Opposabilité du secret à l’expert mandaté par le CHSCT d’un établissement de santé
La Cour de cassation juge fondée la décision du directeur d’hôpital de refuser à l’expert mandaté par le CHSCT de l’établissement sur le fondement de l’article L. 4614-12 du Code du travail, l’accès aux blocs opératoires pendant les interventions ainsi qu’aux réunions quotidiennes des équipes soignantes. Pour la chambre sociale, cet expert n’est pas dépositaire du secret médical et ne peut exiger l’accès qu’aux informations strictement nécessaires à l’accomplissement de sa mission.
C’est une intéressante illustration de conflit de normes que propose l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 20 avril 2017 : la conciliation entre d’une part, la protection du secret, instituée à l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique et d’autre part, le droit pour le CHSCT d’un établissement de faire appel à un expert agréé « lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement », droit consacré à l’article L. 4614-12 du Code du travail.
L’affaire concernait en l’espèce le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail du centre hospitalier Ariège Couserans, qui avait décidé de recourir à une expertise sur ce fondement. Le directeur de l’établissement avait cependant refusé à l’expert l’accès aux blocs opératoires pendant les interventions ainsi qu’aux réunions quotidiennes des équipes soignantes, en opposant le secret médical. Estimant cette restriction illégale, le CHSCT et l’expert saisissent alors le juge judiciaire et contestent la décision du chef d’établissement. Déboutés en appel, ils forment un pourvoi devant la chambre sociale de la Cour de cassation et avancent plusieurs arguments, dont il convient ici de ne relever que les principaux.
Premièrement, ils font valoir que l’expert désigné par le CHSCT dans le but d’établir un rapport sur un éventuel risque grave affectant le personnel de l’établissement est, en raison de ses activités, « en relation avec l’établissement » au sens de l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique. Ainsi, contrairement à ce qu’a relevé la cour d’appel, il « doit être considéré comme dépositaire du secret médical ».
Deuxièmement, les demandeurs soulèvent « qu’en opposant de manière générale le secret professionnel sans contrôler s’il n’était pas porté une atteinte disproportionnée au droit constitutionnellement protégé des salariés à la protection de leur sécurité et de leur santé, la cour d’appel a violé l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 » ainsi que « l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique ». En particulier, ils considèrent qu’en contestant le droit de la société d’expertise de visiter certains lieux de l’hôpital « au motif que l’expert aurait de nombreux moyens pour réaliser sa mission sans porter atteinte au secret médical et que cette société ne justifierait pas en quoi son assistance aux staffs médicaux et son entrée dans les blocs opératoires pendant les interventions serait indispensable au bon déroulement de sa mission » la cour d’appel, qui était tenue de « s’interroger sur la proportionnalité de l’atteinte ainsi portée au secret médical au regard de la nécessité d’assurer le droit à la protection de la santé des salariés », a violé les textes susvisés.
Troisièmement, les demandeurs au pourvoi soutiennent que « la violation du secret professionnel prov[ient] de l’utilisation des informations confidentielles et que dans la mesure où l’expert ne ferait état dans son rapport d’aucune information personnelle concernant les patients, l’atteinte au secret ne serait pas caractérisée », moyen auquel les juges d’appel n’auraient pas répondu.
La chambre sociale de la Cour de cassation rejette l’ensemble des arguments du pourvoi, au terme d’un raisonnement en deux temps.
Dans un premier temps, la Cour de cassation commence par rappeler qu’« il résulte des alinéas 1 et 2 de l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique que toute personne prise en charge par un établissement de santé a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant, que ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne, venues à la connaissance de tout membre du personnel de ces établissements et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements, qu’il s’impose également à tous les professionnels intervenant dans le système de santé ». Elle ajoute « que la cour d’appel en a exactement déduit que l’expert mandaté par le CHSCT en application de l’article L. 4614-12 du Code du travail, lequel n’est pas en relation avec l’établissement ni n’intervient dans le système de santé pour les besoins de la prise en charge des personnes visées par l’alinéa 1 de l’article L. 1110-4 précité, ne pouvait prétendre être dépositaire dudit secret ».
Dans un second temps, les magistrats jugent « que, procédant à la recherche prétendument omise, la cour d’appel, qui (…) a constaté d’une part que le motif du recours à l’expertise était l’accroissement de la charge de travail et l’inadaptation des locaux, d’autre part que l’expert disposait de moyens d’investigation tels que l’audition des agents, l’examen des plannings et la visite des lieux hors la présence des patients, de sorte que ces moyens suffisaient à l’accomplissement de sa mission, a légalement justifié sa décision ».
En d’autres termes, il ressort de cette décision, d’une part, que l’expert désigné par le CHSCT n’est pas dépositaire du secret médical, d’autre part, qu’il ne peut exiger l’accès à des informations couvertes par ce secret qu’autant qu’elles sont strictement nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Le secret est donc opposable à l’expert par le directeur de l’établissement de santé, qui peut valablement, sur ce motif, limiter l’accès du premier à certains lieux de l’hôpital.
Cette solution ne surprend pas. En effet, le secret professionnel est en principe opposable à tout tiers hors des cas spécifiques dans lesquels la loi ou le règlement autorise ou ordonne la divulgation d’une information couverte par le secret.
C’est ainsi, par exemple, que la loi autorise le partage d’informations entre professionnels de santé participant à une même prise en charge, le législateur ayant récemment étendu cette possibilité aux professionnels du secteur social et médico-social1. La même règle bénéficie à l’expert judiciaire ou à l’expert mandaté par la commission de conciliation et d’indemnisation qui peuvent demander communication de tout document utile à l’expertise, sans que puisse leur être opposé le secret. L’article L. 1142-12 du Code de la santé publique dispose ainsi dans son cinquième alinéa que « Dans le cadre de sa mission, le collège d’experts ou l’expert peut effectuer toute investigation et demander aux parties et aux tiers la communication de tout document sans que puisse lui être opposé le secret médical ou professionnel ». Or, précisément, l’expert mandaté par le CHSCT ne bénéficie pas d’une telle prérogative lui permettant d’accéder à des informations privées concernant les patients pris en charge à l’hôpital. N’étant pas « dépositaire du secret médical », affirme la Cour de cassation, il ne pouvait en l’espèce exiger l’accès aux blocs opératoires durant les interventions et aux réunions des équipes médicales.
Les demandeurs au pourvoi faisaient pourtant valoir que l’accès à ces différents lieux était nécessaire à l’accomplissement de la mission d’expertise et reprochaient à la cour d’appel de n’avoir pas recherché si « les observations en situation de travail réel n’étaient pas indispensables (…), pour permettre de vérifier l’écart entre le travail « théorique » et le travail « réel » ». Car en effet, si le secret médical était certes opposable à l’expert, il importait que cette opposabilité n’entrave pas la possibilité pour ce dernier d’exercer son contrôle sur la réalité des conditions de travail au sein de l’établissement. Il y a là une situation classique de conflit de normes confrontant d’une part, l’exigence de protection de la vie privée des personnes prises en charge et d’autre part, l’impératif de protection de la santé des travailleurs. Pour arbitrer ce conflit, la chambre sociale se réfère au « motif » de la mission d’expertise – l’accroissement de la charge de travail et l’inadaptation des locaux – et applique le standard de la « stricte nécessité » : l’expert ne peut prendre connaissance que des informations indispensables pour remplir les objectifs de sa mission. En l’espèce, la cour d’appel avait relevé que des mesures telles que l’audition des agents, l’examen des plannings et la visite des lieux hors la présence des patients suffisaient à l’expert mandaté pour exercer de manière satisfaisante son contrôle sur les conditions de travail des salariés et apprécier la réalité d’un risque grave pour leur santé.
Si la chambre sociale n’y fait pas directement référence, on notera que cet impératif de stricte nécessité, caractéristique de la résolution des conflits de droits, est rappelé au quatrième alinéa de l’article L. 4614-13 du Code de travail, selon lequel « l’employeur ne peut s’opposer à l’entrée de l’expert dans l’établissement » mais « lui fournit les informations nécessaires à l’exercice de sa mission » et uniquement celles-ci. Une telle exigence est par ailleurs d’application courante en matière de secret. Ainsi, l’exercice des droits de la défense justifie que le professionnel salarié d’un établissement de santé produise aux débats des informations couvertes par le secret, pourvu qu’elles soient strictement nécessaires à sa défense2. Dans un esprit comparable, le code de déontologie médicale prévoit dans son article 118 que « dans la rédaction de son rapport, [l’expert judiciaire] ne doit révéler que les éléments de nature à apporter la réponse aux questions posées. Hors de ces limites, il doit taire tout ce qu’il a pu connaître à l’occasion de cette expertise ».
En réalité, dès lors que les dérogations à l’obligation de conserver le secret sont toujours finalisées, elles n’autorisent la divulgation à des tiers d’informations secrètes qu’autant qu’elles sont utiles à l’objectif recherché par la règle de droit. À titre d’exemple, le partage entre professionnels d’informations relatives à une même personne prise en charge est autorisé à la condition que ces échanges « soient strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention ou à son suivi médico-social et social »3. Dès lors, la règle selon laquelle ne peuvent être transmises que les informations indispensables au but recherché s’applique également aux professionnels « dépositaires du secret médical ». Il en va ainsi, notamment, des échanges entre le médecin traitant et le médecin spécialiste assurant la prise en charge d’un même patient.
L’arrêt nous semble toutefois encourir la critique sur un point, en ce qu’il se livre à une interprétation à la fois restrictive et trompeuse du deuxième alinéa de l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique. Dans l’espèce ici commentée, la chambre sociale approuve la cour d’appel d’avoir jugé que l’expert mandaté par le CHSCT « n’est pas en relation avec l’établissement ni n’intervient dans le système de santé pour les besoins de la prise en charge des personnes » malades et en déduit que cet expert « ne pouvait prétendre être dépositaire dudit secret ».
Or, il nous semble qu’il y a là une méprise sur l’objet du deuxième alinéa de l’article précité. En effet, cette disposition ne vise pas tant à délimiter le champ des personnes « dépositaires du secret » – expression dont la signification et la portée exactes demeurent par ailleurs incertaines – que celles qui sont plus simplement « tenues au secret ». De ce point de vue, il paraît clair que l’expert mandaté par le CHSCT est tenu de conserver le secret des informations confidentielles qui pourraient venir à sa connaissance dans l’exercice de sa mission d’expertise. Il entre ainsi dans le champ des personnes visées par le texte. En effet, contrairement à ce que suggère la Cour de cassation, l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique ne soumet pas uniquement au devoir de secret les professionnels intervenant « pour les besoins de la prise en charge » des patients ou usagers mais plus largement tous ceux qui interviennent dans le système de santé quel que soit leur rôle, dès lors que leurs fonctions peuvent les amener, y compris de manière incidente, à prendre connaissance d’informations de nature secrète4. Il ne fait aucun doute que les membres du personnel administratif de l’établissement, tout comme les experts – médicaux ou non – intervenant à l’hôpital en font partie. C’est cette même conception très large des débiteurs du secret qu’adopte le Code pénal, l’article 226-13 disposant que « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ». S’agissant de l’expert mandaté par le CHSCT, on relèvera d’ailleurs que le dernier alinéa de l’article L. 4614-13 du Code du travail dispose expressément qu’il « est tenu aux obligations de secret et de discrétion définies à l’article L. 4614-9 » du même code. Si l’on peut certes admettre qu’il n’est pas « dépositaire du secret médical » au sens où sa mission n’implique pas nécessairement qu’il se voie confier des informations de santé concernant les patients, cet expert est néanmoins tenu de conserver le secret sur toute information confidentielle qu’il aurait recueilli, entendu ou observé, accidentellement ou non, au cours de sa mission.
On regrettera en conséquence que la Cour de cassation se soit laissée enfermer dans l’argumentaire des auteurs du pourvoi. En effet, pour justifier l’interdiction, opposée par le directeur de l’établissement à l’expert mandaté par le CHSCT, d’accéder à certains lieux de l’hôpital, il n’était nullement besoin d’exclure ce dernier du champ de l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique. Il est en effet acquis que le secret professionnel protégé par ce texte ne s’applique pas uniquement aux professions de santé, ni ne concerne la confidentialité des seules informations de santé. En définitive, la seule question réellement pertinente en l’espèce était de savoir de quelles informations l’expert avait besoin pour mener à bien son expertise, permettant alors d’apprécier jusqu’où l’établissement était en droit – ou plus exactement avait le devoir – d’opposer le secret professionnel.
Notes de bas de pages
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1.
CSP, art. L. 1110-4, II à IV.
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2.
Par ex. Cass. soc., 5 juill. 2011, n° 09-42959 : RDSS 2005, p. 672, note Vidal P.-L. – Cass. crim., 15 févr. 2005, n° 04-81923 : Dr. pén. 2005, comm. 72, obs. Véron M.
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3.
CSP, art. L. 1110-4, II.
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4.
v. Py B., « Secret professionnel », in Vialla F. (dir.), Les grandes décisions du droit médical, 2e éd., 2014, LGDJ, p. 305 et s.