De l’usage du « lait » selon la Cour de justice européenne (À propos de l’arrêt VSW du 14 juin 2017)
Si une des modes de la consommation courante est aux « laits divers », de soja, d’amande ou autres produits de consommation respectant une volonté de manger « végétarien » ou « vegan », la Cour de justice de l’Union européenne ne l’entend juridiquement pas ainsi. Elle vient en effet de donner une interprétation restrictive, non sans exceptions, de l’appellation « lait ». N’est pas « lait » qui veut, malgré les évolutions des habitudes alimentaires.
Le droit de l’Union européenne est largement fondé sur un grand marché intérieur au sein duquel les produits doivent circuler librement et les consommateurs doivent être informés le plus lisiblement possible des produits de consommation courante qu’ils achètent. Les traités, comme les règlements et directives, fixent un cadre pour la protection des consommateurs et la qualité des produits. Cependant, la variété des habitudes de consommation au sein des États de l’Union européenne, les nombreux détails que contiennent les textes en présence, donnent à la Cour de justice l’obligation d’apporter des précisions sur les interprétations à retenir des textes en conciliant plusieurs principes du droit européen dont le principe de libre concurrence et l’information des consommateurs. La Cour vient ainsi de se prononcer de nouveau dans le cadre d’une affaire relative à des appellations de produit autour du terme de « lait » et de ses dérivés.
Introduction : les faits de l’espèce et les jalons de jurisprudence
Par son arrêt du 14 juin 2017, Verband Sozialer WettbewerbeV contre TofuTown.com GmbH1, la Cour de justice de l’Union juge que les textes européens visant à la fois à la préservation de la concurrence et à la protection du consommateur s’opposent à ce que des termes évoquant des produits lactés, comme le lait, le beurre ou encore le fromage puissent être utilisés pour appeler des produits à composition purement végétale.
L’affaire a dû être examinée suite à une question préjudicielle posée par une juridiction allemande. La Cour avait en effet été saisie par un tribunal allemand chargé de trancher un litige entre la société TofuTown qui commercialise notamment du « beurre de tofu » et du « fromage végétal », et une association berlinoise qui lutte contre la concurrence déloyale, le Verband Sozialer Wettbewerb (VSW). Cette dernière estimait que les textes européens et nationaux s’opposaient à ce que de tels termes, comme « beurre » ou « fromage », qui évoquent spontanément le lait d’origine animale, puissent être utilisés pour commercialiser ou promouvoir des produits végétaux.
L’entreprise productrice de fromage végétal notamment, avançait comme argument que les consommateurs comprenaient la différence entre les dénominations et que, en outre, elle n’utilisait pas des termes comme « beurre » ou « cream » de manière isolée, mais toujours en association avec le nom du produit végétal en cause, par exemple « beurre de tofu ».
Précisément, les faits étaient les suivants : TofuTown est une société active dans la fabrication et la distribution d’aliments végétariens/végétaliens. Elle promeut et distribue en particulier des produits purement végétaux sous les dénominations « Soyatoo beurre de tofu », « fromage végétal », « Veggie-Cheese », « Cream », et d’autres dénominations similaires.
Le VSW, estimant que la promotion par TofuTown de ces produits purement végétaux enfreint les règles de concurrence, a introduit une action en cessation à l’encontre de cette société devant le Landgericht Trier (tribunal régional de Trèves, Allemagne), invoquant une violation de l’article 3a de la loi contre la concurrence déloyale, lu en combinaison avec l’annexe VII, partie III, points 1 et 2, et l’article 78 du règlement européen n° 1308/2013.
Selon TofuTown, sa publicité pour les produits végétaux portant les dénominations en cause ne porte pas atteinte à ces dispositions du droit de l’Union, dès lors que, d’une part, la façon dont le consommateur comprend ces dénominations s’est considérablement modifiée ces dernières années et, d’autre part, elle n’utilise pas les dénominations telles que « beurre » ou « cream » de façon isolée, mais toujours en association avec des termes renvoyant à l’origine végétale des produits en cause, comme « beurre de tofu » ou « rice spray cream ».
Le juge national allemand se référait à l’arrêt du 16 décembre 1999, UDL2, dans lequel la Cour avait jugé que le règlement n° 1898/87 s’opposait à l’utilisation de la dénomination « fromage » pour un produit laitier dans lequel la matière grasse du lait a été remplacée par de la matière grasse d’origine végétale, même si cette dénomination est complétée par des mentions descriptives. Dans cette dernière affaire, il s’agissait d’une société de l’industrie alimentaire qui se voyait reprocher par une association de protection de la concurrence de vouloir commercialiser sous l’appellation de « fromage » des aliments dans lesquels les graisses d’origine animale sont remplacées par des graisses d’origine végétale. Saisie du litige, la Cour de justice des communautés européennes donne alors raison à l’association en jugeant qu’un produit laitier dans lequel un constituant quelconque du lait a été remplacé, même en partie seulement, ne peut être désigné par une des dénominations mentionnées à l’article 2 du règlement communautaire 1898/87 du 2 juillet 1987 relatif à la protection de la dénomination du lait et des produits laitiers lors de leur commercialisation. Cette protection s’oppose à toute confusion sémantique. S’agissant des produits dérivés du lait (comme le fromage) pour lesquels un constituant naturel du lait a été remplacé par une substance extrinsèque il est interdit de faire usage d’une dénomination comme « fromage diététique à l’huile végétale… »3. Cette interdiction subsiste même si des mentions descriptives sont apposées sur l’emballage de type, comme dans l’affaire en cause : « ce fromage diététique est riche en acides gras polyinsaturés »4.
Cette affaire s’inscrit dans la jurisprudence construite par la Cour de justice de l’Union européenne en matière de protection des consommateurs au regard des indications contenues dans les étiquetages des produits. Ainsi par exemple, par un arrêt du 4 juin 2015, la Cour de justice de l’Union européenne devait répondre à une question préjudicielle posée par la Cour fédérale de justice allemande. Il s’agissait alors d’une association allemande de protection des consommateurs qui avait assigné une société, Teekanne, afin qu’elle cesse de faire la promotion d’une infusion aux fruits, appelée « Felix aventure framboise-vanille », promotion que l’association considérait comme contraire à la directive n° 2000/13 du Parlement européen et du Conseil du 20 mars 2000, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard.
Dans cette affaire, l’emballage de l’infusion comportait les mentions « avec des arômes naturels » et « ne contient que des ingrédients naturels » ainsi que des images de framboises et de fleurs de vanille. En réalité, la liste d’ingrédients n’indiquait pas la présence de composants de framboises ou de fleurs de vanille, ni même d’arômes de framboise ou de vanille5.
La CJUE avait alors jugé que l’étiquetage d’une denrée alimentaire ne doit pas induire le consommateur en erreur en suggérant la présence d’un ingrédient qui est en réalité absent du produit, absence qui n’est révélée que par la liste d’ingrédients figurant sur l’emballage6.
Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence communautaire constante protectrice des consommateurs : en vertu d’un arrêt de la CJUE, Commission européenne c/ République italienne, du 25 novembre 2010, le consommateur doit disposer « d’une information correcte, neutre et objective qui ne l’induise pas en erreur » lorsqu’il achète des denrées alimentaires7. Cette dernière affaire ne concernait pas le lait mais le chocolat. La Cour avait alors dû se prononcer sur droit de l’Union concernant l’étiquetage des produits de cacao et de chocolat8 qui harmonise leurs dénominations de vente. Lorsqu’ils contiennent jusqu’à 5 % de matières grasses végétales (dites substitutives) autres que le beurre de cacao, leurs dénominations restent inchangées, mais leur étiquetage doit contenir, en caractères gras, la mention spécifique « contient des matières grasses végétales en plus du beurre de cacao ».
Pour les produits de chocolat contenant uniquement du beurre de cacao, il est possible d’indiquer sur leur étiquetage cette information, dès lors qu’elle est correcte, neutre, objective et qu’elle n’induit pas le consommateur en erreur.
La réglementation italienne prévoyait la possibilité que la mention « chocolat pur » soit ajoutée ou intégrée aux dénominations de vente, ou bien qu’elle soit indiquée ailleurs sur l’étiquetage des produits ne contenant pas de matières grasses substitutives et fixait des amendes administratives (de 3 000 à 8 000 €) pour toute infraction à cette réglementation.
La Commission avait alors introduit un recours en manquement devant la Cour de justice contre l’Italie, en faisant valoir que cet État membre avait introduit une dénomination de vente supplémentaire pour les produits de chocolat, selon qu’ils peuvent être considérés comme « purs » ou non, ce qui constituerait une violation de la directive et serait contraire à la jurisprudence de la cour. La Commission considérait que le consommateur devait être informé de la présence ou non de matières grasses substitutives dans le chocolat par l’étiquetage et non par l’emploi d’une dénomination de vente distincte.
La Cour rappelle alors, en premier lieu, que l’Union européenne a mis en place une harmonisation totale des dénominations de vente des produits de cacao et de chocolat, afin de garantir l’unicité du marché intérieur. Ces dénominations sont, à la fois, obligatoires et réservées aux produits énumérés par la législation de l’Union. Cela étant précisé, la Cour constate que cette législation ne prévoit pas la dénomination de vente « chocolat pur » et ne permet pas son introduction par un législateur national. Dans ces conditions, la réglementation italienne a été jugée contraire au système des dénominations de vente établi par le droit de l’Union.
La Cour avait alors encore précisé que le système de double dénomination introduit par le législateur italien ne satisfait pas non plus aux exigences requises par le droit de l’Union en ce qui concerne la nécessité pour le consommateur de disposer d’une information correcte, neutre et objective qui ne l’induise pas en erreur. En effet, la jurisprudence de la cour9 avait alors déjà constaté que l’ajout de matières grasses substitutives à des produits de cacao et de chocolat qui respectent les teneurs minimales exigées par la législation de l’Union, ne change pas substantiellement leur nature au point de les transformer en des produits différents et, par conséquent, ne justifie pas une distinction de leurs dénominations de vente.
En revanche, conformément à la législation de l’Union, l’insertion sur une autre partie de l’étiquetage d’une indication neutre et objective informant les consommateurs de l’absence, dans le produit, de matières grasses végétales autres que le beurre de cacao devait suffire pour assurer une information correcte des consommateurs.
Par conséquent, la Cour avait alors conclu que la réglementation italienne, en permettant de maintenir deux catégories de dénominations de vente qui désignent essentiellement un même produit, est susceptible d’induire en erreur les consommateurs et ainsi de porter atteinte à leur droit à une information correcte, neutre et objective10.
Dans cette nouvelle affaire, portant cette fois sur des appellations reprenant le vocabulaire du lait, jugée en 2017, plusieurs bases juridiques devaient alors être interprétées (I) afin de pouvoir répondre aux questions posées par le juge national (II).
I – Les textes applicables quant à l’appellation des produits issus du lait
Les textes applicables donnent une approche précise des appellations des denrées alimentaires issues du lait. C’est ce qui ressort en effet tant des dispositions du règlement applicable, portant organisation commune des marchés des produits agricoles (A) que de la décision d’application (B) et du règlement du 25 octobre 2011 (C).
A – S’agissant du règlement n° 1308/2013, il s’agit d’un règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013
Ses considérants 64 et 76 énoncent : « (64) L’application de normes de commercialisation aux produits agricoles peut contribuer à améliorer les conditions économiques de production et de commercialisation ainsi que la qualité des produits. La mise en œuvre de telles normes est donc dans l’intérêt des producteurs, des commerçants et des consommateurs (…). (76) Pour certains secteurs et produits, les définitions, dénominations et dénominations de vente constituent des éléments importants pour la détermination des conditions de la concurrence. En conséquence, il convient d’établir des définitions, dénominations et dénominations de vente pour ces secteurs et/ou produits, qui ne peuvent être utilisées dans l’Union que pour la commercialisation des produits satisfaisant aux exigences correspondantes ».
Le règlement applicable contient, dans sa partie II consacrée au marché intérieur, un titre II qui porte sur les règles relatives à la commercialisation et aux organisations de producteurs. La sous-section 2 de la section I du chapitre I de ce titre est intitulée « Normes de commercialisation par secteur ou par produit » et comporte les articles 74 à 83 du même règlement. L’article 78 du règlement n° 1308/2013, intitulé « Définitions, dénominations et dénominations de vente pour certains secteurs et produits », prévoit : « 1. Outre les normes de commercialisation applicables le cas échéant, les définitions, dénominations et dénominations de vente prévues à l’annexe VII s’appliquent aux secteurs ou aux produits suivants : (…) c) lait et produits laitiers destinés à la consommation humaine ; (…) 2. Les définitions, dénominations ou dénominations de vente prévues à l’annexe VII ne peuvent être utilisées dans l’Union que pour la commercialisation d’un produit conforme aux exigences correspondantes définies à ladite annexe. 3. La Commission est habilitée à adopter des actes délégués (…) en ce qui concerne les modifications, les dérogations ou les exemptions relatives aux définitions et dénominations de vente prévues à l’annexe [VII]. Ces actes délégués sont strictement limités aux besoins avérés résultant d’une évolution de la demande des consommateurs, des progrès techniques ou du besoin en matière d’innovation. 5. Afin de répondre aux attentes des consommateurs et de tenir compte de l’évolution du marché des produits laitiers, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués (…) afin de préciser les produits laitiers pour lesquels sont indiquées les espèces animales dont provient le lait, s’il ne s’agit pas de l’espèce bovine, et afin d’énoncer les règles nécessaires en la matière ».
La sous-section 5 de la partie II, titre II, chapitre I, section I, du règlement n° 1308/2013 est intitulée « Dispositions communes ». L’article 91 de ce règlement, qui figure dans cette sous-section 5, précise : « La Commission peut adopter des actes d’exécution : a) établissant la liste du lait et des produits laitiers visés à l’annexe VII, partie III, point 5, deuxième alinéa, (…) sur la base de listes indicatives de produits que les États membres considèrent comme correspondant sur leurs territoires respectifs à ce[tte] dispositio[n] et que les États membres notifient à la Commission ; (…) » L’annexe VII du même règlement est intitulée « Définitions, dénominations et dénominations de vente des produits visés à l’article 78 ». Dans son alinéa introductif, cette annexe précise que, aux fins de la présente annexe, les termes « dénomination de vente » visent notamment « le nom de la denrée alimentaire, au sens de l’article 17 du règlement (UE) n° 1169/2011 [du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) n° 1924/2006 et 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive n° 87/250/CEE de la Commission, la directive n° 90/496/CEE du Conseil, la directive n° 1999/10/CE de la Commission, la directive n° 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives nos 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) n° 608/2004 de la Commission »11.
La partie III de cette annexe VII est intitulée « Lait et produits laitiers ». Elle dispose que « 1. La dénomination “lait” est réservée exclusivement au produit de la sécrétion mammaire normale, obtenu par une ou plusieurs traites, sans aucune addition ni soustraction. Toutefois, la dénomination “lait” peut être utilisée : a) pour le lait ayant subi un traitement n’entraînant aucune modification de sa composition ou pour le lait dont on a standardisé la teneur en matière grasse (…) ; b) conjointement avec un ou plusieurs termes pour désigner le type, la classe qualitative, l’origine et/ou l’utilisation envisagée du lait, ou pour décrire le traitement physique auquel il a été soumis ou les modifications qu’il a subies dans sa composition, à condition que ces modifications soient limitées à l’addition et/ou à la soustraction de ses constituants naturels. 2. Aux fins de la présente annexe, on entend par “produits laitiers”, les produits dérivés exclusivement du lait, étant entendu que des substances nécessaires pour leur fabrication peuvent être ajoutées, pourvu que ces substances ne soient pas utilisées en vue de remplacer, en tout ou partie, l’un quelconque des constituants du lait. Sont réservées uniquement aux produits laitiers : a) les dénominations suivantes utilisées à tous les stades de la commercialisation : i) lactosérum, ii) crème, iii) beurre, iv) babeurre, (…) viii) fromage, ix) yoghourt, (…) b) les dénominations au sens de (…) l’article 17 du [règlement n° 1169/2011] effectivement utilisées pour les produits laitiers. 3. La dénomination “lait” et les dénominations utilisées pour désigner les produits laitiers peuvent également être employées conjointement avec un ou plusieurs termes pour désigner des produits composés dont aucun élément ne remplace ou [n’] est destiné à remplacer un constituant quelconque du lait et dont le lait ou un produit laitier est une partie essentielle, soit par sa quantité, soit par son effet caractérisant le produit. 4. En ce qui concerne le lait, les espèces animales dont le lait provient sont spécifiées, s’il ne s’agit pas de l’espèce bovine. 5. Les dénominations visées aux points 1, 2 et 3 ne peuvent être utilisées pour aucun produit autre que les produits qui y sont visés. Toutefois, cette disposition n’est pas applicable à la dénomination des produits dont la nature exacte est connue en raison de l’usage traditionnel et/ou lorsque les dénominations sont clairement utilisées pour décrire une qualité caractéristique du produit. 6. En ce qui concerne un produit autre que les produits visés aux points 1, 2, et 3, aucune étiquette, aucun document commercial, aucun matériel publicitaire, aucune forme de publicité, (…) ni aucune forme de présentation indiquant, impliquant ou suggérant que le produit concerné est un produit laitier, ne peut être utilisé (…) ». Les dispositions de l’annexe VII, partie III, du règlement n° 1308/2013 reprennent, sans modification de substance, les dispositions qui figuraient auparavant à l’annexe XII du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement OCM unique)12, laquelle avait repris, sans modification de substance, les dispositions du règlement (CEE) n° 1898/87 du Conseil, du 2 juillet 1987, concernant la protection de la dénomination du lait et des produits laitiers lors de leur commercialisation13.
B – Quant à la décision 2010/791/UE
Aux termes de son article 1er, la décision 2010/791/UE de la Commission, du 20 décembre 2010, établissant la liste des produits visés à l’annexe XII, point III, 1, deuxième alinéa, du règlement n° 1234/2007 du Conseil14, énumère, à son annexe I, les produits correspondant sur le territoire de l’Union aux produits visés à cette disposition. Le considérant 3 de cette décision précise : « Les États membres doivent communiquer à la Commission la liste indicative des produits qu’ils considèrent comme répondant, sur leur territoire, aux critères de l’exception (…) Sur cette liste, il y a lieu d’énumérer les dénominations des produits en cause selon leur usage traditionnel dans les différentes langues de l’Union, dans le but de rendre ces dénominations utilisables dans tous les États membres, (…) ». Conformément à l’article 230, paragraphe 1, premier alinéa, et paragraphe 2, du règlement n° 1308/2013, le règlement n° 1234/2007 a été abrogé par ce premier règlement et les références au règlement n° 1234/2007 s’entendent comme faites au règlement n° 1308/2013. La décision 2010/791 énumère donc désormais la liste des produits visés à l’annexe VII, partie III, point 5, second alinéa, de ce dernier règlement.
C – S’agissant du règlement n° 1169/2011, du Parlement et du Conseil du 25 octobre 2011
Concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, son article 17 intitulé « Dénomination de la denrée alimentaire », dispose, à son paragraphe 1 : « La dénomination de la denrée alimentaire est sa dénomination légale. En l’absence d’une telle dénomination, la dénomination de la denrée est son nom usuel. À défaut d’un tel nom ou si celui-ci n’est pas utilisé, un nom descriptif est à indiquer ». Telles sont les bases juridiques encadrant le litige soumis à la Cour de justice européenne.
II – Les questions posées et les réponses apportées : une approche stricte du produit laitier
La Cour répond aux questions posées au prisme de la protection des consommateurs telle que garantie par les textes en présence (A) et des traditionnels et génériques principes de proportionnalité et de non-discrimination (B).
A – Les questions posées et les réponses au prisme de la protection des consommateurs
Dans l’affaire de 2017, cette fois, le juge national s’interroge encore sur l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 78 du règlement n° 1308/2013, lu en combinaison avec l’annexe VII, partie III, points 1 et 2, de celui-ci, aux fins de trancher le litige dont elle est saisie.
Dans ces conditions, le tribunal régional de Trèves a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes : « 1) Peut-on interpréter l’article 78, paragraphe 2, du règlement n° 1308/2013 en ce sens que les définitions, dénominations et dénominations de vente prévues à l’annexe VII ne doivent pas satisfaire aux exigences correspondantes définies à ladite annexe si ces définitions, dénominations et dénominations de vente sont complétées par des mentions explicatives ou descriptives (comme “beurre de tofu” pour un produit purement végétal) ? 2) Convient-il de comprendre l’annexe VII, partie III, point 1, du règlement n° 1308/2013 en ce sens que la dénomination “lait” est réservée exclusivement au produit de la sécrétion mammaire normale, obtenu par une ou plusieurs traites, sans aucune addition ni soustraction ou cette dénomination peut-elle être aussi utilisée pour la commercialisation de produits végétaux (végétaliens), le cas échéant par l’ajout de termes explicatifs tels que “lait de soja” ? 3) Convient-il d’interpréter l’annexe VII, partie III, point 2, relative à l’article 78 du règlement n° 1308/2013 en ce sens que les dénominations énumérées en détail au point 2, sous a), notamment le “lactosérum”, la “crème” [Rahm en langue allemande], le “beurre”, le “babeurre”, le “fromage”, le “yoghourt” ou le terme “chantilly” [Sahne en langue allemande] etc., sont réservées uniquement aux produits laitiers ou bien des produits purement végétaux/végétaliens, qui ont été fabriqués sans lait (animal), peuvent-ils également relever du champ d’application de l’annexe VII, partie III, point 2, du règlement n° 1308/2013 ? ».
La Cour répond ainsi que par ses trois questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 78, paragraphe 2, et l’annexe VII, partie III, du règlement n° 1308/2013 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que la dénomination « lait » et les dénominations que ce règlement réserve uniquement aux produits laitiers soient utilisées pour désigner, lors de la commercialisation ou dans la publicité, un produit purement végétal, et ce même si ces dénominations sont complétées par des mentions explicatives ou descriptives indiquant l’origine végétale du produit en cause.
La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 78, paragraphe 2, dudit règlement, les définitions, dénominations ou dénominations de vente prévues à l’annexe VII du même règlement ne peuvent être utilisées dans l’Union que pour la commercialisation d’un produit conforme aux exigences correspondantes définies à ladite annexe.
La partie III de cette annexe VII est relative au lait et aux produits laitiers. S’agissant du lait, cette partie III prévoit, à son point 1, premier alinéa, que la dénomination « lait » est « réservée exclusivement au produit de la sécrétion mammaire normale, obtenu par une ou plusieurs traites, sans aucune addition ni soustraction ». Le second alinéa de ce point précise toutefois, sous a), que la dénomination « lait » peut être utilisée pour « le lait ayant subi un traitement n’entraînant aucune modification de sa composition ou pour le lait dont (…) la teneur en matière grasse [a été standardisée] » et, sous b), que cette dénomination peut être utilisée « conjointement avec un ou plusieurs termes pour désigner le type, la classe qualitative, l’origine et/ou l’utilisation envisagée du lait, ou pour décrire le traitement physique auquel il a été soumis ou les modifications qu’il a subies dans sa composition, à condition que ces modifications soient limitées à l’addition et/ou à la soustraction de ses constituants naturels ».
Selon la cour, il ressort ainsi clairement du libellé de ce point 1 que la dénomination « lait » ne saurait, en principe, être légalement utilisée pour désigner un produit purement végétal, le lait étant, au sens de cette disposition, un produit d’origine animale, ce qui ressort également de l’annexe VII, partie III, point 4, du règlement n° 1308/2013, qui prévoit que, en ce qui concerne le lait, les espèces animales dont le lait provient sont spécifiées, s’il ne s’agit pas de l’espèce bovine, ainsi que de l’article 78, paragraphe 5, de ce règlement, qui habilite la Commission à adopter des actes délégués afin de préciser les produits laitiers pour lesquels sont indiquées les espèces animales dont provient le lait, s’il ne s’agit pas de l’espèce bovine.
Selon la Cour encore, il ressort de ce libellé que des mentions explicatives ou descriptives visant à indiquer l’origine végétale du produit concerné, telles que « de soja » ou « de tofu », en cause au principal, ne relèvent pas des termes pouvant être utilisés conjointement avec la dénomination « lait » en vertu dudit point 1, second alinéa, sous b), dès lors que les modifications de la composition du lait que des termes complémentaires peuvent désigner, en vertu de cette disposition, sont celles qui sont limitées à l’addition et/ou à la soustraction de ses constituants naturels, ce qui n’inclut pas un remplacement complet du lait par un produit purement végétal.
Selon la cour, s’agissant des produits laitiers, l’annexe VII, partie III, point 2, du règlement n° 1308/2013 énonce, à son premier alinéa, que les « produits laitiers » sont « les produits dérivés exclusivement du lait, étant entendu que des substances nécessaires pour leur fabrication peuvent être ajoutées, pourvu que ces substances ne soient pas utilisées en vue de remplacer, en tout ou partie, l’un quelconque des constituants du lait ». Le second alinéa de ce point précise, en outre, que sont réservées « uniquement aux produits laitiers », d’une part, les dénominations utilisées à tous les stades de la commercialisation et qui sont énumérées à cette disposition, sous a), ladite énumération incluant les dénominations « lactosérum », « crème », « beurre », « babeurre », « fromage » et « yoghourt », et, d’autre part, notamment, les dénominations au sens de l’article 17 du règlement n° 1169/2011 « effectivement utilisées pour les produits laitiers ».
La Cour indique qu’il ressort ainsi du libellé de ce point 2 qu’un « produit laitier », étant dérivé exclusivement du lait, doit en contenir les constituants. À cet égard, la Cour a déjà jugé qu’un produit laitier dans lequel un constituant quelconque du lait a été remplacé, ne fût-ce que partiellement, ne peut pas être désigné par l’une des dénominations visées à l’annexe VII, partie III, point 2, second alinéa, sous a), du règlement n° 1308/2013.
On peut rappeler ici que dans un arrêt de 199915, la Cour avait déjà adopté une approche restrictive à propos de la protection de la dénomination du lait et des produits laitiers lors de leur commercialisation à propos de l’utilisation de la dénomination « fromage » pour la désignation d’un produit diététique dans lequel la matière grasse naturelle a été remplacée par de la graisse d’origine végétale. La Cour estime qu’il en va a fortiori de même, en principe, pour un produit purement végétal, dès lors qu’un tel produit ne contient, par définition, aucun constituant du lait. Elle avait ainsi jugé comme suit « que la dénomination des denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière est régie par le règlement et que, dès lors, elles ne peuvent être désignées par la dénomination générique des produits de consommation courante qui leur correspondent que lorsque leur composition, tout en étant modifiée pour être conforme à l’objectif nutritionnel particulier, n’est pas contraire aux dispositions relatives à la protection de ladite dénomination. En ce qui concerne la question de savoir si la dénomination « fromage » peut être employée pour désigner un produit dans lequel la matière grasse du lait a été remplacée par de la matière grasse d’origine végétale, il y a lieu de rappeler tout d’abord que, aux termes de l’article 2, paragraphe 2, du règlement et de son annexe, la dénomination « fromage » est uniquement réservée aux « produits laitiers », lesquels sont « les produits dérivés exclusivement du lait, étant entendu que des substances nécessaires pour leur fabrication peuvent être ajoutées, pourvu que ces substances ne soient pas utilisées en vue de remplacer, en tout ou partie, l’un quelconque des constituants du lait ». Il convient de relever ensuite que le même article dispose, en son paragraphe 3, que « les dénominations utilisées pour désigner les produits laitiers peuvent également être employées conjointement avec un ou plusieurs termes pour désigner des produits composés dont aucun élément ne prend la place ou ne se propose de remplacer un constituant quelconque du lait et dont le lait ou un produit laitier est une partie essentielle, soit par sa quantité, soit par son effet caractérisant le produit ».
Il ressort clairement du libellé de ces dispositions qu’un produit laitier, dans lequel un constituant quelconque du lait a été remplacé, ne fût-ce que partiellement, ne peut pas être désigné par l’une des dénominations visées à l’article 2, paragraphe 2, second alinéa, premier tiret, du règlement16.
Il en résulte selon la Cour que les dénominations énumérées à l’annexe VII, partie III, point 2, second alinéa, sous a), dudit règlement, telles que « lactosérum », « crème », « beurre », « fromage » et « yoghourt », mentionnées par la juridiction de renvoi, ne peuvent, en principe, être légalement utilisées pour désigner un produit purement végétal. Une interdiction identique s’impose, en vertu de l’annexe VII, partie III, point 2, second alinéa, sous b), du même règlement, pour les dénominations au sens de l’article 17 du règlement n° 1169/2011 effectivement utilisées pour les produits laitiers. À cet égard, il convient de rappeler que, selon cet article 17, paragraphe 1, la dénomination de la denrée alimentaire est sa dénomination légale ou, en l’absence d’une telle dénomination, son nom usuel ou encore, à défaut d’un tel nom ou si celui-ci n’est pas utilisé, un nom descriptif.
La question des langues et des traductions n’est pas sans influence sur ce type de questionnements. Comme le souligne la cour, si le terme Sahne, en langue allemande – que la juridiction de renvoi, dans sa demande de décision préjudicielle, a distingué du terme Rahm, lequel figure à l’annexe VII, partie III, point 2, second alinéa, sous a), ii), du règlement n° 1308/2013 –, à l’instar du terme « chantilly », en langue française, ne figure pas parmi les dénominations de produits laitiers énumérées à l’annexe VII, partie III, point 2, second alinéa, sous a), du règlement n° 1308/2013, il demeure que ce terme désigne de la crème, qui peut être fouettée ou battue.
Il s’agit donc d’une dénomination au sens de l’article 17 du règlement n° 1169/2011, effectivement utilisée pour un produit laitier. La Cour en déduit que ce terme ne saurait, en principe, pas davantage être légalement utilisé pour désigner un produit purement végétal.
Il restait à s’interroger sur la pertinence éventuelle, dans le but de se prononcer sur la légalité de l’utilisation de la dénomination « lait » ou des dénominations réservées uniquement aux produits laitiers par le règlement n° 1308/2013 pour désigner un produit purement végétal, de l’ajout de mentions explicatives ou descriptives indiquant l’origine végétale du produit en cause, telles que « de soja » ou « de tofu », mentionnées par la juridiction de renvoi, la Cour se fonde sur l’annexe VII, partie III, point 3, de ce règlement qui prévoit que « [l]a dénomination “lait” et les dénominations utilisées pour désigner les produits laitiers peuvent également être employées conjointement avec un ou plusieurs termes pour désigner des produits composés dont aucun élément ne remplace ou [n’]est destiné à remplacer un constituant quelconque du lait et dont le lait ou un produit laitier est une partie essentielle, soit par sa quantité, soit par son effet caractérisant le produit ».
Comme les termes le montrent sans ambiguïté, ces conditions ne sont cependant pas remplies par des produits purement végétaux, de tels produits ne contenant ni lait ni produit laitier. Ce point 3 ne peut donc servir de fondement à une utilisation légale, pour désigner un produit purement végétal, de la dénomination « lait » ou des dénominations réservées uniquement aux produits laitiers de manière conjointe avec une ou plusieurs mentions explicatives ou descriptives indiquant l’origine végétale du produit en cause.
Il faut néanmoins ajouter que selon l’annexe VII, partie III, point 5, premier alinéa, du règlement n° 1308/2013, les dénominations visées aux points 1, 2 et 3 de cette partie III ne peuvent être utilisées pour aucun autre produit que les produits qui y sont visés. Cependant, le second alinéa de ce point 5 prévoit, néanmoins, que ce premier alinéa « n’est pas applicable à la dénomination des produits dont la nature exacte est connue en raison de l’usage traditionnel et/ou lorsque les dénominations sont clairement utilisées pour décrire une qualité caractéristique du produit ». Or, la liste des produits visés par cette dernière disposition a, en application de l’article 121, sous b), i), du règlement n° 1234/2007, devenu, en substance, l’article 91, premier alinéa, sous a), du règlement n° 1308/2013, été arrêtée à l’annexe I de la décision 2010/791. Seuls les produits listés dans l’annexe entrent donc dans l’exception possible. Or aucune référence au soja ni au tofu n’y est présente.
La Cour précise néanmoins que la liste mentionne, en langue française, le produit dénommé « crème de riz », mais elle ne mentionne pas, en langue anglaise, le produit dénommé « rice spray cream », indiqué par la juridiction de renvoi comme étant un des produits en cause au principal, ni même le produit dénommé « rice cream ». Sur ce point, la Cour indique qu’il ressort du considérant 3 de la décision 2010/791 que, sur la liste que cette décision établit, figurent les produits qui ont été identifiés par les États membres comme répondant, sur leurs territoires respectifs, aux critères prévus par l’annexe VII, partie III, point 5, second alinéa, du règlement n° 1308/2013 et que les dénominations des produits en cause sont énumérées selon leur usage traditionnel dans les différentes langues de l’Union. La Cour estime donc que la dénomination « crème de riz », en langue française, a été reconnue comme répondant auxdits critères, ce qui n’implique pas que la dénomination « rice cream » y réponde également.
La Cour souligne encore que, s’il ressort de la liste en question que l’utilisation, dans la dénomination d’un produit, du terme « cream » avec un terme complémentaire est permise dans certaines conditions, notamment pour désigner des boissons spiritueuses ou des potages, aucune de ces conditions ne paraît satisfaite par une dénomination telle que « rice spray cream », en cause au principal. De même, si l’utilisation du terme « creamed » avec la dénomination d’un produit végétal est permise, ce n’est que lorsque « le terme “creamed” désigne la texture caractéristique du produit »17.
De tout ce qui précède, il ressort qu’aucun des produits mentionnés à titre d’exemple par la juridiction de renvoi ne figure sur ladite liste et que, par conséquent, aucune des dénominations que cette juridiction cite ne bénéficie de l’exception prévue à l’annexe VII, partie III, point 5, second alinéa, du règlement n° 1308/2013, ce qu’il lui appartient néanmoins de vérifier s’agissant de chacun des produits en cause.
On peut encore relever que l’article 78, paragraphe 3, du règlement n° 1308/2013 prévoit que, pour répondre aux besoins avérés résultant d’une évolution de la demande des consommateurs, des progrès techniques ou du besoin en matière d’innovation, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués en ce qui concerne les modifications, les dérogations ou les exemptions relatives aux définitions et dénominations de vente prévues à l’annexe VII de ce règlement. Cependant, un tel acte n’ayant pas, au moment des faits, été adopté par la Commission s’agissant des définitions et des dénominations de vente du lait et des produits laitiers, cette approche ne peut pas non plus s’avérer utile.
Il découle de l’ensemble de ce qui précède que la dénomination « lait » et les dénominations réservées uniquement aux produits laitiers ne peuvent être légalement utilisées pour désigner un produit purement végétal, à moins que ce produit ne figure sur la liste établie à l’annexe I de la décision 2010/791, l’ajout de mentions descriptives ou explicatives indiquant l’origine végétale du produit en cause, telles que celles en cause au principal, étant sans influence sur une telle interdiction, qui s’applique tant pour la publicité que pour la commercialisation.
En vertu des considérants 64 et 76 du même règlement, les objectifs poursuivis par les dispositions en cause consistent, en particulier, à améliorer les conditions économiques de production et de commercialisation ainsi que la qualité des produits dans l’intérêt des producteurs, des commerçants et des consommateurs, à protéger les consommateurs et à préserver les conditions de la concurrence. Or, selon la Cour, ces dispositions, en ce qu’elles prévoient que seuls les produits conformes aux exigences qu’elles posent peuvent être désignés par la dénomination « lait » et les dénominations réservées uniquement aux produits laitiers, et cela même si ces dénominations sont complétées par des mentions explicatives ou descriptives telles que celles en cause au principal, contribuent à la réalisation de ces objectifs.
En l’absence d’une telle limitation, ces dénominations ne permettraient notamment plus d’identifier de manière certaine les produits présentant les caractéristiques particulières liées à la composition naturelle du lait animal, ce qui irait à l’encontre de la protection des consommateurs, du fait du risque de confusion qui serait créé. Cela irait également à l’encontre de l’objectif d’amélioration des conditions économiques de production et de commercialisation ainsi que de la qualité du « lait » et des « produits laitiers ». La Cour devait apprécier la conformité d’une telle approche au principe de proportionnalité et de non-discrimination.
B – Le prisme des principes de proportionnalité et de non-discrimination
La Cour rappelle que ce principe exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés. La Cour s’était déjà fondée sur cette approche dans l’arrêt UDI de 1999 cité plus haut18. De même, dans un arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna, la Cour avait confirmé que « le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser l’objectif visé et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre »19.
Comme la Cour l’a déjà affirmé à plusieurs reprises, le législateur de l’Union disposant, en matière de politique agricole commune, d’un large pouvoir d’appréciation, qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 40 TFUE à 43 TFUE lui attribuent, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée dans ce domaine par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre peut affecter la légalité d’une telle mesure20. La Cour précise néanmoins, dans un arrêt de 2013 que « Certes, même en présence d’un tel pouvoir d’appréciation, le législateur de l’Union est tenu de baser son choix sur des critères objectifs et, dans le cadre de l’appréciation des contraintes liées à différentes mesures possibles, il doit examiner si les objectifs poursuivis par la mesure retenue sont de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs économiques »21.
Or l’objet des dispositions dont l’interprétation est demandée par la juridiction de renvoi visent à améliorer les conditions économiques de production et de commercialisation des produits concernés et leur qualité, à protéger les consommateurs ainsi qu’à préserver les conditions de la concurrence.
Sur cette base, selon la Cour, le fait que la possibilité d’utiliser, lors de la commercialisation ou dans la publicité, la dénomination « lait » et les dénominations réservées uniquement aux produits laitiers ne soit offerte qu’aux seuls produits qui sont conformes aux exigences posées par l’annexe VII, partie III, du règlement n° 1308/2013 garantit, notamment, aux producteurs desdits produits, des conditions de concurrence non faussées et, aux consommateurs de ceux-ci, que les produits désignés par lesdites dénominations répondent tous aux mêmes normes de qualité, tout en les protégeant contre toute confusion quant à la composition des produits qu’ils entendent acquérir. Les dispositions en cause sont donc aptes à réaliser ces objectifs. En outre, elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre, l’ajout de mentions descriptives ou explicatives auxdites dénominations, pour désigner des produits ne répondant pas auxdites exigences, n’étant, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, pas susceptible d’empêcher avec certitude tout risque de confusion dans l’esprit du consommateur. Par conséquent, les dispositions en cause ne méconnaissent pas le principe de proportionnalité, selon la Cour.
S’agissant du principe d’égalité de traitement, la Cour rappelle qu’il exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. La Cour juge ainsi de jurisprudence constante que le principe d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié22. De même dans un arrêt plus récent, en 2016, la Cour confirme la même formule.
En l’espèce, la Cour estime que le fait que les producteurs de substituts végétariens ou végétaliens de la viande ou du poisson ne soient, selon TofuTown, pas soumis, en ce qui concerne l’utilisation de dénominations de vente, à des restrictions comparables à celles auxquelles les producteurs de substituts végétariens ou végétaliens du lait ou des produits laitiers sont soumis en vertu de l’annexe VII, partie III, du règlement n° 1308/2013 ne saurait être considéré comme étant contraire au principe d’égalité de traitement.
Sur ce point, la Cour rappelle que chaque secteur de l’organisation commune des marchés pour les produits agricoles établie par le règlement applicable comporte des spécificités qui lui sont propres. Par conséquent, la comparaison des mécanismes techniques utilisés pour la réglementation de différents secteurs de marché ne peut pas constituer une base valable pour établir un grief d’inégalité de traitement entre des produits dissemblables soumis à des règles différentes.
La Cour a ainsi jugé en ce sens, dès 1982, et encore récemment en 2016 que « À cet égard, l’article 40, paragraphe 2, premier alinéa, du traité sur le fonctionnement de l’Union prévoit le recours à différents mécanismes susceptibles d’être utilisés afin d’atteindre les objectifs définis à l’article 39 TFUE. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du règlement n° 1234/2007, chaque organisation commune de marché comporte des spécificités qui lui sont propres. Il en résulte que la comparaison des mécanismes techniques utilisés pour la réglementation des différents secteurs de marché ne saurait constituer une base valable pour établir le grief de discrimination entre des produits dissemblables, soumis à des règles différentes »23. Or, le lait et les produits laitiers relèvent d’un secteur différent de ceux des différents types de viandes ainsi que du secteur des produits de la pêche, lesquels relèvent même d’une autre organisation commune des marchés.
Sur ce sujet, rappelons seulement que l’Union européenne a mis en place des règles communes en ce qui concerne les marchés agricoles. Ces règles concernent notamment les interventions publiques sur les marchés, les régimes de quotas et d’aides, les normes de commercialisation et de production ainsi que les échanges avec les pays tiers. Depuis l’introduction de la PAC, le Conseil a établi 21 organisations communes de marchés couvrant les différents produits ou groupes de produits, chacune de ces organisations étant régie par un règlement de base du Conseil qui lui est propre : c’est désormais un règlement du Parlement et du Conseil du 17 décembre 2013 qui porte organisation commune des marchés des produits agricoles et abroge les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil. Ce règlement fait suite à la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, intitulée « La PAC à l’horizon 2020 : alimentation, ressources naturelles et territoire – relever les défis de l’avenir », expose les défis, objectifs et orientations potentiels de la politique agricole commune (PAC) après 2013. À la lumière du débat sur cette communication, la PAC devait être réformée avec effet au 1er janvier 2014. Cette réforme devait porter sur tous les instruments principaux de la PAC, y compris le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil24. Compte tenu de l’ampleur de la réforme, il y a lieu d’abroger ce règlement et de le remplacer par un nouveau règlement portant organisation commune des marchés des produits agricoles. La réforme devait également, dans la mesure du possible, harmoniser, rationaliser et simplifier les dispositions, en particulier celles couvrant plusieurs secteurs agricoles, notamment en faisant en sorte que les éléments non essentiels des mesures puissent être adoptés par la Commission au moyen d’actes délégués.
On sait que le lait est un des produits agricoles particuliers de l’Union européenne. La surproduction a conduit à des évolutions à la fois des règles applicables et des aides. Sur cette base, doivent être appliqués et conciliés les principes de libre concurrence et de protection du consommateur. Ce sont donc ces paramètres pris dans leur ensemble qui ont conduit la Cour à adopter une approche restrictive de l’usage du terme de « lait » et ses dérivés.
Au regard de tous ces éléments, la Cour décide ainsi de répondre aux questions posées que l’article 78, paragraphe 2, et l’annexe VII, partie III, du règlement n° 1308/2013 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que la dénomination « lait » et les dénominations que ce règlement réserve uniquement aux produits laitiers soient utilisées pour désigner, lors de la commercialisation ou dans la publicité, un produit purement végétal, et ce même si ces dénominations sont complétées par des mentions explicatives ou descriptives indiquant l’origine végétale du produit en cause, sauf si ce produit est énuméré à l’annexe I de la décision 2010/79125.
Conclusion : impacts et avenir de cette jurisprudence
Cette décision devrait avoir un retentissement sur les étiquetages de très nombreux produits, allant bien au-delà de la question préjudicielle posée par le juge allemand. En effet, les « laits » végétaux ont eu tendance à se multiplier ces dernières années : lait de soja, de noisette ou autres denrées sensées évoquer le lait dans l’imaginaire et l’inconscient du consommateur, tout en étant dépourvu de toute matière animale. Seules quelques exceptions déjà listées, comme le lait d’amande par exemple, ou encore pour le vocabulaire de la crème, la crème de riz ou encore crème de marrons, pourront subsister26.
La situation qui résulte des textes et de la jurisprudence n’est cependant pas des plus satisfaisantes au regard d’un des objectifs majeurs de la réglementation en la matière, à savoir l’information la plus lisible possible pour le consommateur, afin que celui-ci puisse réaliser ses choix de consommation en meilleure connaissance de cause. En effet, au regard de l’affaire que nous avons étudiée, la presse, spécialisée ou non, s’en est largement faite écho, avec les inexactitudes que cette médiatisation peut engendrer. Un exemple, mais il est loin d’être le seul, peut être cité. Il est possible de lire çà et là que le lait d’amande ne pourrait plus être mentionné comme tel sur les étiquetages. Or la liste, limitative et peu étoffée, donne les éléments suivants en langue française : Lait d’amande ; Lait de coco ; « Crème… » utilisée dans la dénomination d’un potage ne contenant pas de lait ou d’autres produits laitiers ni de produits d’imitation du lait et des produits laitiers (par exemple, crème de volailles, crème de légumes, crème de tomates, crème d’asperges, crème de bolets, etc.) ; « Crème… » utilisée dans la dénomination d’une boisson spiritueuse ne contenant pas de lait ou d’autres produits laitiers ni de produits d’imitation du lait et des produits laitiers (par exemple, crème de cassis, crème de framboise, crème de banane, crème de cacao, crème de menthe, etc.), beurre Hardy, fromage de tête, beurre de cacao, beurre de cacahuète, haricot beurre, crème de marrons, crèmes de produits de charcuterie.
Cette jurisprudence pourrait néanmoins donner lieu à des réflexions de la Commission au regard de la conception de la protection du consommateur. En effet, si l’on observe le point 3 du règlement de 2011 précité, on lit que : « Afin d’atteindre un niveau élevé de protection de la santé des consommateurs et de garantir leur droit à l’information, il convient que ceux-ci disposent d’informations appropriées sur les denrées alimentaires qu’ils consomment. Les choix des consommateurs peuvent être influencés, entre autres, par des considérations d’ordre sanitaire, économique, environnemental, social ou éthique ». Or pour dire les choses simplement, le « vegan » ou encore autrement dit, le « non animal », le « végétal » apparaissent comme a minima, une mode, a maxima, un mode de vie en progression.
Il pourrait ainsi en résulter la recherche d’un nouvel équilibre entre la préservation de la libre concurrence, constitutive du marché intérieur, et la protection du consommateur et les informations appropriées sachant que comme le mentionne le point cité au-dessus, les considérations d’ordre éthique sont à prendre en compte. Or, ce même règlement mentionne en son point 14 que : « Une approche exhaustive et évolutive de l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires qu’ils consomment passe par une définition large, d’une part, de la législation en la matière qui englobe à la fois des règles générales et spécifiques et, d’autre part, des informations fournies sur ces denrées, qui ne se limitent pas aux données figurant sur l’étiquette ». Les pratiques évoluent, ainsi que les perceptions des étiquetages. Il n’est en somme pas certain que cette jurisprudence, qui certes correspond à une ligne tracée par l’arrêt UDI précité de 1999, ne connaisse pas quelques aménagements ou évolutions.
Notes de bas de pages
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1.
CJUE, 14 juin 2017, n° C-422/16, demande de décision préjudicielle, introduite par le Landgericht Trier.
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2.
CJCE, 16 déc. 1999, n° C-101/98, ECLI:EU:C:1999:615.
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3.
CJCE, 16 déc. 1999, n° C-101/98 : Rec. 1999, I-08841.
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4.
Le règlement (CEE) n° 1898/87 a été abrogé par le règlement (CE) n° 1234/2007 du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement OCM unique).
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5.
V. Albaric C., http://www.lettredesreseaux.com/P-1212-455-A1-l-etiquetage-de-denrees-alimentaires-ne-doit-pas-induire-le-consommateur-en-erreur.html.
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6.
CJUE, 4 juin 2015, n° C-195/14, Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraudcherverbände c/ Teekanne.
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7.
CJUE, 25 nov. 2010, n° C-47/09.
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8.
Dir. n° 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, 20 mars 2000, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard : JOCE L 109, 6 mai 2000, p. 29 – Dir. n° 2000/36/CE du Parlement européen et du Conseil, 23 juin 2000, relative aux produits de cacao et de chocolat destinés à l’alimentation humaine : JOCE L 197, 3 août 2000, p. 19.
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9.
CJCE, 16 janv.2003, n° C-14/00, Commission c/ Italie.
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10.
Communiqué de presse de la CJUE sur cette affaire.
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11.
JOCE L 304, 22 nov. 2011, p. 18.
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12.
JOCE L 299, 16 nov. 2007, p. 1.
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13.
JOCE L 182, 3 juill. 1987, p. 36.
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14.
JOCE L 336, 21 déc. 2010, p. 55.
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15.
CJUE, 16 déc. 1999, n° C-101/98, UDL, points 20 à 22, ECLI:EU:C:1999:615.
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16.
Ibid.
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17.
Arrêt ici commenté.
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18.
CJUE, 16 déc. 1999, n° C-101/98, UDL, point 30.
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19.
CJUE, 17 mars 2011, n° C-221/09, point 79, ECLI:EU:C:2011:153 ; v. en ce sens, CJUE, 14 déc. 2004, n° C-210/03, Swedish Match, point 47 : Rec. CJCE 2004, p. I-11893 – CJUE, 7 juill. 2009, n° C-558/07, S.P.C.M. et a., point 41 : Rec. CJCE 2009, p. I-5783, cités par la cour.
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20.
V. en ce sens, CJUE, 16 déc. 1999, n° C-101/98, UDL, point 31, ECLI:EU:C:1999:615 ; CJUE, 17 oct. 2013, n° C-101/12, Schaible, point 48, ECLI:EU:C:2013:661.
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21.
CJUE, 17 oct. 2013, n° C-101/12, Schaible, point 48.
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22.
V. CJUE, 6 déc. 2005, nos C-453/03, C-11/04, C-12/04 et C-194/046, ABNA et a., point 63, ECLI:EU:C:2005:741.
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23.
V. en ce sens, CJUE, 28 oct. 1982, nos C-292/81 et C-293/81, Lion et a., point 24, ECLI:EU:C:1982:375 ; CJUE, 30 juin 2016, n° C-134/15, Lidl, point 49, ECLI:EU:C:2016:498.
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24.
Règl. (CE) n° 1234/2007 du Conseil, 22 oct. 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement OCM unique) : JOCE L 299, 16 nov. 2007, p. 1.
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25.
CJUE, 14 juin 2017, n° C-422/16, ici étudié.
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26.
https://www.consoglobe.com/appellation-lait-vegetal-interdite-cg.