Personnifier l’enfant conçu par le certificat d’enfant vivant ?

Publié le 23/02/2023

La proposition de personnifier l’enfant conçu, présentée dans nos colonnes la semaine dernière par le professeur Xavier Labbée, en marge de l’affaire Palmade, a suscité beaucoup d’intérêt. Il en développe donc, dans ce second volet, les différentes implications en matière notamment civile et pénale, mais procède également à son analyse critique. Une idée qu’il qualifie de « profondément féministe ». 

Personnifier l’enfant conçu par le certificat d’enfant vivant ?
Photo : ©AdobeStock/Viktoria

L’actualité nous a conduit à rappeler le statut juridique actuel de l’enfant conçu ; et nous constatons que le grand public ne comprend pas pourquoi un enfant vivant dans le ventre de sa mère ne peut être considéré comme une personne juridique tant qu’il n’est pas venu au monde vivant et viable. C’est pourtant la conséquence directe de la loi Veil : si l’IVG est une liberté pour la femme, c’est tout simplement parce que l’enfant qu’elle porte et dont elle peut se séparer impunément n’est rien d’autre qu’une fraction de chair. S’il était une personne, l’opération serait un acte homicide.

Alors on s’interroge : à quoi sert-il d’affirmer dans l’article 16 du code civil et dans les dispositions décrivant l’interruption volontaire de grossesse que « la loi assure la primauté de la personne… et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » si la protection civile et pénale du droit des personnes ne lui est pas accordée ? N’est-ce pas quelque peu hypocrite ? N’est-il pas curieux de constater que l’animal, élevé depuis peu au rang « d’être sensible » par un législateur volontiers démagogue, est pénalement mieux protégé que l’enfant conçu qui ne bénéficie même pas de cette nouvelle qualité ? N’est-il pas enfin paradoxal de constater que l’enfant conçu n’est finalement pris en compte par le droit que s’il vient au monde mort-né, au travers d’un « certificat d’enfant sans vie » bizarrement personnifiant puisqu’il n’a « aucun effet juridique » (art 79-1 C.Civ) ? G. Rousset Quelle identité pour les enfants sans vie ? JCP G 2021 act 75 Xavier Labbee Vers un certificat d’enfant vivant, cette revue, 22 février 2022 Qu’est-ce que cela veut dire ?

Nous avons proposé de longue date un système qui permettrait à toute femme enceinte qui le souhaite d’élever efficacement au rang de personne juridique l’enfant porté, dès lors que le délai de quatorze semaines, durant lequel la femme est libre d’interrompre sa grossesse, est écoulé.  (Xavier Labbee, L’enfant conçu, Respect et protection du corps humain, fasc. 50  N° 37 J.Cl civil Lexis Nexis) Il nous semble que passé ce délai, le même législateur qui accorde à la femme la faculté d’interrompre sa grossesse, pourrait déléguer à la femme la faculté d’accorder la personnalité juridique à l’enfant qu’elle porte dans son ventre. C’est au fond une autre traduction du slogan féministe « un enfant quand je veux si je veux » que nous découvrons. Toute femme qui souhaite personnifier l’enfant qu’elle porte devrait pouvoir le faire dès lors qu’aucune atteinte n’est portée à la loi Veil. La volonté maternelle d’élever l’enfant au rang de personne n’est-elle pas aussi respectable que celle de ne pas lui donner la vie ? Il nous semble que toute femme enceinte devrait pouvoir déclarer sa grossesse à l’officier de l’état civil qui lui remettrait alors un certificat d’enfant vivant, faisant de lui un sujet de droits à part entière. C’est ce projet que nous soumettons au lecteur.

Quelles seraient les conditions et les effets de ce certificat ? (A) Le système proposé n’est-il pas sans critique (A) ?

Conditions et effets du certificat d’enfant vivant

Sur le terrain civil

Ce certificat serait un acte d’état civil qui pourrait être rédigé par l’officier de l’état civil une fois passé le délai légal de quatorze semaines permettant à la femme enceinte d’avoir recours à une IVG ; il pourrait être établi sur production par la femme d’une attestation médicale attestant de son état. Il contiendrait toutes les mentions que l’on trouve habituellement dans un acte de naissance : nom, prénoms et sexe de l’enfant, identité complète de la mère, statut matrimonial de celle-ci : est-elle ou non mariée ? Si elle l’est, on applique la présomption de paternité et le mari est père de l’enfant. Si elle ne l’est pas, l’enfant conçu peut être reconnu par son père dans le certificat d’enfant vivant tel que proposé et cette reconnaissance produit ses pleins effets (à la différence de l’actuelle reconnaissance prénatale qui n’emporte que des conséquences limitées puisqu’un enfant simplement conçu n’a pour l’instant pas de filiation). Avec le certificat d’enfant vivant, l’enfant conçu disposerait donc d’un véritable état qui peut – pourquoi pas ? – être contesté. Il disposerait de parents véritables. Mais si la déclaration de grossesse entraînant la rédaction d’un certificat d’enfant vivant n’est qu’une faculté accordée à la mère, c’est aussi pour préserver la liberté dont celle-ci dispose d’accoucher sous X.…  La mère qui déclare sa grossesse ne peut plus accoucher dans l’anonymat. À elle de prendre ses responsabilités, même si elle garde la faculté d’abandonner son enfant (la remarque prend toute son importance dans un système qui admettrait la convention de GPA, toujours interdite à ce jour en France). Plus profondément, l’enfant conçu objet du certificat d’enfant vivant est titulaire d’un patrimoine comme l’enfant né : il peut être créancier, débiteur… étant titulaire des droits subjectifs qui font de l’être humain un sujet de droits.

Sur le terrain pénal

Sur le terrain pénal, l’enfant conçu ayant fait l’objet du certificat d’enfant vivant proposé, peut être victime d’une infraction décrite par le droit pénal des personnes : on peut imaginer qu’un tel enfant soit victime d’insultes, d’atteinte à l’image en cas de divulgation d’une échographie ou même d’atteinte à sa vie privée. Mais il peut surtout être victime de violences volontaires ou involontaires, d’infractions le mettant en danger et bien sûr d’homicide… Tout ceci est actuellement juridiquement impossible, comme le rappelle constamment la jurisprudence qui souligne que l’enfant conçu n’est pas une personne et n’est pas « autrui » … et que par voie de conséquence, l’enfant venu au monde accidentellement sans avoir vécu ne serait-ce que quelques secondes ne peut être victime d’homicide (Cass. Assemblée plénière 29 juin 2001 N° 99-85.973). La vie juridique n’est pas la vie biologique…

Sur le terrain procédural

L’enfant ayant fait l’objet d’un certificat d’enfant vivant peut engager une procédure par la voie de son représentant légal, et une procédure peut être menée contre lui. Nous rappelons qu’actuellement, aucune procédure civile ou pénale ne peut être initiée (fut-ce par la mère) au nom d’un enfant simplement conçu qui ne peut être ni demandeur, ni défendeur, ni plaignant.

Ce qui signifie qu’un juge aux affaires familiales peut être saisi pour fixer l’autorité parentale et – pourquoi pas ? – pour lui attribuer une pension alimentaire. Rappelons qu’en l’état actuel, le juge ne dispose pas cette faculté (TGI Lille, 13 févr. 1998 : JurisData n° 1998-933257. – X. Labbée, L’enfant conçu n’est pas créancier d’aliments, D. 1999, p. 177. – J. Hauser, La naissance et la procédure : RTD civ. 1999, p. 356). Ce qui signifie aussi que le juge des enfants peut être saisi si « la santé, la sécurité. » de l’enfant conçu se trouvent menacées (ce qui est aujourd’hui impossible, même si la mère met en danger la santé de son enfant par exemple en buvant de l’alcool ou en se droguant). Ne serait-ce pas une bonne chose ?

Ce qui signifie enfin que si l’enfant vient au monde mort-né, c’est un acte de décès qui sera dressé. Ce qui veut dire qu’en droit des successions, l’enfant objet du certificat d’enfant vivant peut hériter (tout comme peut hériter aujourd’hui l’enfant qui n’a vécu que quelques minutes).

Sur le terrain fiscal

L’enfant objet du certificat d’enfant vivant représenterait une part fiscale. N’est-ce pas une bonne mesure pour qui cherche à promouvoir une politique familiale ?

La critique

On pourrait objecter que le système proposé instaure une inégalité entre les enfants conçus (puisque ceux qui ne font pas l’objet d’un certificat d’enfant vivant ne seront pas personnifiés et resteront « pars mulieris »). Et l’on pourrait s’interroger sur l’attribution de la personnalité juridique : peut-elle bien dépendre de la seule volonté de la mère ? La personnalité peut-elle être en quelque sorte attribuée (avec les conséquences qui en découlent en particulier en matière pénale) de façon aléatoire ?

Comment répondre ?

Certes, la Déclaration des droits de l’Homme déclare que tous les hommes naissent libres et égaux en droits… ce qui laisserait supposer que la conception est indifférente et que l’enfant conçu n’est pas titulaire de droits. La phrase semble même souligner que la volonté individuelle est étrangère à l’attribution de la personnalité juridique aux personnes physiques puisque c’est la naissance – et elle seule – qui est l’élément générateur de personnalité. De fait, l’enfant venu au monde de parents inconnus est une personne juridique du fait de la loi. L’absence de volonté des parents n’empêche pas l’attribution de la personnalité à l’enfant à la naissance.

Faudrait-il pour autant affirmer dans un esprit de réforme, que « tous les enfants conçus sont libres et égaux en droits dès la quatorzième semaine » sans autre condition ? Un tel postulat nous semble excessif. Il nous semble que la naissance doit rester le principe (ne serait-ce que pour la fixation du point de départ de l’âge de la personne) et la conception l’exception. Mais il nous semble également que le législateur peut parfaitement tenir compte de la volonté individuelle lorsqu’il fixe les conditions d’attribution de la personnalité juridique.

Ainsi dans un domaine voisin, pour qu’un groupement ait la personnalité morale, il doit d’abord entrer dans l’une des catégories fixée par les textes (association, société, syndicat…) et des formalités doivent ensuite être accomplies. Ce qui veut dire que si des personnes s’accordent pour former un groupe non défini par la loi, ou encore pour ne pas accomplir les formalités demandées, le groupement existera en fait mais n’aura pas la personnalité morale. Il ne suffit donc pas pour un groupe d’exister pour obtenir automatiquement la personnalité. (V° sur cette question le débat opposant les partisans de la réalité aux partisans de la fiction, sous la célèbre décision Comité d’établissement de Saint Chamond du 28 Janvier 1954 Bull N° 32 page 20 D 1954 217 note Levasseur) Une personne en conflit avec un groupe qui n’a pas la personnalité morale (parce que ses membres n’ont pas fait le nécessaire pour qu’elle l’ait) ne pourra pas agir contre lui ni sur le terrain de la responsabilité civile, ni sur le terrain de la responsabilité pénale des personnes morales puisqu’il est juridiquement inexistant. Elle devra agir contre la ou les personnes physiques représentant de fait ledit groupement. Est-ce bien la même chose ? Est-ce juste ? Peut-être pas. Mais c’est ainsi.

Vers deux catégories d’enfant conçu

Il ne nous semble pas incongru que le législateur puisse déléguer à la femme enceinte le soin d’attribuer ou non la personnalité à son enfant, quitte à encadrer la volonté de la femme dans un certain nombre de conditions légales (comme celles du délai et du certificat médical). Il y aurait donc deux catégories d’enfants conçus : ceux qui sont des personnes parce que la mère l’a voulu dans les conditions fixées par le législateur et les autres qui n’ont pas cette qualité. Est-ce bien satisfaisant pour l’esprit ? N’est-il pas curieux en particulier en matière pénale, de faire dépendre la qualification pénale posée par le parquet de la manifestation de volonté de la mère ? Peut-on « privatiser » en quelque sorte l’attribution de la personnalité ? Ne sera-t-il pas alors nécessaire de créer un délit spécifique visant à protéger pénalement l’enfant conçu, en dehors de toute considération relative à sa personnalité juridique ? C’est sans doute la raison pour laquelle une doctrine pénaliste veut protéger « la vie humaine » en dehors de toute préoccupation civiliste tournant autour de la qualité de sujet de droits. Le débat n’est pas clos.

De tout temps, le législateur a fixé les conditions d’attribution (ou de retrait) de la personnalité juridique en fonction des données sociologiques de l’époque. Ainsi la législation d’hier privait l’esclave de la qualité de sujet tout en autorisant son propriétaire à l’affranchir, dès l’âge de 20 ans, de son statut de chose pour le transformer en personne, s’il le souhaitait … (article 55 du code noir). Le maître était donc autorisé par la loi à transformer son esclave (qui n’était juridiquement qu’un meuble) en personne. La loi instaurait donc deux catégories d’êtres humains en laissant à la volonté expresse ou même parfois tacite (art 56 du code noir) du propriétaire le soin de décider… L’esclave affranchi par le maître devenait automatiquement « sujet du Roi » (art 57) La personnification de l’esclave dépendait donc en grande partie de la volonté de son maître. Ne peut-on s’inspirer de cette technique, sans doute primitive,  pour régler le sort de l’enfant conçu ?

Aujourd’hui le droit contemporain prive totalement l’enfant conçu de la qualité de sujet alors qu’il est un être vivant dans le ventre de sa mère. Le public ne comprend manifestement pas… mais c’est peut-être le même public qui voudrait placer le droit à l’IVG dans la Constitution tant il paraît fondamental. La contradiction paraît insoluble et chacun a sur la question un point de vue personnel. Ne signifie-t-elle pas que la solution ne dépend que de la volonté individuelle et que le législateur doit permettre à chacun de régler la question comme il l’entend ? Pourquoi ne pas autoriser la mère à faire de l’enfant qu’elle porte une personne si elle le souhaite ?

Une matria potestas au profit d’une materfamilias

D’autant qu’aujourd’hui, le droit de la famille ne paraît plus dominé que par la seule volonté individuelle : « à chacun sa famille, à chaque famille son droit » disait Carbonnier. Ce qui veut dire que chacun peut faire quasiment ce qu’il veut en matière familiale : si jusqu’en 1972, le législateur donnait à l’enfant indivisiblement un père et une mère dans la famille légitime qui était la seule famille reconnue par la loi, il n’en va plus de même aujourd’hui. Il n’existe plus de modèle familial et chacun mène sa barque comme il l’entend. Dans le système contemporain, la volonté de la femme est cependant primordiale. C’est elle qui maîtrise la procréation, elle seule qui peut avoir recours à l’IVG ou à l’accouchement sous X.  On ne demande pas l’avis au géniteur. Oserait-on ajouter qu’elle seule peut décider de donner ou non à l’enfant un père ? Le modèle de famille monoparentale est quelquefois choisi par la mère qui peut préférer vivre seule que mal accompagnée. D’ailleurs, depuis le 2 Août 2021, la femme célibataire peut délibérément avoir recours à la PMA et mettre au monde un enfant qui n’aura par définition jamais de père biologique. En revanche l’homme seul ne peut rien faire et n’a pas de pouvoir équivalent. Nous avons écrit que notre système devient matriarcal (Xavier Labbée, La société française est-elle devenue matriarcale ? cette revue 21 mars 2022) et qu’il instaure une matria potestas au profit d’une materfamilias qui disposerait d’un droit évoquant le jus vitae necisque qu’avait autrefois le paterfamilias.

Le nouveau droit familial est sans doute inégalitaire pour l’enfant : est-il juste que certains enfants n’aient qu’une mère, tandis que d’autres ont deux parents et que d’autres bientôt – au train où vont les choses – en auront trois ou quatre ? Est-il juste enfin qu’un enfant n’ait pas de parents ? L’égalité n’a jamais existé en droit de la famille. Les différences ne feront que s’accentuer dans ce domaine totalement dérégulé. Qu’il y ait deux catégories d’enfants conçus n’est finalement peut-être pas choquant dans un tel paysage. On observe d’ailleurs que le « certificat d’enfant sans vie » évoqué plus haut est facultatif… Il existe deux catégories d’enfants morts nés : ceux pour qui les parents demandent un certificat qui permettra l’obtention d’une sépulture. Et ceux pour qui rien n’est demandé…

Le statut de l’enfant conçu in utero doit-il être revisité et si oui comment ?

La maxime « infans conceptus » ne peut être comprise aujourd’hui qu’à l’image d’une fiction établie en faveur de l’enfant venu au monde vivant et viable, qui peut rétroactivement faire remonter sa personnalité juridique au jour présumé de sa conception. Avant la loi Veil les auteurs l’interprétaient différemment, dans son sens littéral en disant qu’elle avait pour effet d’anticiper la personnalité de l’enfant… Mais c’était le temps ou l’avortement était une infraction contre les personnes et où l’enfant conçu pouvait bénéficier d’un curateur au ventre lorsqu’il pouvait entrer en conflit avec ses auteurs pour des questions de succession… Faut-il revisiter l’interprétation de l’ancien adage ?

Il n’est pas facile de proposer une réforme du statut de l’enfant conçu allant dans le sens de la personnification. Il nous semble qu’il faut l’aborder pour commencer sous le seul prisme de la volonté individuelle de la femme. Notre droit de la famille est devenu à ce point libéral qu’une réforme ne peut proposer que des mesures consensuelles.

La liberté d’être mère

Il nous semble ainsi que le projet présenté est profondément féministe. Si la femme doit avoir la liberté absolue de disposer de son corps comme elle l’entend, elle doit aussi avoir la liberté d’être mère quand elle veut, comme elle veut. Si elle doit pouvoir librement se séparer de son enfant dans les quatorze premières semaines, elle doit aussi pouvoir élever son enfant au rang de personne si elle en a l’envie ou y trouve avantage. Il nous semble que le féminisme ne doit pas se réduire pour la femme à la liberté de disposer de son corps mais qu’il doit inclure aussi la liberté d’être mère. N’est-on mère qu’à la naissance ?

Il nous semble enfin que les défenseurs de la Nature devraient s’intéresser au certificat d’enfant vivant. Défendre la Nature ne se réduit pas selon nous à défendre le décor dans lequel l’homme évolue. C’est de l’homme qu’il s’agit. S’il est au centre de la Nature… en est-il bien le maître ? Peut-il bien en modifier les lois ? Nous comprenons maintenant tous les jours qu’il demeure soumis aux lois naturelles et que vouloir les enfreindre entraîne des conséquences irrémédiables pour l’humanité.

Quand redécouvrira-t-on le droit Naturel ? Quand défendra-t-on l’humain ?

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