Droits de succession : le grand écart des propositions de réforme

Publié le 13/08/2021

Illustration d'un couple âgé devant une maisondevant

Faut-il alléger les successions et donations en baissant les taux d’imposition, relevant les abattements, multipliant les exonérations, comme le préconise une proposition de loi déposée par 40 députés ? Ou à l’extrême opposé, mettre à bas la logique existante (assurance-vie et pactes Dutreil compris) pour adopter un impôt plus progressif, possiblement confiscatoire, et un plafonnement de l’héritage ?

La fiscalité est le terrain de prédilection des clivages politiques, et les questions relatives aux successions ne font pas exception. Justice sociale, égalité des chances, héritage, patrimoine familial, transmission, mérite : autant de thèmes qui font l’objet d’idéologies et d’applications divergentes selon où l’on se place sur l’échiquier politique.

Deux programmes de réforme des droits de succession exprimés publiquement témoignent de ce grand écart dans les prises de position et les solutions qui en découlent. Début mars dernier, 40 députés LR ont déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à alléger la fiscalité applicable aux successions et aux donations afin de faciliter la transmission de patrimoine aux jeunes générations. Quelques jours plus tôt, le think tank Intérêt Général publiait une note intitulée : « Pour casser les dynasties patrimoniales, inventer l’héritage tout au long de la vie » (n° 11, février 2021). Passage en revue de ces analyses et préconisations que tout oppose avec comme un avant-goût de campagne électorale.

Alléger la transmission envers les jeunes générations

La proposition de loi n° 3962 déposée par le député, Dino Cinieri, part de plusieurs constats partagés : un trop plein d’épargne généré par la crise sanitaire et un âge moyen de l’héritier toujours plus tardif (42 ans en 1980, 50 ans aujourd’hui, et 58 ans en 2050). Ses auteurs estiment que le poids des droits de mutation à titre gratuit s’avère très lourd pour les héritiers. L’abattement en ligne directe plafonne à 100 000 €, et les taux atteignent un maximum de 45 % en ligne directe et de 60 % pour les héritiers dépourvus d’un lien de parenté. En 2016, la France occupait le deuxième rang des pays de l’OCDE en termes de part des droits de successions dans le PIB du pays (1,2 %).

Pour « permettre une transmission plus rapide du patrimoine vers les plus jeunes et redynamiser ainsi l’économie française », les auteurs de la proposition de loi proposent d’agir sur toutes les composantes du tableau des droits de mutation à titre gratuit actuel : baisse des taux d’imposition, réduction des délais de rechargement des exonérations, hausse des plafonds d’exonération, etc.

Tout d’abord, ils préconisent de baisser le barème : abaisser la tranche marginale en ligne directe à 30 %, avec une tranche principale à 15 % (CGI, art. 777), alléger le taux normal des autres successions familiales, ramener le taux à 40 % pour les transmissions entre non parents, doubler l’abattement en ligne directe (CGI, art. 779) et indexer les barèmes. La proposition de loi préconise également d’exonérer la résidence principale au premier décès, contre l’abattement actuel de 20 % (CGI, art. 764 bis), afin d’éviter que les héritiers autres que le conjoint survivant n’aient à supporter des droits sur un bien dont ils ne disposent nullement (lorsque le conjoint survivant continue d’habiter ladite résidence).

Quant au forfait mobilier, il passerait de 5 à 3 % (CGI, art. 764).

Libérer largement le cadre fiscal des donations

Les couples seraient les grands gagnants de la réforme. En effet, il est proposé d’étendre l’exonération de droits de succession entre conjoints et pacsés (CGI, art. 749 C) aux « partages des intérêts patrimoniaux consécutifs à une séparation de corps, à un divorce, à une rupture d’un pacte civil de solidarité ou à un changement de régime matrimonial ». Il est donc proposé la suppression pure et simple du droit de partage de 2,5 %, dans le cas d’une succession ou de la liquidation d’une communauté conjugale. De même qu’il est proposé l’exonération totale des donations entre époux.

Toujours en matière de donation, la proposition préconise de réduire considérablement le délai de rappel des donations. Actuellement de 15 ans, « ce délai est trop long et interdit aux familles toute stratégie de transmission du patrimoine sur le long terme ». Il passerait à 2 ans (CGI, art. 784). Enfin, une dernière mesure vise à encourager les dons de sommes d’argent en ligne directe (CGI, art. 790 G), en relevant le plafond d’exonération actuel de 31 865 € qui se recharge tous les 15 ans, à un maximum de 100 000 €, rechargeable tous les 5 ans.

Étaler la taxation durant toute la vie

À l’opposé, le récent think tank Intérêt Général, proche de la sphère de la France Insoumise, propose une refonte systémique des droits de succession, plutôt que des ajustements paramétriques. Afin que cet impôt ne rate plus sa cible principale, il préconise de s’attacher à des principes d’imposition « plus justes et plus transparents ».

Ainsi, dans leur note, les auteurs proposent d’abandonner la logique actuelle de taxation des héritiers en fonction du montant reçu et du lien de parenté et d’opter pour une logique inspirée du système en vigueur en Irlande depuis 1976 qui consiste à imposer le patrimoine reçu par un même individu tout au long de sa vie et de créer ainsi une « fiscalité des transmissions centrée sur les héritiers » et non plus sur les décès ou les donations.

Le premier axe est de prendre en compte l’ensemble des sommes reçues ou héritées au cours de la vie, afin que la personne ayant reçu une grosse somme en plusieurs fois, soit toujours davantage taxée qu’une personne ayant reçu une somme inférieure en une seule fois. Le second axe remplace l’ensemble des dégrèvements et abattements existant par un seul abattement : « Aucun impôt ne sera payé sur les 117 000 premiers euros reçus par un individu », ce qui correspond au patrimoine net médian des ménages en 2018.

Une assiette unifiée

Le laboratoire d’idées explique pourquoi il écarte la piste consistant à encourager les donations de son vivant afin de faire baiser l’âge moyen des bénéficiaires et de réinjecter cet argent dans l’économie plus rapidement. Si cette idée se défend d’un point de vue macroéconomique, elle permet cependant « aux plus riches d’éviter de payer l’impôt sur les successions, puisque ces derniers pourraient faire en sorte de tout transmettre avant de décéder. Ainsi, il y a bien redistribution plus rapide, mais uniquement entre les riches âgés et les riches jeunes. Cela grève les recettes de l’État et ne permet pas une redistribution entre tous. En outre, les plus modestes, qui ne bénéficient pas de successions, ne bénéficient pas non plus de donations, que ces dernières soient taxées ou non ».

Autre concept écarté : la différenciation entre héritiers en ligne directe et héritiers en ligne indirecte. Seule serait conservée l’exonération entre conjoints, mariés ou pacsés, afin de ne pas fragiliser leur situation lorsque, par exemple, les partenaires habitent dans le même logement. Logiquement, le think tank abandonne aussi le mécanisme de remise à zéro des compteurs des abattements, qui empêche de mettre en œuvre une progressivité à long terme.

La note contient deux autres propositions tout aussi radicales dans la remise à plat de l’existant : la suppression du statut particulier de l’assurance-vie, et l’abrogation des pactes Dutreil. Il conviendra « d’encourager les dirigeants d’entreprises à léguer leur entreprise à leurs salariés, ou à d’autres repreneurs qualifiés, plutôt qu’à leurs héritier·s : c’est plus juste, mais aussi plus efficace ».

Tous ces « avantages » seraient remplacés par un dégrèvement unique : « Chaque personne pourra recevoir l’équivalent du patrimoine net médian d’un ménage (117 000 €) au cours de sa vie en ne payant aucun impôt dessus. Cela protégera donc la plupart des héritages d’une taxation qui serait mal comprise et rapporterait peu. Cela permettra ainsi de rendre cet impôt plus acceptable ».

Un barème plus progressif pour un héritage plafonné

Quant au taux applicable à l’assiette unifiée, il « devra assez vite augmenter, pour assurer des recettes conséquentes à l’État et une redistribution efficace, en particulier dans ce contexte de crise. Le nombre de tranches sera augmenté pour lisser au mieux la progressivité ». Ainsi, le taux marginal pourra être relativement faible, autour de 10 %, pour les sommes entre 117 000 et 176 700 €. Il pourra passer à 15 % entre 176 700 et 246 200 € puis à 20 % jusqu’à 348 700 €. Le taux pourra ensuite augmenter jusqu’à 30 % au-delà de 549 600 €, 45 % pour les patrimoines inférieurs à 819 000 €, 60 % pour les patrimoines inférieurs 1,17 M€. Puis, le taux marginal pourra alors augmenter de 5 points de pourcentage à chaque tranche de 1,5 M€ de patrimoine supplémentaire.

Enfin, le think tank entend « limiter les dynasties de multimillionnaires », par l’instauration d’un héritage maximum. À partir d’un seuil qui pourrait être fixé à 12 M€, « l’État récupèrera les surplus, afin de tout redistribuer ». « Nous ne craignons pas d’envisager une fiscalité confiscatoire au-delà d’un certain montant », indique la note. « Ce n’est qu’avec cette proposition que l’on pourra briser les dynasties Bolloré, Dassault, etc. ».

Malgré l’impossibilité d’évaluer le rendement budgétaire, la note estime toutefois que ce projet de réforme devrait permettre de redistribuer annuellement au moins 5 Md€ supplémentaires. Trois options de redistribution ont été retenues par le think tank.

Avec la première option, tout le monde pourrait recevoir un héritage à sa majorité. Création d’un « héritage universel », « dotation en héritage » pour tous : la redistribution pourrait prendre la forme d’un capital disponible dès les premières années de la vie active, par exemple à partir de la majorité et jusqu’à l’âge de 25 ans.

La deuxième option donne la priorité au logement de la jeunesse. Les droits de successions collectés selon les nouvelles règles seraient investis dans « un grand service public du logement, maniant réquisitions, constructions et subventions ».

Enfin, la troisième option avancée consacre les services publics comme patrimoine collectif de la nation. Les recettes nouvelles permettraient « de réparer, puis de développer et d’amplifier les services publics déjà existants et ceux qui restent à inventer ».

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