Le rôle décisif de la fiscalité dans la constitution des collections muséales parisiennes
Le succès grandissant du mécénat soutient les efforts d’acquisition consentis par les musées à Paris. Ces institutions peuvent également compter sur le mécanisme de la dation en paiement pour accueillir de nouvelles œuvres dans leurs collections.
La fiscalité au service du patrimoine. Ce n’est pas un vain slogan. Ces dernières années, les règles spécifiques édictées en matière successorale comme la dation en paiement ou encore les différents dispositifs fiscaux issus de la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite loi Aillagon, du nom du ministre de la Culture et de la Communication initiateur du texte ont permis à des œuvres majeures d’intégrer les collections des musées parisiens.
Solliciter la générosité des personnes physiques
En 2020, grâce à un effort mécénal exceptionnel de 1,5 millions d’euros consenti par la Société des Amis du Louvre, le département des peintures du musée du Louvre a pu faire l’acquisition dans le cadre d’une vente de gré à gré d’une grande fresque du peintre italien Giambattista Tiepolo (1696-1710). Cette fresque monumentale intitulée : Junon au-dessus des nuées, représentant en majesté la déesse antique de la fécondité, de la maternité et du mariage, ornait le plafond d’une pièce d’un palais vénitien. À l’issue de sa prochaine restauration, cette fresque exceptionnelle par ses dimensions et sa provenance bien identifiée rejoindra les autres grands tableaux italiens du XVIIIe siècle. Autre campagne de mécénat d’exception, celle lancée en faveur de l’acquisition par le musée du Louvre de l’Apollon citharède pour la somme de 6,7 millions d’euros. Il s’agit d’une statuette en bronze de 68 cm d’Apollon, dieu grec des arts, du chant, de la musique, de la beauté masculine et de la lumière, découverte à Pompéi (Italie). Cette acquisition est venue compléter un ensemble de deux figures en bronze, de dimensions comparables, un Mercure et un Hercule, découverts au XVIIIe siècle à Herculanum et donnés à Bonaparte en 1803. La campagne d’appel aux dons « Tous Mécènes ! », lancée par le musée du Louvre, en faveur de l’acquisition de l’Apollon Citharède a mobilisé 6 600 donateurs et rapporté 1 285 000 euros. La Société des Amis du Louvre a également débloqué une participation de 3,5 millions d’euros en faveur de l’acquisition de ce chef-d’œuvre. Et le don d’une entreprise a permis de boucler le plan de financement. Pour toutes ces campagnes, les particuliers mécènes bénéficient du dispositif applicable en cas de don effectué au profit d’un organisme d’intérêt général ayant un caractère culturel comme un musée. Il s’agit d’une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % du montant des sommes versées, le dispositif IR-DON. Conformément à l’article 200 du Code général des impôts, les sommes versées sont retenues dans la limite d’un plafond égal à 20 % du revenu imposable. Si la réduction d’impôt dépasse ce plafond, elle peut être reportée pendant cinq ans. Ainsi, un don de 100 euros effectué par un particulier, revient en réalité à 34 euros en faisant bénéficier son auteur d’une réduction d’impôt de 66 euros.
En matière d’impôt sur la fortune immobilière (IFI), un mécanisme de réduction d’impôt s’applique également aux personnes physiques qui effectuent des dons au profit d’organismes d’intérêt général à caractère culturel, conformément à l’article 978 du CGI (dispositif IFI-DON). Les redevables de l’IFI ont la possibilité de réduire leur impôt à hauteur de 75 % du montant de l’ensemble des dons qu’ils ont effectués, dans une limite fixée à 50 000 € par redevable et par année d’imposition. Dans le cas où le montant de la réduction d’impôt excède cette limite, la fraction non imputée de cette réduction ne peut donner lieu ni à remboursement au titre de la même année, ni à report sur l’impôt dû au titre des années suivantes. Il en va de même lorsque le montant de la réduction d’impôt excède celui de la cotisation d’IFI. La réduction d’impôt est appliquée sur le montant d’IFI déterminé avant application, le cas échéant, des règles relatives au plafonnement de l’imposition prévues à l’article 979 du CGI (CGI, art. 979). S’il ne leur est pas possible d’utiliser l’intégralité de leurs dons à la réduction IFI, les contribuables peuvent affecter la fraction non utilisée pour réduire leur impôt sur le revenu (Dispositif IR–DON). Si les deux réductions d’impôt ne sont pas pleinement cumulables, les contribuables peuvent décider de la part de ses dons qui sera affectée à l’IFI ou à l’impôt sur le revenu.
Solliciter l’aide des entreprises
La loi Aillagon a permis au mécénat d’entreprise de prendre son essor. D’après le rapport de la Cour des comptes de novembre 2018, sur le sujet, cette réforme a contribué à multiplier par dix le nombre d’entreprises recourant à ce dispositif fiscal, lequel constitue l’un des mécanismes parmi les plus incitatifs sur le plan international. Les entreprises qui effectuent un don à un musée pour permettre une acquisition d’œuvre d’art ou sa restauration bénéficient d’une réduction d’impôt sur les sociétés (IS) égale à 60 % des sommes données conformément à l’article 238 bis du CGI (CGI, art. 238 bis). La loi n’impose aucun montant minimal de chiffre d’affaires. De même, aucun montant minimal n’est requis pour le don effectué par l’entreprise. En revanche, le dispositif est plafonné. En effet, les dépenses ne sont retenues que dans la limite de 20 000 € pour les versements effectués au cours des exercices clos à compter du 31 décembre 2019 ou de 5 ‰ du chiffre d’affaires de l’entreprise donatrice lorsque ce dernier montant est plus élevé. Le taux de la réduction d’impôt de 60 % à 40 % pour les dons dépassant 2 millions d’euros. Seule la partie du don excédant ce seuil est concernée par cette réduction de taux. En cas de dépassement de ce seuil ou si le résultat de l’exercice en cours est nul ou négatif, il est cependant possible de reporter l’excédent sur les cinq exercices suivants. Le taux de la réduction d’impôt applicable aux dons excédentaires en report est celui auquel ces dons ont ouvert droit, soit 60 % ou 40 % selon les cas.
Le dispositif fiscal est encore plus généreux, lorsque l’entreprise participe à l’acquisition d’un trésor national. La notion de trésor national vise des biens culturels qui présentent un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie et ont en conséquence fait l’objet d’un refus temporaire de sortie du territoire.
L’acquisition d’un trésor national
C’est dans ce cadre, qu’en 2019, le musée d’Orsay a acquis une œuvre majeure, Le Pardon d’Émile Bernard, une toile aussi connue sous le nom Les Bretonnes dans la prairie. La peinture a rejoint les collections du musée qui possède déjà 18 œuvres de cet artiste grâce à un mécénat exclusif de l’entreprise d’assurance AXA. En 2018, un appel aux dons avait été lancé par Françoise Nyssen, alors ministre de la Culture, pour un montant de quatre millions d’euros. Cette acquisition a été réalisée grâce au dispositif de mécénat réservé aux entreprises qui effectuent des versements afin d’acheter un trésor national pour le compte de l’État. Ces entreprises peuvent bénéficier d’une réduction d’impôt égale à 90 % des sommes investies conformément à l’article 238 bis-O A du CGI (CGI, art 238 bis-O A). Le dispositif a été appliqué pour la première fois, en février 2003, quand l’entreprise PGA Holding a permis l’acquisition par l’État, d’un trésor national constitué par l’ensemble de neuf grands panneaux décoratifs de Jean-Baptiste Oudry, désormais exposé au Louvre. Précisons que la disposition qui permettait à une entreprise souhaitant acquérir un trésor national et en rester propriétaire, de bénéficier d’une déduction d’impôt limitée à 40 % des dépenses engagées (CGI, art 238 bis-O AB) a été supprimée. Ce dispositif n’était pas utilisé par les entreprises. Le législateur a, dans un objectif de simplification choisi de supprimer un dispositif jugé inefficient et sous-utilisé.
Les succès de la dation en paiement
En 2019, grâce au dispositif de la dation en paiement, le musée d’Orsay a fait l’acquisition dans ce cadre d’une toile de Gustave Caillebotte intitulée : Paysage à Argenteuil (1889). C’est un mécanisme fiscal original imaginé par André Malraux en 1968 qui a permis à des œuvres majeures d’intégrer les collections des musée parisiens : la dation en paiement. Le portrait de Diderot par Fragonard présenté au Louvre, Le déjeuner sur l’herbe de Manet au Musée d’Orsay, le Nu jaune de Bonnard au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, autant d’œuvres majeures qui ont bénéficié de ce dispositif qui permet aux particuliers de donner des œuvres d’art, livres, objets de collection, documents de haute valeur artistique ou historique afin de payer des droits de succession, des droits portants sur un legs, une donation, un droit de partage ou pour payer l’IFI. Cette procédure soumise à agrément est engagée par le contribuable, qui dépose à la recette des impôts compétente une demande indiquant la nature et la valeur de chacun des biens qu’il propose en paiement à l’État. Cette offre de dation est instruite par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et transmise pour avis à la Commission interministérielle d’agrément pour la conservation du patrimoine artistique national, qui émet un avis sur l’intérêt artistique et historique du bien offert et sur sa valeur, après avoir entendu les conservateurs et experts compétents. La valeur du bien correspond à sa valeur de marché mais également à l’intérêt qu’il présente pour les collections nationales (rareté, intérêt historique, etc.). La décision d’agrément prise par le ministre fixe la valeur libératoire des biens offerts en paiement des droits de mutation. L’acceptation du contribuable clôt la procédure et le bien devient propriété de l’État. À défaut d’acceptation dans le délai prévu par la décision d’agrément, celle-ci est considérée comme caduque.
Référence : AJU001w6