La remise en cause de l’interopérabilité des lignes 15 Est et Sud inquiète le Val-de-Marne

Publié le 20/12/2018

Annoncé fin septembre par la Société du Grand Paris, la potentielle annulation de l’aiguillage de connexion entre les lignes 15 Sud et Est provoque l’indignation des élus et de la population du Val-de-Marne. Certains n’hésitent pas à parler de « scandale d’État » au regard des 200 millions d’euros déjà investi dans le projet et demandent à la SGP de revenir en arrière.

Pour sa conférence de presse de rentrée, fin septembre, Thierry Dallard (fraîchement nommé président du directoire de la Société du Grand Paris) avait annoncé à la surprise générale son intention d’abandonner le chantier de Champigny, celui permettant l’interconnexion entre les futures lignes 15 Est et Sud. « Nous nous interrogeons sur la nécessité de faire cette interopérabilité », expliquait-il, détaillant dans un communiqué ultérieur sa volonté « d’évaluer les implications de l’interopérabilité sur l’exploitation du futur réseau afin de peser ses avantages et ses inconvénients ». Concrètement, l’idée est de permettre aux métros de la ligne 15 Est d’utiliser la ligne 15 Sud et inversement, pour éviter aux usagers de devoir changer de train à Champigny-centre. Permettant ainsi aux rames de faire le tour de la petite couronne sans interruption. Une interopérabilité rendue possible par l’ouvrage de l’avenue Roger-Salengro à Champigny dont la réalisation a été entamée il y a déjà 3 ans.

Sa remise en cause a logiquement provoqué une levée de boucliers de la part des élus : dont notamment le maire PCF de Champigny, Christian Fautré en première ligne, mais aussi Guillaume Gouffier-Cha, député LREM du Val-de-Marne ou Jacques J. P. Martin, maire LR de Nogent-sur-Marne. Une union sur le sujet qui rassemble tous les bords politiques, comme l’a démontré la lettre commune des six sénateurs du Val-de-Marne demandant « l’aboutissement des travaux d’entonnement engagés pour assurer l’interopérabilité des lignes 15 Sud et Est ». Les riverains, qui subissent les nuisances d’un chantier en plein quartier résidentiel depuis mars 2015, ont eux aussi fait entendre leur mécontentement. De nombreuses expropriations de commerces et d’habitants avaient été réalisées avant le début des travaux et il est difficile pour les personnes concernées d’imaginer que cela a été en vain. En protestation, un collectif d’habitant a fait circuler une pétition, une manifestation a également été organisé le 24 octobre au pied du siège de la Société du Grand Paris à Saint-Denis.

Un objectif d’économies budgétaires

L’annonce du président du directoire de la SGP ne se fait pas dans un contexte innocent. En janvier dernier, la Cour des comptes rendait un rapport qui soulevait les nombreux dérapages financiers du projet du Grand Paris Express et ses difficultés techniques. Les experts y mettaient notamment en cause des attributions de marchés réalisés dans des conditions peu rigoureuses en raison d’un sous-effectif dans le personnel de la SGP, mais aussi des sous-évaluations dans le projet initial et des complications de mise en œuvre technique. En fin de compte, le budget total du projet a été réévalué à 38,5 milliards d’euros, bien loin de l’objectif initial de 23,5 milliards en 2013.

Fin février, le Premier ministre rendait ses arbitrages en annonçant un nouveau calendrier pour prendre en compte le retard accumulé qui repousse la ligne 15 à l’horizon 2024 (voir détails infra dans l’encadré) et en demandant à la commission des finances de l’Assemblée nationale de s’atteler à la recherche de financements complémentaires. Mais Édouard Philippe a aussi fixé un objectif d’économies de 10 % sur l’ensemble du projet, soit 3 milliards d’euros. Si les pistes n’ont pas été révélées publiquement, il semble que les réflexions aient été poursuivies dans les cabinets, et notamment que l’interopérabilité ait été évoquée dès le printemps auprès du syndicat IDFM. Plus inquiétant encore, certains s’interrogent sur l’avenir de la ligne 15 Est, dont le budget total avoisine les trois milliards d’euros. D’autant que celle-ci est pour l’instant repoussée à 2030 par le gouvernement qui évoque « des complexités inédites » dans sa réalisation. Christian Favier, président du conseil départemental du Val-de-Marne a accordé un entretien pour les Petites Affiches.

Les Petites Affiches

Comment avez-vous appris la remise en cause de l’interopérabilité entre les lignes 15 Est et 15 Sud  ?

Christian Favier

Le 25 septembre dernier, pour la rentrée de la Société du Grand Paris (SGP), Thierry Dallard a évoqué cette possibilité auprès des journalistes. À notre grande surprise, c’est donc dans un article de presse que nous avons découvert la remise en cause d’un point sur lequel nous ne pensions plus avoir à discuter. Je rappelle que ce débat sur l’interopérabilité a eu lieu de 2012 à 2014, soit deux ans de concertation entre la SGP, le syndicat Île-de-France Mobilités (anciennement STIF) et l’ensemble des élus qui ont établi de concert que l’interopérabilité était une meilleure solution. Tout cela, sur la base d’arguments techniques avérés et défendus par le STIF notamment qui a pointé les avantages d’un trafic plus important, d’une souplesse d’exploitation accrue et de meilleures possibilités d’évolutions. Suite à l’arbitrage qui a eu lieu en 2014, l’interopérabilité a donc été incluse dans le document d’orientation et d’investissement (DOI) de la ligne 15 Sud. Certes, on a un coût supplémentaire de 300 millions d’euros, mais c’est un investissement qui sera largement rentabilisé sur une exploitation d’un siècle ! C’était d’ailleurs l’avis du STIF qui nous a expliqué que l’on dépense aujourd’hui des centaines de millions d’euros pour recréer ce type de fonction sur les anciennes lignes RER, des opérations aussi coûteuses que complexes. Nous ne voulons pas répliquer cette erreur pour que les citoyens paient la facture 30 ans plus tard.

LPA

Qu’est-ce qui est en jeu exactement  ?

C. F.

Il y a déjà 170 millions d’euros qui ont été investis dans ce chantier sur le budget total consacré à cette opérabilité. Cela n’aurait donc aucun sens de faire marche arrière maintenant alors que ce vœu avait été voté à l’unanimité il y a 4 ans. Pour lancer ce chantier, nous avons aussi dû effectuer pour 30 millions d’expropriations, je vous laisse donc imaginer la réaction des riverains à qui il faudrait expliquer qu’ils ont subi les nuisances de ce chantier pour rien. C’est tout simplement impensable.

Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’un sujet politique, on parle de questions techniques sur lesquelles les élus n’avaient pas d’avis au départ et tous ont été convaincus après l’étude des arguments. Une délégation rassemblant de très nombreuses collectivités et des personnalités de tous bords politiques s’est d’ailleurs formée pour contester cette remise en cause : le maire de Champigny-sur-Marne, Christian Fautré, Jacques Martin, maire de Nogent-sur-Marne, Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis et même Patrick Devedjan pour les Hauts-de-Seine. Outre les collectivités, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports a également fait un communiqué au vitriol sur le sujet.

LPA

Comment interpréter cette déclaration de Thierry Dallard alors  ? Peut-on la lier aux objectifs d’économies sur le projet du Grand Paris Express annoncé par le gouvernement  ?

C. F.

Difficile de ne pas faire un lien avec les demandes d’économies du gouvernement. Mais même à l’époque des débats, la SGP était déjà pour un chantier sans interopérabilité arguant qu’il serait plus simple à mener. De toute façon, annuler cette interopérabilité serait plus coûteux qu’autre chose : car en plus des budgets engagés qui auraient été dépensés à perte, partir sur un autre schéma demanderait de refaire une déclaration d’utilité publique pour la ligne 15 Est, ce qui la retarderait d’au moins deux ans (sans parler des recours supplémentaires). Le décider il y a quatre ou cinq ans aurait déjà été une mauvaise décision, mais aujourd’hui cela serait juste absurde ! C’est une vision étroite et purement comptable qui ne tient pas compte de la gabegie de dépenser 170 millions pour rien et des problèmes supplémentaires qu’un retard poserait au système déjà plus que saturée des transports de l’Île-de-France.

LPA

Certains élus s’inquiètent de la possibilité d’une remise en cause de la future ligne 15 Est, quel est votre point de vue  ?

C. F.

Revenir en arrière et ne pas faire cette ligne serait là encore d’une grande stupidité. Le RER E perd en régularité de manière croissante, son prolongement à l’ouest paraît difficile et il sera complètement surchargé d’ici quelques années. Même cas de figure pour la ligne 13 qui a besoin de la ligne 15 Est et de la ligne 15 pour soulager sa fréquentation. C’est simple : sans la ligne 15 Est, le système de transports en Ile-de-France n’est pas viable et dans ce cas-là cela ne sert à rien de mener un projet pareil. Je pense que les personnes qui ont amené le sujet sur la table n’ont pas pris la pleine conscience du fonctionnement du système de transports collectif et de la saturation d’un certain nombre de ses lignes. J’ai interpellé Thierry Dallard sur ce sujet qui a répondu publiquement qu’il n’était pas question de remettre en cause la ligne 15 Est. Il n’y a plus de temps à perdre, du retard a déjà été pris il faut désormais faire cette ligne. La fréquentation de nos transports augmente de 2 à 3 % par an, et ce phénomène va s’amplifier sur la prochaine décennie. Ces investissements représentent donc juste le minimum pour que les transports en Île-de-France fonctionnent en 2030. On a quarante ans de retard, le Grand Paris Express devrait à peu près permettre de rattraper ce retard structurel. Et pour cela, il faut l’interopérabilité de la ligne 15 !

LPA

Avez-vous pu discuter avec Thierry Dallard  ? Comment se positionne-t-il  ?

C. F.

Nous avons eu une première réunion de travail où un certain nombre d’arguments ont été avancés, mais l’échange se poursuit. Thierry Dallard a sans doute été surpris par la mobilisation sur le dossier, le vœu du STIF, les déclarations unies de tous les élus, le courrier d’Ile-de-France Mobilités, etc. Il a fini par déclarer qu’aucune décision ne sera prise qui ne sera pas dans le consensus. Je pense qu’il commence à prendre conscience qu’il ne s’agit pas juste d’un sujet local et que des millions d’usagers sont concernés. Nous espérons que la question soit résolue dans les prochaines semaines.

LPA

Les objectifs d’économies annoncés par le Premier ministre sont-ils un sujet d’inquiétudes  ?

C. F.

Il y a eu des présentations d’économies potentielles avec des optimisations de tracés au dernier conseil de surveillance. Certaines choses qui ne sont pas acceptables, notamment dès que l’on touche à des fonctionnalités : on ne va pas supprimer une sortie ou une interopérabilité… Mais nous ne sommes pas fermés à la discussion et d’autres points sont négociables. Enfin, les députés ont voté le 7 novembre un amendement en commission des finances pour 200 millions de recettes supplémentaires afin de trouver des financements pour le Grand Paris (taxe sur les bureaux, taxes sur les parkings commerciaux, taxe de séjour). Suivant par là même les pistes que Gilles Carrez et moi-même avions pu suggérer. Nous construisons des infrastructures qui sont faites pour durer 100 ou 150 ans, autant le faire bien et ne pas économiser 50 millions par des visions court-termistes pour qu’elles dysfonctionnent quelques années tard.

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