Open data : le projet de décret déclenche la colère chez les magistrats

Publié le 12/12/2019

Le Syndicat de la magistrature a adressé un courrier à la ministre de la Justice Nicole Belloubet le 3 décembre 2019 pour protester contre le projet de décret Open Data. La présidente du syndicat, Katia Dubreuil, nous en explique les raisons. 

Actu-juridique : Pour quels motifs le Syndicat de la magistrature critique-t-il le projet de décret sur l’Open Data

Katia Dubreuil, présidente du syndicat de la magistratureKatia Dubreuil : D’abord il y a comme d’habitude un problème de méthode. Le principe de la mise à disposition des décisions de justice en ligne a été voté dans la loi du 7 octobre 2016 dite « pour une République numérique ». Cette loi a été modifiée par l’article 33 de la loi n°2019-2022 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. C’est le projet de décret d’application de cette loi qui nous a été communiqué le vendredi 29 novembre pour un réunion le lundi 2 décembre suivant. Et là, surprise : nous découvrons que le ministère prévoit que le travail important et complexe d’occultation des décisions de justice avant leur mise en ligne sera confiée directement… à chaque magistrat ayant rendu la décision. Aucune étude d’impact n’a évidemment été réalisée, pour un travail dont les modalités et les conséquences n’ont pas été réfléchies. Nous étions très favorables aux conclusions du rapport Cadiet qui préconisait que la Cour de cassation et le Conseil d’État définissent ensemble le socle des règles d’anonymisation, sur la base d’une étude sur le risque de réidentification et après avis de la CNIL. Cette mission devait être confiée aux services de la Cour. A l’arrivée, on découvre une fois de plus que la charge de travail va reposer sur nous sans étude préalable, ni moyens supplémentaires.

AJ : Qu’est-ce que le projet de décret demande exactement aux magistrats ?

K.D. : La Chancellerie met à la charge du président de la juridiction qui a rendu la décision le soin de décider d’occulter tout élément permettant d’identifier les personnes physiques, parties ou tiers, mais aussi magistrats du siège et membres du greffe. La Chancellerie explique qu’on ne demande cela que dans des hypothèses restreintes d’atteinte à la vie privée. Nous n’avons pas le sentiment que cela vise des cas exceptionnels, mais au contraire de très nombreuses situations. Nous sommes déjà surchargés, surmenés et en sous-effectif, et on nous ajoute une mission supplémentaire, sans étude d’impact, simplement pour ne pas embaucher les dizaines de personnes qui seraient nécessaires pour créer un service dédié à cette activité à la Cour de cassation. Actuellement, ce ne sont pas les magistrats des juridictions qui procèdent à l’anonymisation des quelques décisions qui sont rendues publiques. En fait, on se débarrasse de cette mission sur nous. Et en plus, on nous met sur les épaules une responsabilité lourde. Admettons qu’un élément de reconnaissance non occulté dans une décision conduise à l’agression de la personne identifiée….

AJ : La Chancellerie vous a-t-elle entendu ?

K.D. : Initialement le décret devait être prêt le 18 décembre, mais l’échéance a été reportée. On nous explique que l’entrée en application de l’anonymisation sera être progressive, en première instance, puis en appel, et que cela laissera le temps à la Chancellerie de développer avec la Cour de cassation les applications nécessaires pour faciliter ce travail, mais nous n’y croyons pas. Ce n’est pas un dossier prioritaire, on ne nous donnera pas les outils nécessaires.

Propos recueillis par Olivia Dufour

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