Retour de congé parental et discrimination indirecte

Publié le 23/09/2020

Au retour de son congé parental d’éducation, la non-réintégration du salarié dans son emploi initial occupé avant le congé, ou dans un emploi équivalent, peut être constitutive de discrimination indirecte.

Cass. soc., 14 nov. 2019, no 18-15682, PB

Une salariée a été engagée le 8 septembre 1997 par une société en qualité de comptable. Elle a bénéficié d’un congé parental du 2 juillet 1998 au 23 avril 2001, date à laquelle elle a repris son travail. À son retour de congé parental la salariée a exercé, outre quelques missions comptables, des tâches d’administration et de secrétariat qui sont sans rapport aucun avec son emploi de comptable de niveau V compte tenu de la définition résultant de la convention collective. Elle n’a pas retrouvé son précédent emploi ou un emploi similaire.

La salariée estimant de ce fait avoir été victime d’un harcèlement moral, elle a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir le paiement de dommages et intérêts, demande qui a été rejetée par la cour d’appel par arrêt attaqué, rendu après cassation (Cass. soc., 14 oct. 2015, n° 14-25773), sur cette demande la Cour de cassation renvoie à l’appréciation souveraine des juges du fond, ce qui a pour effet de la rejeter.

Elle invoquait aussi le fait qu’il résulte de la combinaison des articles L. 1225-55 et L. 1225-71 du Code du travail, qu’à l’issue du congé parental d’éducation, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente, qu’à défaut, le salarié a droit à des dommages et intérêts, qu’à son retour de congé parental la salariée a effectivement exercé, outre quelques missions comptables, des tâches d’administration et de secrétariat qui sont sans rapport aucun avec son emploi de comptable de niveau V compte tenu de la définition résultant de la convention collective, ce qu’elle a estimé être une discrimination en raison de son état de grossesse au titre de laquelle elle a sollicité pour la première fois en cause d’appel, raison pour laquelle la juridiction du second degré a rejeté sa demande, une somme à titre de dommages et intérêts en raison de la discrimination dont elle a été victime. De plus, la cour d’appel a estimé que la salariée n’a pas établi la matérialité de faits précis et concordants qui sont de nature à supposer l’existence d’une discrimination à raison de l’état de grossesse, que la preuve d’une discrimination illicite n’est donc pas rapportée.

La Cour de cassation a estimé que la cour d’appel, en se déterminant sans rechercher si, eu égard au nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes qui choisissent de bénéficier d’un congé parental, la décision de l’employeur de ne confier à la salariée, au retour de son congé parental, que des tâches d’administration et de secrétariat sans rapport avec ses fonctions antérieures de comptable ne constituait pas un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination indirecte en raison du sexe et si cette décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

La question de droit qui se posait était de savoir si la non-réintégration dans son emploi d’une salariée de retour de congé parental est susceptible de constituer une discrimination indirecte, ce à quoi la Cour de cassation a répondu de manière affirmative, posant ainsi la question des droits du salarié homme, ce qui arrive, ou femme, ce qui est plus fréquent, à son retour de congé parental (I) et de la sanction du non-respect de ceux-ci par les règles interdisant la discrimination (II).

I – Les droits du salarié de retour dans l’entreprise après un congé parental

Il est acquis que le salarié peut bénéficier d’un congé parental d’éducation1, qui peut prendre la forme d’un congé stricto sensu entraînant la suspension du contrat de travail ou celle d’une réduction de la durée du travail2, dont l’origine se trouve dans des normes européennes3 avec lesquelles le droit interne français est en conformité4. Il est ouvert au père et à la mère d’un enfant de moins de 3 ans, sans distinction, mais en pratique les femmes restent les plus nombreuses à l’utiliser même si l’idée semble progresser chez les pères5.

Même s’il en existe aussi à d’autres moments, le congé parental n’engendre que peu de difficultés (A), les contentieux existant se concentrent surtout sur les problèmes liés à la réintégration du salarié dans son poste initial au moment de son retour dans l’entreprise (B), comme le montre la présente décision.

A – Le congé parental

Le congé parental peut suivre immédiatement le congé de maternité ou d’adoption mais le bénéficiaire peut aussi décider d’un point de départ ultérieur.

L’employeur qui n’a qu’à être informé6 et ne dispose ni de la faculté de le refuser ni de celle de différer7, même en arguant que le conjoint ne travaillerait pas ou serait au chômage8.

Le congé parental ne rompt pas le contrat de travail9.

B – Le retour du salarié dans l’entreprise après son congé parental

La fin du congé peut avoir plusieurs causes et implique la réintégration du salarié dans son emploi antérieur au congé ou dans un emploi similaire.

1 – La fin du congé

Le congé parental prend fin soit par la reprise de l’activité antérieure, laquelle peut intervenir à l’issue de la période initiale ou à l’issue de chaque renouvellement et en tout état de cause à la fin de la période maximale légale, soit le troisième anniversaire de l’enfant mais le salarié est autorisé à reprendre son activité à temps plein ou à temps partiel ou, s’il avait opté pour un travail à temps partiel, solliciter la reprise de son activité initiale en cas :

  • de décès de l’enfant ;

  • d’une diminution importante des ressources du ménage qu’il appartiendra au salarié de démontrer (maladie du conjoint, perte de l’emploi, etc.)10.

2 – La reprise de l’emploi antérieur

Pour le salarié, la fin du congé parental se caractérise par la reprise de l’activité antérieure, la salariée doit retrouver ce poste, peu important la stipulation d’une clause de mobilité dans le contrat de travail11. C’est donc un principe de rétablissement dans l’emploi antérieur ou un emploi équivalent12.

À l’issue du congé parental « le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente »13. Cette règle s’applique même si le salarié demande à reprendre son activité à temps partiel14, si le salarié a été remplacé par un autre en contrat à durée déterminée de remplacement, son retour anticipé ne constitue pas un cas de force majeure autorisant la rupture du contrat de remplacement conclu jusqu’à la fin du congé parental de la salariée remplacée15.

Le contrat n’ayant été que suspendu, il n’est pas possible de parler de réintégration.

Dès lors que dans son précédent emploi la salariée exerçait à titre principal la fonction de caissière, ne constitue pas un emploi similaire, la proposition de l’employeur d’un emploi de gondolière excluant toute activité de caisse16.

Il en est de même de la proposition d’un emploi de garde malade à la salariée qui était employée en qualité de lingère avant son départ en congé parental17.

Ce n’est que dans le cas où l’emploi précédemment occupé « n’existe plus ou n’est plus vacant que la réintégration peut avoir lieu dans un emploi équivalent comportant le même niveau de rémunération, la même qualification et les mêmes perspectives de carrière que l’emploi initial »18.

Ces règles posent la question de la sanction de leur non-respect par l’employeur.

Congé parental

II – Les sanctions du non-respect de ces droits et discrimination

Le législateur a prévu une sanction de principe (A). Or la présente décision a préféré appliquer les règles de la discrimination (B), spécialement la discrimination indirecte.

A – Le principe de sanction

La sanction de principe19 est que l’inobservation par l’employeur des dispositions relatives au congé parental20, dont celle du rétablissement du salarié dans son emploi antérieur21, peut donner lieu, au profit du salarié, à l’attribution d’une indemnité déterminée22 conformément au barème Macron des indemnités de licenciement qui, malgré des avis de la Cour de cassation ayant voulu le conforter23, est encore contesté par les juridictions du fond qui les affrontent frontalement24 ou cherchent des moyens de contourner le barème25. La présente décision de la chambre sociale de la Cour de cassation qui fonde la sanction du non-respect de la règle de rétablissement du salarié dans son emploi antérieur non sur l’indemnisation sur la base du barème mais sur la discrimination s’inscrirait-elle dans cette problématique ?

B – La discrimination

On sait que les discriminations sont interdites et sanctionnées26 et qu’elles peuvent prendre des formes diverses que l’on a l’habitude de regrouper par types (1). La Cour de cassation en utilisant une méthode (2) identique à celle de la Cour de justice de l’Union européenne a procédé à une analyse des faits sous l’angle de la discrimination indirecte donnant un nouvel exemple de sanction de discrimination interdite.

1 – Les types de discriminations

On connaît différents types de discriminations.

Constitue une discrimination directe : c’est la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre personne, placée dans une situation identique, ne l’est, ne l’a été ou ne le sera27.

La discrimination par association : situation d’une salariée à qui son employeur refuse les facilités horaires qui lui sont nécessaires pour s’occuper de son fils handicapé. Elle est aussi envisagée et sanctionnée par les juridictions européennes28.

La discrimination par ricochet : c’est une discrimination d’une personne par la prise en compte d’éléments en concernant une autre que celle à laquelle elle est liée, par exemple le refus du renouvellement d’un contrat à durée déterminée d’un salarié constitue une discrimination, dès lors qu’est pris en considération, par l’auteur du refus, l’engagement politique d’un membre de la famille du salarié concerné29.

Constitue une discrimination indirecte : une disposition, un critère ou une pratique, neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres30, à moins que cette disposition ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens mis en œuvre pour atteindre ce but soient légitimes, nécessaires et appropriés.

Le refus d’affiliation à l’AGIRC (association générale des institutions de retraite des cadres) de certaines catégories professionnelles constitue également une discrimination indirecte, les catégories concernées étant majoritairement occupées par des femmes alors que les catégories affiliées sont majoritairement occupées par des hommes31.

2 – La méthode

Pour faire apparaître les discriminations indirectes, la Cour de justice de l’Union européenne utilise souvent des méthodes statistiques que la présente décision a reprises dans son analyse32 ce qui lui a permis de conclure à une discrimination indirecte.

Il est admis que l’accord-cadre sur le congé parental participe des objectifs fondamentaux des travailleurs33 relatifs à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes34.

La Cour de cassation relève que la cour d’appel avait constaté qu’à l’issue du congé parental d’éducation, la salariée avait exercé, outre quelques missions comptables, des tâches d’administration et de secrétariat qui sont sans rapport aucun avec son emploi de comptable de niveau V. Compte tenu de la définition résultant de la convention collective, la salariée n’a pas retrouvé son précédent emploi ou un emploi similaire.

Partant de là, comme l’aurait fait la Cour de justice de l’Union européenne si elle avait été saisie, la Cour de cassation reproche à la juridiction du second degré de ne pas avoir recherché si, eu égard au nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes qui choisissent de bénéficier d’un congé parental, la décision de l’employeur de ne confier à la salariée, au retour de son congé parental, que des tâches d’administration et de secrétariat sans rapport avec ses fonctions antérieures de comptable ne constitue pas un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination indirecte en raison du sexe et si cette décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et en conclut à l’existence d’une discrimination indirecte basée sur le sexe, ce qui permettra à la victime d’obtenir une indemnisation bien supérieure à celle qu’aurait donnée le barème qui, en cas de discrimination, n’est pas applicable35.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. trav., art. L. 1225-47 et s. ; C. trav., art. R. 1225-12 et s. : Ahumada C., « Le congé parental d'éducation ou le travail à temps partiel pour élever un enfant », RPDS 1995, p. 7 ; Corrignan-Carsin D., « À propos du congé parental d'éducation, portée de la suspension légale du contrat de travail », Dr. sociétés 1993, p. 728.
  • 2.
    C. trav., art. L. 1255-47.
  • 3.
    Dir. n° 96/34/CE du CE, 3 juin 1996 : JOCE L 145, 19 juin 1996.
  • 4.
    C. trav., art. L. 1225-47 et s. ; C. trav., art. R. 1225-12 et s.
  • 5.
    DREES, étude et résultats, 2008, n° 368.
  • 6.
    C. trav., art. R. 1225-13.
  • 7.
    Cass. 2e civ., 10 juill. 2014, n° 13-20372 : RJS 11/14, n° 787.
  • 8.
    Cass. soc., 5 mai 1988, nos 86-40164 et 86-43499 : Bull. civ. V, n° 277.
  • 9.
    Cass. soc., 23 janv. 2008, n° 06-45490.
  • 10.
    C. trav., art. L. 1225-52.
  • 11.
    Cass. soc., 19 juin 2013, n° 12-12758 : JCP S 2013, 1407, note Passerone T.
  • 12.
    C. trav., art. L. 1225-55.
  • 13.
    C. trav., art. L. 1225-55.
  • 14.
    Cass. soc., 13 nov. 2002, n° 00-46503 : TPS 2003, comm. 54.
  • 15.
    Cass. soc., 8 nov. 1995, n° 92-40399 : Bull. civ. V, n° 293 ; JCP E 1996, II 827, note Lachaise G.
  • 16.
    Cass. soc., 12 mars 2002, n° 99-43138 : Dr. sociétés 2002, p. 664, note Radé C.
  • 17.
    Cass. soc., 26 mars 2002, n° 98-45176 : Dr. sociétés 2002, p. 664, note Radé C.
  • 18.
    Cass. soc., 22 oct. 1997, n° 94-44706 : TPS 1997, comm. 305.
  • 19.
    C. trav., art. L. 1225-71.
  • 20.
    C. trav., art. L. 1225-1 à L. 1225-28 et C. trav., art. L. 1225-35 à L. 1225-69.
  • 21.
    C. trav., art. L. 1225-55.
  • 22.
    C. trav., art. L. 1235-3-1.
  • 23.
    Cons. prud'h. Toulouse, avis, 17 juill. 2019, n° S 19-70011, FP.
  • 24.
    Henry M. et Bied-Charreton M.-F., « Tant d’hermine pour une validation aussi contestable du barème Macron », Dr. ouvrier nov. 2019, p. 695.
  • 25.
    De Frémont H., « Remise en cause du barème Macron », obs. sous CA Reims, 25 sept. 2019, n° 19/00003 et CA Paris, 6-3, 18 sept. 2019, n° 17/06676 : LEDEN nov. 2019, n° 112x1, p. 7.
  • 26.
    C. trav., art. L. 1132-1 et s.
  • 27.
    Richevaux M. et Top D., La protection des droits des travailleurs dans l’Union européenne, 2008, L’Harmattan.
  • 28.
    Top D. et Richevaux M., La protection des droits des travailleurs dans l’Union européenne, 2008, L’Harmattan.
  • 29.
    Detraz S., « Discrimination : si ce n’est toi c’est néanmoins ton frère », Gaz. Pal. 4 oct. 2016, n° 275n1, p. 48.
  • 30.
    CJUE, 13 mai 1986 n° 170/84, arrêt Bilka ; L. n° 2008-496, 27 mai 2008, art. 1er, al. 2.
  • 31.
    Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-21489 : Bull. civ. V, n° 168.
  • 32.
    Berlaud C., « Congé parental et discrimination : l'office du juge », obs. sous Cass. soc., 14 nov. 2019, n° 18-15682 (publié au Bulletin, cassation partielle) : Gaz. Pal. 10 déc. 2019, n° 365p6, p. 43.
  • 33.
    Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux, pt 16.
  • 34.
    CJUE, 22 oct. 2009, n° C-116/08, Meerts ; CJUE, 27 févr. 2014, n° C-588/12, Lyreco Belgium ; CJUE, 8 mai 2019, n° C-486/18, Praxair.
  • 35.
    C. trav., art. L. 1235-3-1.
X