Droits de l’enfant : chronique d’actualité législative et jurisprudentielle n° 15 (3e partie)

Publié le 26/09/2018

S’il faut retenir un mot des débats publics les plus enflammés qui ont dominé la fin d’année 2017, c’est assurément celui de « consentement » : le consentement donné par l’enfant à une relation sexuelle avec un adulte peut-il être libre ? En droit civil, le consentement du mineur est aussi un grand sujet : il vient limiter le pouvoir de décision des titulaires de l’autorité parentale. Si les enjeux de la question du consentement de l’enfant diffèrent logiquement en droit pénal et en droit civil, les deux branches du droit se retrouvent sur un principe élémentaire : la capacité de consentir suppose la capacité de discerner, à laquelle certains textes font produire des effets spécifiques, dans un but de protection de l’enfant, parfois détournés par les parents…

I – La dignité de l’enfant en fin de vie

II – L’intégrité de l’enfant

A – L’intégrité corporelle de l’enfant

1 – Les vaccinations obligatoires

2 – Circoncision et intersexualité

3 – Droit d’asile et examen médical de non-excision

Arrêté du 23 août 2017 pris pour l’application des articles L. 723-5 et L. 752-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et définissant les modalités de l’examen médical prévu pour les personnes susceptibles de bénéficier, ou qui bénéficient, d’une protection au regard des risques de mutilation sexuelle féminine qu’elles encourent1. Avec les dispositions de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, les mutilations génitales féminines (MGF) ont fait leur entrée dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Pour autant, le contentieux des étrangers ne les ignorait pas : les MGF2 étant considérées par les juges strasbourgeois et administratif comme un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention EDH, l’invocation du risque de les subir est un moyen qui peut être soulevé à l’encontre des décisions d’éloignement3. C’est toutefois le droit au séjour qui est concerné par le nouvel article L. 752-3 du Code des étrangers. En mentionnant l’hypothèse selon laquelle « l’asile a été octroyé à une mineure invoquant un risque de mutilation sexuelle », il entérine la position dégagée par le Conseil d’État dans une série d’arrêts d’Assemblée du 21 décembre 2012 et affiche clairement le principe selon lequel le statut de réfugié peut être accordé en vertu du motif du risque d’excision4.

La loi de 2015 fournit par ailleurs une base légale à une pratique de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra)5 qui a consisté, depuis juillet 2009, à ce que les personnes de sexe féminin invoquant le risque de mutilations, ou déjà protégées à ce titre par l’asile, subissent un examen médical certifiant leur non-excision – l’objectif étant alors de s’assurer qu’aucune excision n’a été pratiquée postérieurement à l’octroi de la protection6. Le cadre juridique législatif prévoyant pour être complet l’adoption d’un arrêté, c’est dans ce cadre que s’inscrit celui du 23 août 2017, arrêté conjoint du ministre de l’Intérieur et du ministre de la Santé.

Que l’Ofpra, le législateur, puis les ministres, envisagent un examen médical une fois la protection par l’asile accordée aux réfugiées peut étonner, puisque que c’est dans le pays d’origine de ces filles et fillettes étrangères que le risque de subir des mutilations sexuelles ainsi que son ampleur s’apprécient. Cette approche s’appuie sur une réalité incontestable : les pratiques coutumières se sont délocalisées du fait du phénomène migratoire. De tels rites préjudiciables à l’intégrité du corps humain, longtemps étrangers et extérieurs, sont devenus une préoccupation locale expliquant le développement d’un volet pénal national7. La spécificité de la protection par l’asile au titre des MGF ne peut être que soulignée : elle est intrinsèquement limitée, incomplète puisque l’octroi ne saurait suffire à empêcher que les mutilations soient pratiquées ici, en France. En effet, s’il est plausible que les mutilations soient pratiquées in situ dans le cadre de courts séjours exceptionnels de la famille, la situation archétypale envisagée par la France est bien tout autre. Elle intègre le fait que le risque de mutilations, en raison de la dimension singulière des MGF qui sont inséparables du groupe auquel les fillettes et filles appartiennent, ne disparaît pas avec l’octroi de l’asile.

Les MGF violent les droits de la personne humaine, attentent à l’intégrité physique et ont pour spécificité essentielle que les enfants en sont les principales victimes8. Il est dès lors essentiel que les pouvoirs publics garantissent le respect de l’intégrité de leur corps et c’est assurément cette direction qui a été prise par la loi de 2015. Néanmoins, l’introduction voulue par le législateur d’un examen médical dans la phase postérieure à l’octroi du statut afin de s’assurer qu’il n’y ait pas eu atteinte à l’appareil génital interroge : cette intrusion institutionnelle est-elle pertinente ? Quelles en sont les modalités ? Protéger le corps de l’enfant, oui, mais à quel prix ? Les avantages attendus de l’examen médical de non-excision sont-ils réellement supérieurs aux inconvénients générés par le procédé lui-même ?

Par bien des aspects, de tels arguments pourront sembler dissonants, le discours dominant présentant l’examen médical comme un moyen nécessaire et adapté de protection de l’intégrité corporelle de la fillette (I) ; une telle vision n’est pas pour autant isolée : elle s’appuie en partie sur des analyses autorisées et affirmations convaincantes (II).

I. L’examen médical de non-excision présenté comme un instrument protégeant l’intégrité du corps de l’enfant

Les textes français (l’arrêté encore davantage que la loi) confortent l’approche de l’Ofpra s’agissant de la conception qu’il se fait de sa mission de protection des réfugiées au titre des MGF9. Toutefois, l’examen au titre des mutilations a vocation à être effectué, en l’état des textes, dans deux situations distinctes bien que la finalité soit identique : il faut constater la non-excision de l’enfant sujet de cette investigation (A). Les caractères de ces examens méritent d’être mis en lumière (B).

A. Une double certification médicale renforcée par l’arrêté du 23 août 2017

Le législateur, dans sa réforme du 29 juillet 2015, a distingué deux hypothèses d’examen médical. La différence de contexte est réelle mais le lien entre les deux situations visées par la loi existe bel et bien. Si de prime abord le premier ne s’inscrit pas dans la dimension de protection de la fillette réfugiée, l’articulation est toutefois évidente : si la jeune demandeuse d’asile ou ses parents réussissent à convaincre l’Ofpra ou la Cour nationale du droit d’asile, elle devra se plier pour le futur au second type d’examen.

  • L’examen médical de l’article L. 723-5 du CESEDA

Il se situe au stade de l’instruction de la demande d’asile. Il est effectué « en vue de l’octroi » de la protection internationale et la loi est claire : l’Ofpra peut discrétionnairement le réclamer10, qui plus est, quel que soit le motif de l’asile. La certification qui clôture l’examen s’inscrit alors dans une logique de crédibilité propre à l’instruction d’un dossier : le demandeur doit appuyer ses dires par des preuves (traces, cicatrices prouvant des persécutions physiques passées) attestées par le corps médical. L’article précité n’évoque nullement les MGF, ni davantage les filles et fillettes « à risque » ; elles peuvent, comme d’autres, faire l’objet d’un examen médical (avec cette précision que, pour cette hypothèse précise, c’est paradoxalement l’absence de signes physiques qui est recherchée).

L’article 1er de l’arrêté du 23 août 2017 donne corps à l’article L. 723-5 en introduisant deux précisions significatives. Déjà, il se détache des termes de la loi en réservant l’examen médical aux seules hypothèses de demandes motivées par les mutilations sexuelles. Il opère ensuite une autre transformation : l’examen devient pour ce même cas de figure systématique, obligatoire. Les termes sont sans équivoque : l’Ofpra « informe » les parents ou les représentants légaux de l’enfant « de la nécessité pour celle-ci de se soumettre à l’examen médical prévu à l’article L. 723-5 susvisé ».

L’article 1er est ainsi spécifiquement consacré aux mineures invoquant le risque d’excision : la demandeuse doit montrer, afin de donner du crédit à son argumentation et du poids à son dossier, qu’elle n’a pas subi d’atteinte à son intimité. Ce type d’examen médical est permis par le droit de l’Union européenne11 qui apporte une garantie importante12 : le refus de se faire examiner ne peut pas empêcher l’étude de la demande.

  • L’examen médical visé à l’article L. 752-3 du CESEDA

Le législateur a attribué à cet examen médical une fonction différente, celle de permettre de contrôler que l’enfant n’ait pas, postérieurement à l’octroi de la protection, subi des mutilations. Cet examen qui s’inscrit dans le cadre de la poursuite du bénéfice de la protection est explicité par l’article 2 de l’arrêté qui dispose qu’une « information » précisant que la mineure « se soumettra, tant que le risque de mutilation existera, à des examens médicaux visant à en constater l’absence, conformément à l’article L. 752-3 susvisé », est faite à ses représentants légaux.

L’arrêté d’août 2017 n’est pas un texte purement technique. Au prétexte de mise en œuvre des deux dispositions législatives, il se focalise sur la situation des mineures invoquant le risque de mutilations ou protégées à ce titre et réalise par le biais de l’examen médical la jonction de deux situations.

B. Les caractères de l’examen médical

Les caractères des examens médicaux se devinent à travers les dispositions législatives et administratives de référence. L’un d’eux se démarque en mettant en relief l’inclination générale, le deuxième se veut avant tout dissuasif.

  • Les caractères communs aux deux examens

Il faut d’abord insister sur la nature originale de l’examen médical : il s’agit d’une demande administrative d’intervention sur le corps de l’enfant, ce qui en soi est relativement atypique : c’est l’Ofpra qui demande que le corps médical s’assure de la non-excision.

On peut inférer de la lecture des textes comme de leur esprit que cet examen médical est imposé à la personne qui le subit et ceci, quelles que soient les formules rédactionnelles utilisées et malgré l’allusion à la recherche du consentement de la personne faite à l’article 5 de l’arrêté13. Celui-ci semble en réalité purement formel dès lors qu’on pressent qu’il n’est de l’intérêt d’aucune des personnes concernées de refuser cet examen. Le vocabulaire utilisé est à ce propos directif : c’est bien la « nécessité de se soumettre » à l’examen qui fait figure de leitmotiv.

Le caractère imposé de l’examen semble pour la deuxième hypothèse encore plus marqué : le contenu de deux dispositions consécutives de l’arrêté permet cette analyse. L’article 2, alinéa 2 prévoit qu’une information générale portant notamment sur l’examen médical est fournie aux parents au moment de l’obtention du statut. L’article 3 est quant à lui relatif à l’information personnalisée : l’Ofpra « informe par courrier » les parents que la réfugiée devra se soumettre à une observation médicale, ainsi que de la date butoir avant laquelle le certificat médical devra lui être transmis. Il n’est pas excessif d’envisager ce courrier comme une forme de convocation.

C’est enfin le caractère imposé de l’examen qui explique qu’il soit pris en charge par l’Ofpra (art. 4).

  • Les caractères spécifiques de l’examen médical effectué pour le maintien de la protection

Cet examen est général, systématique et inconditionnel : d’une part, ce sont toutes les filles et fillettes placées sous la protection de l’Ofpra au titre de l’excision jusqu’à leurs 18 ans qui sont concernées ; d’autre part, l’examen aura lieu sans que l’Administration n’ait à s’appuyer sur des indices particuliers et/ou circonstanciés induisant la probabilité des mutilations.

Cet examen se caractérise aussi par sa régularité : il doit avoir lieu tous les 3 ans. De façon plus mesurée, il aurait été possible d’imaginer des contrôles aléatoires, inopinés, moins attentatoires aux droits de la personne puisque ponctuels14.

Cette solution plus nuancée ne s’inscrit pas dans l’approche institutionnelle qui, pour le dire sans détour, voit dans les examens périodiques un moyen de contrôle : l’examen médical est un instrument de surveillance mis à la disposition de l’Ofpra.

Si la prévention se définit comme l’ensemble des mesures à prendre contre certains risques, elle se distingue de la dissuasion qui, elle, postule qu’il est possible d’empêcher la commission d’un crime par la peur des conséquences potentielles.

La démarche d’ensemble se veut ici dissuasive. Cette analyse s’appuie sur le grand nombre d’allusions et de renvois faits au dispositif répressif et aux poursuites éventuelles encourues en cas de mutilations. La dissuasion se matérialise déjà dans l’information qui est faite aux responsables légaux. L’article 2, alinéa 1er, de l’arrêté précise que les parents doivent être informés « des conséquences judiciaires pénales des mutilations ». Informer signifie « porter à la connaissance de… », mais cette formule n’est-elle pas autre chose qu’une mise en garde ? Un avertissement possiblement inopportun : les parents sont supposés connaître le caractère néfaste et préjudiciable des mutilations, puisque ce sont eux qui souvent ont fait les démarches nécessaires à l’obtention de l’asile pour leur enfant.

L’article 3, alinéa 2, s’inscrit encore plus clairement dans cette dimension : il distingue quatre hypothèses qui toutes conduiront à ce que le procureur de la République soit avisé sans délai (absence de réalisation de l’examen médical, non transmission du certificat dans le délai fixé, certificat portant la mention du refus de se soumettre à l’examen et, dernière hypothèse, certificat attestant de l’existence d’une mutilation).

Outre que le texte met sur un pied d’égalité les situations, alors même que la dernière devrait se détacher puisque la preuve des mutilations est établie, l’apparition de l’autorité judiciaire dans le processus est significative du brouillage de la frontière prévention/répression. Le texte administratif considère l’absence d’examen, le refus de s’y soumettre comme autant d’indices permettant de supputer la réalisation des mutilations et justifiant d’aviser l’autorité judiciaire, délaissant totalement l’hypothèse selon laquelle l’absence de réponse à une convocation peut s’expliquer par de nombreuses raisons, notamment anodines.

Ce contrôle médical est ainsi présenté comme permettant de rendre la protection des filles et fillettes plus complète encore et – c’est implicite – de nature à répondre à la singularité des MGF qui ne sont pas entièrement détachées du contexte familial ou communautaire. Il a vocation à dissuader la famille proche ou élargie de porter atteinte à l’intégrité du corps de l’enfant.

Cette approche de vigilance poussée n’est pas propre à la France. Surveiller le corps de la fillette a également les faveurs du Parlement européen15 qui estime que l’examen médical permet d’empêcher les mutilations, de les prévenir. Par ce procédé, il s’agit de « renforcer la protection » des mineures menacées de mutilation sexuelle. Ce sont ces termes précis qui sont sans cesse utilisés et répétés (notamment lors des travaux législatifs de 2015). L’approche est assumée : la surveillance du corps constitue « un moyen de garantir l’interdiction de la pratique des MGF dans l’Union (…) »16. Cette vision des choses conduit en définitive à ce que le corps de la fillette réfugiée devienne l’instrument permettant de s’assurer que d’autres n’ont pas transgressé d’interdictions.

II. L’examen médical apprécié comme attentatoire à l’intérêt supérieur de l’enfant

Le dispositif de l’examen médical dessert les intérêts de l’enfant et porte atteinte à certains de ses droits. Critiqué pour cette raison par le Défenseur des droits, ainsi qu’initialement par un collectif d’associations spécialisées dans l’asile (A), il paraît en quelque sorte désincarné, comme si l’enfant qu’on prétend défendre avait été en définitive oublié (B).

A. Un cadre d’ensemble critiqué

Avant même que la loi n’institutionnalise l’examen médical, le procédé créé ex nihilo par l’Ofpra avait suscité des inquiétudes. Le législateur n’a fait que les amplifier : s’il est primordial d’empêcher l’excision, toutes les mesures inscrites dans ce but ne se justifient pas forcément. En l’espèce, la pertinence du procédé interroge ; c’est pourquoi la loi comme l’arrêté ont répondu à certaines préoccupations en posant des garanties.

  • Des interrogations autour de la pertinence du procédé

L’examen médical est-il parfaitement approprié pour ce cas de figure ? Le Défenseur des droits, alerté par la CFDA (coordination française pour le droit d’asile) qui déjà, en octobre 2012, avait communiqué sur ce thème17, s’est exprimé lors des travaux législatifs de ce qui sera la future loi de 201518. Il contestait durement l’examen médical puisque manquant, selon lui, de « pertinence à l’égard du but recherché, c’est-à-dire veiller au respect de l’intégrité du corps des jeunes filles ». Il préconisait sa suppression totale ou à tout le moins sa suspension provisoire19.

Le caractère inadapté de l’examen médical à la situation des fillettes protégées s’explique par une considération simple : jamais la question de l’identification des intérêts en présence et celle de leur conciliation ne sont abordées de front, ni simplement évoquées. Tout est envisagé, posé, comme si l’intérêt supérieur de l’enfant devait s’incarner en une seule réalité : la protéger de l’excision. Ne peut-on au moins souligner le caractère particulier de l’examen médical en question ? Est-il vraiment anodin ? Le but ici n’est pas de mobiliser une autre approche de l’intérêt de l’enfant, mais plutôt de le concilier avec d’autres considérations essentielles tenant à la personne de la fillette, de tenter de trouver le juste équilibre entre intérêt supérieur de l’enfant et intérêts et droits de l’enfant.

La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) en son article 24, § 3, dénonce les MGF20. Elle pose également que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent l’enfant21. Celui-ci doit-il être appréhendé de façon abstraite ? Ne peut-on déduire de l’esprit du traité que les États parties doivent choisir des mécanismes qui servent efficacement l’intérêt de l’enfant ?

Les avantages du contrôle médical sont envisagés in abstracto, en occultant notamment, mais pas uniquement, la singularité de l’examen médical.

Les vertus du procédé sont surdimensionnées ; il n’est pas la solution idéale et adaptée. Il est à la vérité insuffisant puisque seule une population spécifique est ciblée, population qui effectivement court un risque mais, ce faisant, on en oublie totalement les autres22.

Le système connaît des limites. Déjà, les enfants peuvent sortir du champ des personnes protégées : si la fillette réfugiée devient française, la protection par l’examen médical n’existe plus. Ensuite, il paraît générer une rupture d’égalité. Il ne vise que les fillettes qui se sont vues, sur le fondement des MGF, octroyer l’asile : elles ne sont donc pas traitées comme les autres détenteurs d’asile. Ces fillettes ne sont pas envisagées non plus comme les autres étrangères ou françaises naturalisées, originaires d’un pays à fort taux de pratique de l’excision qui ne sont pas surveillées, alors même que le risque existe pour elles tout autant. Certes, on peut affirmer – sans argumenter – comme le fait le Parlement européen dans sa résolution de 2009, que les contrôles ne sont pas discriminatoires ou les justifier, tel l’organe belge de l’asile, par l’idée qu’« à statut exceptionnel, procédure exceptionnelle »23.

Ces considérations conduisent à mettre en lumière l’insuffisance générale des mesures car qu’en est-il finalement de la protection de toutes les filles susceptibles d’être concernées par le risque d’excision ? Enfin, dernier argument contre le procédé : il pourrait avoir des effets pervers car « de nature à renforcer la pratique à des fins identitaires, par opposition à un environnement jugeant et stigmatisant. En effet, la stigmatisation culturelle constitue un obstacle de taille à l’éradication des MGF »24.

  • La réponse par la mise en place de garanties sommaires

Les dispositions de la loi de 2015 et de l’arrêté de 2017 peuvent être appréhendées de deux façons.

Sous l’angle des personnes examinées, la loi prévoit la soumission à l’examen médical jusqu’à l’âge de 18 ans : une limite temporelle législative est donc fixée (pour autant, le risque cesse-t-il ?). Cette précision a été introduite par les parlementaires et présentée comme l’une « des améliorations au dispositif initial, afin de mieux l’encadrer et d’en préciser les limites et les modalités »25.

Il en est de même pour la suivante qui, de toutes les garanties nouvelles, est de loin la plus importante : désormais, l’Ofpra devra observer un délai minimal de 3 ans entre deux examens. Ce principe est assorti d’une exception : sauf s’il existe des motifs réels et sérieux de penser qu’une mutilation sexuelle a effectivement été pratiquée. La loi introduit donc une espèce de « périodicité raisonnable » de l’examen : la moins grande fréquence des contrôles (au départ annuels) ayant pour unique but de respecter davantage la personne de l’enfant. Le législateur s’est laissé bénéfiquement influencer.

Sous l’angle des examinateurs, l’arrêté en son article 4 définit quels sont les médecins habilités à effectuer les examens. Il s’agit des praticiens exerçant une fonction au sein « d’unités hospitalières spécialisées dans la prise en charge médico-légale du vivant »26. Cet encadrement est également le fait du Parlement qui a estimé nécessaire que « ces examens soient pratiqués par des médecins spécialement formés à cette fin, et ayant l’habitude des patients mineurs »27 ; les unités médico-judiciaires (UMJ) leur semblant constituer des lieux adaptés. La France n’a donc pas retenu l’option de l’examen par le médecin traitant habituel des fillettes (qui par définition entretient une relation de proximité avec elles), mais le choix législatif s’appuie sur une justification précise : les praticiens retenus côtoient au quotidien des enfants maltraités ou agressés ; leur expérience permettra de minimiser l’impact psychologique des examens menés.

Le Défenseur des droits évoquant l’examen a pu écrire que « la recherche du consentement de l’enfant ou de ses parents et l’explication quant au sens d’une telle pratique permettrait de rendre cet examen moins traumatisant »28. Quid à ce sujet des explications générales fournies à l’enfant et notamment celles relatives au sens de l’examen ? La réponse ne se trouve pas dans l’arrêté mais, en revanche, une lecture détaillée du certificat médical-type figurant en annexe29 y fait allusion30 : c’est au corps médical que revient la délicate mission d’expliquer le pourquoi…

Le dispositif d’ensemble occulte certaines réalités : c’est une enfant qui subit un examen particulier à la fois par sa nature et par le contexte dans lequel il s’inscrit.

B. Un dispositif en définitive désincarné

Le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant trouve ici des manifestations ambiguës et insoupçonnées : c’est en son nom que des atteintes à la vie privée, à l’intimité de la réfugiée sont tolérées. Par ailleurs, il faut s’intéresser aux conséquences du contrôle médical sur la vie et les relations familiales de l’enfant.

  • L’enfant confrontée à l’examen médical

Le silence des textes sur la nature comme sur les modalités proprement dites de l’examen médical est assourdissant. La preuve : il n’est jamais qualifié. L’adjectif adéquat jetterait-il le trouble ? L’examen est « gynécologique » selon la définition traditionnelle de cette spécialité médicale.

Alors qu’il est toujours prompt à affirmer le droit du patient au respect de sa dignité, le législateur ici se révèle subitement aphone : pourquoi ne pas avoir affirmé au moins dans une formule solennelle (et symbolique) que les droits de l’enfant à la dignité, à l’intimité, au respect de la vie privée devaient être tenus pour sauvegardés ?31 L’intimité ressort du domaine privé et veut être préservée ; elle s’associe à la pudeur, sentiment de gêne ressenti dès lors qu’il s’agit de dévoiler son intimité corporelle.

Ce silence s’explique-t-il par la nature de l’examen qui ne possède aucune implication thérapeutique ? Assurément non : quelle que soit sa visée, il est toujours aussi psychologiquement intrusif, invasif. Il porte, par sa nature même, atteinte à l’intimité.

À aucun moment n’est davantage défini le contenu concret de l’examen, la façon dont il doit se dérouler. Un simple contrôle visuel peut-il suffire ?

On sait que le corps médical a défini des « bonnes pratiques » s’agissant des examens gynécologiques juvéniles, conscient des conséquences négatives possibles de telles observations. Les examens médicaux liés aux MGF sont en effet généralement mal perçus, comme en témoigne notamment la position du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR)32 qui, afin d’atténuer le risque psychique, suggérait que la dimension du genre devait être prise en compte. La loi française comme l’arrêté sont sur ce point muets.

On peut en effet convenir que, dans ce contexte spécifique, un examen médical pratiqué par une femme sur une fillette, fille ou jeune fille sera ressenti par elle comme moins intrusif (ceci sans aucune considération religieuse). Ceci d’autant plus que cet examen se démarque des cas de figure habituels : il ne peut faire figure de « suivi médical »33 ; il n’est pas non plus justifié par les impératifs d’une enquête policière ou pénale, ce qui n’empêche que l’intervention institutionnelle sur le corps de l’enfant « pourra être vécue comme une violence »34.

Il demeure toutefois que, ce qui pose réellement question, est la réitération probable des examens envisagés par la loi : les conséquences psychologiques éventuelles sont tues. Qu’en est-il du droit à la santé et des atteintes possibles au développement de l’enfant créés par ce dispositif ? Certes, l’examen est devenu trisannuel mais une fille, selon son âge à l’octroi de la protection, subira avant sa majorité plusieurs examens. Les risques psychiques ont-ils été évalués ? Déjà, le législateur aurait pu n’envisager ces examens médicaux que comme solution alternative35. Ensuite, le Défenseur des droits, constatant l’absence de modalités pratiques ayant pour objectif « de ne pas nuire à l’équilibre psychologique des enfants concernées », livrait avant l’adoption de la loi un jugement sans concession : sans garantie et précaution particulières, la pratique de l’examen médical, trop intrusif, ne pouvait être tenue pour « conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il défend »36.

Cette critique est au rebours de l’orientation générale qui estime que le préjudice psychologique des fillettes et l’atteinte (justifiée) à leurs droits sera toujours « moins grave » que celui résultant d’une mutilation sexuelle avérée.

  • L’enfant et sa famille

Cette vision institutionnelle tait également une autre réalité : ce sont les relations de l’enfant et de sa famille, notamment le regard qu’elle portera sur elle, qui sont affectés par ce dispositif spécifique. Les relations familiales de la fillette réfugiée sont redéfinies à l’aune de considérations particulières, nouvelles ou invisibles. On peut s’interroger sur le ressenti de la fillette soumise à examen : les risques psychiques ne sont pas uniquement dus à la « consultation » gynécologique ; ils naissent également du fait que celle-ci a pour finalité réelle de corroborer la parole des parents. C’est en la fillette que repose la preuve que ses parents ne l’ont pas mise en danger. De plus, bien que le consentement éclairé de l’enfant soit recherché, il est davantage synonyme de pression (des pouvoirs publics, voire des parents) que de choix réel : un refus est-il envisageable compte tenu des implications générées ? L’examen est psychologiquement imposé.

Le législateur cherche en réalité avant tout à assurer un suivi des familles bien plus que de l’enfant. C’est bien cette vision qui sous-tend le dispositif. Il est révélateur d’une forme de suspicion ; c’est le comportement transgressif que les parents pourraient éventuellement adopter dans leur pays d’accueil que l’on cherche à prévenir. Le regard de l’enfant sur ceux-ci ne peut qu’en être altéré : elle ressent qu’ils sont perçus comme facteur de risque plutôt que comme concourant à sa sécurité et à sa santé. De plus, considération accessoire, l’absence d’excision démontre que l’asile a été accordé avec raison, qu’ils n’ont pas instrumentalisé la demande de protection au bénéfice de leur enfant en n’ayant jamais eu l’intention de respecter leurs obligations légales.

Le contrôle médical possède un effet induit mais essentiel : il permet de vérifier que les conditions qui ont conduit à la protection de l’enfant (l’absence de mutilations) sont toujours réunies, ce qui a pour conséquence de garantir le maintien du droit au séjour de l’enfant protégée et, par extension, celui de ses parents. La commission des mutilations et leur constat entraînent en effet deux types de conséquences. Primo, la dimension pénale trouve sa place : les auteurs ou instigateurs des mutilations, le cas échéant les parents, seront poursuivis et jugés37. Secundo, il existe une forme de sanction indirecte (et par la même, beaucoup moins visible) pour l’enfant : le motif de la protection n’existant plus, se pose la question de son maintien et donc celle du droit au séjour.

C’est parce qu’ils ont entendu l’argument (la victime subit la peine, à la mutilation s’ajoutant la perte de protection) que les parlementaires ont fait le choix – heureux – d’amender le texte gouvernemental en introduisant une garantie essentielle à l’article L. 752-3 du CESEDA, précisant qu’un constat de mutilation sexuelle ne peut entraîner, à lui seul, la cessation de la protection.

Les MGF sont une maltraitance à l’égard de l’enfance. Pour autant, il faut y répondre par des mesures appropriées et à l’efficacité avérée. Il est en effet difficile d’apprécier la portée du dispositif : les rapports d’activité de l’Ofpra ne font état d’aucun cas d’excision postérieur à la reconnaissance de la protection accordée, pour les années 2010 et 2011. L’effet dissuasif a-t-il pleinement fonctionné ? Ou le risque de mutilation a-t-il été surévalué ? Le procédé de l’examen médical date de la fin des années 2000, décennie durant laquelle les demandes d’asile au titre des MGF augmentaient alors que la France s’orientait vers une reconnaissance de l’asile au titre des mutilations. La crainte de susciter un « appel d’air » n’aurait-elle pas conduit à la naissance de certaines stratégies de contrôles des flux ?

Valérie MUTELET

B – L’intégrité sexuelle de l’enfant

C – L’intégrité psychique de l’enfant

1 – L’intégrité psychique altérée : l’admission de l’enfant en établissement de santé mentale

2 – L’intégrité psychique en formation ou la question du discernement

a – L’irresponsabilité pénale de l’enfant

b – La parole de l’enfant manipulée

c – L’endoctrinement terroriste de l’enfant

III – La liberté de l’enfant

A – La détention, facteur de vulnérabilité du mineur

1 – La responsabilité de l’État à raison du suicide d’un détenu mineur

2 – La responsabilité de l’État en raison des violences commises par un détenu mineur

B – La privation de liberté des mineurs en question

(À suivre)

Notes de bas de pages

  • 1.
    JORF n° 0203, 31 août 2017, texte n° 3.
  • 2.
    On appelle mutilation génitale ou sexuelle féminine toute intervention pratiquée sur les organes sexuels sans raison médicale. Sous un angle plus spécifiquement médical, l’OMS a élaboré une typologie largement utilisée identifiant différentes MGF en fonction de leur caractère plus au moins vulnérant.
  • 3.
    Cour EDH, 8 mars 2007, n° 23944/05, Collins et A. Akaziebie c/ Suède.
  • 4.
    V. not. CE, ass., 21 déc. 2012, n° 332491. Arrêts par lesquels était désormais reconnue la qualité de réfugiée à des mineures risquant de subir une mutilation sexuelle dans leur pays d’origine, les enfants et adolescentes non mutilées constituant « un groupe social » au sens de la Convention de Genève de 1951 dans les pays où l’excision est la norme sociale.
  • 5.
    Établissement public chargé d’examiner les demandes d’asile et d’accorder le statut de réfugié.
  • 6.
    Ainsi, 492 examens médicaux ont été sollicités en 2014 (chiffres de l’Ofpra).
  • 7.
    Répression par C. pén., art. 222-9 et C. pén., art. 227-24-1.
  • 8.
    L’âge auquel les mutilations sont pratiquées varie d’un pays à l’autre (l’âge le plus habituel se situe entre la petite enfance et l’âge de 15 ans).
  • 9.
    Il faut souligner sur ce point la similitude de la politique française avec celle des organes de l’asile belges qui, depuis avril 2009, ont imposé le certificat de contrôle.
  • 10.
    CESEDA, art. L. 723-5, al. 1er : « L’office peut demander à la personne sollicitant l’asile de se soumettre à un examen médical ».
  • 11.
    V. la directive n° 2013/32/UE du PE et du Cons., 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, art. 18.
  • 12.
    Garantie reprise à l’art. L. 723-5, ainsi qu’à l’art. 1 de l’arrêté.
  • 13.
    Art. 5 : « Le consentement de la mineure concernée par l’examen médical réalisé en application des articles L. 723-5 et L. 752-3 susvisés doit être recherché dans les conditions prévues à l’article L. 1111-4 susvisé ».
  • 14.
    De façon plus mesurée, il aurait été possible d’imaginer des contrôles aléatoires, inopinés, moins attentatoires aux droits de la personne puisque ponctuels.
  • 15.
    Résolution du Parlement européen du 24 mars 2009, point 4, n° 2008/2071 (INI), CELEC 2010 : 11E/09.
  • 16.
    Ibid.
  • 17.
    De la protection à la suspicion : l’exigence annuelle du certificat de non-excision, oct. 2012 : note de la CFDA, consultable sur le site de celle-ci.
  • 18.
    Avis du Défenseur des droits n° 14-10 sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile, nov. 2014, p. 48 et s.
  • 19.
    Ibid., p. 53.
  • 20.
    Les « États parties prennent toutes les mesures efficaces appropriées en vue d’abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé de enfants » (art. 24, § 3).
  • 21.
    CIDE, art. 3-1.
  • 22.
    À titre d’illustration, les demandeuses d’asile au titre des MGF qui n’ont pas été jugées crédibles par les organes de l’asile français ne sont pas contrôlées : elles ont pourtant invoqué (sans succès) les mutilations.
  • 23.
    Vision développée par le CGRA belge.
  • 24.
    Verbrouck C. et Jaspis P., « Mutilations génitales féminines : quelle protection ? », Revue du droit des étrangers 2009, n° 153, p. 141.
  • 25.
    Rapport fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile (n° 2182) par Mazetier S., p. 70.
  • 26.
    L’article 3, alinéa 3, précise que le courrier adressé aux parents doit indiquer les adresses et les coordonnées des établissements dans lesquels le certificat peut être établi.
  • 27.
    Rapport Mazetier, préc.
  • 28.
    Ibid., p. 49.
  • 29.
    L’art. 6 précise en effet que le médecin établit un certificat médical conforme au modèle prévu à l’annexe 1 du présent arrêté : son contenu est basique ; il comporte deux grandes rubriques : 1) acceptation ou refus de l’examen clinique ; 2) conclusion de l’examen : constatation ou non de stigmates.
  • 30.
    « La mineure ainsi que ses parents ou ses représentants légaux sont informés ce jour du contexte et du déroulement de l’examen et donnent oralement leur consentement pour la réalisation de celui-ci (…) ».
  • 31.
    C’est bien dans cette dimension que s’inscrit le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies lorsqu’il précise à propos des examens médicaux subis par les enfants : « Tout examen médical doit être pratiqué avec le consentement donné par l’enfant en toute connaissance de cause, obtenu dans des conditions respectant l’âge et le genre et avec pour principale considération, le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant » (Note d’orientation sur les demandes d’asile relatives aux mutilations génitales féminines, mai 2009, p. 18).
  • 32.
    « Certains examens médicaux peuvent avoir des implications psychologiques et sociales négatives pour l’enfant, s’ils n’ont pas été réalisés de manière appropriée », ibid.
  • 33.
    Bien que l’Ofpra l’ait toujours qualifié comme tel.
  • 34.
    CFDA, De la protection à la suspicion : l’exigence annuelle du certificat de non-excision, préc.
  • 35.
    Une des solutions proposées en Belgique par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides dans sa 2e directive interne Mutilation est, à titre d’exemple, que les parents s’engagent sur l’honneur à ce que leur enfant ne subisse pas de mutilation. Ce contrat n’a certes qu’une valeur morale mais ressortit du rappel à la loi en ce qu’il fait une allusion au dispositif répressif.
  • 36.
    Ibid., p. 50.
  • 37.
    V. CPP, art. 40.
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