Le point sur l’opposabilité de la doctrine administrative par un contribuable

Publié le 11/05/2021

Quelle est l’étendue de la garantie de l’article L. 80 A du LPF ? Comment s’applique-t-elle dans le temps ? Peut-elle être invoquée dans le cadre d’un abus de droit ?

Conformément aux termes de l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales (LPF), l’administration fiscale ne peut procéder à des redressements d’impositions si la cause du rehaussement poursuivi par l’administration est un différend sur l’interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle il s’est fondé a été, à l’époque, formellement admise par l’administration. Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que l’administration fiscale avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu’elle n’avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l’administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l’impôt et aux pénalités fiscales. Ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de conférer à l’administration fiscale un pouvoir réglementaire ou de lui permettre de déroger à la loi. Elles instituent, en revanche, un mécanisme de garantie au profit du redevable qui, s’il l’invoque, est fondé à se prévaloir, à condition d’en respecter les termes, de l’interprétation de la loi formellement admise par l’administration, même lorsque cette interprétation ajoute à la loi ou la contredit.

Application de la garantie dans le temps

L’application de la garantie de l’article L. 80 A du LPF dans le temps suppose que le principe d’antériorité soit respecté et que l’interprétation invoquée produise encore ses effets. La publication de l’interprétation administrative doit être intervenue antérieurement à la date à laquelle le contribuable a fait application de cette doctrine ou aurait pu en faire application. « La condition d’antériorité doit être appréciée à la date limite impartie au contribuable pour souscrire sa déclaration ou, en l’absence d’obligation déclarative, à la date de mise en recouvrement de l’imposition primitive à laquelle est assimilée la liquidation spontanée de l’impôt », précise l’administration fiscale. Lorsque celle-ci a modifié son interprétation, il convient de se placer à la date du fait générateur de l’impôt pour apprécier quelle est la doctrine en vigueur ratione temporis.

La protection qu’apportent aux contribuables les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 80 A du LPF ne peut être invoquée que si la législation interprétée par la doctrine en cause est toujours en vigueur. Un changement de législation a donc pour effet de rendre caduque l’interprétation donnée par l’administration de la loi antérieure dès l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (CE, 15 mai 1992 n° 71854). De même, en rendant inapplicable pour le passé la loi précédemment en vigueur, la loi rétroactive rend périmée la doctrine se rapportant à la loi antérieure. Le Conseil d’État, dans un avis commenté, qui a été repris par Bercy, a précisé lorsque le juge de l’excès de pouvoir annule une interprétation opposable en application de l’article L. 80 A du LPF, l’objectif de sécurité juridique poursuivi par ce dernier article prévaut, si bien que cette annulation n’a pas l’effet rétroactif normalement attaché à une annulation pour excès de pourvoir. L’annulation ne vaut donc que pour l’avenir. Ainsi, les contribuables peuvent continuer à se prévaloir de la doctrine annulée pour la période antérieure à l’annulation. En revanche, ils ne peuvent plus s’en prévaloir pour les impositions dont le fait générateur intervient postérieurement à l’annulation (CE, 8 mars 2013, avis n° 353782, Monzani). Eu égard à l’objectif de sécurité juridique poursuivi par l’article L. 80 A du LPF, et en dépit de l’effet rétroactif qui s’attache normalement à l’annulation pour excès de pouvoir, les dispositions de cet article permettent donc à un redevable, alors même que serait ultérieurement intervenue l’annulation par le juge de l’acte, quel qu’il soit, par lequel elle avait été exprimée, de se prévaloir à l’encontre de l’administration de l’interprétation qui, dans les conditions prévues par l’article L. 80 A, était formellement admise par cette dernière.

Doctrine
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Une garantie pour le contribuable

En revanche, si le contribuable invoque cette doctrine pour une imposition dont le fait générateur est postérieur à la date de l’annulation d’un acte renfermant une interprétation de la loi fiscale, au sens et pour l’application de l’article L. 80 A du LPF, cette annulation a pour effet de priver le redevable de la possibilité de se prévaloir de cet acte au titre de la garantie que donne l’article L. 80 A du LPF. Le Conseil d’État a également précisé qu’aussi longtemps que l’administration n’a pas formellement abandonné une interprétation, renfermée dans un acte qui, bien qu’illégal, n’a pas été annulé, celle-ci reste invocable sur le fondement de l’article L. 80 A du LPF. Il en résulte en particulier qu’un redevable peut opposer à l’administration l’interprétation que celle-ci a formellement admise dans un tel acte, quel qu’il soit, quand bien même un autre acte, exprimant la même interprétation, aurait été annulé pour excès de pouvoir. Si une instruction est annulée par le juge, parce qu’elle ajoute à la loi par exemple, le contribuable peut continuer à se prévaloir de l’interprétation litigieuse dans la mesure où celle-ci serait par exemple contenue dans une réponse ministérielle non annulée. En revanche, les dispositions de l’article L. 80 A du LPF ne permettent de se prévaloir d’une interprétation de la loi fiscale que dans son dernier état formellement accepté par l’administration. Le redevable n’est donc pas fondé à se prévaloir de l’interprétation initialement admise par l’administration dans un premier acte lorsque, après qu’elle l’avait complétée ou modifiée par un deuxième acte, ce dernier a été annulé. En effet, les éléments de l’interprétation de la loi qui subsistent après l’annulation ne peuvent plus être regardés comme constituant l’interprétation de la loi formellement acceptée par l’administration, dès lors que celle-ci avait entendu compléter ou modifier cette interprétation par l’acte annulé. L’annulation d’un commentaire administratif ne fait pas revivre la doctrine antérieure si cette dernière a été modifiée ou abrogée par Bercy. Il appartient à l’administration de faire connaître, le cas échéant, l’interprétation qu’elle entend donner à la loi après l’annulation opérée. Tant qu’une nouvelle interprétation n’a pas été exprimée, la loi seule régit la situation du contribuable.

Le cas de la fraude

Le Conseil d’État a jugé que la protection des contribuables contre les changements de doctrine de l’administration fiscale ne s’applique pas en cas de montage artificiel constitutif d’un abus de droit (CE, Ass., 28 octobre 2020, n° 428048). Cet arrêt a été rendu en assemblée du contentieux, la formation de jugement la plus solennelle du Conseil d’État. L’article L. 64 du Livre des procédures fiscales permet à l’administration fiscale de ne pas tenir compte, pour l’établissement des impôts, des actes constitutifs d’un abus de droit, et notamment, des actes qui caractérisent une fraude à la loi, c’est-à-dire lorsque les contribuables recherchent « le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs » et ont pour but exclusif d’obtenir un avantage fiscal en réalisant ces actes. Parmi ceux-ci, les montages artificiels, une notion qui trouve sa source dans le droit de l’Union européenne, sont dénués de toute substance et élaborés sans autre finalité que d’échapper à l’impôt. Dans son avis Société de distribution de chaleur de Meudon et d’Orléans du 8 avril 1998, rendu dans une affaire concernant les « fonds turbo », le Conseil d’État a précisé que l’administration fiscale ne peut pas augmenter l’impôt d’un contribuable en soutenant que l’interprétation de la loi sur laquelle ce contribuable s’est appuyé, contenue dans la doctrine administrative, dépasserait la portée qu’elle entendait donner à celle-ci (CE, Ass., 8 avr. 1998, avis n° 192539). Avec cet arrêt, le Conseil d’État juge que l’administration fiscale peut sanctionner les montages artificiels sans que la garantie contre les changements de doctrine ne puisse lui être opposée. Elle a cependant la charge de démontrer, par des éléments objectifs, l’existence d’un tel montage.