Baromètre de la médiation : le CMAP dévoile ses chiffres 2018
Pour la 11e fois, le Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP) livre son baromètre de la médiation. Cette base de données, dont Sophie Henry, sa déléguée générale, regrette qu’elle ne soit pas généralisée à l’échelle nationale, expose néanmoins une photographie de la médiation et apporte un éclairage sur ses principales tendances et évolutions. « Ces statistiques permettent d’appréhender l’intérêt toujours croissant du monde des affaires pour la médiation », estime-t-elle. Pour le CMAP, émanation de la CCI Paris depuis 1995 et premier centre de résolution de conflits inter-entreprises et intra-entreprises en France, l’année 2019 aura charrié son lot de changements. Mais force est de constater que la médiation convainc de plus en plus d’entreprises, depuis longtemps pour du contentieux commercial, mais depuis peu également pour du contentieux social. Une certitude : les voies alternatives au règlement des conflits au sein des entreprises est porteur de sens, de valeur, et doit continuer à se développer. C’est également la mission que poursuit l’Institut 131, que le CMAP vient de créer, centre de formation dédié aux modes alternatifs de résolution de conflits, qui fournit des outils (analyse transactionnelle, ennéagramme, négociation raisonnée…) à des professionnels, en voie d’être formés à la médiation.
Vive la médiation ! Pour le CMAP, cette méthode alternative de règlement des conflits a clairement fait ses preuves : gain de temps, confidentialité, maîtrise des coûts, pérennisation des relations contractuelles, autant d’avantages qu’elle rend possible. Les chiffres en témoignent. Sur l’année 2018, plus de 550 entreprises ont accordé leur confiance au CMAP, et plus de 5 000 dossiers ont été traités depuis sa création en 1995.
Sur l’année 2018, si 32 % des 260 cas (médiation entreprise) proviennent d’une décision du juge, 68 % des affaires concernent une médiation conventionnelle, à l’amiable, où toutes les parties choisissent délibérément d’avoir recours à la médiation. « La médiation conventionnelle s’intensifie, et pour ce faire, les entreprises mettent en place des clauses dans leurs contrats », précise la déléguée générale. Les modalités de saisine confirment la tendance : les entreprises sont 46 % à inclure des clauses, de façon prévisionnelle.
Autre tendance : le recours à la médiation (conventionnelle comme judiciaire) pour les questions sociales : le taux d’accord en judiciaire atteint les 70 %, contre 75 % en conventionnelle, signe qui ne trompe pas sur la parfaite adaptation de la médiation aux litiges relatifs aux ressources humaines. Enfin, tous les secteurs sont concernés, de l’exécution des contrats commerciaux à la rupture abusive (45 %) en passant par les conflits sociaux individuels ou collectifs, le harcèlement ou le licenciement (14 %) sans oublier la cession d’entreprise, la garantie d’actif-passif, les fusions-acquisitions (13 %) ou encore la propriété intellectuelle et les droits d’auteur (9 %)…
Rapide, efficace et pas cher
Alors que des procédures judiciaires, peuvent s’étendre sur des années (en témoignent les délais pour passer devant le conseil des prud’hommes), l’un des gros avantages de la médiation consiste en sa rapidité. Et ce n’est rien de le dire. En moyenne, une médiation se déroule sur seulement 15 h ! Ce chiffre est, du reste, stable depuis de nombreuses années. Il va sans dire que des cas retors, des affaires complexes d’un point de vue technique où une multiplicité de parties en conflit, peuvent nécessiter plus de 30 h de médiation, mais les cas sont rares. La médiation peut prendre la forme d’une réunion de 15 h d’affilée, notamment si les parties sont étrangères et font spécialement le déplacement, mais peut aussi se mettre en place sur des temporalités plus lentes et plus ponctuelles. « Nous mettons en place des médiations sur des périodes de deux mois renouvelables », explique ainsi Sophie Henry, déléguée générale du CMAP.
Et contrairement aux idées reçues, la médiation ne s’applique pas qu’à de « petits » litiges sans conséquences. « Pendant des années, les avocats ont pu avoir cette vision et estimer que pour les ‘’choses sérieuses’’, il fallait opter pour l’arbitrage. Cela est en train de changer ». La tendance actuelle est à la montée en puissance de la médiation, y compris lorsque les montants du litige grimpent sensiblement. « 72 % des dossiers ont un enjeu supérieur à 150 000 euros, tandis que les montants entre 1 et 3 millions augmentent d’année en année (14 % en 2018). Les montants supérieurs à 3 millions représentent tout de même 22 % des dossiers », précise Sophie Henry. Et d’évoquer un dossier à 80 millions, traité récemment par la médiation au sein du CMAP. Une vraie satisfaction pour la directrice générale du centre, pour qui les entreprises, quel que soit l’enjeu financier, doivent intégrer les différentes options qui se présentent à elles (justice, négociation, arbitrage, et bien sûr, médiation). « La médiation n’est pas un palliatif, mais un vrai outil de résolution des conflits », assène-t-elle.
Autre avantage : le prix, définitivement « maîtrisé ». « Le coût moyen d’une médiation est de 6 000 euros, réparti entre les parties. Pour une résolution de conflit en quelques heures, c’est intéressant ». Et quand bien même le montant en litige atteint les 80 millions d’euros, « le barème est proportionnel à l’enjeu du litige. Mais au maximum, il s’agira de quelques dizaines de milliers d’euros ».
La médiation obligatoire, une décision contre-productive ?
Depuis mars 2019, la loi du 8 février 1995 a été modifiée. Désormais, le juge peut imposer aux parties de recourir à la médiation. « C’est une grande nouveauté, reconnaît Sophie Henry, mais qui ne va pas forcément dans le bon sens. En effet, rendre obligatoire la médiation peut avoir des effets contre-productifs », estime cette dernière. « Alors que le taux de réussite est généralement de 70 % en médiation conventionnelle, il tombe à 55 % dans les médiations judiciaires ». Sophie Henry émet une hypothèse : « Avant la loi du 23 mars 2019, il était très dur de refuser l’injonction mais maintenant c’est inscrit dans la loi. Et, dans le cadre d’une médiation, si l’on pousse les gens à y avoir recours, on ne peut en revanche pas les forcer à trouver un accord ! Une trop forte incitation de la part des magistrats, sans volonté réelle des parties de recourir à la médiation, peut expliquer ce taux de succès assez faible. Pour fonctionner, le positionnement de la médiation doit rester un processus volontaire, sinon on risque de tuer ses atouts : il faut rappeler que l’essence même de la médiation est son caractère volontaire. Les parties choisissent de se réunir pour tenter de trouver une solution amiable avec l’aide d’un tiers ». Selon Sophie Henry, qui assume la force de ses propos, « aller à la médiation sans l’accord des parties revient à un déni de justice. Un tel dispositif devra donc être appliqué avec mesure sinon il risque d’avoir un effet contre-productif quant au développement et au succès de la médiation attendus par les pouvoirs publics ».
L’importance de bien former les médiateurs
Le profil des médiateurs est évidemment déterminant. L’éternelle question reste celle de la pertinence de leur spécialisation. « Dans certains dossiers, les parties se sentent rassurées à l’idée d’avoir un médiateur qui connaît leur us et coutumes, est familier des acronymes et des pratiques », reconnaît la déléguée générale. Mais ce n’est pas une fin en soi. À l’opposé, certaines parties estiment que ce n’est pas tant la spécialisation qui compte que la profonde compréhension des relations humaines qui sont en jeu. Pour des dossiers très techniques, le fait d’avoir un médiateur novice permet de clarifier les incompréhensions entre les parties, car il est en position de mieux identifier le problème en posant des questions simples mais essentielles, parfois passées à la trappe. Dans tous les cas, le médiateur doit éviter de se placer en position d’expert, trop technique – quelle que soit sa compétence – mais bien de rester médiateur : en somme, à lui « de sortir de son rôle de sachant pour se placer dans le rôle d’un communiquant ».
Au CMAP, « nous demandons aux parties quel profil de médiateur elles recherchent, et dans notre réseau d’environ 130 médiateurs, nous trouvons ensuite la personne idoine », explique Sophie Henry. Profil spécialiste ou généraliste, issu du monde de l’entreprise (49 %) ou du monde juridique (51 %), les options sont grandes et déterminées par la commission interne du CMAP dans le cas d’une médiation conventionnelle, ou par le juge, dans le cas d’une médiation judiciaire. Les noms proposés à cette commission sont déjà expurgés des médiateurs qui auraient, éventuellement, un conflit d’intérêt dans le litige qui doit être traité. « Ce qui est déterminant, c’est la pratique, l’expérience, mais aussi, bien sûr, le fait que les futurs médiateurs sont sanctionnés par un examen, dont seulement la moitié le valident », appuie Sophie Henry.
À ses yeux, la médiation doit rester un outil souple : pas question que la médiation devienne une profession réglementée. Elle doit rester une fonction strictement encadrée, certes, mais ne pas se « professionnaliser ». « La fonction n’a de sens que si le médiateur s’est enrichi d’un parcours professionnel, qu’il a compris la problématique du conflit humain. Il faut être passé par le monde de l’entreprise et en avoir une bonne connaissance», réaffirme-t-elle. De la même façon, elle n’envisage pas qu’être médiateur puisse engendrer un revenu principal, au risque d’influencer la qualité du service rendu. « Il faut gagner sa vie à côté et ne pas vivre de la médiation. Dans le cas contraire, les médiateurs perdraient leur côté neutre et indépendant », estime-t-elle.
Mais le succès grandissant de la médiation ne doit pas faire perdre de vue certains freins culturels. Il arrive en effet que direction juridique et direction opérationnelle (commerciale, directeurs d’achat…) ne partagent pas la même vision stratégique. Mais alerte-t-elle, « sans le soutien des directions opérationnelles, la médiation a moins de sens ». Le CMAP a donc prévu de mieux communiquer auprès de certains acteurs de la médiation, comme les avocats ou les directions commerciales, qui peuvent parfois voir en la médiation une perte de pouvoir et d’autonomie, à tort.