L’héritier légataire n’est débiteur d’aucune indemnité d’occupation envers l’indivision successorale
Une cour d’appel est censurée pour avoir jugé redevable un héritier-légataire d’une indemnité d’occupation envers l’indivision depuis la date du décès jusqu’à la date du partage.
Cass. 1re civ., 16 mars 2016, no 14-28865, D
Dans cette espèce1, M. Giuseppe de X est décédé le 8 mars 2004, laissant pour lui succéder trois enfants légitimes : Maria, Claudio et Gilbert nés de son mariage avec Gina Y, prédécédée. Il a institué sa fille Maria de X. de la quotité disponible ordinaire de sa succession. Le testament précise que : « (…) cette quotité s’applique, par priorité, sur la maison qu’il occupait à Annonay, ainsi que le mobilier s’y trouvant, et que Mme Maria de X en ait la jouissance sa vie durant ». À la suite d’une demande d’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession du défunt, un jugement du 19 juillet 2012 rejette la demande d’indemnité d’occupation à la charge de l’héritière légataire Mme Maria de X. Les juges d’appel retiennent que c’est à tort que le premier juge a rejeté les prétentions de MM. de X relatives à l’indemnité d’occupation. Un pourvoi en cassation est formé contre cette décision rendue par les juges d’appel. Cette question de l’indemnité d’occupation de l’héritier légataire demeurant prégnante tant et si bien que l’arrêt de la cour d’appel est censuré par la Cour de cassation aux visas des articles 724, 1005 et 815-9 du Code civil2. Il en résulte que l’héritier légataire n’est débiteur d’aucune indemnité d’occupation pour jouissance du bien successoral (I). Il reste que, lu a contrario, l’arrêt semble admettre que l’héritier non légataire reste redevable d’une indemnité d’occupation (II).
I – Aucune indemnité d’occupation contre l’héritier légataire
La haute juridiction neutralise l’application de l’article 815-9 du Code civil en matière d’indemnité d’occupation d’un bien indivis réclamée à un héritier légataire (A) qui de surcroît n’a pas à demander la délivrance de son legs (B).
A – La neutralisation de l’indemnité d’occupation en matière successorale
Les modalités de mise en œuvre de l’indemnité d’occupation d’un bien indivis sont prévues par l’article 815-9 du Code civil qui précise que : « Chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l’effet des actes régulièrement passés au cours de l’indivision. À défaut d’accord entre les intéressés, l’exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal. L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité ». En matière de divorce, cet article 815-9, alinéa 2 du Code civil revêt une importance capitale. Il est fréquent que l’ordonnance de non-conciliation attribue la jouissance privative, à titre onéreux, d’un bien indivis ou commun à l’un des ex-époux durant la période post-communautaire. Dès lors, l’ex-époux sera débiteur d’une indemnité d’occupation à l’égard de l’indivision3 communautaire4.
En l’espèce, la Cour de cassation réaffirme, sous les visas des articles 724, 1005 et 815-9 du Code civil, qu’aucune indemnité d’occupation n’est due à l’héritier légataire5. En effet, la Cour de cassation considère que « Vu les articles 724 et 815-9 du Code civil ; attendu que le conjoint survivant, investi de la saisine sur l’universalité de l’hérédité, a, dès le jour du décès et quelle que soit l’étendue de la vocation conférée par le legs qui lui a été consenti, la jouissance de tous les biens composant la succession, laquelle est exclusive de toute indemnité d’occupation ; attendu que, pour mettre à la charge de Mme T une indemnité pour l’occupation de la maison de Juan-les-Pins, l’arrêt attaqué énonce que, si celle-ci avait le droit de prétendre à la jouissance du bien légué à compter du jour du décès, c’est à la condition qu’elle effectue sa déclaration d’option dans les conditions de l’article 1005 du Code civil et que, en l’absence de délivrance volontairement consentie par tous les coïndivisaires, elle ne saurait être dispensée du paiement d’une indemnité d’occupation dont elle ne discute ni du montant ni de l’étendue ; qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés »6. C’est dans ce contexte successoral que la haute juridiction réaffirme sa position de principe.
B – L’héritier légataire et la délivrance de son legs
Il est fréquent que le de cujus institue un héritier ab intestat7. Au demeurant, il n’y a pas de forme requise pour délivrer un legs à l’amiable. On songe, d’abord à la délivrance en la forme notariée8 ou sous seing privé9. On songe aussi à une simple missive adressée au légataire permet la délivrance, de même qu’elle peut être expresse ou tacite10. C’est ainsi que la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 18 novembre 1968, considère que « la délivrance d’un legs n’est astreinte à aucune forme particulière et peut résulter de la mise en possession du légataire sans opposition de l’héritier légitime (…) »11. En cas de difficulté, le légataire a la possibilité de demander au juge compétent la délivrance judiciaire de son legs.
En l’espèce, les héritiers ne contestaient pas le legs mais réclamaient simplement une indemnité d’occupation au cohéritier légataire. À cet égard, il est souvent stipulé dans le legs une clause pénale testamentaire dont la Cour de cassation défend farouchement la validité12. La clause pénale testamentaire consiste à priver les héritiers de leurs droits à la quotité disponible ordinaire de la succession du testateur en cas de contestation du testament13.
En outre, on peut se demander s’il paraît toujours souhaitable, sur le plan de la pure logique juridique, qu’une situation de fait entraîne une qualification juridique unique car il est fréquent qu’en matière successorale un héritier légal cumule cette qualité avec celle de légataire14.Même si le legs fait à un héritier est de pratique courante15 il n’en demeure pas moins vrai qu’a contrario, le légataire devra une indemnité d’occupation.
II – L’héritier non légataire redevable d’une indemnité d’occupation
Il n’est pas douteux d’admettre que l’absence de legs fait à l’héritier (A) conduira à imputer à ce dernier une indemnité d’occupation (B).
A – L’héritier non légataire
Comme l’exprime avec concision le professeur François Sauvage : « Le legs à un héritier est de pratique courante (…) car il permet soit de l’avantager s’il est hors part successorale, soit de le remplir de sa part successorale s’il est rapportable ou d’attribution – alors que le testament-partage, trop pénalisé au regard de son régime en droit civil et fiscal, ne parvient pas à lui faire de l’ombre »16. Certes, « l’égalité est l’âme des partages » tant et si bien que le de cujus cherchera en principe à maintenir une égalité proportionnée entre tous ses héritiers, sans en désavantager aucun17.
Bien entendu, il faut considérer que la dévolution ab intestat opère une répartition de biens selon l’ordre et le degré. La principale faiblesse de la dévolution ab intestat réside naturellement dans la difficulté de laisser la loi organiser la répartition des biens successoraux aux héritiers ne bénéficiant pas de libéralités.
B – L’évaluation de l’indemnité d’occupation
En l’espèce, si l’héritier ab intestat ne cumulait pas cette qualité avec celle de légataire, l’évaluation de l’indemnité d’occupation serait calculée conformément à l’article 815-9 du Code civil. Aussi, l’héritière serait débitrice d’une indemnité d’occupation de l’immeuble situé à Annonay à la somme de 1 150 euros par mois à compter du 8 mars 2004, date du décès de Monsieur Giuseppe de X.
L’indemnité d’occupation est assimilée à un revenu indivis contrairement à d’autres revenus prévenant de l’indivision18, De plus, l’indemnité d’occupation doit faire l’objet de paiements périodiques dont la non-exécution entraînera l’inscription au débit du compte de l’indivisaire occupant pour la totalité de la période19. Conformément à l’article 815-10, alinéa 3 du Code civil, aucune recherche relative aux fruits et revenus ne sera, toutefois, recevable plus de cinq ans après la date à laquelle ils ont été perçus ou auraient pu l’être.
Il importe, en matière successorale, plus encore qu’en tout autre matière, de choisir réellement la voie des libéralités sans subir la rigidité de la loi.
Notes de bas de pages
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1.
Defrénois flash 4 avr. 2016, n° 133m1, nos 13-14.
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2.
Sauvage F., « Le droit de jouissance gratuit de l’héritier légataire », RJPF 2014/12, p. 47.
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3.
David S. et Jault A., Liquidation des régimes matrimoniaux 2013/2014, 2e éd., Dalloz Référence, n° 322-84.
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4.
Claux P.-J., « La liquidation du régime de la communauté réduite aux acquêts », AJ Famille 2005, p. 168.
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5.
Cazey J., « Pas d’indemnité d’occupation contre l’héritier ensaisiné ! », RJPF 2006/3, p. 31.
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6.
Cass. 1re civ., 6 déc. 2005, n° 03-10211.
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7.
Sauvage F., « Le droit de jouissance gratuit de l’héritier légataire », op. cit.
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8.
JCl. Notarial Formulaire, V° Délivrance de legs, fasc. 35.
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9.
Le Lamy Droit des Régimes Matrimoniaux, Successions et Libéralités, n° 240-39.
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10.
Ibid.
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11.
Ibid., Cass. 1re civ., 18 nov. 1968, n° 66-13789 : Bull. civ. I, n° 282.
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12.
Le Lamy droit des régimes matrimoniaux, successions et libéralités, 340-61 Le Lamy Droit des Régimes Matrimoniaux, Successions et Libéralités, n° 340-61.
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13.
Autem D., « Partage testamentaire de biens indivis : jusqu’où peut-on aller ? », Defrénois 30 avr. 2010, n° 8, p. 923.
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14.
Cazey J., « Pas d’indemnité d’occupation contre l’héritier ensaisiné », op. cit. Niel P.-L., « Les droits en concours en matière familiale : entre option et cumul de droits », LPA 11 juin 2015, p. 10.
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15.
Sauvage F., « Le droit de jouissance gratuit de l’héritier légataire », op. cit.
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16.
Sauvage F., « Le droit de jouissance gratuit de l’héritier légataire », op. cit.
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17.
http://www.nicolasblanchy.fr. Grimaldi M., « Les causes d’inefficacité du partage (a) », Defrénois 30 janv. 1990, p. 74.
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18.
Levillain N. et Forgeard M.-C., Liquidation des successions, 2013/14, Dalloz, n° 401-63.
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19.
Ibid.