Abus de droit : le report d’imposition dans la cartographie de Bercy

Publié le 02/08/2022
Carte
Solveig/AdobeStock

L’administration fiscale actualise sa cartographie des pratiques et montages abusifs. Elle y ajoute un cas d’utilisation du report d’imposition des plus-values de l’article 150-0 B ter du CGI, considérant qu’il est constitutif d’un abus de droit fiscal par fraude à la loi.

L’administration fiscale recense des pratiques et montages abusifs, dans une cartographie officielle et publiée sur le site internet de la direction générale des Finances publiques (https://www.economie.gouv.fr/dgfip/carte-des-pratiques-et-montages-abusifs). Mise en place en avril 2015, elle s’enrichit régulièrement de nouvelles fiches.

Une cartographie dissuasive

Cette cartographie est destinée à dissuader les contribuables, personnes physiques comme personnes morales à adopter ces schémas d’optimisation fiscale et, le cas échéant, à se mettre en règle. Chaque fiche contient un exemple de montages révélés lors de contrôles fiscaux et contraires à la loi.

Elle n’est qu’indicative, n’a pas valeur de loi, et ne préjuge pas du comportement frauduleux ou abusif de celui ou celle qui la pratique, ni de sa condamnation. Toutefois, elle indique les directions données par l’administration à ses services et ce qu’elle entend remettre en cause, en priorité. Il s’agit donc d’une référence administrative utile aux vérificateurs lors des contrôles fiscaux.

S’y trouvent par exemple le management package, l’abus de convention fiscale, le contournement des règles territorialité des droits de mutation à titre gratuit, ou encore l’utilisation abusive d’un PEA par interposition d’une société. Le 14 juin 2022, l’administration fiscale a ajouté à cette cartographie le report d’imposition abusif en cas d’apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur prévu par l’article 150-0 B ter du Code général des impôts (CGI).

Le report d’imposition sous conditions

Introduit par la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative de 2012, l’article 150-0 B ter du CGI prévoit, sous réserve du respect de certaines conditions, le report obligatoire d’imposition des plus-values réalisées par les particuliers lors de l’apport de leurs titres à une société qu’ils contrôlent. En principe, ce report d’imposition expire notamment en cas de cession à titre onéreux des titres apportés, dans le délai de trois ans suivant l’apport. Toutefois, il n’est pas mis fin au report d’imposition lorsque la société bénéficiaire de l’apport cède les titres apportés dans ce délai de trois ans et prend l’engagement d’investir une part significative du produit de cession (60 % pour les apports réalisés actuellement), dans un délai de deux ans suivant la date de cession, dans les emplois visés au 2° du I de l’article 150-0 B ter du CGI.

Ces investissements sont notamment les suivants :

– le financement de moyens permanents d’exploitation affectés à son activité opérationnelle ;

– l’acquisition d’une fraction du capital d’une société exerçant une telle activité et qui a pour effet de lui en conférer le contrôle ;

– la souscription en numéraire au capital initial ou à l’augmentation de capital d’une ou de plusieurs sociétés opérationnelles.

Si le contribuable ne respecte pas la condition de réinvestissement, il est mis fin au report d’imposition au titre de l’année au cours de laquelle le délai de réinvestissement de deux ans expire.

Lorsque les titres apportés font eux-mêmes l’objet d’un apport à une société éligible au remploi, le réinvestissement est considéré comme effectif dès lors que la société apporteuse obtient, à l’issue de cet apport, le contrôle de la société bénéficiaire du nouvel apport, toutes conditions étant par ailleurs remplies.

Le procédé dans le viseur de l’administration fiscale

Un particulier apporte la totalité des titres d’une société opérationnelle A qu’il détient d’une valeur totale de 10 millions d’euros à une holding B créée ad hoc qu’il contrôle. La plus-value d’apport est placée en report d’imposition, conformément aux dispositions de l’article 150-0 B ter du CGI. Peu de temps après, la holding B bénéficiaire de l’apport, cède au même prix de 10 millions d’euros, l’intégralité des titres A à une société C, holding nouvellement constituée par un fonds d’investissement et ayant vocation à procéder à la reprise de la société A dans le cadre d’un LBO.

Dans le délai de deux ans après la cession, la holding B investit le produit de la cession des titres à hauteur de 6 millions d’euros (60 % du produit de cession) dans une augmentation de capital de la holding de reprise C, par compensation d’une créance représentative du prix de cession à recevoir par la holding B dans le cadre d’un crédit-vendeur consenti à la holding C cessionnaire.

Un schéma particulier de réinvestissement

L’application littérale de l’article 150-0 B ter, I, 2° du CGI conduit à ce que la souscription effectuée par la holding B à l’augmentation de capital de la société C, constitue un remploi autorisé de 60 % du produit de la cession, permettant le maintien du report d’imposition.

Pour l’administration fiscale toutefois, la réalisation de ces deux actes distincts et concomitants (cession par B à C de 60 % des titres A et apport de la créance représentative du prix de cession de ces titres A à la même société C) « a en réalité pour objet de décomposer artificiellement une seule et même opération (l’apport par la société B de 60 % des titres A à la société C) ». Dès lors, selon l’administration, « la société B ne contrôlant pas la société C, cet apport de titres ne peut constituer un réinvestissement éligible permettant de maintenir le report ». Par suite, le schéma abusif vise au maintien du dispositif de report d’imposition malgré la cession de 100 % des titres A par la société B sans aucun réinvestissement éligible.

Elle considère que le montage a pour seul objet le contournement de la condition de réinvestissement du produit de cession des titres prévue par l’article 150-0 B ter, I, 2° du CGI et qu’il a permis artificiellement le maintien du report d’imposition de la plus-value d’apport. Elle en conclut qu’il est constitutif d’un abus de droit fiscal, entrant dans les prévisions de l’article L 64 du Livre des procédures fiscales (LPF) sur le fondement de la fraude à la loi.

La portée de cette analyse

La mention du dispositif de report d’imposition dans la cartographie témoigne de la volonté de l’administration fiscale d’axer massivement les contrôles de ces opérations. « Toutefois, elle ne cible qu’un schéma en particulier, ce qui, implicitement, revêt un aspect rassurant sur le positionnement de l’administration à l’égard de ce régime en général, estime, Olivier Janoray, avocat associé, Arsene. On peut s’attendre à ce qu’elle concentre ses contrôles sur le procédé incriminé ».

Sur celui-ci, ce qu’elle remet en cause c’est l’absence de contrôle par la société qui cède les titres reçus en contrepartie de l’apport dans la société cible. « En effet, selon le texte, soit le réinvestissement est réalisé par acquisition de titres d’une société opérationnelle et cette acquisition doit emporter la prise de contrôle de la cible, soit il passe par une augmentation de capital et aucune condition liée au contrôle n’a à être respectée, rappelle l’avocat. Dans l’opération critiquée par l’administration fiscale – à savoir une cession suivie de la capitalisation partielle de la créance de crédit-vendeur, l’administration fiscale considère que les deux opérations réalisées ont pour but de contourner l’obligation de prendre le contrôle, en passant par une augmentation de capital ».

En revanche, il est à souligner que l’administration n’interdit pas le caractère circulaire du réinvestissement. « En effet, elle ne s’oppose pas, par principe, au réinvestissement indirect dans la société dont les titres ont été cédés et cela constitue un élément positif dans les futures discussions, relève Olivier Janoray. Pourtant, dans cette hypothèse, on pourrait douter de l’existence d’un désinvestissement initial. ».

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