Pour un droit toujours plus ouvert

Publié le 22/05/2019

L’association « Open Law, le droit ouvert » œuvre avec une vitalité étonnante à la co-création de projets numériques au service de l’ouverture du droit. Parmi ses sujets de prédilection : le legal design, l’identité numérique, la blockchain, la formation des juristes de demain ou encore les smart contrats.

Inspiré des grands projets Open Source, l’initiative « Open Law, le droit ouvert » a vu le jour en octobre 2014 à l’occasion de l’Open World Forum à Paris, événement international dédié aux contenus numériques libres. Un groupe de juristes et d’experts des données juridiques se réunit avec une volonté claire : faire collaborer les acteurs du monde du droit et du numérique et expérimenter l’innovation ouverte. Avec la collaboration de la DILA (Direction de l’information légale et administrative) un premier programme est créé sur la thématique de l’accessibilité du droit. Courant 2015 un deuxième programme verra le jour dédié à la prédictibilité du droit en collaboration avec AXA protection juridique, et un autre encore « Open Law Europa » coorganisé avec la DILA et le Groupement français de l’industrie de l’information (GFII). D’un simple projet, le mouvement Open Law s’est structuré pour prendre la forme d’une association qui rassemble aujourd’hui 2 000 professionnels de l’information juridique dans le monde du droit tout en continuant de créer des programmes et ateliers ouverts à tous. Entretien avec Sumi Saint Auguste, vice-présidente d’Open Law en charge des communs numériques.

Les Petites Affiches

Quels sont les objectifs d’Open Law ?

Sumi Saint Auguste

Notre association s’est donné pour mission d’œuvrer avant tout à l’ouverture du droit. J’entends ici l’ouverture aussi bien au sens littéral, c’est-à-dire celle des données, des processus ou encore du code source, que l’ouverture dans le sens de l’appropriation des modèles d’innovation ouverte. Nous essayons de tenir une position de médiateur entre des acteurs qui n’auraient pas naturellement eu la démarche de discuter ensemble. Pour prendre un exemple très concret, je peux citer le projet en 2016 autour de la loi pour une République numérique et de l’ouverture des décisions de justice. Open Law a animé pendant plusieurs mois une série de conférences et d’ateliers avec de la manipulation de données. Autour de la table, on retrouvait entre autres : les deux cours suprêmes, la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés), l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) en plus d’éditeurs juridiques, de sociétés de services ou de membres d’associations citoyennes.

LPA

Peut-on dire que les sujets de technologie et de droit sont inscrits dans votre ADN ?

S. S. A.

Nous avons évidemment une dimension numérique native, car c’est aujourd’hui le chemin incontournable pour l’innovation juridique. C’est du fait des outils et des technologies que l’on peut opérer une « plateformisation » de l’expérience du justiciable, du citoyen ou du client de cabinet d’avocat. Ces nouvelles manières de pratiquer le droit ont coïncidé avec la maturation de technologies telles que l’intelligence artificielle ou le machine learning appliqué. Chez Open Law nous avons immédiatement souhaité nous emparer de ces sujets. Pour autant, nous ne restons pas enfermés dans une vision virtuelle et nos programmes s’intéressent aussi à la dimension « pratique » et praticienne. Avec la formation des juristes par exemple, que cela soit en formation initiale avec les étudiants en faculté de droit, ou en formation continue pour que les professionnels puissent s’ajuster aux nouvelles pratiques et compétences identifiées telles que l’intelligence situationnelle ou la capacité à mener un projet. Sur ce dernier point, il est intéressant de constater que si les sujets ne sont pas neufs, la prise de conscience de leur importance par les juristes ne date que d’il y a deux ou trois ans. À mon sens, elle est aujourd’hui acquise, mais il reste à trouver les moyens à y consacrer et la meilleure voie pour y parvenir. Notre association touche donc des sujets très variés et fait parfois le grand écart entre des dossiers très techniques, lorsque nous nous attachons à la donnée pure ou aux algorithmes, et des concepts plus prospectifs et praticiens.

LPA

Comment vous démarquez-vous des autres associations de professionnels du droit qui partagent les mêmes thématiques ?

S. S. A.

Bien que nous ayons une forte participation au sein de tous les cercles de l’écosystème du droit français, notre positionnement consiste à maintenir une neutralité tout en restant le plus inclusif possible. Ce n’est pas juste une posture idéologique, mais c’est ce qui nous permet de garantir une fraîcheur et une vivacité dans les échanges que l’on va susciter sur un thème donné. Du fait de la communauté des acteurs réunis et de leur diversité, on a une vraie tension et une dialectique riche. Même si faire débattre des personnes avec des visions qui s’opposent n’est pas toujours le chemin le plus facile, nous faisons le pari que c’est de cette façon que nous sommes le plus utiles à l’écosystème du droit. Notre positionnement fait que contrairement aux missions bien définies et affichées de L’AFJE, du Cercle Montesquieu et d’autres associations de juristes, on entend parfois qu’Open Law est certes apprécié, mais que l’on ne sait pas réellement ce que nous faisons. Lorsque j’entends cela, j’invite toujours mes interlocuteurs à venir participer à un de nos meet-ups ou ateliers pour qu’ils se rendent compte par eux-mêmes. Une dernière caractéristique qui nous différencie et qui compte beaucoup pour nous : toutes nos actions aboutissent à la production de ressources en Open Data ou en open access pour que tous puissent en profiter.

LPA

Pouvez-vous citer un exemple récent de projet qui a abouti à la publication de ressources ?

S. S. A.

Sur la formation par exemple, nous avions créé une enquête à diffuser dans nos cercles pour apprécier le degré de maîtrise et de compétences numériques de nos communautés. Nous nous sommes donc réunis pour créer un formulaire, l’encoder, le diffuser, en analyser les résultats et faire une restitution mise en accès libre à tous. Je tiens particulièrement à ce qu’il y ait un renouvellement constant des acteurs présents dans les groupes de travail que nous animons. Certains étudiants nous expliquaient par exemple à quel point ils ont le réflexe d’aller chercher des informations sur les médias sociaux ou de visiter la page Facebook ou Twitter de la Cour de cassation au même titre que le Bulletin ou les références plus académiques. Ce sont des pratiques qui peuvent paraître anodines, mais qu’il faut en réalité prendre en compte dès à présent puisque l’on parle des professionnels de demain.

LPA

Par quel processus opérez-vous le choix des thématiques de vos ateliers ?

S. S. A.

Nous essayons tout d’abord de maintenir le plus de rigueur possible dans ce processus de façon à ce que membres et contributeurs aient, une fois le cadre posé, toute latitude pour être créatifs et pousser des idées. Quant aux points de départ des thèmes, ils peuvent être très variés : les sujets sont souvent soumis par les membres, mais ils peuvent également naître d’une rencontre ou d’un partenariat sur un évènement. Un acteur universitaire qui organise des journées et se rapproche de nous par exemple et nous fait ensuite la proposition de construire quelque chose de plus pérenne autour de cette thématique. Cela peut aussi être nous qui observons la création d’un programme par la Cnil sur les algorithmes et qui nous inscrivons dans le cadre de son agenda pour proposer un cycle d’ateliers sur l’annotation des données d’apprentissage. Mais à chaque fois, nous essayons d’instruire les idées et propositions de façon très carrée, et en parallèle nous veillons à avoir plus de personnes physiques que morales parmi nos membres. Nous garantissons donc que toutes les propositions soient instruites de façon égale. Ce formalisme permet de ne pas se transformer notamment en véhicule de lobbying.

LPA

Vous avez annoncé au début de l’année la création d’un Fonds de dotation pour un droit plus ouvert et inclusif. Comment cela fonctionne-t-il ?

S. S. A.

L’idée était de trouver le bon véhicule pour des projets qui émergent au sein de la communauté avec une intention pro bono. Le fonds de dotation permet de porter ces sujets en parallèle de l’association : nous avons parmi nos interlocuteurs et adhérents des sociétés qui peuvent être intéressées à participer à nos travaux tout en étant motivées par l’incitation fiscale lors de leur participation. Très concrètement, le fonds travaillera cette année sur un prix dédié à l’Open Science pour donner plus de visibilité à la recherche juridique française. Notre implantation dans l’écosystème nous permet de capter une attention des acteurs au profit de projets innovants, via des contributions ou du mécénat de compétences.

LPA

Quels sont les événements à venir pour l’année en cours ?

S. S. A.

Nous planchons actuellement sur un sujet qui suscite beaucoup d’intérêt : les open badges, c’est-à-dire les insignes numériques permettant d’attester d’une compétence ou encore une implication. Les open badges permettent de valoriser les compétences comportementales, les fameux « soft skills ». Cela s’inscrit dans la lignée de nos réflexions sur la formation où l’on a identifié les impératifs de portabilité et d’employabilité. Nous nous intéressons notamment à des systèmes ouverts qui ont modélisé ça, tels que le dispositif « Open Recognition », et avons commencé à développer un système pour porter ce type de badge sur sa page Linkedin sous la forme d’un fichier image assorti de métadonnées. Tout récemment nous avons également organisé une session de design fiction sur cette thématique des open badges.

LPA

De design fiction ?

S. S. A.

Oui, il s’agit d’un courant dans la méthodologie des designers qui consiste à recourir à la fiction pour réfléchir à des scénarios d’utilisation d’un produit, d’un service ou d’une nouvelle organisation. Dans les faits, on va prendre le dispositif open badge et imaginer qu’il est entièrement opérationnel dans un futur proche en prenant le point de vue de différents acteurs : le collaborateur en recherche d’emploi qui les porte, le recruteur potentiel, les pairs ou encore les organismes de formation. Les groupes se répartissent ensuite en deux avec une partie « black mirror » (NDLR : en référence à la série télévisée qui a pour thème la technologie dystopique) et une partie « bright mirror ». Le premier groupe va chercher à dévoyer, à profiter et à contourner le système en étant le plus imaginatif possible et le second va au contraire avoir une vision vertueuse et encadrée des open badges. Ce dispositif permet un fort engagement et des débats très animés. Cela fonctionne très bien et on dégage très rapidement des failles auxquelles on n’aurait pas pensé initialement.

X