Ordonnance du 20 février 2019 portant transposition de la directive (UE) n° 2018/957 du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive n° 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services
L’ordonnance est prise sur le fondement de l’habilitation prévue à l’article 93 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui autorise le gouvernement à prendre les mesures nécessaires à la transposition de la directive (UE) n° 2018/957 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 modifiant la directive n° 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.
Le 28 juin 2018, a été adoptée la directive n° 2018/957 modifiant celle du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (n° 96/71/CE).
On peut rappeler que principe de l’égalité de traitement et l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité sont consacrés dans le droit de l’Union depuis les traités fondateurs.
Le principe de l’égalité des rémunérations est mis en œuvre par le droit dérivé, non seulement entre les femmes et les hommes, mais aussi entre les travailleurs sous contrat à durée déterminée et les travailleurs sous contrat à durée indéterminée comparables, entre les travailleurs à temps partiel et les travailleurs à plein temps et entre les travailleurs intérimaires et les travailleurs comparables de l’entreprise utilisatrice.
Ces principes comprennent l’interdiction de toute mesure qui constitue, directement ou indirectement, une discrimination fondée sur la nationalité.
Dans cette perspective, la directive transposée vise à moderniser le cadre juridique relatif au détachement des travailleurs au sein de l’Union européenne, en renforçant les règles posées par la directive de 1996.
Il s’agit de s’adapter à la hausse importante du phénomène de détachement (+ 44,4 % au sein de l’Union européenne entre 2010 et 2014) afin de lutter contre les pratiques déloyales et promouvoir le principe selon lequel un même travail effectué au même endroit devrait être rémunéré de manière identique. Cette directive entrera en vigueur le 30 juillet 2020.
La directive doit permettre de mieux lutter contre la fraude, en complétant les mesures et les sanctions déjà existantes. La transparence et les obligations d’information sur les règles applicables en matière de détachement de salariés intérimaires sont à la fois renforcées et mieux contrôlées.
I – La clarification des types d’entreprises utilisatrices recourant à des intérimaires détachés
S’agissant du travail temporaire, les dispositions du Code du travail sont modifiées par les articles 1er et 2 de l’ordonnance.
L’article 1er de l’ordonnance répond à un objectif de clarification de la norme. Il modifie la rédaction de l’article L. 1262-2 du Code du travail afin de faire apparaître de manière distincte le cas de l’entreprise utilisatrice établie en France d’une part, et le cas de l’entreprise utilisatrice établie à l’étranger qui exerce en France une activité ponctuelle.
II – Une obligation d’information
La directive prévoit de nouvelles obligations d’information en distinguant d’une part, le cas de l’entreprise de travail temporaire établie hors de France qui détache un salarié auprès d’une entreprise utilisatrice française et d’autre part, celui de l’entreprise de travail temporaire établie hors de France qui détache un salarié auprès d’une entreprise utilisatrice étrangère qui exerce ponctuellement une activité en France.
Les obligations actuelles sont en conséquence clarifiées et pour partie simplifiées :
– s’agissant du premier cas, l’obligation de déclaration préalable attestant du respect des obligations d’information de l’employeur par l’entreprise utilisatrice établie hors de France est remplacée par une obligation d’information par l’entreprise utilisatrice établie hors de France de l’entreprise de travail temporaire des règles applicables aux salariés détachés.
À noter. La liste des informations devant être communiquées sera précisée par arrêté de la ministre chargée du Travail.
Dans un objectif de simplification, est prévue une obligation de justification par l’entreprise utilisatrice établie hors de France, a posteriori, en cas de contrôle et par tout moyen du respect de cette obligation d’information.
– concernant le deuxième cas, une nouvelle obligation d’information est introduite qui prévoit que l’entreprise utilisatrice établie en France doit informer l’entreprise de travail temporaire étrangère des règles applicables en matière de rémunération pendant la durée du détachement.
NB. Dans ce dernier cas, l’obligation d’information ne porte que sur la rémunération.
Ces dispositions doivent permettre de clarifier pour chaque entreprise (employeur et entreprise utilisatrice) la nature des obligations qui leur incombent et d’assurer un respect plus systématique des droits des salariés détachés.
Cette transparence sur les conditions de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires détachés couvrira désormais l’ensemble des situations rencontrées par les agents de contrôle.
À noter. En totalisant près de 31 300 déclarations préalables de détachement, les entreprises de travail temporaire effectuent un quart des déclarations de détachement en 2016. En nombre de salariés, elles sont le deuxième secteur, après celui du bâtiment et des travaux publics (BTP), avec près de 80 900 salariés détachés, soit 22 % du total des salariés détachés.
III – Un nouveau statut de salarié détaché de longue durée
Pour rappel, la directive du 28 juin 2018 a créé un nouveau statut de salarié détaché de longue durée1, soit 12 mois, prolongeable jusqu’à 18 mois.
Les dispositions actuelles sont en conséquence complétées afin de déterminer la réglementation qui lui est applicable, en explicitant le calcul de la durée de détachement, la prise en compte des situations de remplacement sur un même poste et même lieu de travail des salariés détachés et la procédure dérogatoire de prolongation du détachement au-delà de 12 mois sous le même statut, dont les modalités d’application seront précisées par décret en Conseil d’État.
Conformément à la directive, l’ensemble des conditions de travail et d’emploi prévues par le Code du travail s’appliquent à ce salarié, à l’exception de dispositions relatives à la conclusion et à la fin du contrat. Ces dispositions permettent de garantir le caractère temporaire du détachement, qui reste toujours lié à l’exécution d’une prestation de services en France.
Lorsque la durée du détachement est manifestement très longue, le salarié concerné doit pouvoir bénéficier des mêmes droits qu’un salarié local, au-delà des droits qui lui sont garantis2
À noter. En cas de fraude, conformément au Code du travail, la situation peut être requalifiée afin d’écarter l’application des règles sur le détachement, que la durée du détachement excède ou non la durée de 12 mois.
Par ailleurs, en cas de remplacement d’un salarié détaché par un autre salarié détaché sur le même poste de travail, la durée de détachement de 12 mois est également considérée atteinte lorsque la durée cumulée du détachement des salariés se succédant sur le même poste est égale à 12 mois.
Les dispositions supplémentaires applicables au-delà de 12 mois concerneront la participation aux élections syndicales ainsi que, sous réserve de modification du Code du travail – partie réglementaire –, certains congés spécifiques. L’incidence de ces mesures nouvelles sur les entreprises sera limitée mais ne peut être quantifiée.
Toutefois, afin de tenir compte de contraintes particulières, et par dérogation, est prévue la possibilité pour l’employeur d’adresser une déclaration à l’autorité administrative compétente préalablement à l’achèvement des 12 mois de détachement, expliquant les motifs qui lui permettent d’écarter les dispositions supplémentaires propres aux détachements de plus de 12 mois pendant 6 mois supplémentaires au plus.
IV – La modernisation du socle de droits minimum (« noyau dur ») applicables aux salariés détachés
L’article 3 de l’ordonnance modifie également certaines règles dites du « noyau dur » applicables aux travailleurs détachés et au détachement de longue durée3. Un principe d’égalité de traitement entre les travailleurs détachés et les salariés employés par les entreprises de la même branche d’activité établies en France est expressément posé.
L’ordonnance précise que l’employeur détachant temporairement un salarié sur le territoire national doit lui garantir l’égalité de traitement avec les salariés employés par les entreprises de la même branche d’activité établies sur le territoire national, en assurant le respect des dispositions légales et des stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d’activité établies sur le territoire national, en matière de législation du travail, pour ce qui concerne notamment les libertés individuelles, les discriminations et l’égalité entre les femmes et les hommes.
Si le Code du travail comporte déjà des dispositions relatives à la réglementation applicable aux travailleurs détachés, ces dispositions sont complétées afin d’y introduire d’une part, la notion de rémunération revue par la directive et d’autre part, des allocations payées à titre de remboursement des dépenses encourues par le salarié lors de son détachement qui s’entendent comme des frais professionnels.
Ainsi, le noyau dur applicable aux salariés détachés est précisé en matière de :
Rémunération. Ce terme englobe à la fois le salaire minimum, le paiement du salaire et les accessoires du salaire légalement ou conventionnellement fixés. L’impact de cette mesure n’est pas réellement quantifiable mais devrait être négligeable dans la mesure où la notion de rémunération reprend pour l’essentiel les éléments précédemment listés à cette disposition.
Frais professionnels. Un nouvel alinéa est inséré à l’article L. 1262-4, 11° en matière de transport, hébergement et nourriture liés à l’accomplissement des missions du salarié détaché dans le pays d’accueil. Ils sont ainsi distingués de la rémunération et s’ajoutent à cette dernière, conformément aux dispositions de la directive transposée.
Ces modifications permettent d’intégrer en droit positif les apports de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en la matière. Cette clarification ne va donc pas générer de charges supplémentaires pour les entreprises.
À noter. Les dispositions prévues dans le noyau dur ne créent pas de charges supplémentaires pour les entreprises.
Ces droits étendus des salariés détachés permettront d’assurer l’effectivité du principe à l’origine de la révision de la directive n° 96/71/CE que la France a fortement soutenue selon lequel le salarié détaché doit bénéficier d’une rémunération égale à celle que percevrait un salarié local sur un poste de travail équivalent. Ce principe d’égalité de traitement est garanti à l’article L. 1262-4 du même code.
V – Les sanctions
Les articles 4 à 6 de l’ordonnance prévoient de nouveaux cas d’ouverture aux sanctions rendues nécessaires pour assurer l’effectivité des nouvelles mesures, ainsi que leurs conditions, en ajoutant notamment le critère de bonne foi de l’auteur du manquement.
Ainsi l’article 4 ajoute à la liste des manquements faisant l’objet d’une sanction administrative le non-respect par l’employeur de l’obligation de déclaration motivée de la prorogation du détachement de longue durée au-delà de 12 mois4.
Illustration. Sur un échantillon de 196 712 salariés uniques déclarés, 12 032 avaient été déclarés pour des périodes de détachement en France d’une durée supérieure à 12 mois, soit 6 % de l’échantillon.
L’article 5 prévoit la possibilité d’infliger à l’entreprise utilisatrice une amende administrative en cas de méconnaissance de l’obligation d’information lorsque l’employeur méconnaît les règles applicables en matière de rémunération5.
Par ailleurs, on peut rappeler que la directive précitée prévoit, d’une part, un principe de proportionnalité en matière de sanction et d’autre part, l’obligation pour les États membres de rendre accessibles sur un site internet les règles applicables en matière de détachement afin de permettre leur pleine application.
Pour tenir compte de ces deux dispositions, l’article L. 1264-3 du Code du travail relatif aux modalités de mise en œuvre du pouvoir de sanction est modifié afin d’introduire la bonne foi comme critère de prise en compte du comportement de l’auteur des manquements pour fixer le montant de l’amende6.
À noter. En 2017, 1 034 amendes ont été mises en recouvrement pour un montant de 5,9 millions d’euros. Sur ces sommes, 882 000 € ont été recouvrées pour l’exercice comptable 2016, soit un taux de recouvrement de 36 % et 3,2 millions d’euros pour 2017, soit un taux de recouvrement en progression de 53,46 %.
Ces amendes sanctionnent le non-respect des formalités déclaratives liées au détachement de travailleurs en France : envoi d’une déclaration préalable de détachement à l’inspection du travail et désignation d’un représentant en France, ainsi que le défaut de vigilance des donneurs d’ordre.
Rappel. Le montant maximal de l’amende est fixé à 4 000 € par salarié concerné avec un plafond relevé à 500 000 €.
Ainsi, de nouveaux motifs de sanctions administratives sont créés en cas de non-respect des obligations prévues par l’ordonnance. L’inspection du travail devrait disposer de moyens efficaces pour sanctionner rapidement les atteintes aux règles applicables en matière de détachement.
Ces nouvelles dispositions vont s’intégrer dans un ensemble plus global qui doit contribuer à lutter efficacement contre la fraude avec, prochainement, la création de l’autorité européenne du travail qui vient d’être décidée et la refondation du système de déclaration et d’information en matière de prestation de service internationale. Elles s’accompagnent d’un renforcement des sanctions sur le plan national avec, prochainement, de nouvelles possibilités pour suspendre un chantier.
Par ailleurs, on peut préciser que l’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance est prévue le 30 juillet 2020, conformément à la date d’entrée en vigueur prévue par la directive. Toutefois, les entreprises de transport routier restent régies par les dispositions antérieures à l’ordonnance, comme le prévoit l’article 3 de la directive, pour permettre l’adoption d’une directive fixant des règles sectorielles spéciales par le Parlement européen et le Conseil afin de tenir compte des spécificités du secteur du transport routier.
À noter. Les dispositions de l’ordonnance entrent en vigueur le 30 juillet 2020. Pour l’application du II de l’article L. 1262-4 aux détachements en cours au 30 juillet 2020, la durée de 12 mois s’apprécie en tenant compte des périodes de détachement déjà accomplies à cette date.