Droits de l’enfant : chronique d’actualité législative et jurisprudentielle n° 12 (1re partie)
Les mois écoulés depuis la chronique n° 11 ont été riches en actualité législative concernant le droit de l’enfance. Ces nouveaux textes sont soit guidés par le souci de rendre plus effectives un certain nombre de mesures existantes pour vaincre les réticences de la pratique (administrative, judiciaire ou médicale), soit inspirés par les « bons sentiments » : le législateur se fait tantôt pragmatique, avec plus ou moins de talent, tantôt angélique, mais à quel prix ! À côté de ces figures habituelles du législateur est apparue en 2015 celle plus originale du législateur acculé : obligé d’agir au nom des droits de l’enfant, et « sans réserve » ! La frilosité l’emporte alors sur le pragmatisme et l’angélisme.
L. n° 2015-1402, 5 nov. 2015, tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé
L. n° 2016-297, 14 mars 2016, relative à la protection de l’enfant
D. n° 2015-1459, 10 nov. 2015, relatif aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation » pour les actes des collectivités territoriales et de leurs établissements publics
Cons. const., 6 févr. 2015, no 2014-448 QPC
CA Paris, 24 sept. 2015, no 14/11767
CA Nancy, 12 oct. 2015, nos 15/02014 et 15/00441
CA Nancy, 30 oct. 2015, nos 15/02197 et 14/03397
CEDH, 1er oct. 2015, no 76860/11, Okitaloshima Okonda Osungu c/ France
CEDH, 1er oct. 2015, no 51354/13, Selpa Lokongo c/ France
Cass. 1re civ., 10 juin 2015, no 14-15354, D
Cass. 1re civ., 14 janv. 2015, no 13-27138, PB
CE, 23 mars 2015, no 385365, D
CE, 22 juill. 2015, no 387336, D
CA Paris, 27 mai 2015, no 13/00051
CEDH, 23 mars 2016, no 47152/06, Blokhin c/ Russie
Prolégomènes : Le législateur et l’enfant
Les mois écoulés depuis notre dernière publication1 ont été riches en actualité législative concernant le droit de l’enfance. On retrouve les figures habituelles du législateur, déjà rencontrées dans de précédentes chroniques, à commencer par la figure rassurante du législateur pragmatique. On lui doit tout d’abord la réforme de la déclaration judiciaire d’abandon (rebaptisée « déclaration judiciaire de délaissement parental ») par l’article 40 de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance2 : « exfiltrées » du chapitre du Code civil relatif à l’adoption pour intégrer celui relatif à l’autorité parentale afin de dissiper toute confusion, les nouvelles dispositions ont vocation à améliorer l’effectivité de la mesure ; il s’agit de vaincre les réticences de la pratique (administrative ou judiciaire) à en demander le prononcé ou à la prononcer. Saluons également l’adoption de la loi n° 2015-1402 du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé3. Là aussi, il s’agit de vaincre les réticences de la pratique médicale vis-à-vis de la procédure de signalement par une réaffirmation claire et solennelle, au sein même du Code pénal, de l’irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire de l’auteur du signalement.
Ceci dit, le législateur n’est pas toujours à la hauteur du pragmatisme qu’il annonce… Certes, on ne saurait trouver moyen juridique plus efficace que l’inversion du principe selon lequel « le silence gardé par l’Administration pendant deux mois vaut rejet de la demande », pour forcer l’Administration à apporter une réponse rapide à toutes les demandes des usagers. Malheureusement, cette réforme adoptée en 2013 et entrée en vigueur le 12 novembre 2015 pour les collectivités territoriales, produit des effets pervers redoutables sur la procédure de délivrance de l’agrément en vue de l’adoption. Au législateur, maintenant, d’être pragmatique en prévoyant les moyens matériels et humains pour faire face au contentieux, sauf à ce que les services départementaux « bâclent » les dossiers pour éviter la saisine du juge… (D. n° 2015-1459, 10 nov. 2015, relatif aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation » pour les actes des collectivités territoriales et de leurs établissements publics)4. Le législateur pénal n’est pas en reste : avec la loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal, il voulait notamment faciliter la répression des actes sexuels commis à l’encontre des enfants et forcer la Cour de cassation, jugée trop exigeante dans l’administration de la preuve de la contrainte, à tenir compte de la situation si particulière du mineur tenant à son âge et à son état de subordination. Il en résulte un texte, l’article 222-22-1 du Code pénal, dont la rédaction est une injure au principe de légalité ! Qu’à cela ne tienne : le juge constitutionnel, pourtant si sourcilleux à l’endroit de ce grand principe, n’y voit rien à redire (Cons. const., 6 févr. 2015, n° 2014-448 QPC)5.
Malheureusement, la présente chronique nous montre aussi, une fois de plus, que les « bons sentiments » l’emportent souvent sur le pragmatisme. Le législateur se fait alors angélique : il veut par exemple éviter la stigmatisation des familles monoparentales (et des enfants vivant en leur sein) en unifiant le régime de l’administration légale ou reconnaître symboliquement la souffrance des victimes mineures d’inceste en créant une surqualification pénale – mais à quel prix ! Au prix, d’une part, de la complexification du droit et de l’évacuation inattendue du principe de coparentalité dans la réforme de l’administration légale résultant de l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille. C’est du moins ce que révèle l’analyse, à la lumière des nouvelles dispositions, de la jurisprudence récente relative aux comptes bancaires du mineur (CA Paris, 24 sept. 2015, CA Nancy, 12 oct. 2015 et CA Nancy, 30 oct. 2015)6. Au prix, d’autre part, d’une dénaturation du procès pénal (sa fonction est-elle d’aider la victime, fût-elle mineure, à se reconstruire ?) et de la loi pénale (quelle est cette loi pénale qui nomme symboliquement sans incriminer ?). Au moins, le législateur-thérapeute de 2016 a-t-il retenu la leçon de l’invalidation par le Conseil constitutionnel de la loi précitée du 8 février 2010 : le principe de légalité impose une définition précise du cercle familial à l’intérieur duquel l’abus sexuel sur enfant devient inceste. Mais sa posture de thérapeute est justement incompatible avec les exigences du principe de légalité. La loi montre d’ailleurs les limites de l’exercice : il a bien fallu trancher ! Et, ainsi, dans le texte final, on apprend que le cousin, l’ex-conjoint de la mère et le parent biologique ne peuvent pas commettre l’inceste, contrairement au concubin de la nièce (L. n° 2016-297, 14 mars 2016, relative à la protection de l’enfance, art. 447).
À côté de ces figures classiques du législateur est apparue en 2015 celle plus originale du législateur acculé : obligé d’agir au nom des droits de l’enfant, et « sans réserve » ! La chronologie parle d’elle-même : adoption du protocole facultatif à la CIDE établissant une procédure de présentation de communications le 19 novembre 2011 par l’Assemblée générale de l’ONU ; adoption de la loi autorisant la ratification du protocole le 12 novembre 2015 (L. n° 2015-1463) et ratification du protocole le 7 janvier 2016… à quelques jours seulement de l’audition de la France par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies sur la mise en œuvre effective de la CIDE (13 et 14 janvier 2016) ! C’est que le législateur a bien perçu l’importance de l’enjeu : il s’agit d’instituer un mécanisme de plainte auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies pour violation, par un État partie, des droits protégés par la CIDE. Ainsi, si un enfant estime que l’un de ses droits fondamentaux a été méconnu, il peut déposer une plainte devant le Comité. L’enfant est donc en passe de devenir un sujet de droit international… « En passe » seulement car le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies n’est pas un organe juridictionnel, mais diplomatique ; qui plus est, le protocole ne prévoit aucune sanction juridique véritable8.
On comprend quand même la frilosité du législateur français : une telle publicité serait mal venue pour la soi-disant patrie des droits de l’Homme. Frilosité d’autant plus grande que les risques pour la France d’être épinglée par le Comité sont loin d’être nuls, comme le laisse penser le rapport du Défenseur des droits remis en 2015 au Comité des droits de l’enfant des Nations Unies. Le Défenseur pointe du doigt un certain nombre de questions sensibles, dont celle, tout d’abord, de l’égalité d’accès aux prestations familiales : conditionner le versement des prestations familiales à la régularité de l’entrée sur le territoire français de l’enfant étranger rejoignant ses parents résidant régulièrement en France, n’est-il pas discriminatoire ? Pour la Cour de cassation, il n’y a là aucune inégalité de traitement discriminatoire, pas plus qu’une atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant. Le Défenseur des droits a l’opinion inverse. Certes, contre toute attente, la CEDH vient de conforter la position de la Cour de cassation française en écartant l’argument de la discrimination et en oubliant celui de l’intérêt supérieur de l’enfant (CEDH, 1er oct. 2015, Okitaloshima Okonda Osungu c/ France et Selpa Lokongo c/ France)9. Mais qu’en serait-il devant le Comité des droits de l’enfant ?
Le rapport est plus optimiste, ensuite, sur la question de la parole de l’enfant en justice, soulignant les dernières avancées législatives et règlementaires10 en la matière. La chronique montre pourtant que la jurisprudence française n’est pas à l’abri de la critique dans l’interprétation des textes, refusant parfois de donner toute sa portée au droit d’expression de l’enfant dans les procédures judiciaires le concernant. Ainsi, dans l’arrêt du 10 juin 201511, la première chambre civile de la Cour de cassation a-t-elle confirmé son refus d’imposer au juge du second degré le renouvellement de l’audition de l’enfant à laquelle le juge des enfants avait procédé en première instance dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative. Certes, la solution concerne l’hypothèse d’un mineur qui n’a pas lui-même sollicité son audition, mais l’enjeu de la procédure (le placement de l’enfant) était tel que l’audition sollicitée par la mère s’imposait dans l’intérêt de l’enfant. Pire : quid lorsque le mineur demande lui-même son audition à la cour d’appel ? La lecture de l’arrêt n’incite malheureusement pas à l’optimisme…
Enfin, le rapport du Défenseur des droits n’aborde pas la question de la nationalité de l’enfant. L’analyse de la jurisprudence révèle pourtant quelques petites failles dans notre législation, que le juge rechigne quant à lui à pallier en utilisant l’arme de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il en est ainsi dans cette affaire où l’enfant mineur, qui avait bénéficié de l’effet collectif de la déclaration de nationalité française souscrite par son père étranger marié à une Française, subit une perte automatique de sa nationalité à la suite de l’annulation de ladite déclaration (la naissance d’enfants adultérins prouvant l’absence de communauté de vie réelle, et donc la conclusion d’un mariage blanc). Cet effet légal automatique n’aurait-il pas pu être neutralisé en invoquant l’intérêt supérieur de l’enfant, d’autant que les frères et sœurs ont, quant à eux, échappé à la perte de nationalité parce qu’ils étaient nés avant le divorce de leur père fraudeur ? (Cass. 1re civ., 14 janv. 201512). Le contentieux de la légalité des décrets libérant le mineur de ses liens d’allégeance envers la France montre quant à lui que l’enfant dont les parents ont conjointement demandé, en son nom, l’autorisation de perdre la nationalité française, n’ont aucune possibilité d’exercer une option contraire une fois la majorité atteinte. Cette possibilité est pourtant accordée, en sens inverse, à l’enfant qui a été compris dans l’effet collectif attaché à l’acquisition de la nationalité française par l’un de ses parents13. Ce contentieux est assez rare, mais le Conseil d’État a eu l’occasion de rendre plusieurs décisions en la matière en 2015. Dans deux d’entre elles (CE, 23 mars 2015 et 22 juill. 201514), il se trouve que les requérants, contestant la légalité du décret litigieux adopté pendant leur minorité sur demande parentale, n’ont pas soulevé l’argument de l’absence de prise en compte par le Gouvernement de l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3-1 de la CIDE). Qu’en aurait-il été en ce cas ? Certes, les décrets avaient été adoptés avant l’entrée en vigueur de la CIDE, mais l’article 3-1 ne peut-il pas être jugé rétroactif ? Autrement dit, un enfant qui, pendant sa minorité, subit une décision contraire à son intérêt supérieur, prolongeant ses effets au-delà de sa majorité, doit-il être nécessairement privé de la faculté d’invoquer l’article 3-1 de la CIDE au seul motif qu’au moment où il agit, il n’est plus un « enfant » au sens de la CIDE (i.e. un mineur) ?
Quoi qu’il en soit, l’avancée est grande en matière d’effectivité des droits de l’enfant, même si la CIDE n’est toujours pas dotée de son propre organe de contrôle juridictionnel – contrairement à la Convention EDH. Le contrôle juridictionnel de la violation des droits de l’enfant est donc assuré par le juge national, mais celui-ci ne peut être saisi directement par l’enfant (sauf en matière d’assistance éducative), celui-ci étant traité par le droit français comme un incapable juridique, devant être représenté. Et c’était justement là le danger pressenti par les rédacteurs de l’étude d’impact relative au projet de loi autorisant la ratification du protocole15 : « le protocole n’impose pas que l’enfant puisse agir en son propre nom dans les procédures internes », mais comme il subordonne la recevabilité de la demande de l’enfant à l’épuisement des voies de recours internes, « il est à craindre que dans le cadre d’une saisine du Comité des Nations Unies, celui-ci estime recevable la demande d’un enfant qui se plaindrait de l’impossibilité, en droit interne, de pouvoir agir seul dans les procédures le concernant » (p. 4). D’où les « réserves » proposées par l’étude d’impact, mais qui n’ont pas fait long feu à l’approche de l’audition de la France par ledit Comité !
Ainsi, l’enfant doit attendre la majorité pour pouvoir agir lui-même et défendre ses droits d’enfant qui auraient été méconnus pendant sa minorité. Quels droits ? Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 mai 201516, il était question tout à la fois des droits de l’enfant à son image, au respect de sa vie privée et de sa dignité. En l’espèce, l’enfant devenue majeure agissait contre sa mère en réparation du préjudice moral causé par l’exploitation par la défenderesse de l’image de sa fille entre ses 4 et 12 ans, par le biais de photographies obscènes et dégradantes destinées à une clientèle pédophile. Non seulement la cour d’appel de Paris a reconnu la violation des droits de l’enfant, mais en plus elle est allée au-delà de la simple réparation symbolique (70 000 € de dommages-intérêts). L’enfant devenu majeur peut aussi, pour se défendre d’une action alimentaire engagée contre lui par ses parents (ou le Conseil départemental, créancier de ses parents), invoquer la violation de ses droits d’enfant, pendant sa minorité, par ces derniers. En effet, en vertu de l’article 207, alinéa 2, du Code civil, il peut invoquer le manquement grave de ses parents à leurs devoirs envers lui : devoirs d’entretien, de garde, d’éducation et de surveillance, qui sont bien sûr autant de droits reconnus à l’enfant mineur, qui se résument à un droit à un milieu familial stable et protecteur. À vrai dire, il ne s’agit pour l’enfant que d’obtenir du juge un droit à réparation ou le prononcé d’une peine privée à l’encontre de ses parents : le mal est fait.
N’oublions pas que le contrôle juridictionnel de la violation des droits de l’enfant peut également être exercé par la CEDH : même si la Convention EDH ne comporte aucune disposition propre aux enfants, elle reconnaît les droits qu’elle consacre à « toute personne » ; autrement dit, « les droits de l’Homme appartiennent pleinement aux enfants »17. Qui plus est, la Convention EDH ne s’embarrasse pas de cette contrainte liée à la capacité juridique puisque l’enfant mineur peut saisir la CEDH18. C’est ainsi qu’un mineur de 12 ans a réussi à obtenir la condamnation de la Fédération de Russie pour avoir été détenu illégalement et dans des conditions inhumaines, sans bénéficier d’un droit à un procès équitable (CEDH, 23 mars 2016, Blokhin c/ Russie19). Néanmoins, on bute toujours sur cette condition de l’épuisement des voies de recours internes, obstacle à la recevabilité de la requête : comment cette condition pourrait-elle être remplie si le mineur n’a pas la capacité juridique de saisir les juridictions nationales ? En l’espèce, le Gouvernement russe n’a pas soulevé cette exception préliminaire en temps utile, si bien que la Cour l’a jugé forclos à exciper de cet argument. Autant dire que l’effectivité des droits de l’enfant, dans cette affaire, relève de la chance !
Christine DESNOYER
MCF-HDR à l’université de Lille 2,
Droits et Perspectives du droit (EA 4487) – L’ERADP
I – L’effectivité des mesures de protection de l’enfance : entre pragmatisme et angélisme législatifs
A – L’enfant maltraité
La loi du 5 novembre 2015 : analyse
L. n° 2015-1402, 5 nov. 2015, tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé (JO, 6 nov. 2015, p. 20706). Objets d’une protection spécifique, les enfants méritent une attention toute particulière car ils ne peuvent satisfaire eux-mêmes à leur bien-être. En effet, durant l’enfance, l’être humain est considéré comme étant vulnérable, manquant de discernement, dans la mesure où il n’a pas fini de se développer tant physiquement que psychologiquement. L’intérêt supérieur de l’enfant est donc un principe qui subordonne la nécessité de la protection de ce dernier. Le but lié à la promotion d’une protection accrue de l’enfant est de préserver et d’assurer l’intérêt de ce dernier.
En théorie, il incombe avant tout aux détenteurs de l’autorité parentale de tout mettre en œuvre afin de promouvoir le bien-être des enfants qui sont à leur charge. Les parents titulaires de l’autorité parentale sont alors détenteurs de véritables droits et devoirs envers leurs enfants20. Cependant il peut arriver que la protection de l’enfant soit mise en péril en raison de privations, sévices, atteintes ou mutilations sexuelles pouvant lui être infligés aussi bien par un détenteur de l’autorité parentale que par un tiers. Dans ces hypothèses, l’article 226-14 du Code pénal, modifié à plusieurs reprises21, autorise et impose la révélation du secret médical aux professionnels de santé qui décèleraient ce type de violences.
La loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance prévoyait déjà la levée du secret médical. Malheureusement, elle n’a pas été suffisante afin de protéger les victimes mineures et d’encourager les médecins à signaler les situations de violence. La loi n° 2015-1402 du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de signalement de situation de maltraitance par les professionnels de santé est venue renforcer le rôle des professionnels de santé dans la déclaration des situations de maltraitance (I). Cette loi a également élargi la procédure de signalement à tous les professionnels de santé, mais elle vient également préciser que la dénonciation peut aussi se faire auprès des conseils départementaux (II).
I. Le renforcement du rôle des professionnels de santé
Constituant un problème majeur de santé publique, les mauvais traitements infligés aux enfants recouvrent différents aspects. Il est rare que le mineur, de lui-même, révèle les sévices qui lui sont infligés. En effet, « la majorité des cas de maltraitance se présentent initialement au travers de symptômes médicaux et comportementaux »22 et c’est en cela que le rôle des professionnels de santé est important dans la procédure de signalement des situations de maltraitance. Cependant, déontologiquement parlant, les médecins sont tenus au secret professionnel23, ce qui peut constituer un obstacle à l’efficience de la procédure de signalement.
Le secret médical est un devoir professionnel garantissant l’équilibre entre la protection de la vie privée et les exigences de santé publique. Dans le cadre de la protection de l’enfance, le secret « permet aux professionnels de nouer la nécessaire relation de confiance conditionnant la réussite de leur mission. Au-delà de cette relation de confiance, le secret est également la contrepartie de l’autorisation dont disposent certains professionnels de pénétrer la sphère d’intimité des familles »24. La violation du secret professionnel est sanctionnée par le droit pénal à l’article 226-13 du Code pénal25.
L’article 226-14 du Code pénal est une dérogation à l’article précité en ce qu’il permet au professionnel de santé qui va informer les autorités, de ne pas être condamné pénalement, civilement ou disciplinairement pour violation du secret. En revanche, l’inaction du médecin pourrait être qualifiée pénalement de non-assistance à personne en péril26 dans l’hypothèse où le péril serait imminent et constant et qu’il nécessiterait une intervention immédiate27. Cela dit, si le médecin avait tout mis en œuvre pour permettre l’hospitalisation d’un mineur victime de mauvais traitements et que cette dernière n’avait pas été rendue possible, il ne pourrait pas être condamné pour non-assistance à personnes en péril28. Par ailleurs il serait envisageable que soit retenue à l’encontre du professionnel qui ne révélerait pas le secret pour les cas prévus par la loi, l’infraction de non-dénonciation de crime figurant aux articles 434-1 et 434-3 du Code pénal. Un médecin risque une condamnation pour délit d’omission s’il est resté passif alors qu’il avait constaté dans l’exercice de ses fonctions des atteintes à l’intégrité physique de son patient29. Lesdits articles précisent toutefois que ne sont pas concernées par ces dispositions les personnes astreintes au secret prévu par l’article 226-13 du Code pénal. Cependant l’article 226-14 prévoit un régime dérogatoire pour les personnes tenues au secret. Il semblerait donc que l’inaction pourrait recouvrir de telles qualifications pénales.
Le renforcement du rôle des professionnels de santé dans la dénonciation des situations de maltraitance passe nécessairement par une garantie non négligeable pour eux, à savoir l’impossibilité d’engager leur responsabilité civile, pénale ou disciplinaire si le signalement a été effectué dans les conditions prévues par l’article 226-14. La loi du 5 novembre 2015 vient donc réaffirmer l’irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire des professionnels de santé. Cette garantie est importante dans la mesure où elle vient contrecarrer les réticences et les craintes des médecins vis-à-vis de la procédure de signalement car leur mission première est plus de soigner que de dénoncer aux autorités judiciaires. Il n’était pas rare que les médecins soient attaqués notamment disciplinairement après « une dénonciation mal perçue par les proches de victimes impliqués dans l’affaire »30 et ce encore plus pour des affaires concernant des mineurs. L’ancienne rédaction de l’article 226-14 « ne faisait allusion qu’aux seules sanctions disciplinaires tandis que les règles d’immunité pénale ou civile figuraient et figurent toujours dans d’autres dispositions »31. Désormais, la donne est changée et la nouvelle rédaction a le mérite de la clarté. Le dernier alinéa dudit article dispose : « Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi »32. Il existe donc une meilleure protection des professionnels de santé contre les sanctions.
De plus, concernant les mineurs, le rôle des professionnels de santé est d’autant plus important dans la mesure où le signalement de la maltraitance est explicitement prévu par la loi. Il existe en effet, « une levée du secret professionnel concernant spécifiquement les mineurs victimes de sévices »33. La loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 a posé une incapacité de fait pour les mineurs et cet élargissement concerne également les mineurs de 15 à 18 ans. Il n’est pas nécessaire pour le professionnel de santé d’obtenir l’accord de la victime mineure pour opérer un signalement de maltraitance. En revanche, lorsque le mineur est apte à l’entendre, il n’est pas dénué de sens qu’il en soit informé. De surcroît, « le médecin n’a pas à obtenir l’accord des parents d’un mineur concerné pour faire un signalement »34, ce qui paraît cohérent dans l’hypothèse où les parents eux-mêmes peuvent être à l’origine de la situation de maltraitance, que ce soit en qualité d’auteurs principaux ou de complices. La jurisprudence regorge d’exemples d’affaires dans lesquelles les parents du mineur étaient impliqués. C’est le cas notamment des affaires d’excision.
La question de l’excision en France n’a posé problème qu’à la fin des années 1970 et « les procès dits d’excision ont suscité des polémiques violentes et engendré des débats posant la question du relativisme culturel »35. Initialement, en cas de résultat mortel, les mutilations sexuelles recevaient une qualification correctionnelle, à savoir la qualification d’homicide involontaire. Une criminalisation de l’excision s’est opérée grâce à une lutte pour prouver l’incompétence du tribunal correctionnel dans l’arrêt de la chambre criminelle du 22 avril 1986. Désormais, la complicité des parents peut être retenue au sens de l’article 121-7 du Code pénal car ils fournissent une aide ou assistance pour faciliter la préparation de l’infraction et également une assistance dans l’exécution matérielle des faits. Les parents ont donc une réelle « intention de contribuer à l’acte consommée par autrui »36, d’où la nécessité de ne pas les informer qu’un signalement va être opéré. Les mutilations sexuelles telles que l’excision entrent aujourd’hui dans le champ d’application de l’article 226-14 et également dans celui de l’article 44 du Code de déontologie médicale37. Cela prouve que le professionnel de santé est bien un « défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage »38. Le renforcement du rôle des professionnels de santé est donc un point important de la loi 5 novembre 2015 afin de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant. Par ailleurs, la procédure de signalement a également été étendue.
II. L’extension de la procédure de signalement de maltraitances
L’article 226-14 dispose aujourd’hui que le signalement des maltraitances ne concerne plus uniquement les médecins mais également tous les professionnels de santé. Cette extension relative à la qualité des personnes pouvant se prévaloir de l’article 226-14 permet une appréhension plus large des situations de maltraitance. Selon le Code de la santé publique, les professionnels de santé se décomposent en trois catégories : les professions médicales39, les professions de la pharmacie40 ainsi que les auxiliaires médicaux41.
En cas de maltraitance sur mineur, il appartient au professionnel de santé d’informer l’autorité qui lui paraît être la plus adéquate. « Les autorités peuvent être de nature médicale, administrative et judiciaire »42. C’est en fait lorsque l’entourage du mineur n’aura pas agi que le professionnel de santé devra prendre une décision afin de signaler les maltraitances. « Concernant les mineurs victimes, il existe un modèle de signalement élaboré par les ministères de la Justice, de la Santé et de la Famille ainsi que par le Conseil national de l’Ordre en 2004 »43. Le Code de la santé publique ainsi que le Code de la sécurité sociale, prévoient d’ailleurs que pour les victimes mineures de sévices, une admission au sein des établissements publics peut être prononcée par l’autorité judiciaire44 avec une prise en charge intégrale par la Sécurité sociale45. Il existait déjà avant la loi de 2015 des possibilités pour les professionnels de dénoncer à certaines autorités les maltraitances sur mineurs. Néanmoins, face à une réticence certaine des médecins à se rapprocher du procureur de la République, l’article 226-14, 2° précise désormais qu’il est possible de dénoncer directement les maltraitances auprès des conseils départementaux « par l’intermédiaire des cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être (CRIP) »46. Les CRIP permettent au professionnel de santé de dénoncer des situations préoccupantes, lorsque l’enfant victime de sévices n’est pas encore dans une situation d’urgence, avant d’alerter l’autorité judiciaire. En raison de la complexité des situations, les CRIP ont également un rôle de conseil auprès des professionnels47 et permettent de limiter le recours au procureur de la République. En effet, les conseils départementaux sont devenus les interlocuteurs privilégiés concernant les situations dans lesquelles le mineur est en danger. L’efficacité des CRIP dans la protection du mineur en danger est d’autant plus marquée que ces cellules déjà identifiées dans le Code de l’action sociale et des familles48 sont désormais présentes dans le Code pénal.
Cependant, bien que la loi du 5 novembre 2015 clarifie la procédure de signalement, force est de constater qu’elle reste lacunaire en ce qui concerne la saisine directe de l’autorité judiciaire. En effet, le signalement aux CRIP ne concerne que les situations préoccupantes, mais il n’est pas fait allusion aux situations d’urgence pour lesquelles le procureur de la République doit être avisé directement49. En définitive, si la loi du 5 novembre 2015 fait preuve de clarification, néanmoins, ses avancées demeurent limitées.
Marion MAJORCZYK
Doctorante
Droits et Perspectives du droit (EA 4487) – L’ERADP
Vers une définition de la contrainte… non contraignante ?
Cons. const., 6 févr. 2015, n° 2014-448 QPC. Durant sa minorité, la personne se trouve dans une situation juridique équivoque. Elle oscille entre d’un côté, une protection renforcée justifiant l’impossibilité d’exercer certains droits50, et de l’autre la volonté de ne pas la « confiner dans une incapacité de jouissance inenvisageable »51 afin de permettre son développement. Semblable à Janus, le législateur guide donc le mineur de son passé à son avenir. Cette dichotomie se retrouve d’ailleurs dans la Convention de New York, qui tout en veillant à « l’épanouissement harmonieux de sa personnalité (…) dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension »52, s’assure « de préparer pleinement l’enfant à avoir une vie individuelle dans la société (…)». Pour le professeur Philippe Malaurie, ces missions d’éducation et de de protection relèvent même d’une « tradition millénaire et universelle »53.
Si la spécificité du droit pénal, matière orientée vers la protection de l’ordre public, conduit ce pan du droit à laisser en friche le développement de la personne, il permet néanmoins d’assurer efficacement la première de ces missions en contribuant à une protection efficace du mineur. Dès 1994, Robert Badinter soulignait qu’« un Code pénal dont la vocation première est de protéger l’être humain doit renforcer cette défense quand il s’agit des mineurs »54. Malheureusement, ce projet n’a abouti dans le domaine spécifique et scabreux de la protection sexuelle du mineur qu’à l’apparition d’un « maquis d’incriminations »55. Chaque nouveau texte transforme la recherche originelle de protection en incohérence.
C’est dans ce cadre particulier que s’inscrit la décision du Conseil constitutionnel du 6 février 2015 relatif à l’article 222-22-1 du Code pénal. Créé par la loi du 8 février 201056, ce texte souhaitait faire émerger un semblant d’ordre au sein des agressions sexuelles. Ces incriminations ont pour particularité de reposer sur un élément constitutif commun lié à l’absence de consentement de la victime, puisqu’elles doivent avoir été réalisées « avec violence, contrainte, menace ou surprise »57. Concernant un mineur, et donc une personne juridiquement incapable, la particularité de cette catégorie infractionnelle ne peut que se muer en singularité, que le législateur semblait avoir consacré par la création d’un texte le concernant spécifiquement. L’article 222-22-1 précise l’une des modalités de l’agression, la contrainte, qui « peut être physique ou morale », l’incrimination ajoutant ensuite que « la contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ». Le législateur souhaitait par conséquent adapter la répression pénale à l’incapacité d’exercice touchant le mineur.
L’abrogation du texte était pourtant à craindre puisque la QPC transmise58 remettait en cause sa légalité. Ce grief avait déjà poussé les Sages à abroger emblématiquement les agressions d’harcèlement sexuel59 et d’inceste60, démontrant la faiblesse rédactionnelle régnant au sein de cette catégorie infractionnelle. La question transmise symbolisait parfaitement cette imperfection, le plaignant soulignant que l’autorité de droit ou fait, érigée en élément constitutif par le biais de l’article 222-22-1 du Code pénal, était également une circonstance aggravante de l’infraction pour laquelle il était poursuivi61. Le risque était d’aboutir à un doublon d’incriminations, allant à l’encontre de l’idée même de circonstance aggravante puisque celle-ci se distingue d’un élément constitutif en ce qu’elle vise une « circonstance spécifique qui justifie et explique l’accroissement de sévérité de la peine encourue »62.
La question posée au Conseil constitutionnel démontrait toute l’ambiguïté de l’infraction. Tout en cherchant à optimiser la protection du mineur en matière de sexualité, sa lettre se confrontait aux exigences propres au droit pénal, dont l’un des axiomes est justement le principe de légalité63. En validant le texte dans leur décision du 6 février 2015, les Sages semblent a priori avoir privilégié le premier aspect de la question. Nonobstant, la solution n’est pas pleinement satisfaisante puisqu’elle se caractérise par de regrettables imprécisions. La première trouve sa source dans la rédaction de la décision elle-même. Tout en sauvant le texte, elle n’apporte en effet aucune précision quant aux éléments permettant de légitimer sa légalité (I). Sans doute en conséquence de ce manque d’explications, les Sages laissent également subsister de nombreuses zones d’ombres concernant la notion de contrainte elle-même, pourtant essentielle dans cet article (II).
I. L’imprécision quant à la légalité
Pour valider la légalité de l’article 222-22-1, la décision se contente d’indiquer que le texte n’a pas « pour objet de définir les éléments constitutifs de l’infraction », et qu’en conséquence « il ne résulte pas de ces dispositions qu’un des éléments constitutifs du viol ou de l’agression sexuelle est, dans le même temps, une circonstance aggravante de ces infractions »64. Si la formulation écarte le spectre de la double incrimination assez directement, la doctrine a relevé que ces explications laconiques ne permettaient pas de percevoir la nature exacte des dispositions par rapport au principe de légalité65. Certes, l’objectif d’ensemble de la loi du 8 février 2010 était de trouver la meilleure manière de sanctionner pénalement l’inceste66, et par ce biais de « porter les droits de l’enfant et les droits de l’Homme à la hauteur qu’ils méritent »67. Mais cette louable protection du mineur n’avait pourtant pas empêché les décisions d’abrogation concernant l’inceste lorsque le texte portait atteinte à la légalité. Un objectif d’ensemble, même s’il oriente l’infraction vers la protection pénale du mineur, ne peut donc pas suffire à accorder un « brevet de constitutionnalité ».
Néanmoins, la distinction entre l’article 222-22-1 du Code pénal et les circonstances aggravantes concernées se situe possiblement dans la ratio legis, mais du texte lui-même et non de la loi. Deux objectifs se trouvaient à l’origine de sa création. Son but premier était de contrecarrer les « flottements » de la jurisprudence en matière de consentement du mineur68, tant le juge avait eu de difficultés à se fonder sur le seul âge de la victime pour caractériser l’article 222-2269. Outre cet objectif assez similaire à celui de la loi de 2010, les parlementaires souhaitaient également donner à cette disposition un aspect interprétatif dans le but de la rendre « immédiatement applicable aux affaires concernant des faits commis avant la publication de la nouvelle loi »70, conformément à l’article 112-2 du Code pénal71. Bien plus que la protection du mineur, c’est sans aucun doute cette visée interprétative et donc la singularité pénale de l’article 222-22-1 qui en assure la légitimité. Cette idée est corroborée par la jurisprudence rendue peu après la décision du 6 février 2015, puisqu’à son sens « les dispositions de l’article 222-22-1 du Code pénal, issues de la loi n° 2010-121 du 8 février 2010, ayant un caractère interprétatif », peuvent également s’appliquer aux faits même commis avant l’entrée en vigueur de la loi72.
La volonté initiale de consacrer la jurisprudence, couplée au caractère interprétatif de l’article 222-22-1, distinguent ainsi le texte d’une simple circonstance aggravante. Toutefois, ces objectifs n’aboutissent en pratique qu’à faciliter l’office du juge pénal dans la caractérisation d’un élément constitutif. Cette mise en exergue indirecte du praticien constitue pourtant une limite par rapport à l’objectif de protection du mineur. Il est rappelé dans le considérant 7 que l’article a pour seul objectif de donner des « circonstances de fait sur lesquelles la juridiction saisie peut se fonder ». Or la doctrine souligne depuis la genèse de cette disposition que si la contrainte « peut » éventuellement résulter des éléments factuels énoncés, le verbe n’implique aucune véritable obligation73. Le Conseil, non dans la solution elle-même mais dans son propre commentaire, précise qu’il n’existe justement aucune redondance entre l’article 222-22-1 du Code pénal et les circonstances aggravantes litigieuses puisque le texte « ne dispense pas le juge d’apprécier s’il en est résulté une situation de contrainte »74. Il n’existe en conséquence aucune « présomption de contrainte »75, atténuant en cela la protection offerte au mineur victime d’agressions sexuelles.
L’effort louable du législateur pour enfin accomplir l’objectif de Robert Badinter n’aboutit ainsi qu’à se dédouaner de cette fonction protectrice sur le juge, ce qui apparaît même comme un critère essentiel pour la validité du texte. Bien que toute confiance puisse être accordée au praticien dans l’exécution de cette noble mission, il n’en reste pas moins tenu par l’article 111-4 du Code pénal aux termes duquel « la loi pénale est d’interprétation stricte ». Or la trop grande parcimonie des Sages dans cette solution a des conséquences dommageables pour la lettre du texte, et donc sur le travail d’interprétation du juge.
II. L’imprécision quant à la notion de contrainte
En se contentant de considérer très succinctement le texte comme conforme au principe de légalité, la décision du 6 février 2015 laisse subsister dans celui-ci de nombreuses imprécisions concernant la contrainte qu’il est pourtant censé définir. La première d’entre elles est liée au caractère cumulatif ou alternatif des conditions sur lesquelles le juge peut se baser pour caractériser l’absence de consentement, à savoir la différence d’âge d’une part, et l’autorité de droit ou de fait d’autre part. A priori anodine, cette distinction a pourtant une incidence sur la nature de l’incrimination et donc sur la simplicité à la caractériser76. Certains parlementaires étaient conscients de cette ambiguïté rédactionnelle, regrettant l’absence de précision apportée à ce sujet durant les débats77. La doctrine n’a malheureusement pas permis de résoudre cette difficulté depuis la création du texte. Alors que certains auteurs analysaient la conjonction de coordination « et »78 comme impliquant un cumul des conditions79, un autre pan de la doctrine préférait une solution plus bénéfique aux mineurs et conforme à l’objectif du texte en retenant le caractère alternatif80. Les suites de la décision du 6 février 2015 n’ont malheureusement pas permis de trancher définitivement ce débat. Si le Conseil constitutionnel, de nouveau dans le commentaire de la décision, opta pour un cumul des conditions81, la jurisprudence a quant à elle donné raison à l’autre interprétation en se fondant tantôt sur la seule différence d’âge82, tantôt sur la simple autorité de fait83. La pratique s’est donc accommodée de l’incertitude légale pour favoriser le premier objectif du texte : la protection sexuelle du mineur. Il n’en demeure pas moins que le doute persiste sur ce point, et ce à l’initiative même des Sages. À l’action du juge s’ajoute ainsi un doute quant à la facilité à caractériser le texte.
En sus, deux oublis rédactionnels plus conséquents ressortent aisément de la lettre de l’incrimination. Tout d’abord, seule la contrainte morale est définie, laissant la caractérisation de son aspect physique à la seule discrétion de la jurisprudence. Or, comment distinguer celle-ci de la violence physique, dans la mesure où cette dernière peut être exercée pour « contraindre quelqu’un ou pour obtenir quelque chose »84 ? Le texte perd donc de son intérêt, puisque définir la contrainte ne permet pas de la distinguer de la violence, signifiant qu’un texte de définition peut se permettre de n’apporter aucune définition. À cette tautologie dommageable s’ajoute une incertitude concernant la notion de « différence d’âge ». Suite à la décision du Conseil, la doctrine n’a pu que constater la dolosive imprécision du législateur sur cette question85. Certes, donner des critères concernant la minorité est loin d’être aisé tant l’autorisation à exercer certains droits durant la minorité donne lieu à des solutions disparates en droit interne86. Cette réalité se vérifie également en droit pénal. Si l’article 122-8 du Code pénal permet de sanctionner « les mineurs capables de discernement » au titre de la sanction pénale, la majorité sexuelle est dans ce pan du droit indirectement fixée pour tous à quinze ans par l’article 227-2587. La question aurait en conséquence mérité plus de développements de la part du législateur, ce que certains droits étrangers n’ont d’ailleurs pas hésité à faire88.
Pour une incrimination validée car reposant sur son caractère interprétatif, les Sages ont au final laissé subsister de nombreuses imprécisions quant à la notion même de contrainte. Le texte devient un véritable paradoxe car définir n’est pas forcément préciser. Or le Conseil se montre traditionnellement moins tolérant concernant les textes exempts de termes « clairs et précis »89, ce qui avait notamment justifié l’abrogation du harcèlement sexuel90. Un auteur91 souligne ainsi que le cumul de ces différentes imprécisions aurait pu justifier que l’article 222-22-1 subisse la même sanction. D’ailleurs, sans aller jusqu’à une telle extrémité, certaines décisions avaient déjà été accompagnées de réserves d’interprétation, procédé qui « permet au Conseil de déclarer une disposition conforme à la Constitution, à condition que cette disposition soit interprétée ou appliquée de la façon que le Conseil indique »92. Tout semble donc avoir été fait pour laisser ces lacunes subsister, les Sages n’ayant usé d’aucune de ces deux possibilités.
Le considérant 8 de la décision du 6 février 2015, dans lequel il est rappelé que « l’article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit », acquiert une toute autre signification à l’analyse de ces imprécisions. S’il est assez classique pour les Sages de ne pas se prononcer sur la nécessité d’un texte pénal, ceux-ci préférant s’en remettre à la clairvoyance du législateur93, l’énonciation ne sert en l’espèce qu’à souligner le paradoxe de la validation de l’article 222-22-1 du Code pénal. Le législateur n’a certes pas failli dans sa tâche, mais il n’a rien fait non plus pour véritablement clarifier le flou du « maquis d’incriminations ». En conservant par simple tolérance cette disposition pénale, le Conseil empêche indirectement un véritable débat de fond sur le sujet dont la protection pénale du mineur aurait pu profiter.
Aurélien Sylvain CAMUS
Doctorant
Droits et Perspectives du droit (EA 4487) – L’ERADP
Article 44 de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance
Paradoxalement, alors que l’inceste est une réalité sociale qui touche l’ensemble de la société française et qui, depuis la nuit des temps, emporte la fascination du monde des lettres94, ce problème demeure un tabou social95 difficile à aborder sans tomber dans les travers de la morale. Cela explique très certainement la difficulté qu’ont rencontrée les parlementaires à légiférer sur cette question mais également la pudeur du droit face à ce sujet96. Ce malaise législatif reposait également sur un problème majeur : il n’y a pas de réel consensus quant à la définition de l’inceste97. Or, il s’agissait de définir ce terme alors même qu’il n’existe pas de définition juridique stricte de la famille98, cette notion étant par nature évolutive99.
Bien que le concept d’inceste semble limpide dans la conscience collective, sur le plan légal, la définition du terme pose une pléthore de difficultés100. Le problème de cette notion est qu’elle se trouve à mi-chemin entre l’aspect civiliste de l’inceste et la dimension sociologique de celui-ci. Dès lors, il s’agissait de traduire juridiquement une réalité sociologique. Or, là où il faut, en principe, une seule et même solution juridique, il y a une profusion de réalités sociologiques du fait de la multiplication des familles recomposées101.
Juridiquement, l’inceste évoque un rapport sexuel entre proches parents102. Mais que faut-il entendre par là ? Le manque de clarté entourant les valeurs qui fondent cette censure103 est problématique. En effet, comment délimiter un interdit si on ne sait pas pourquoi il a été créé ?
Même si sa justification demeure discutée, la prohibition semble être à l’origine une règle morale104, qui découle de la constatation du risque accru d’anomalies105 dues à la consanguinité106. Dès lors, il semble qu’à l’origine la source morale de cet interdit repose sur la présence d’un lien biologique.
Toutefois, la prohibition légale s’avère plus large107, puisqu’elle fait référence aussi bien au lien de parenté, qu’à celui d’alliance voire à la simple existence d’une vie commune. Cette constatation se justifierait par le fait que la proscription de l’inceste, en droit, s’appuie sur l’existence d’un lien sacré entre les membres d’une même famille. Cette observation est étayée par le fondement civiliste de la prohibition de l’inceste. Les empêchements à mariage reposeraient sur la nécessité de protéger la raison humaine en évitant la confusion des places généalogiques108. Il s’agirait donc davantage de raisons d’ordre moral et psychanalytique qu’eugénique109.
Dès 1992, on retrouve comme cause d’aggravation le fait qu’une atteinte sexuelle soit commise au sein de la sphère familiale110. Cette disposition a ensuite été modifiée par la loi du 8 février 2010111 dont la grande innovation était d’introduire expressément le terme inceste dans le Code pénal112. On aurait pu saluer cette initiative mais c’était sans compter l’intervention du Conseil constitutionnel113 qui déclara inconstitutionnelle cette disposition114. Certains parlementaires ont regretté qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ait été posée, annihilant leurs efforts pour reconnaître ce mal social115.
Pourtant, l’inceste n’avait pas réellement disparu du Code pénal puisqu’il restait réprimé sous forme d’aggravation des atteintes sexuelles. On aurait alors pu croire que cette dénomination ne serait plus jamais insérée dans le Code pénal. Et pourtant, la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016116 relative à la protection de l’enfant est venue y inscrire expressément ce terme117.
Cependant, les parlementaires redoutaient une nouvelle censure du Conseil constitutionnel (I), mais ont néanmoins admis la nécessité de cette loi symbolique qui soulève tout de même un certain nombre d’incertitudes (II).
I. Une censure du Conseil constitutionnel redoutée
De prime abord, dresser les contours de la notion d’inceste ne semblait pas être insurmontable et pourtant, en témoigne la multiplicité des navettes législatives, attribuer une définition à la notion d’inceste fut un réel défi. Par peur de cette censure constitutionnelle, les chambres se sont concentrées sur la recherche d’une définition claire et précise de l’inceste. Mais la délimitation de cette notion s’est avérée problématique (A), ce qui a conduit à se questionner sur la restriction du champ d’application de cet article par le biais de l’adjonction d’un rapport d’autorité (B).
A. Une délimitation problématique de la notion d’inceste
Fonder l’inceste sur un lien de filiation semblait évident. Dès lors, ont été inclus le cercle étroit de la famille118 ainsi que les oncles, tantes, neveux et nièces. On peut tout de même reprocher au législateur d’inclure uniquement les membres dont la filiation est juridiquement établie119.
Mais, il y a un grand oublié : le cousin ! Pourtant membre sociologique de la famille, il n’est à aucun moment évoqué. Il n’est pas réellement oublié mais plutôt passé sous silence… Comment réprimer pénalement un rapport entre cousins alors qu’il ne s’agit pas civilement d’une union prohibée ? Il est pourtant regrettable pour la victime de ne pas voir dans ce cas la spécificité de sa souffrance reconnue alors que sa réalité est attestée par les associations de victimes120.
Il a également été admis, en intégrant les compagnons, qu’un lien d’alliance, voire de simple vie commune121, puisse entrer en compte. Mais une difficulté est apparue concernant les ex-compagnons : l’enfant n’ayant pas nécessairement de lien familial avec eux, ils ont été exclus du champ de l’inceste122. Le problème est que dès lors, l’ex-compagnon ne sera jamais coupable d’inceste avec cet enfant alors même qu’au-delà de la rupture il peut persister entre eux un lien d’affection étroit.
Cependant, il ne fallait effectivement pas aller dans l’excès inverse et venir inclure des personnes qui ne sont pas par principe des membres de la famille. On évoquera, à ce sujet, la proposition faite par l’Assemblée nationale d’englober le tuteur de la victime ou toute autre personne ayant une délégation totale ou partielle d’autorité parentale dans cette liste. On comprend pourquoi le Sénat avait, sans appel, supprimé cette disposition : cela serait revenu à inclure quasiment tout l’entourage éducatif du mineur. On serait donc sorti totalement du cadre de l’inceste puisqu’il « n’existerait entre l’enfant et l’auteur de l’infraction aucun lien familial ou d’alliance »123. On saluera donc cette suppression qui aurait pu entraîner la censure du Conseil constitutionnel tant redoutée.
Au sein de cette loi, le législateur a dû rechercher un juste équilibre entre une notion large de la famille et une dimension incestueuse restreinte aux proches réels de l’enfant, ce qui l’a amené, pour les membres plus éloignés, à se demander s’il fallait poser une condition d’autorité124.
B. Un questionnement relatif à la nécessité d’un rapport d’autorité
Même s’il semblait impensable d’exclure les frères et sœurs, la question de la condition d’autorité demeurait. Il s’avère que cette disposition aurait été superfétatoire puisqu’il existe déjà une circonstance aggravante liée à l’autorité du mis en cause sur la victime au sein du Code pénal125.
De plus, il aurait alors fallu déterminer l’existence de ce lien d’autorité entre frères et sœurs. Or, puisque l’autorité est le propre des parents, le seul cas d’inceste entre frère et sœur aurait été l’hypothèse d’une délégation d’autorité. On observait alors une incohérence : si l’agresseur n’avait pas la garde de sa victime ou s’il était plus jeune que celle-ci, la qualification d’inceste n’aurait pas été retenue. Ce qui serait revenu à « faire dire à la loi pénale des choses qui sont totalement invraisemblables au regard de la réalité de ce qu’est l’inceste »126. Il était donc logique d’écarter toute condition pour qualifier un rapport entre frère et sœur d’incestueux.
La même question s’était posée pour les oncles, tantes, neveux et nièces. Et la même constatation a été faite, à savoir qu’il aurait été imprudent d’imposer cette exigence, sous peine de voir certains rapports reconnus comme incestueux anthropologiquement, mais qui ne l’auraient pas été juridiquement.
Enfin, les parlementaires se sont interrogés sur le cas des compagnons. On réalise que cette condition d’autorité a été mise en place afin de ne pas élargir de façon excessive le champ d’application de l’article. Cette solution aurait pu sembler superflue pour le cas des beaux-parents mais elle devient nécessaire lorsque l’on constate que « tous les beaux-parents ne s’impliquent pas de la même façon dans la vie de l’enfant »127.
Il s’est posé la question de l’intérêt de restreindre le champ d’application d’un texte qui est purement qualificatif. Il s’avère que, même si la juxtaposition du terme inceste sur la qualification de viol ou d’agression sexuelle n’aggrave pas la peine, il reste tout de même lourd de sens aussi bien pour la victime que pour l’auteur des faits128, et qu’il n’est pas vain de l’avoir ajouté.
II. Une loi symbolique soulevant des incertitudes
Là où le législateur parle de l’introduction de l’inceste dans le Code pénal, il faut préciser qu’il s’agit en fait d’un texte symbolique puisqu’il n’institue pas une nouvelle incrimination. Dès lors, même si « les fonctions éducatrices et moralisatrices de la loi sont mises en doute par la doctrine contemporaine »129, elles atteignent là leur paroxysme. Pour ce faire, le législateur a employé la dimension expressive de la loi pénale ce qui soulève certaines réserves quant à la portée de cette loi (A), voire remet en cause le rôle du droit pénal en élargissant ses attributions de façon tout de même justifiable (B).
A. Une valeur expressive source de réserves quant à sa portée
Comme en 2010, le législateur a pris le parti de créer une surqualification pénale avec d’un côté le texte de droit commun130 et d’un autre côté la qualification d’inceste qui se superpose à la première qualification. En effet, les faits continuent d’être réprimés en tant qu’atteinte sexuelle aggravée131. Le nouveau texte ne permet que d’étiqueter ces faits d’incestueux au travers de la liste qu’il dresse des membres de la famille.
De plus, ce nouveau texte n’a aucune conséquence sur la peine encourue. En effet, il ne prévoit aucune nouvelle sanction : ni peine autonome, ni aggravation de la peine des atteintes sexuelles. Ce qui explique d’ailleurs que ces dispositions soient d’application immédiate. Même si, du fait de son caractère infamant, certains estiment qu’il y a aggravation de la peine132.
L’initiative du législateur au sein de cette loi consiste donc bien à mettre en avant l’aspect expressif de la matière pénale. Il ne s’agit donc pas de sanctionner ce comportement, mais bien de faire passer un message. Le législateur veut faire prendre conscience que l’inceste ne doit pas être un tabou, mais également que la société ne cautionne pas ces faits. Le problème demeure que le droit pénal, ne voulant pas tomber dans la réprobation morale, ne sanctionne pas les faits commis entre deux majeurs consentants et laisse sous-entendre qu’il tolère l’inceste. Il entend donc clarifier les choses par le biais de cette loi : l’inceste est certes toléré, mais uniquement s’il est consenti par les deux protagonistes.
On peut alors émettre un regret133 : le fait que ces dispositions ne s’appliquent qu’aux victimes mineures134. Même si celles-ci doivent faire l’objet d’une attention toute particulière135, il n’en demeure pas moins qu’un rapport entre majeurs reste qualifiable d’incestueux136.
Toutefois, on pourrait critiquer cette initiative au vu du principe de nécessité, puisqu’il existait déjà une réprobation publique de l’inceste au sein du droit civil137. Il faut noter que la portée de l’interdiction de l’inceste en droit pénal ne semble pas tout à fait coïncider avec celle du droit civil138 puisque le législateur a pris le parti de créer une interdiction absolue qui se justifie par le fait qu’il intervient lorsque le consentement fait défaut et donc en présence d’une victime.
Peut-être aurait-il fallu pousser cette démarche jusqu’à la création d’une infraction réellement autonome139 d’inceste pour renforcer la dimension expressive de la loi pénale.
L’importance de ce texte se dévoile dans le fait que le législateur ait pris le temps de préciser qu’il est également applicable en Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et les îles Wallis et Futuna. Sûrement a-t-il retenu l’impair commis relativement au harcèlement moral en 2002…140
Toutefois, le rôle premier de la matière pénale est de protéger l’intérêt général141 et non les intérêts privés de la victime qui n’a, en principe, qu’un rôle subsidiaire. On aurait pu alors dénoncer le législateur comme coupable de prévarication, mais il n’en est rien.
B. Un élargissement justifiable du rôle du droit pénal
En effet, depuis quelques années on observe un phénomène de « privatisation du procès pénal »142 qui se caractérise par le renforcement du rôle des acteurs privés. Le législateur tend à créer des règles protectrices des intérêts individuels, voire érige les droits de la victime en véritable principe directeur du procès pénal. Cette prise en compte accrue passe par un souci de considération pour les victimes. La partie lésée tend de plus en plus à avoir un rôle actif au sein des étapes de la procédure pénale. Cette considération se traduit avant tout par la reconnaissance financière du dommage qu’elle a subi.
Or, l’introduction du terme « inceste » au sein du Code pénal contribue à accroître cette constatation, non plus dans le domaine procédural, mais bien dans le cadre du droit substantiel. Ainsi, il semble que cette loi vienne consacrer la prise en compte de la reconstruction émotionnelle de la victime par le droit pénal. Elle a pour but affirmé de permettre à la victime de voir reconnue expressément la spécificité des violences sexuelles qu’elle a subies.
Comme énoncé supra, avant l’adjonction de ce vocable au sein du Code pénal, l’inceste était réprimé comme cause d’aggravation des atteintes sexuelles. Or, pour un profane du droit, le terme « ascendant »143 ou « toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait » ne fait pas explicitement référence à la dimension incestueuse. Sur ce point, l’ensemble des parlementaires se sont félicités de cette introduction, le droit tendant à s’adapter au vocabulaire courant.
Certains regretteront cette avancée, arguant que le procès pénal n’est pas un lieu de reconstruction pour la victime. Mais si, effectivement, le droit pénal étend son but initial pour prendre une nouvelle dimension, ce n’est pas au détriment du rôle premier du procès pénal. Le fait de qualifier ces actes d’incestueux permet certes une reconnaissance accrue de la victime mais également une prise de conscience de la part du délinquant de la gravité particulière de son acte, ce qui accroît l’aspect rétributif et utilitariste de la sanction pénale.
Il ne faut donc pas voir la protection des intérêts individuels comme antinomique par rapport à la protection de l’intérêt général mais bien comme deux aspects se potentialisant l’un l’autre. En tout état de cause, malgré certaines maladresses du législateur, il s’agit d’une avancée importante du droit qui, en mettant en lumière une réalité sociale, accroît sa dimension humaniste.
Roxanne ALLAIN
Doctorante
Droits et Perspectives du droit (EA 4487) – L’ERADP
(À suivre)
B – L’enfant en rupture familiale
C – Le patrimoine de l’enfant
II – L’effectivité des droits de l’enfant : la frilosité législative
A – Une effectivité renforcée au niveau diplomatique : l’incidence de la ratification du Protocole facultatif à la CIDE établissant une procédure de présentation de communications
1 – Mineur étranger et droit aux prestations familiales
2 – La parole de l’enfant en justice
3 – La nationalité de l’enfant
B – Une effectivité contrariée au niveau juridictionnel
1 – Le droit de l’enfant au juge national subordonné à son accès à la majorité
2 – L’épuisement impossible des voies de recours interne devant le juge européen ?
Notes de bas de pages
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1.
« Droits de l’enfant : chronique d’actualité législative et jurisprudentielle n° 11 », LPA 3, 4, 5, 6 et 7 août 2015.
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2.
Commentaire par Amélie Niemiec.
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3.
Commentaire par Marion Majorczyk.
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4.
Commentaire par Amélie Niemiec.
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5.
Commentaire par Aurélien Sylvain Camus.
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6.
Commentaire par Françoise Dekeuwer-Défossez.
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7.
Commentaire par Roxanne Allain.
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8.
En cas d’échec de la médiation et du règlement amiable, l’État récalcitrant s’expose à une publicité des résultats de la procédure dans le rapport d’activité que le Comité présente tous les deux ans à l’Assemblée générale des Nations Unies (art. 13, 6° et 16 du Protocole).
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9.
Commentaire par Amélie Niemiec.
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10.
V. le commentaire du décret n° 2009-572 du 20 mai 2009 par Françoise Dekeuwer-Défossez, in LPA 30 juin 2010, p. 10.
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11.
Commentaire par Blandine Mallevaey.
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12.
Commentaire par Richard Ouedraogo.
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13.
Faculté de répudier la nationalité française prévue par C. civ., art. 22-3.
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14.
Commentaire par Richard Ouedraogo.
-
15.
Consultable sur le site de l’Assemblée nationale (documents parlementaires relatifs au projet de loi).
-
16.
Commentaire par Michel Dupuis.
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17.
Tulkens F., « La Convention EDH et les droits de l’enfant », Journal du droit des jeunes 2008/2, p. 64.
-
18.
Conv. EDH, art. 34 : « La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique (…) », sans condition de capacité juridique.
-
19.
Commentaire par Nadia Beddiar.
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20.
C. civ., art 371-1, mod. par L. n° 2000-404, 17 mai 2013, art. 13 : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».
-
21.
L. n° 98-468, 17 juin 1998, art. 15, puis L. n° 2002-73, 17 janv. 2002, art. 89, puis L. n° 2003-239, 18 mars 2003, art. 85, puis L. n° 2004-1, 2 janv. 2004, art. 11, puis L. n° 2006-399, 4 avr. 2006, art. 14 II : JO, 5 avr. 2006, et enfin L. n° 2007-297, 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance : JO n° 56, 7 mars 2007.
-
22.
Pillet P., « Santé et protection de l’enfant : Enfance en danger, approche médicale », AJ fam. 2015, p. 254.
-
23.
C. déont. méd., art. 4 ; CSP, art. R. 4127-4.
-
24.
Bloch L., « Santé et protection de l’enfant : Protection de l’enfance et secret professionnel », AJ fam., 2015, p. 259.
-
25.
C. pén., art 226-13, mod. par Ord. n° 2000-916, 19 sept. 2000, art. 3. V. JO, 22 sept. 2000, en vigueur le 1er janv. 2002 : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ».
-
26.
C. pén., art 223-6, mod. par Ord. n° 2000-916, 19 sept. 2000, art. 3. V. JO, 22 sept, 2000, en vigueur le 1er janv. 2002 : « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours ».
-
27.
Bloch L., art. préc., p. 260.
-
28.
CA Aix-en-Provence, 20 juin 2005, n° 878/2005.
-
29.
Le Devro D., « Responsabilité pénale du médecin : omission d’empêcher une infraction », Dalloz actualité, 13 nov. 2013 ; Cass. crim., 23 oct. 2013, n° 12-80793.
-
30.
Seuvic J.-F., « Secret professionnel : art. 226-13 et 226-14, C. pén », RSC 2004, p. 389.
-
31.
« Professionnels de santé : signalements de maltraitance », AJ fam. 2015, p. 640.
-
32.
C. pén., art. 226-14, mod. par L. n° 2015-1402, 5 nov. 2015, art. 1.
-
33.
Cedile G., « Le signalement par le psychologue est-il compatible avec le respect du secret professionnel ? », AJ pén. 2011, p. 579.
-
34.
Manaouil C., Les dérogations au secret médical, thèse, 2008, université de Picardie Jules Verne, faculté de droit et sciences politiques, p. 390.
-
35.
Weil-Curiel L., Le livre noir de la condition des femmes. L’excision en France, 2006, XO Éditions, p. 161.
-
36.
Cass. crim., 6 août 1924 : Bull. crim., n° 323 – Cass. crim., 16 mars 1970, n° 68-90226 : JCP 1971, II, 16, 813.
-
37.
C. déont. méd., art. 44 ; CSP, art. R. 4127-44 : « Lorsqu’un médecin discerne qu’une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou privations, il doit mettre en œuvre les moyens adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. Lorsqu’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il alerte les autorités judiciaires ou administratives sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience ».
-
38.
C. déont. méd., art. 43 ; CSP, art. R. 4127-43.
-
39.
CSP, art L. 4111-1 à L. 4163-10.
-
40.
CSP, art L. 4211-1 à L. 4244-2.
-
41.
CSP, art L. 4311-1 à L. 4394-3.
-
42.
Manaouil C., op. cit., p. 389.
-
43.
Manaouil C., op. cit., p. 390.
-
44.
CSP, art R. 1112-34 : « L’admission d’un mineur est prononcée, sauf nécessité, à la demande d’une personne exerçant l’autorité parentale ou de l’autorité judiciaire. L’admission d’un mineur, que l’autorité judiciaire, statuant en matière d’assistance éducative ou en application des textes qui régissent l’enfance délinquante, a placé dans un établissement d’éducation ou confié à un particulier, est prononcée à la demande du directeur de l’établissement ou à celle du gardien. Lorsqu’il s’agit d’un mineur relevant du service de l’aide sociale à l’enfance, l’admission est prononcée à la demande de ce service sauf si le mineur lui a été confié par une personne exerçant l’autorité parentale. Toutefois, lorsque aucune personne exerçant l’autorité parentale ne peut être jointe en temps utile, l’admission est demandée par le service d’aide sociale à l’enfance ».
-
45.
CSS, art. L. 322-3.
-
46.
Hilger G., « L’incertaine clarification de la procédure de signalement de maltraitances de mineurs par les professionnels de santé », RGDM mars 2016, n° 58, p. 282.
-
47.
Pillet P., art. préc., p. 254.
-
48.
CSP, art. L. 226-3, mod. par L. n° 2016-297, 14 mars 2016, art. 6, mod. par L. n° 2016-297, 14 mars 2016, art. 9.
-
49.
CASF, art. L. 226-4.
-
50.
Ce qui explique que l’article 414 du Code civil dispose que « la majorité est fixée à dix-huit ans accomplis ; à cet âge, chacun est capable d’exercer les droits dont il a la jouissance ».
-
51.
Pour reprendre l’expression de Bonfils P. et Gouttenoire A., Droit des mineurs, 2e éd., 2014, Dalloz, Droit privé, p. 611, n° 1013. Sur le même point, v. Terré F. et Fenouillet D., Droit civil. Les personnes, 8e éd., 2012, Dalloz, Droit privé, p. 338-339, n° 372.
-
52.
Préambule de la Convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant.
-
53.
Malaurie P., Les personnes : la protection des mineurs et des majeurs, 7e éd., 2014, LGDJ, Droit civil, p. 259, n° 598.
-
54.
Badinter R. (préf.) et la Commission de révision du Code pénal, Projet de nouveau Code pénal, 1988, p. 39.
-
55.
Pour reprendre l’appellation de Lazerges C., « Politique criminelle et droit de la pédophilie », RSC 2010, chron. p. 727.
-
56.
L. n° 2010-121, 8 févr. 2010, tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux, art. 1er : JO, 9 févr. 2010, p. 2265.
-
57.
C. pén., art. 222-22.
-
58.
Cass. crim., 13 nov. 2014, n° 14-81249 : Dr. pén. 2015, comm. 1, obs. Véron M.
-
59.
Les Sages ont abrogé l’infraction d’harcèlement sexuel au motif que « l’article 222-33 du Code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis », entraînant une entorse au principe de légalité des délits et des peines : Cons. const., 4 mai 2012, n° 2012-240 QPC, cons. 5.
-
60.
Dans ses décisions du 16 sept. 2011, QPC, n° 2011-163, cons. 4, pour les agressions sexuelles, et celle du 17 févr. 2012, QPC, n° 2011-222, cons. 4, pour les atteintes sexuelles, les Sages ont sanctionné par deux fois le législateur car « il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s’abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ».
-
61.
En l’occurrence, une agression sexuelle aggravée sanctionnée par l’article 222-30, 2°, du Code pénal. En transmettant la QPC, la chambre criminelle étendit également la demande au cas du viol aggravé par l’article 222-24 4° du Code pénal.
-
62.
Sur ce point, v. not. Dalloz M. in Rép. pén. Dalloz, v° « Circonstances aggravantes », nov. 2011, n° 6.
-
63.
L’article 111-3, al. 1, du Code pénal rappelle ainsi que « nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement ».
-
64.
Cons. 7.
-
65.
Darsonville A., « la définition légale de la contrainte morale : simple guide rétroactif à usage des juges », AJ pénal 2015, p. 422.
-
66.
V. sur ce point la proposition de loi visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l’inceste sur les mineurs et à améliorer l’accompagnement médical et social des victimes, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 1538, 19 mars 2009, p. 3 et s.
-
67.
Propos de Marie-Louise Fort, rapporteur du texte devant l’Assemblée nationale : JOAN, 28 avr. 2009, p. 3669.
-
68.
Pour reprendre les propos de Laurent Béteille, rapporteur du texte au Sénat : JO Sénat, 30 juin 2009, p. 6517. Cet objectif est d’ailleurs confirmé par la Circ. n° CRIM – 10 – 3/E8, 9 févr. 2010.
-
69.
Si la jurisprudence avait initialement admis la prise en compte de l’âge pour définir la contrainte morale (Cass. crim., 11 juin 1992, n° 91-85847 : Bull. crim. n° 228 : RSC 1993, P. 781, obs. Levasseur G.), elle était loin d’être fixée sur cette position (v. Cass. crim., 21 oct. 1998, n° 98-83843 : Bull. crim. n° 274 ; D. 1999, jur. P. 75, note Mayaud Y. ; D. 1999, P. 155, obs. Gozzi M.-H. ; Dr. pénal 1999, comm. 5, obs. Véron M. ; JCP G 1998, II, 10215, note Mayer D. ; JCP G 1999, I, 112, spec. n° 4, obs. Véron M. – Cass. crim., 10 mai 2001, n° 00-87659 : Bull. crim. n° 116 : Dr. pénal 2001. comm. 110, obs. Véron M. ; JCP G 2002, I, 155, obs. Véron M. ; RSC 2001, P. 808, obs. Mayaud Y.). Il a fallu attendre l’arrêt du 7 décembre 2005 pour que la jurisprudence confirme à cette occasion que « l’état de contrainte ou de surprise résulte du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés » (Cass. crim., 7 déc. 2005, n° 05-81316 : Bull. crim. n° 306 : D. 2006, jur. p. 1655, note Garé T. ; Dr. pén. 2006, comm. 34, obs. Véron M., Dr. famille 2006, comm. 70, obs. de Lamy B. ; Gaz. Pal. 8 juin 2006, n° 159, p. 20, note. Monnet Y. ; RSC 2006, p. 319, obs. Mayaud Y.).
-
70.
Rapport sur la proposition de loi visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l’inceste sur les mineurs et à améliorer l’accompagnement médical et social des victimes, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 1601, 8 avr. 2009, p. 23.
-
71.
« Sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur : 1° Les lois de compétence et d’organisation judiciaire, tant qu’un jugement au fond n’a pas été rendu en première instance ; 2° Les lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure ; 3° Les lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines ; toutefois, ces lois, lorsqu’elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur ; 4° Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines.
-
72.
Cass. crim., 15 avr. 2015, n° 14-82172 : Bull. crim. n° 93, bien que la question ait déjà été posée sans que la chambre criminelle n’accepte de se pencher sur le problème (Cass. crim., 17 août 2011, n° 11-84081).
-
73.
Guéry C., « Définir ou bégayer : la contrainte morale après la loi sur l’inceste », AJ pénal 2010, p. 128.
-
74.
À la p. 10 du commentaire.
-
75.
Rassat M.-L., Droit pénal spécial : infractions du Code pénal, 7e éd., 2014, Dalloz, Droit privé, p. 644, n° 580.
-
76.
En retenant le caractère alternatif des critères, le texte devient une infraction simple « constituée d’un élément matériel unique ». En cas de cumul, le texte se transforme en infraction complexe puisqu’il faudrait « l’accomplissement de plusieurs actes matériels de nature différente », ce qui complique de facto la répression. Sur cette distinction, v. par ex. Merle R. et Vitu A., Traité de droit criminel. Tome 1 : Problèmes généraux de la science criminelle, droit pénal général, 7e éd., 1997, Cujas, p. 401 et s, nos 298 et 299.
-
77.
Not. Nicole Borvo Cohen-Seat in JO Sénat, 30 juin 2009, p. 6511.
-
78.
Qui s’utilise d’ailleurs dans le langage courant pour « coordonner des termes, des groupes de termes et des phrases, et exprimant une addition, une jonction, un rapprochement ». V. à ce sujet CNRTL, v° « et », http://www.cnrtl.fr/definition/et.
-
79.
Guéry C., art. préc. Dans le même sens, v. Darsonville A., art. préc.
-
80.
En ce sens, v. not. Lazerges C., art. préc. ; Detraz S., « L’article 222-22-1, in fine, du Code pénal à la lumière de la jurisprudence », Dr. pén. 2015, étude 24, speck. n° 5 et s. En renfort du caractère alternatif des critères, qui permet justement une plus large protection des mineurs, il ne faut pas oublier que la minorité de la victime et l’autorité de droit ou de fait sont justement deux circonstances aggravantes utilisées distinctement. Elles sont par exemple inscrites à l’article 222-29-1 du Code pénal pour la première et à l’article 222-28 pour la seconde concernant les autres agressions sexuelles. Si le législateur conçoit les comportements comme dissociables en tant que circonstances aggravantes, pourquoi deviendraient-ils forcément cumulatifs en tant qu’éléments constitutifs ?
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81.
Dans les pages 5 et suivantes du commentaire, les Sages se contentent de reprendre l’argumentaire présent dans l’article précité de Guéry C. ainsi que certains aspects de la proposition de loi initiale, sans pour autant s’intéresser aux débats parlementaires en eux-mêmes.
-
82.
Dans le cas où une victime âgée de trois ans est victime des faits par un voisin : Cass. crim., 23 sept. 2015, n° 13-83881 : Dr. pén. 2015, comm. 154, obs. Conte P. ; Cass. crim., 18 nov. 2015, n° 14-86100 : Dr. pén. 2016, comm. 24, obs. Conte P.
-
83.
Dans le cas d’un professeur de karaté : Cass. crim., 18 févr. 2015, n° 14-80772.
-
84.
CNRTL, v° « Violence », http://www.cnrtl.fr/definition/violence.
-
85.
Comme le souligne justement Darsonville A., art. préc.
-
86.
La doctrine relève qu’il existe différents systèmes pour déterminer la majorité en fonction des domaines concernés. Sur ce sujet, v. Malaurie P., op. cit., p. 261, n° 601.
-
87.
« Le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende ».
-
88.
De manière à protéger les mineurs en tenant compte de la spécificité liée à la capacité juridique, le Code criminel canadien se montre par exemple beaucoup plus prolixe en consacrant les articles 150.1 et suivants à la seule question de la différence d’âge.
-
89.
Cons. const., 18 janv. 1985, n° 84-183 DC, loi relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, cons. 12. Le Conseil a dégagé à cette occasion l’obligation pour le législateur de définir les éléments constitutifs des infractions en des termes « clairs et précis ».
-
90.
V. supra.
-
91.
Dreyer E., « Un contrôle si faible contrôle de constitutionnalité », AJ pénal 2015, p. 250.
-
92.
V. sur ce sujet Boulet M., « Questions prioritaires de constitutionnalité et réserves d’interprétation », RFDA 2011, p. 753 et s. ; Samuel X., « Les réserves d’interprétation émises par le Conseil constitutionnel », in Accueil des nouveaux membres de la Cour de cassation au Conseil constitutionnel le 26 janvier 2007, p. 1.
-
93.
V. not. Cons. const., 15 janv. 1975, n° 74-54 DC, loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse, cons. 1 : AJDA 1975, p. 134, note Rivero J.
-
94.
de Combles de Nayves P, « Loi sur l’inceste : peut mieux faire », Constitutions 2012. p. 91 : « De l’Œdipe de Sophocle, au héros de Ma mère de Georges Bataille, l’inceste a autant fasciné le monde des lettres qu’il a suscité la répulsion morale de la société. Noyau des réflexions de Claude Lévi-Strauss, l’inceste est aussi au cœur de la construction psychanalytique de Freud ».
-
95.
Brenot P. et Picq P., Le sexe, l’homme & l’évolution, 2009, Odile Jacob, Sciences.
-
96.
Mayer D., « La pudeur du droit face à l’inceste », D. 1988, chron. p. 213.
-
97.
Lazerges C., « Politique criminelle et droit de la pédophilie », RSC 2010, p. 725.
-
98.
Hauser J., « Préliminaires : définir la famille par l’inceste », RTD civ. 2011, p. 752.
-
99.
Bernard-Xémard C., Droit civil : Les personnes – La famille, 2e éd., 2014, Gualino, TweetCours, p. 17.
-
100.
Germain D., « L’inceste en droit pénal : de l’ombre à la lumière », RSC 2010, p. 599.
-
101.
Labbée X., « Épouser sa sœur », AJ fam. 2015, p. 427.
-
102.
Cornu G., « Inceste » in Vocabulaire juridique, 8e éd., 2007, PUF, Quadrige, p. 476-477.
-
103.
Batteur A., « L’interdit de l’inceste : Principe fondateur du droit de la famille », RTD civ. 2000, p. 759.
-
104.
Germain D., art. préc.
-
105.
Ces anomalies somatiques sont l’expression d’un gène défectueux.
-
106.
Batteur A., art. préc.
-
107.
Ibid.
-
108.
Legendre P., « Revisiter les fondations du droit civil », RTD civ. 1990, p. 639.
-
109.
Maurin M.-P., L’accès au mariage dans les législations européennes, thèse, 1997, université Aix-en-Provence, p. 255.
-
110.
L’ancien article 222-24 du Code pénal de 1992.
-
111.
L. n° 2010-121, 8 févr. 2010, tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux, art. 1er et 2.
-
112.
C. pén., art. 222-31-1 (version abrogée par la QPC du 16 septembre 2011).
-
113.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 juin 2011 par la Cour de cassation (Cass. crim., 22 juin 2011, n° 4006), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une QPC.
-
114.
Cons. Const., 16 sept. 2011, n° 2011-163 : Le Conseil constitutionnel a estimé que bien qu’il fût légitime de vouloir qualifier ces faits d’incestueux, il était contraire au principe de légalité des délits et des peines de ne pas « désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ».
-
115.
Fort M.-L., in JO, 13 mai 2015, p. 4525, Débats parlementaires : Ass. nat. séance du 12 mai 2015.
-
116.
Une proposition de loi relative à la protection de l’enfant a été déposée au Sénat en septembre 2014 avec le but affirmé de recentrer cette protection sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle a été consacrée au sein de l’art. 44 de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.
-
117.
C. pén., art. 222-31-1 : « Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis sur la personne d’un mineur par : 1° Un ascendant ; 2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ; 3° Le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait ».
-
118.
Batteur A., art. préc. : L’auteur estime que le cercle étroit de la famille comporte les père et mère ainsi que les frères et sœurs.
-
119.
Cette prise de position se justifie par le fait que le fondement de l’inceste est, en droit, plus moral qu’eugénique. Mais de façon regrettable, il apparaît donc que la dimension consanguine de l’inceste ne soit pas forcément prise en compte puisque la filiation établie n’est pas obligatoirement en adéquation avec la véracité biologique.
-
120.
Roman B., in JO, 13 mai 2015, p. 4526, Débats parlementaire : Ass. nat. séance du 12 mai 2015.
-
121.
Batteur A., art. préc. : Il s’agit là d’une originalité au regard du droit civil puisqu’il « ne prend jamais en compte la pseudo-alliance qui découle des relations sexuelles hors mariage d’un concubinage ».
-
122.
Le Houerou A., in JO, 19 nov. 2015, p. 9538, Débats parlementaires : Ass. nat. séance du 18 nov. 2015. D’après le député il ne faudrait pas que l’on puisse condamner « une personne pour inceste à l’encontre de l’enfant d’un ancien compagnon ou d’une ancienne compagne né après leur séparation ».
-
123.
Le Houerou A., in JO, 19 nov. 2015, p. 9538, Débats parlementaires : Ass. nat. séance du 18 nov. 2015.
-
124.
Garçon E., Code pénal annoté, 2e éd., 1952-1957, Librairie de la société du recueil général de lois et arrêts, ss. art. 331 à 333, n° 135. D’après l’auteur, l’autorité de droit émane de la loi tandis que l’autorité de fait résulte de circonstances particulières et de la position des personnes les unes par rapport aux autres.
-
125.
C. pén., art. 222-24 et 222-28.
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126.
Robiliard D., in JO, 13 mai 2015, p. 4526, Débats parlementaires : Ass. nat. séance du 12 mai 2015.
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127.
Bernard-Xémard C., op. cit., p. 17.
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128.
Lazerges C., art. préc.
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129.
Batteur A., art. préc.
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130.
Le législateur a restreint le champ d’application de cette surqualification à deux infractions sexuelles : le viol et les agressions sexuelles.
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131.
Mayer D., art. préc. : L’inceste est « sanctionné comme une forme particulière d’abus d’autorité ».
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132.
Bonnet A., « Les infractions familiales et leur constitutionnalité », AJ fam. 2012, p. 603.
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133.
Lepage A., « Réflexions sur l’inscription de l’inceste dans le Code pénal par la loi du 8 février 2010 », JCP G 2010, p. 609 : « Comment expliquer par exemple à deux jeunes filles âgées de 17 et 19 ans et violées par leur père, que la première soit désormais victime d’un viol incestueux pour le droit pénal et pas la seconde ? ».
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134.
C. pén., art. 222-31-1 : « Lorsqu’ils sont commis sur la personne d’un mineur ».
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135.
Salmona M., « La réalité des violences sexuelles et de leurs conséquences », in Le livre noir des violences sexuelles, 2013, Dunod, p. 47-51.
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136.
Le droit pénal n’étant pas juge de la morale, le Code pénal ne réprime pas les faits incestueux entre deux majeurs consentants. Toutefois, lorsqu’un majeur viole ou agresse sexuellement un autre majeur, la peine peut être aggravée du fait du caractère incestueux de l’acte. Ainsi, dans le cadre des atteintes sexuelles, l’inceste est réprimé aussi bien pour les majeurs que pour les mineurs. On aurait alors pu penser que le législateur mettrait en place cette surqualification pour l’ensemble des victimes d’inceste peu importe leur âge.
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137.
Le droit civil réprime l’inceste via les empêchements à mariage. Toutefois, ceux-ci interviennent entre deux majeurs consentants, puisque l’âge nubile est de 18 ans. Or ici le droit pénal intervient justement lorsqu’il n’y a pas de consentement. Il semble donc que les deux branches du droit se complètent plus qu’elles ne se répètent.
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138.
Il s’agit là d’une différence notoire avec le droit civil. Là où le Code pénal n’admet aucune exception, le droit civil nuance la prohibition de l’inceste. En effet, le Code civil fait la distinction entre les empêchements à mariage absolus, qui sont insusceptibles de dispense, et ceux relatifs, qui peuvent être levés par le biais d’une dispense accordée par le président de la République pour des « causes graves ».
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139.
En l’espèce le texte relatif à l’inceste ne se suffit pas à lui-même, puisqu’il ne peut être mis en œuvre que par le biais des qualifications de viol ou d’agression sexuelle. Cette technique du renvoi est d’autant plus critiquable que le texte n’indique pas les articles auxquels se trouvent lesdites qualifications.
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140.
Gindre E. et de Loynes de Fumichon B., « La réception du droit pénal français à Tahiti (1842-2000) », in Archives de politique criminelle n° 36 : Pluralisme culturel et politique criminelle, 2014, A. Pédone, p. 101-102.
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141.
Pin X., « La privatisation du procès pénal », RSC 2002, p. 245.
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142.
Ibid.
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143.
Germain D., art. préc. : « En droit pénal, les infractions incestueuses étaient ainsi camouflées par l’emploi de la notion d’ascendant ». L’auteur explique que l’on retrouve le même problème en droit civil avec la notion « d’empêchement à mariage ». Il va même jusqu’à parler de « subterfuge euphémique ».