Entreprises en difficultés : le barreau des Hauts-de-Seine préconise de renforcer le rôle de l’avocat

Publié le 08/07/2021

Le Barreau des Hauts-de-Seine a été auditionné le 17 mai dernier par la mission d’information sur les entreprises en difficulté du fait de la crise sanitaire*, présidée par Romain Grau (LREM). Le barreau a rédigé un rapport à destination des députés que nous présente Ludivine Jouhanny, avocate experte en droit des entreprises en difficultés, qui l’a préparé aux côtés du bâtonnier Michel Guichard.

Photo de dossiers portant la mention "liquidation"
Photo : @AdobeStock/Le Moal

Actu-Juridique : Le fait qu’un barreau soit auditionné ès qualité par une commission parlementaire est assez inédit, quelle en est la raison ?

Ludivine Jouhanny : Le barreau des Hauts-de-Seine est le premier barreau d’affaires de France en raison de l’implantation de très grosses structures, mais aussi de cabinets plus petits comme celui auquel j’appartiens. Une partie importante de notre activité consiste à accompagner les chefs d’entreprise au quotidien. Il était donc logique que nous participions aux réflexions sur l’amélioration du droit des procédures collective en lien avec la crise sanitaire.  C’est un sujet dont notre barreau s’est très tôt emparé.  Lors du premier confinement, nous avons réalisé à la demande de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI), de la Chambre des métiers et de l’artisanat (CMA) et de l’ordre des experts-comptables d’Ile-de-France des foires aux questions et des modèles-types de documents à destination des chefs d’entreprise. Cela a mobilisé 70 confrères durant 15 jours, essentiellement en droit social et droit des entreprises en difficultés. Puis nous avons lancé la première édition de l’opération « Les avocats prennent la défense » lors de laquelle nous avons proposé aux chefs d’entreprise des ateliers pratiques et des consultations offertes en partenariat avec la CCI, le Medef, la CMA, et la Bred. Notre barreau a donc développé une véritable expertise dans ces matières.

Actu-Juridique : Quels sont, selon vous, les enjeux d’une éventuelle réforme des procédures collectives à venir ?

LJ : C’est un droit à la fois très technique et dérogatoire au droit commun. Or c’est aussi l’une des seules procédures dans lesquelles l’avocat n’est pas obligatoire. Par ailleurs, 90% des sociétés en difficultés sont de toutes petites structures de moins de 10 salariés qui n’ont souvent aucun conseil. Pour avoir une chance de rebondir, il faut anticiper. La meilleure solution est la conciliation, c’est là qu’on observe le plus fort taux de maintien des emplois et d’apurement du passif, mais pour en bénéficier il faut un conseil averti. D’où l’idée de valoriser le rôle de l’avocat en tant que conseil de proximité.

Actu-Juridique : Votre rapport contient plusieurs propositions, il met en particulier l’accent sur la fiducie-sureté, pourquoi  ?

LJ : C’est un dispositif très intéressant pour tous les acteurs d’une procédure collective. Il permet d’affecter un actif à un créancier ; cet actif disparait purement et simplement du patrimoine du débiteur ce qui garantit qu’il ne pourra être affecté à personne d’autre, pas même aux créanciers privilégiés. Seuls les banques et les avocats peuvent effectuer ce type de montage. Or, s’agissant des avocats, on leur impose de souscrire des garanties financières d’un montant supérieur à celui des actifs concernés. C’est une charge financière trop lourde, résultat, très peu peuvent faire de la fiducie et donc elle ne se développe pas.  C’est d’autant plus regrettable qu’on ne dénombre aucun sinistre dans ce type d’activité.

Actu-Juridique : Les petites entreprises n’ont que peu ou pas d’actifs, donc la fiducie n’est pas pour elles d’un grand recours, quelles solutions préconisez-vous à leur intention ?

LJ : Parmi nos propositions, figure la représentation obligatoire par un avocat. La réforme de Nicole Belloubet l’avait prévue et puis elle a disparu en cours de route. S’il y a une procédure où il faut être accompagné, c’est celle-ci. Le petit chef d’entreprise seul face à un juge commissaire, un administrateur judiciaire, un mandataire liquidateur et des candidats repreneurs, c’est lourd, surtout s’il est en plus caution. Certes, c’est une dépense, mais nous proposons la création d’une assurance inspirée de la protection juridique qui permettrait la prise en charge de l’avocat, et pourquoi pas aussi les frais des mandataires judiciaires. Il nous parait également nécessaire de centraliser les dispositifs de prévention au sein des chambres de commerce et des chambres d’artisanat. Le Centre d’information sur la prévention des difficultés des entreprises par exemple marche très bien, mais il est peu connu. Le dirigeant qui a besoin d’aide est reçu par un avocat, un juge consulaire et un expert-comptable, il a donc face à lui toutes les compétences pour lui porter secours. Recourir à la  CCI et au CMA, c’est d’abord rassurer le chef d’entreprise qui a confiance dans ces institutions. C’est lui éviter d’entrer dans un tribunal et de craindre d’être jugé. C’est aussi pouvoir bénéficier de la puissance de communication de ces institutions pour faire connaitre les solutions d’aide proposées.  Parmi les autres propositions, on peut citer la nécessité à nos yeux de limiter à 5 ans le délai de prescription en matière de d’actions en comblement de passif. Actuellement, on est dans un régime d’imprescriptibilité de fait, c’est terrifiant pour un dirigeant. Limiter les actes dont il doit répondre à ceux commis deux ans avant l’ouverture d’une procédure nous semble suffisant.

Actu-Juridique : Voici des mois que l’on annonce une vague de liquidations, et il ne se passe toujours rien, quelles en sont les raisons selon vous ?

LJ : On ne pensait pas que les aides seraient aussi importantes et s’inscriraient dans une durée aussi longue. D’où en effet des prédictions successives qui ne se sont pas réalisées. Ce qui est sûr c’est qu’un jour ces aides s’arrêteront et là on risque d’assister à une vague de liquidations. Il est vrai qu’une nouvelle procédure de « traitement de sortie de crise » a été créée par la loi du 31 mai pour tenter d’éviter la catastrophe, mais je pense que malheureusement cette procédure aura des effets limités. Le chef d’entreprise doit démontrer que ses difficultés sont consécutives à la crise, présenter une comptabilité irréprochable, être en mesure de payer ses charges salariales et  proposer un plan d’apurement, le tout dans un délai contraint de trois mois. On ne sait pas encore à qui le dispositif est destiné car les décrets ne sortiront qu’en septembre, mais il y a fort à parier que l’on visera les entreprises de moins de 20 salariés. Or, celles-ci ne sont souvent pas en mesure de remplir ces conditions. En revanche, l’extension à 10 mois du délai de conciliation fonctionne et a déjà eu un impact positif. Les travaux actuels de l’Assemblée et du Sénat ont pour but d’aménager le droit des entreprises en difficultés à la sortie de crise. On ne sait pas encore s’ils déboucheront sur un texte provisoire ou une grande réforme en profondeur. En général, on a une  refonte du droit des procédures collectives tous les 20 ans, donc ça ne devrait pas tarder….

 

*Cette mission réunit la Commission des affaires économiques, la Commission des finances et la Commission des lois de l’Assemblée nationale