Paris (75)

L’aide aux victimes, un maillon capital dans la chaîne de la justice

Publié le 19/07/2022
Victime, silhouette
Victor Koldunov/AdobeStock

Catastrophes ferroviaires, attentats, agressions, depuis les années 1980, les associations d’aide aux victimes tendent la main à toutes les personnes victimes de violences, quelle que soit l’ampleur, collective ou individuelle. Focus sur Paris Aide aux Victimes.

Ces dernières semaines, l’Île-de-France a connu de nombreux procès « hors normes », comme on dit dans le jargon judiciaire. Celui des attentats du 13 novembre (2 500 parties civiles), bien sûr mais aussi ceux de la catastrophe de Brétigny (215), du crash de la Yemena Airlines (560), du génocide du Rwanda (une trentaine de procédures prévues) ou de l’explosion accidentelle de la rue de Trévise (qui en 2019 avait fait 66 blessés et environ 400 sinistrés). D’autres procès en appel ont concentré également un très grand nombre de parties civiles : celui de France Télécom et du Médiator, par exemple.

Chaque fois, ces procès demandent un dispositif exceptionnel : pilotée par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) avec une enveloppe de 7,536 millions d’euros, la construction de la salle Grand Procès sur l’île de cité, qui a accueilli 500 personnes au maximum pour le procès du 13 novembre sera également utilisée pour le procès des attentats de Nice (875 parties civiles), en septembre prochain. Mais au-delà de l’immobilier, l’infrastructure d’un tel procès suppose d’entourer les victimes, éprouvées par la procédure et c’est là qu’interviennent les associations d’aides aux victimes.

Armées de gilets pour les rendre facilement identifiables les bataillons de bénévoles, de psys, se disséminent un peu partout dans la salle de procès pour aiguiller les victimes, les protéger des journalistes (entre autres) et les accompagner dans un espace dédié s’ils ont besoin de s’isoler ou s’ils nécessitent une assistance médicale ou psychologique. Une assistance capitale qui n’a pas toujours été proposée, loin de là…

La victime, un statut et un arsenal récent

Les associations d’aide aux victimes (ou les associations de victimes également) n’ont pu éclore en France qu’après la reconnaissance, par la loi, du statut de victime. Cela n’est arrivé que très tard. En 1965, le sociologue Benjamin Mendelsohn, considéré comme l’un des fondateurs de la victimologie, définit la victime comme « une personne se situant individuellement ou faisant partie d’une collectivité, qui subirait les conséquences douloureuses déterminées par des facteurs de diverses origines : physiques, psychologiques, économiques, politiques ou sociales, mais aussi naturelles (catastrophes) ».

Une réflexion qui va amorcer une révolution d’ordre juridique, mais aussi sociétal : avec la loi Peyreffite du 3 janvier 1977, qui crée les commissions d’indemnisation des victimes d’infraction, les victimes obtiennent pour la première fois un droit à l’indemnisation pour les dommages corporels résultant d’une infraction. Elle fait suite à une résolution du Conseil de l’Europe qui considère que lorsqu’une victime ne peut être indemnisée par l’auteur de l’acte, l’État doit pourvoir à son indemnisation. En 1985 la loi Badinter facilite grandement l’indemnisation des victimes d’accidents de la route qui font à l’époque plus de 10 000 morts par an (contre moins de 3 000 aujourd’hui). En novembre de la même année, la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir est adoptée par l’assemblée des Nations unies. Les victimes sont alors définies comme « des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir ».

La même décennie, une vague d’attentats sans précédents touche la France : attentats à la bombe, tirs, assassinats… les terroristes du monde entier mettent l’Île-de-France à feux et à sang, qu’ils soient d’extrême droite ou d’extrême gauche, islamistes ou catholiques, corses, arméniens, algériens ou français. Le nombre de victimes atteint des chiffres records. Le législateur est obligé alors de mettre en place un dispositif spécifique pour réparer les préjudices subis par les victimes : le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme (FGVAT) voit le jour en 1986 (il est financé par la communauté des assurés). Dès 1990, sa mission a été étendue à la prise en charge des victimes d’infractions de droit commun, il devient alors le FGTI (Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions). Un arsenal couplé en 2008 d’un autre dispositif permettant aux victimes de recouvrer soit en totalité, soit sous forme d’avance, puis dans le cadre d’un mandat les sommes qui leur sont dues. Ce dispositif s’appelle le Service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions (SARVI). En 2020, le FGTI a distribué plus de 380 millions d’euros d’indemnités aux victimes.

Aider avec des indemnités et des humains

Au-delà des aspects de réparation financière, la loi Badinter et la création du FGTI ont permis à de nombreuses associations d’aide aux victimes et de victimes de naître. Agréées par le ministère de la Justice, elles ont plusieurs objectifs : proposer gratuitement une aide psychologique, informer la victime sur ses droits, l’assister et l’accompagner tout au long de la procédure judiciaire, l’orienter si nécessaire vers des services spécialisés. Elles sont présentes dans divers lieux de manière à être accessibles par tous et partout : dans les commissariats et les gendarmeries, dans les tribunaux ou les maisons de justice, dans les services d’urgences des hôpitaux, par exemple.

Nombre d’entre elles sont fédérées dans des réseaux comme France Victimes, association loi de 1901 créée en 1986, qui fédère un réseau de 1 500 professionnels répartis dans 135 associations d’aide aux victimes d’infractions pénales disséminées sur tout le territoire (Amav, Harpèges, Montjoye, Anav, Avad, Cidff, Émergences, Vict’Aid, Sauvegarde 42, AVL, entre autres). Un maillage qui permet une force de frappe sans précédent : c’est à France Victimes que la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église a demandé de recueillir, de juin 2019 à octobre 2020, le témoignage des victimes d’agressions sexuelles au sein de l’Église catholique en France. Elle a reçu « 6 500 témoignages [victimes ou proches] par téléphone et par mail » et ouvert un numéro d’écoute et d’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles.

Les territoires souhaitent de plus en plus soutenir les associations : en mai dernier, la Région Île-de-France a lancé un appel à projet “Mieux protéger les victimes” et annoncé privilégier les actions qui seraient menées par des associations ou des établissements publics à destination des femmes victimes de viol, harcèlement, violences conjugales ou intrafamiliales, des victimes d’attentats, des victimes de délits routiers, et des membres de forces de sécurité et de secours blessés dans l’exercice de leurs missions. Des publics qui concernent particulièrement la Région.

À Paris, c’est Paris Aide aux Victimes qui occupe le terrain. Au-delà de nombreux bénévoles, elle fonctionne avec 9 juristes spécialisés dans le droit des victimes et la réparation du dommage corporel, de 10 psychologues salariés spécialisés en psycho traumatismes, de deux assistantes sociales (dont une mise à disposition par la Ville de Paris), de stagiaires (en droit ou en psychologie clinique par exemple) qui apportent leur aide dans l’accueil des victimes lors des audiences, dans les commissariats ou qui jouent le rôle d’interprètes. L’association propose une permanence téléphonique quotidienne, un service d’accueil, une mission d’information sur le droit et les procédures, un relais entre la victime et les personnes qui pourraient l’aider (assurances, avocats, magistrats, police, assistantes sociales, droits des étrangers). Un pôle mineur a même été créé afin de mettre les jeunes et leurs familles en lien avec le centre de victimologue de l’hôpital Trousseau (en partenariat de la brigade de protection des mineurs, l’antenne mineure du barreau de Paris, l’unité médico-judiciaire des mineurs et le parquet des mineurs). Son financement est assuré essentiellement par des subventions publiques : le ministère de la Justice, la Ville de Paris, le Conseil régional d’Île-de-France, la Préfecture de Paris, le conseil départemental de l’accès au droit.

« Parfois, les victimes ont besoin d’informations supplémentaires qu’elles ne sont pas capables de trouver par leurs propres moyens », souligne Carole Damiani, docteur en psychologie, et directrice de l’association Paris Aide aux Victimes. « Nos psys peuvent apporter une aide que les avocats ne peuvent pas donner. Sur les procès comme Brétigny, le Rwanda, nous avons envoyé des équipes déjà formées qui savent préparer les victimes aux questionnaires, aux entretiens, aux audiences. Elles prennent contact avec les victimes, leur font visiter les lieux en amont, les accueillent pendant le procès ». La particularité du territoire francilien et de l’administration judiciaire française, toujours centralisée quand il s’agit de procès de grande ampleur, impose à l’association de pouvoir être compétente sur bien des théâtres. Un défi : « sur le territoire, nous sommes la seule association d’aide aux victimes généralistes. Les autres sont des associations plus spécialisées dans une nature d’infractions (accidents de la route, par exemple) ou d’événement défini (victimes du 13 novembre). Nous, nous, on est transversales ». Si la directrice n’aime pas se plaindre, elle concède que la pérennité de l’aide aux victimes pourrait être assurée dans l’avenir par davantage de moyens dédiés à la politique d’aide aux victimes, qui doivent être suivies en urgence :« plus on aura de moyens, plus on aura de personnel, moins nos délais d’attentes seront longs : on est à quelques jours pour les juristes, 15 jours à 3 semaines pour les psys », estime-t-elle… Peut mieux faire encore.

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