Avocats : le combat contre un secret déchiré continue !

Publié le 25/10/2021

Depuis la découverte jeudi 21 octobre du texte de compromis adopté par la commission mixte paritaire sur le secret de l’avocat dans le projet de loi confiance dans la justice, la colère de la profession monte en puissance.

Matthieu Boissavy, vice-président de la Commission Libertés et droits de l’Homme du Conseil national des barreaux, rappelle les différentes étapes qui ont mené au texte adopté par la CMP. Pour lui, les exceptions apportées par la CMP au secret « ne sont pas acceptables dans un État de droit car elles détruisent le lien de confiance entre l’avocat et son client ».  Il faut donc poursuivre le combat en faveur de l’indivisibilité du secret. 

Avocats : le combat contre un secret déchiré continue !
Photo : ©AdobeStock/AlcelVision

 

L’annonce des exceptions à l’opposabilité du secret professionnel de l’avocat en matière de conseil aux autorités d’enquête et de poursuites dans les perquisitions, exceptions incluses par la commission mixte paritaire jeudi 21 octobre 2021 dans le projet de loi Confiance dans l’institution judiciaire, a semblé surprendre nombre d’avocats et a provoqué un déchaînement de réactions de colère. Cette colère est justifiée lorsqu’elle est tournée vers le gouvernement et le parlement. La surprise l’est beaucoup moins pour ceux qui connaissent l’origine de ces dispositions dans ce projet de loi et leurs évolutions. La profession doit rester unie pour faire prévaloir notre conception du secret professionnel de l’avocat et nos valeurs.

Il est donc peut-être nécessaire de présenter l’historique des dispositions successives du projet de loi Confiance dans l’institution judiciaire sur le secret professionnel de l’avocat ainsi que la position constante des institutions représentatives de la profession d’avocat.

Le rapport Mattei pouvait déjà faire craindre le pire

Cela fait huit mois que la commission Mattei a rendu son rapport sur le renforcement de l’équilibre dans les enquêtes préliminaires et le secret professionnel de l’avocat et déjà les conclusions de ce rapport, ainsi que les positions exprimées par un grand nombre de personnes auditionnées pouvaient faire craindre le pire. Seuls les avocats et leurs représentants ont défendu le secret dans toute sa plénitude. Il faut notamment lire les notes de notre confrère Vincent Nioré, vice-bâtonnier élu du Barreau de Paris, ainsi que celles du Conseil national des barreaux et de la Conférence des bâtonniers, en annexe de ce rapport, pour être éclairés sur la position constante de la profession sur le sujet : le secret des confidences entre un avocat et son client et celui des consultations juridiques de l’avocat sont couvertes par le secret professionnel en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou celui de la défense, conformément à l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 ; et ce secret est opposable aux autorités de poursuite et d’enquête, sauf bien entendu si l’avocat a participé de manière intentionnelle à la commission d’une infraction ; le secret est instauré pour protéger le client et non pour accorder une impunité à l’avocat qui commettrait une infraction.

Malheureusement donc, la commission Mattei n’a recommandé de renforcer le secret professionnel de l’avocat que dans le domaine de la défense, faute de consensus entre ses membres, indiqua-t-elle, sur l’étendue de protection du secret professionnel en matière de conseil. Il est vrai que la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation n’a jamais reconnu l’opposabilité de ce secret dans le domaine du conseil, c’est-à-dire selon elle en dehors de l’exercice des droits de la défense – avec de surcroît, une conception restrictive du moment à partir duquel ceux-ci s’exercent depuis ses arrêts du 22 mars 2016. Mais c’est justement cette jurisprudence que nous combattons depuis les années 1990 et qu’il est nécessaire de faire changer par l’adoption de nouvelles précisions législatives. Nous avons donc pu regretter que la commission Mattei, dont la mission était de prévoir des dispositions pour renforcer le secret dans toute sa plénitude, n’ait pas osé faire des propositions plus ambitieuses, contrairement à celles exprimées dans le rapport Perben sur l’avenir de la profession d’avocat rendu en août 2020.

Un secret déchiré en deux

Lorsque le ministre de la Justice a présenté en avril 2021 son projet de loi Confiance dans l’institution judiciaire et proposé d’ajouter dans l’article préliminaire du code de procédure pénale une référence au seul secret professionnel de la défense, les choses étaient clairement dites : ce projet avait pour conséquence de déchirer le secret professionnel de l’avocat en deux. L’activité de conseil était exclue de la protection. Le projet de loi initial ne précisait même pas, et ne précise toujours pas d’ailleurs – d’où la nécessité de faire aussi référence au conseil – le moment à partir duquel les droits de la défense s’exercent ; avant même qu’un justiciable soit partie à une procédure, comme nous le soutenons ou lorsqu’une personne est mise en examen, placée sous le statut de témoin assisté ou gardée à vue comme l’a laissé entendre un arrêt du 22 mars 2016 de la chambre criminelle.

Le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers et le Barreau de Paris ont immédiatement dénoncé publiquement cette atteinte à l’indivisibilité du secret. Et les trois instances représentatives de la profession, ainsi que tous les syndicats d’avocats, ont œuvré pour présenter aux parlementaires les raisons juridiques, sociales et économiques pour lesquelles il était important de préserver l’unicité du secret.

Ce travail avait porté ces fruits et nous avions été entendus en mai dernier par l’Assemblé nationale qui avait amendé le projet initial de la chancellerie en faisant référence dans l’article préliminaire du code de procédure pénale au secret professionnel du conseil et de la défense tel que prévu par l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. L’indivisibilité du secret en toutes matières était restaurée avec cette version du projet.

Malheureusement les sénateurs, convaincus par d’autres arguments, mal fondés selon nous, ont adopté en septembre dernier un amendement par lequel le secret professionnel du conseil n’était pas opposable aux mesures d’enquête et d’instruction concernant trois délits financiers et leur blanchiment.

Par sa généralité, même restreinte à ces délits, cet amendement supprimait de manière inconditionnelle le secret professionnel de l’avocat en matière de conseil.

Des exceptions vagues et larges au secret

Là encore, toutes les instances représentatives de la profession, ainsi que tous les syndicats d’avocats, ont œuvré pour parvenir à la suppression de cet amendement. Et le Conseil national des barreaux a lancé le 17 septembre dernier un appel à tous les avocats de France pour se mobiliser sur le sujet afin de sensibiliser nos gouvernants et les parlementaires sur la nécessité de respecter le secret professionnel des confidences entre un avocat et son client ainsi que ses consultations juridiques.

La commission mixte paritaire a rendu jeudi dernier ses arbitrages : si la version de l’article 3 du projet de loi modifiant l’article préliminaire du code de procédure pénale, dans sa version votée par l’Assemblé national est inchangée, le projet de loi prévoit dorénavant deux exceptions à l’opposabilité du secret professionnel en matière de conseil dans les dispositions relatives aux perquisitions chez l’avocat et ou le client.

La première exception concerne les mesures d’enquête et d’instruction dans le cadre des perquisitions relatives aux infractions de fraude fiscale, corruption, trafic d’influence, financement de terrorisme et blanchiment de ces délits  : le secret professionnel conseil ne sera pas opposable si « les consultations, correspondances ou pièces, détenues ou transmises par l’avocat ou son client, établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions ». Elle est plus large que celle, déjà reconnue dans le droit actuel, qui permet la saisie de ces documents lorsqu’ils recèlent la preuve de la participation intentionnelle de l’avocat à l’infraction.

La seconde exception est encore plus large et plus vague et vise toutes les infractions : le secret professionnel du conseil ne sera pas non plus opposable dans le cadre des perquisitions « lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction. »

En résumé, les exceptions sont plus étendues que l’hypothèse de la participation intentionnelle de l’avocat à la commission d’une infraction. Elles peuvent permettre de saisir dans le domaine du conseil toutes les confidences entre un avocat et son client ainsi que les consultations juridiques de l’avocat même si celui-ci a respecté la loi et donné des conseils juridiques appropriés à son client, que ce dernier les ait suivis ou non.

Elles portent également atteinte au pouvoir de contestation du Bâtonnier dans son rôle de protecteur du secret professionnel de l’avocat.

Depuis des temps immémoriaux, « l’avocat ne porte pas témoignage » des confidences reçues de son client

Nul doute que la chambre criminelle de la Cour de cassation sera tentée de les interpréter largement pour maintenir sa jurisprudence actuelle qui refuse de reconnaître l’opposabilité du secret professionnel de l’avocat en matière de conseil et ne l’admet que pour l’exercice des droits de la défense.

Depuis des temps immémoriaux, en tout cas depuis le Digeste de Justinien, « l’avocat ne porte pas témoignage » des confidences reçues par lui de son client ou faites à celui-ci.

Les deux exceptions détruisent ce principe. Elles sont identiques à des dispositions qui obligeraient un avocat à venir témoigner à la barre d’un tribunal pour révéler ces confidences et dire ce qu’il a conseillé ou déconseillé à son client.

Elles ne sont pas acceptables dans un État de droit car elles détruisent le lien de confiance entre l’avocat et son client, l’exercice des droits de la défense qui sont consubstantiels avec le conseil et donc la confiance en la justice.

Elles sont une entrave au rôle essentiel de l’avocat pour diffuser le droit dans la société. L’avocat, respectueux du droit et de la déontologie, est le deuxième ouvrier de l’œuvre de la loi, après le législateur et avant le juge.

Elles conduiront les justiciables, citoyens ou entreprises, à se détourner des cabinets d’avocats français pour des cabinets établis dans des pays, notamment de common law, qui respectent le secret des confidences entre un avocat et son client.

Elles doivent être supprimées du texte final du projet de loi.

Toute la profession doit rester unie et mobilisée avec ses instances représentatives dans ce combat.

Et nous devons convaincre les citoyens de nous rejoindre ;  il s’agit d’abord et avant tout de leur secret.

 

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