Acte anormal de gestion : la protection par la commission départementale
Le Conseil d’État distingue l’acte anormal de gestion, dont la qualification correspond à une question de droit, de l’intérêt de l’entreprise à procéder à une opération, qui concourt à la qualification d’acte anormal de gestion, ce qui soulève une question de fait relevant de la compétence de la commission.
Le Conseil d’État vient de rendre une décision protectrice pour le contribuable en matière d’acte anormal de gestion (CE, 4 déc. 2017, n° 397054). Le Conseil d’État considère la procédure d’imposition irrégulière au motif que l’administration a refusé de saisir la commission départementale s’agissant d’un acte anormal de gestion.
Acte anormal de gestion et principe de liberté de gestion
Construction prétorienne, la théorie de l’acte anormal de gestion permet à l’administration de considérer qu’une décision de gestion de l’entreprise ne lui est pas opposable pour le calcul de l’impôt pour la simple raison qu’elle n’a pas été prise dans l’intérêt de la société. C’est le cas par exemple, lorsqu’une entreprise consent des libéralités injustifiées ou verse des rémunérations excessives. Considérées comme contraires à l’intérêt de l’entreprise, les dépenses correspondantes sont alors rejetées par le fisc des charges déductibles pour le calcul du bénéfice imposable. Le concept de l’acte anormal de gestion constitue donc une exception au principe de liberté de gestion de l’entreprise. Le dirigeant de l’entreprise est maître de sa gestion. Ainsi un contribuable n’est-il jamais tenu de tirer des affaires qu’il traite le maximum de profit que les circonstances lui auraient permis de réaliser, conformément au principe de non-immixtion de l’administration fiscale dans la gestion de l’entreprise. Ce principe est battu en brêche lorsque pour préserver les intérêts du Trésor, l’administration utilise l’arme de l’acte anormal de gestion pour revenir sur une écriture comptable, en établissant que l’acte que l’écriture retrace est étranger ou contraire aux intérêts de l’entreprise.
La saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires
Présidée par un magistrat du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel et composée de deux membres de l’administration fiscale et de trois représentants des contribuables, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires est compétente pour l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux, les bénéfices non commerciaux et bénéfices agricoles, pour l’impôt sur les sociétés, pour la TVA et les taxes assimilées et pour les taxations d’office consécutives à un ESFP. Elle n’intervient pas, en revanche, en matière de plus-values des particuliers, de revenus fonciers, de revenus mobiliers, de traitements et salaires, de charges déductibles du revenu global.
Aux termes de l’article L. 76 du Livre des procédures fiscales (LPF), lorsque le contribuable est taxé d’office en application de l’article L. 69 du LPF à l’issue d’un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires (CDI) peut être saisie dans les conditions prévues à l’article L. 59 du LPF. En effet, le contribuable a le droit de saisir la commission départementale à l’issue d’un ESPF même quand il n’a pas répondu à une demande d’éclaircissements ou de justifications. Conformément au premier alinéa de l’article L. 59 du LPF, lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l’administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l’avis soit de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires prévue à l’article 1651 du Code général des impôts (CGI), soit de la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires prévue à l’article 1651 H du CGI, soit de la commission départementale de conciliation prévue à l’article 667 du CGI. Le contribuable dispose d’un délai de trente jours à compter de la réception de la réponse de l’administration à ses observations pour présenter la demande prévue au premier alinéa de l’article L. 59 du LPF.
CDI et litige relatif à des provisions
Conformément à la doctrine de l’administration, la commission départementale est compétente pour examiner tous les désaccords concernant les amortissements et les provisions quelle que soit la nature du litige. Ainsi, la commission départementale est compétente pour se prononcer, par exemple en matière d’amortissement, sur le caractère excessif des taux utilisés par l’entreprise pour le calcul des amortissements (question de fait), sur le mode d’amortissement retenu par l’entreprise (question de droit) et en matière de provision sur les modalités de calcul d’une provision pour dépréciation de stock au regard de la diversité des marchandises ou des délais de leur dépréciation (question de fait) comme sur la déduction de la provision des résultats de l’entreprise au titre d’un exercice donné (question de droit).
En matière d’acte anormal de gestion, c’est-à-dire lorsque l’opération se traduit par la prise en charge d’une dépense ou par une renonciation à des recettes, non justifiées par l’intérêt de l’entreprise, si l’appréciation des faits (déduction d’une charge ou absence de recettes) au regard de l’intérêt de l’entreprise constitue une question de fait, la qualification de ces mêmes faits en acte anormal de gestion pose une question de droit dont l’examen échappait jusqu’à présent à la compétence de la commission départementale. Désormais, cette distinction entre appréciation des faits et qualification des faits est supprimée afin de permettre à la commission d’émettre un avis sur l’existence d’un acte anormal de gestion ainsi que sur la qualification juridique de certaines opérations. Ainsi, dans certaines situations, le fait et le droit sont étroitement liés et l’examen des faits aboutit implicitement à régler la question du droit. Aussi, pour les cas suivants, le deuxième alinéa du II de l’article L. 59 A du LPF a donc étendu le pouvoir de la commission à la qualification juridique des opérations pour le caractère anormal d’un acte de gestion, le principe et le montant des amortissements et des provisions, le caractère de charge déductible des travaux immobiliers et le désaccord sur le caractère non lucratif d’une association régie par la loi de 1901.
Remise en cause de provisions
En l’espèce, dans cette affaire, les établissements François Le Métayer ont fait l’objet en 2002 d’une vérification de comptabilité portant sur les années 1999 et 2000, à la suite de la vérification de comptabilité, l’administration a réintégré dans les bénéfices de l’entreprise de M. B. deux provisions au motif que les créances correspondantes n’avaient pas été exposées dans l’intérêt de l’entreprise. M. B. a sollicité la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, afin de lui soumettre le différend l’opposant à l’administration fiscale sur le refus de prise en compte de ces provisions constituées en raison, d’une part, du solde d’un compte client de la société anonyme François Le Métayer figurant dans les écritures de l’entreprise et, d’autre part, de la dépréciation de créances correspondant à des avances faites à la SCAM Bravo. M. B. avait soutenu dans ses observations en réponse à la proposition de rectification et dans sa demande de saisine de la commission que les créances à l’origine des provisions qu’il avait constatées correspondaient à l’intérêt de l’entreprise et appuyait sa contestation de différents éléments. L’administration a refusé de faire droit à cette demande au motif que le différend portait sur le principe même de la constitution et de la déduction des provisions et non sur le montant ou le mode de calcul de celles-ci. À la suite de ce contrôle, l’administration a assujetti Monsieur B. à une cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu au titre de l’année 1999. Le contribuable a donc demandé au tribunal administratif de Basse-Terre de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l’année 1999 ainsi que des pénalités correspondantes. Le tribunal administratif de Basse-Terre a partiellement fait droit à sa demande (TA Basse-Terre, 27 juin 2013, n° 0900431). La cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par Monsieur B. contre l’article 2 de ce jugement (CAA Bordeaux, 17 nov. 2015, n° 13BX02565). Le contribuable s’est donc pourvu devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de cet arrêt.
Une appréciation de fait
Conformément à l’article L. 59 A du Livre des procédures fiscales (LPF), dans sa rédaction applicable à la présente procédure antérieure à la modification intervenue en 2005, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires intervient : lorsque le désaccord porte soit sur le montant du bénéfice industriel et commercial ou du chiffre d’affaires et lorsqu’il s’agit de différends portant sur l’application du 5 de l’article 39 du CGI. Si l’appréciation du caractère anormal d’un acte de gestion pose une question de droit, qui ne relevait pas de la compétence de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires à la date de la procédure d’imposition en cause dans le litige, le différend au titre duquel le contribuable avait demandé la saisine de cet organisme relevait d’une appréciation de fait de la compétence de la commission, dès lors qu’il portait sur l’intérêt pour l’entreprise de consentir une créance ou d’accorder des avances de trésorerie à d’autres sociétés, alors même que cette appréciation concourait à la qualification d’acte anormal de gestion.
Dès lors, en jugeant que le litige opposant Monsieur B. et l’administration fiscale portait sur la remise en cause de la déduction de provisions pour dépréciation de créances sur la société François Le Métayer et la société SCAM Bravo ainsi que sur la qualification de ces créances en acte anormal de gestion, et qu’il ne portait ni sur le montant du résultat ou du chiffre d’affaires au sens de l’article L. 59 A du Livre des procédures fiscales, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumises et, en conséquence, commis une erreur de droit. Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, le contribuable est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative, précise le Conseil d’État qui juge que la procédure d’imposition conduite à l’égard du contribuable est irrégulière. Par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, le requérant est, dès lors, fondé à demander la décharge des impositions restant en litige. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux et l’article 2 du jugement du tribunal administratif de Basse-Terre sont donc annulés. Et le contribuable bénéficie d’une décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu restant en litige au titre de l’année 1999 et des pénalités correspondantes.