorte acheté la paix judiciaire, ce qui faisait l’affaire des États qui n’avaient pas les moyens de réaliser ce travail de régulation du quotidien. Le DSA va exiger d’eux qu’ils poursuivent le renforcement de la traque des contenus illicites, de façon encore plus efficace et rapide. Et s’ils ne le font pas, ils encourent des amendes qui peuvent aller jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires mondial.

Actu-Juridique : Précisément, n’est-on pas en train de leur donner un pouvoir exorbitant, en les incitant de surcroit à la censure pour éviter une amende ?

ED : Cela fait 25 ans que ce système de délégation est plus ou moins en place, le DSA ne fait que le formaliser et le renforcer. Et on n’a pas constaté d’abus structurels pour une raison très simple : si les plateformes portent atteinte de façon disproportionnée à la liberté d’expression, elles perdront leurs clients. Si elles sont trop laxistes, elles perdront également des utilisateurs et feront l’objet de poursuites. Elles doivent donc trouver un équilibre sociétal forcément imparfait mais tolérable. Et elles le font en faisant travailler des armées de juristes qui comparent les différentes approches, législations et sensibilités nationales en matière de liberté d’expression et établissent des règles de modération qui tentent de trouver des compromis dont les Etats sont individuellement incapables. Ensuite, les contrôles sont aidés par des algorithmes de détection et de qualification et arbitrés dans les cas difficiles par des humains. Le DSA impose aux plateformes de donner accès à leurs algorithmes de priorisation des contenus. L’Europe crée en cela un précédent dont on jugera la pertinence au fil du temps.

 

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