Un doctorant n’est pas toujours un étudiant comme les autres

Publié le 06/06/2017

Interprétant des dispositions issues de la loi de 2007 dite TEPA, la cour administrative d’appel de Lyon exclut de l’exonération fiscale applicable aux salaires perçus par les étudiants pendant leurs études les rémunérations versées à un doctorant à raison même de ses études et de son statut. Fondée expressément sur les travaux préparatoires de la loi, cette décision, inédite, préserve utilement l’égalité fiscale entre les doctorants.

CAA Lyon, 30 mars 2017, no 16LY00405

La récente réforme du doctorat1, au-delà même de son contenu, a perpétué l’orientation contemporaine des pouvoirs publics tendant à uniformiser les conditions et modalités du diplôme le plus élevé de l’enseignement supérieur. Pourtant, l’on sait que la réalité des formations doctorales est multiple, eu égard notamment aux disciplines académiques concernées mais aussi au statut dont peuvent bénéficier les doctorants pour effectuer leurs recherches. Si le pouvoir réglementaire n’a sans doute pas pris la pleine mesure de cette diversité, le réalisme du droit fiscal permet au contraire une vision beaucoup plus adéquate des singularités statutaires qui peuvent exister entre doctorants. Tels sont, en filigrane, les enjeux de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 30 mars 2017, n° 16LY00405.

Si les faits de l’espèce étaient au demeurant classiques, la problématique fiscale apparaît au contraire inédite devant le juge de l’impôt. M. C était inscrit en doctorat à l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon et finançait ses travaux de thèse – comme cela est courant dans les sciences dites « dures – au moyen de deux contrats à mi-temps conclus avec deux sociétés anonymes filiales de l’INSA pour l’une et de l’École centrale de Lyon pour l’autre. Alors que le total de ses rémunérations annuelles atteignait 19 873 €, M. C a estimé devoir bénéficier de l’exonération prévue par les dispositions du 36° de l’article 81 du Code général des impôts. Cet article affranchit en effet de l’impôt sur le revenu « les salaires versés aux personnes âgées de vingt-cinq ans au plus au 1er janvier de l’année d’imposition, à l’exception des agents publics percevant une rémunération dans le cadre de leur formation, en rémunération d’activités exercées pendant leurs études (…) ou exercées durant leurs congés scolaires ou universitaires, dans la limite de trois fois le montant mensuel du salaire minimum de croissance ». M. C avait ainsi déduit de son revenu imposable au titre de l’année 2011 la somme de 4 104 €, correspondant à trois fois le montant du SMIC. Ce n’est pas sur cette somme que le litige s’est porté mais sur le bénéfice même du dispositif ainsi prévu, l’administration fiscale considérant que la situation de M. C ne lui permettait pas de déduire ces sommes. Dans un jugement du 1er décembre 2015, le tribunal administratif de Lyon, saisi par le contribuable, devait rejeter sa requête au motif que les salaires qu’il percevait rémunéraient non une activité professionnelle exercée pendant ses études mais directement les travaux de recherche de sa thèse. M. C ne devait pourtant pas se satisfaire de cette interprétation et fît appel de ce jugement.

La modicité des montants concernés contraste avec la ténacité du requérant, dont on ne peut que se satisfaire. Car la solution, inédite, retenue par la cour administrative d’appel de Lyon est une véritable grille de lecture clarifiant en partie le statut fiscal des revenus perçus par les doctorants, que d’aucuns avaient appelé de leurs vœux2. Cet arrêt conduit en effet à exclure du dispositif d’exonération les revenus perçus par les doctorants dans le cadre même de leurs travaux de recherche, ce qui préserve non seulement l’utilité du dispositif d’exonération prévu par l’article 81 du CGI (I) mais aussi – et surtout – l’égalité fiscale entre les doctorants (II).

I – Le rappel nécessaire de l’utilité du dispositif d’exonération

C’est au lendemain de l’élection du président Nicolas Sarkozy que la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat3, dite loi TEPA, a été votée par le Parlement et affichée comme le premier élément de mise en œuvre du slogan du candidat élu, « travailler plus, pour gagner plus ». Des mesures symboliques étaient ainsi prises sur le plan fiscal, comme la défiscalisation partielle des revenus tirés des heures supplémentaires. Mais cette loi devait également étendre et conforter un dispositif, non moins symbolique pour les étudiants, en litige dans l’espèce commentée. Reposant sur la volonté de favoriser les travaux saisonniers ou plus pérennes réalisés par des étudiants et destinés à financer leur formation, l’article 2, repris à l’article 81 du Code général des impôts, prévoyait ainsi une exonération d’impôt pour ces revenus perçus par des étudiants âgés au plus de 25 ans et à concurrence de trois fois le montant du SMIC. Il vient en réalité étendre un dispositif créé par la loi de finances pour 2005 exonérant d’impôt sur le revenu les salaires perçus par les étudiants âgés au plus de 21 ans dans le cadre d’une activité exercée pendant les seuls congés scolaires. Ce dispositif était plafonné, annuellement, à deux fois le montant mensuel du salaire minimum de croissance. L’extension induite par la loi TEPA est ainsi triple puisque la limite d’âge est portée à 25 ans révolus, le dispositif concerne désormais les revenus perçus pendant toute l’année et enfin le plafonnement du dispositif est augmenté à trois fois le montant mensuel du SMIC. De jure, le législateur permettait en 2007 aux doctorants d’entrer dans le champ de l’exonération, ce que la limite d’âge de 21 ans interdisait de facto, l’accès au doctorat ne pouvant se faire qu’après l’obtention d’un master 2 : le doctorant devint alors sur le plan fiscal, de prime abord, un étudiant comme un autre.

Pourtant, si le principe de ce dispositif est clairement établi, la lecture du texte ne donnait pas pleine satisfaction quant à la détermination de son champ d’application, ce qui est à l’origine même du présent contentieux. L’article 81 du CGI évoque en effet simplement les rémunérations d’activités exercées pendant les études ou pendant les congés scolaires ou universitaires : la nature de l’activité n’est ni déterminée ni déterminante, ouvrant ainsi la voie à un champ d’application de l’exonération assez vaste. Pourtant le litige soumis à l’appréciation de la cour administrative d’appel de Lyon a conduit le juge à préciser le champ des activités visées. Un étudiant dont la formation est rémunérée doit-il être considéré comme entrant dans le champ du dispositif ? La question était légitime au regard précisément de l’extension prévue par la loi TEPA qui inclut tous les revenus perçus par les étudiants dans l’année. C’est ainsi, de prime abord, légitimement que M. C, rémunéré en tant que doctorant, pensait pouvoir bénéficier de l’exonération à hauteur de trois SMIC. Ce n’est pas en ce sens que l’interprétation donnée par la cour s’oriente.

La position du juge administratif devait en effet balancer entre une interprétation littérale et une interprétation exégétique du texte, fondée sur la finalité de la mesure. De ce point de vue, la méthode retenue ne surprendra pas : on sait en effet que le juge administratif peut se fonder sur les travaux préparatoires à une disposition législative, dès lors que le texte ne serait pas clair4. Cette condition de clarté du texte, qui paraissait impérative, a été vidée de sa portée, le Conseil d’État ayant admis que la référence aux travaux parlementaires en présence d’un texte clair était sans incidence sur le bien-fondé de la décision du juge, dès lors que ce dernier a correctement interprété les dispositions législatives concernées5. Cette solution est frappée d’un bon sens pratique dès lors que toute recherche par le juge d’une interprétation d’un texte repose, précisément, sur une absence de clarté : les travaux préparatoires viennent alors clarifier la portée de dispositions, en assurant le respect de la volonté du législateur.

C’est résolument en ce sens que s’oriente la cour administrative d’appel de Lyon, aux termes d’un considérant général, qui a toutes les allures d’un considérant de principe et dont la rédaction clarifie très utilement le texte litigieux. Il est ainsi relevé qu’à la lumière des travaux préparatoires de la loi TEPA, l’exonération d’impôt prévue « porte sur les salaires perçus par les étudiants qui travaillent pour financer leurs études et non sur les salaires perçus par les étudiants à raison même des études qu’ils effectuent ». Cette rédaction est une référence directe à l’exposé des motifs du projet de loi, qui indiquait notamment que le dispositif visait à « améliorer la situation des étudiants qui doivent travailler pour financer leurs études ». Les rapports et discussions parlementaires vont dans le même sens en invoquant systématiquement l’hypothèse des étudiants travaillant tout au long de l’année ou seulement pendant les vacances estivales afin de payer leur formation6. On perçoit ainsi facilement que M. C n’entrait pas dans le dispositif tel que pensé en 2007 par le législateur, dès lors que ses contrats, et les rémunérations correspondantes, étaient liés à son statut même d’étudiant en doctorat. De ce point de vue, c’est la spécificité même de la formation doctorale qui est reconnue sur le plan du droit fiscal.

Ainsi, si l’on ne peut que regretter une formulation trop générale du texte, on ne peut que saluer ce rappel de l’utilité du dispositif par la cour administrative d’appel de Lyon, qui en circonscrit précisément le champ d’application et rappelle que le mécanisme a vocation à favoriser les étudiants contraints de travailler pour financer leurs études. La solution inverse n’aurait pas respecté l’esprit du texte. Cette satisfaction est confortée par le fait que la solution permet également de préserver l’égalité fiscale entre les doctorants.

II – Le maintien essentiel de l’égalité fiscale entre les doctorants

L’enjeu de l’égalité fiscale entre les doctorants n’est pas expressément mentionné dans l’arrêt de la Cour mais en est pourtant une conséquence directe, ce qui vient à notre sens d’autant plus asseoir le bien-fondé de la solution retenue. L’article 81 du CGI précité exclut en effet du dispositif de l’exonération « les agents publics percevant une rémunération dans le cadre de leur formation ». Ces agents ne peuvent ainsi bénéficier de l’exonération à concurrence de trois SMIC prévue par le texte, quand bien même ils seraient sous le statut d’étudiant. Si cette exclusion ne vise pas les seuls doctorants (on pense essentiellement aux étudiants des écoles de formation de la fonction publique, rémunérés pendant leur formation), elle les concerne en particulier dès lors que beaucoup bénéficient d’un contrat avec leur université ou directement avec le ministère de l’Enseignement supérieur, qu’il s’agisse par exemple d’un contrat doctoral ou d’un contrat d’attaché temporaire d’enseignement et de recherche. Permettant de financer les travaux des jeunes chercheurs, ces contrats signés dans le cadre de missions de service public administratif répondent à la qualification de contrats administratifs au sens de la jurisprudence dite Berkani7. Or M. C ne pouvait, malgré les affirmations de l’administration fiscale, être assimilé à un agent de droit public au regard des contrats dont il bénéficiait.

En effet, M. C avait été engagé en tant que doctorant par la SA Insavalor qui est une filiale de l’INSA de Lyon, ainsi que par la SA Centrale Innovation, filiale de l’École centrale de Lyon, exerçant toutes deux sous statut de droit privé. La cour devait ainsi considérer, implicitement, que ces contrats ne conféraient pas la qualité d’agent public à M. C. Cette position ne saurait qu’être approuvée eu égard aux missions de ces organismes qui ne peuvent être rattachées à des missions de service public administratif. Bien que ces personnes privées soient affiliées à des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, leurs missions relèvent davantage d’une démarche lucrative et leur statut conduit à ce qu’elles soient organisées selon les modalités classiques d’une société anonyme. Si M. C a, à raison, contesté son assimilation à un agent de droit public, le risque, évité par la Cour, en lui reconnaissant le bénéfice de l’exonération aurait été de créer une distorsion de statut fiscal entre les doctorants dont les recherches sont financées par des organismes de droit privé et ceux financés par des organismes publics dans le cadre de missions de service public administratif. Selon les chiffres publiés par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en avril dernier8, la très grande majorité des doctorants financés le sont par des financements publics puisque le chiffre atteint environ 80 %. Les différents types de contrats sont multiples, tout comme les missions susceptibles d’être confiées aux doctorants. Il était donc peu souhaitable de faire une distinction entre les doctorants agents de droit public et ceux qui ne le seraient pas, eu égard à l’incertitude juridique créée et surtout au risque d’une rupture d’égalité. Le critère retenu par la Cour pour exclure le bénéfice de l’exonération permet ainsi d’unifier le statut fiscal des doctorants dont les recherches sont financées, indépendamment de leur statut d’agent de droit public ou non. Cette solution préserve par ailleurs, c’est un autre de ses intérêts, à l’inverse, le sort des doctorants dont les travaux de recherche ne seraient pas financés et qui, eux, sont contraints d’exercer une activité indépendante de leur formation : ceux-ci entrent alors dans le champ de l’exonération, à l’instar des étudiants moins avancés dans leurs études.

C’est ainsi l’esprit et l’utilité du dispositif d’exonération prévu au 36° de l’article 81 du CGI qui sont réaffirmés par la cour, livrant par là même de premiers éléments de définition d’un statut fiscal des doctorants.

Notes de bas de pages

  • 1.
    A. 25 mai 2016, fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat : JO, 27 mai 2016, texte 10.
  • 2.
    V. essentiellement Yonan N., « Plaidoyer pour un statut fiscal du doctorant », LPA 15 juin 2009, p. 3.
  • 3.
    JO, 22 août 2007, p. 13945.
  • 4.
    CE, sect., 27 oct. 1999, n° 188685, Cne de Houdan : AJDA 2000, p. 259, note Morand-Deviller J.
  • 5.
    CE, 23 déc. 2011, n° 334584, Dépt. du Nord : RLCT 2012, n° 77, p. 22, note Glaser E. ; LPA 30 mars 2012, p. 7, chron. Rouault M.-C.
  • 6.
    V. not. les rapports du député Carrez G., n° 62, 5 juill. 2007 et du sénateur Marini P., n° 404, 19 juill. 2007.
  • 7.
    T. confl., 25 mars 1996, n° 03000, Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône et a. c/ Conseil de prud’hommes de Lyon : Rec., p. 535 ; CJEG 1997, p. 35, note Lachaume J.-F. ; RFDA 1996, p. 819, concl. Martin P. ; JCP 1996, II 22664, note Moudou-Dou P. ; Dr soc. 1996, p. 735, obs. Prétot X. ; D. 1996, p. 598, note Saint-Jours Y. ; AJDA 1996, p. 354, chron. Stahl J.-H. et Chauvaux D. ; RRJ 1997, p. 745, note Monjat P.-Y.
  • 8.
    https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/8/EESR8_R_38-le_doctorat_et_les_docteurs.php.
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