Faciliter la transmission de l’entreprise familiale

Publié le 15/01/2020

Fortes de leur performance économique et financière, les entreprises familiales constituent un modèle tout à fait pertinent. Mais leur transmission reste incertaine. Le point sur les pistes de réforme et les attentes des dirigeants des entreprises familiales.

Faciliter la transmission de l’entreprise familiale
Jacob Lund / AdobeStock

35 % des dirigeants d’entreprises familiales envisagent de transmettre leur entreprise à leur succession, a révélé la 8e édition du baromètre européen des entreprises familiales, conduit par KPMG et European family businesses (EFB). KPMG et EFB ont recueilli 1 613 réponses de dirigeants européens d’entreprises familiales dans 27 pays. Les entreprises familiales représentent plus de 60 % des sociétés en Europe et 83 % en France, d’après les chiffres de l’Institut Montaigne. Cette catégorie transcende toutes les tailles d’entreprises (TPE, PME, ETI et grands groupes). Et leurs résultats en matière d’emploi et de croissance rendent le modèle économique de l’entreprise familiale de plus en plus attractif. Dans ce contexte, la transmission de l’entreprise familiale s’avère lourde d’enjeux. « Pour les dirigeants européens, et notamment français, la conjoncture actuelle est propice au lancement ou à la poursuite de chantiers stratégiques, en vue de consolider leur croissance. Pour certains d’entre eux, il est aussi question de transmettre leur entreprise dans les meilleures conditions, sous réserve de stabilité réglementaire et de recrutement de talents mais aussi de leur fidélisation », analyse Alpha Niang, expert-comptable, responsable national du Family Business, chez KPMG France.

De bonnes performances économiques

En dépit de nombreuses incertitudes économiques et géopolitiques, les résultats des entreprises familiales européennes demeurent positifs, tout comme l’état d’esprit de leurs dirigeants. 59 % des entreprises familiales européennes ont en effet enregistré une hausse de leur chiffre d’affaires au cours des 12 derniers mois, souligne cette 8e édition du baromètre européen des entreprises familiales. 62 % des dirigeants européens s’estiment ainsi « confiants », voire « très confiants », dans les perspectives de croissance de leur entreprise pour les 12 prochains mois. Même son de cloche du côté des dirigeants français, qui se montrent confiants à 64 %. Ces résultats sont en conformité avec ce que l’on sait des entreprises familiales en termes de performance économique. À long terme, les entreprises familiales se distinguent de leurs homologues, dont le capital n’est pas détenu par une famille, par une croissance plus forte et de très bons niveaux de rentabilité. Si de multiples facteurs viennent expliquer ces performances, un facteur clé semble se dégager : une vision à long terme de l’entreprise et une stratégie qui privilégie la prudence et le maintien des acquis. Les entreprises familiales font également preuve d’une plus grande flexibilité que leurs homologues, les entreprises non familiales. Une étude publiée en 2018, par le Think Tank du Crédit Suisse, « The CS Family 1 000 », qui souligne les atouts des entreprises familiales, pointe également que les entreprises familiales affichent une meilleure situation financière en termes de liquidité et de solvabilité. Elles recourent moins au crédit que leurs homologues dont le capital n’est pas détenu par une famille. Les bénéfices sont plus largement réinvestis. Une moindre séparation des fonctions de propriété et de direction permet une réduction des coûts de management et de contrôle. L’implication et la vision à long terme de l’actionnariat, davantage soucieux de la pérennité de l’entreprise familiale que de réaliser des profits à court terme favorisent également une meilleure convergence de vues entre les intérêts des dirigeants et des actionnaires qui bénéficient d’un système de valeurs partagées.

La succession, un défi à relever

La succession va s’imposer comme un sujet primordial pour les entreprises familiales européennes dans les prochaines années. On estime que 13,9 trillions d’euros vont être transférés dans le monde d’ici 2030, dont 2,9 trillions en Europe. 35 % des dirigeants européens d’entreprises familiales envisagent de transmettre leur entreprise à leur succession. Et bien que 84 % des dirigeants européens interrogés affirment que le président ou le CEO de leur entreprise est issu de la famille fondatrice, ils ne sont plus que 62 % à penser qu’un membre de cette même famille continuera d’occuper cette fonction dans les années à venir. D’après une étude réalisée par l’Edhec Family Business Center, le taux de transmission des entreprises familiales françaises serait de seulement 12 %, contre 65 % pour les entreprises familiales allemandes et 76 % pour les entreprises familiales italiennes. « Seulement 20 % des chefs d’entreprise souhaitent transmettre l’entreprise familiale à la génération suivante, et parmi eux, moins de la moitié y parviendra », résume le rapport Mellerio, publié en 2009 et dédié à la transmission des entreprises familiales en France. Pour une transmission du flambeau entre les générations efficaces, il faut préparer et former la jeune génération, identifier les nouveaux dirigeants et éviter les risques de dilution de capital. Autant d’écueils qui font de la transmission de l’entreprise familiale une aventure risquée.

Financer sa succession

À chaque passage de génération, la pérennité de l’entreprise est menacée. Avec le temps, le nombre de générations s’accroît, et donc le nombre d’actionnaires également. Parallèlement les liens de parenté se distendent et le système de gouvernance devient plus complexe à mettre en place. Des dissenssions peuvent apparaître. L’entreprise grandit et les besoins financiers nécessaires à sa croissance de l’entreprise augmentent d’autant. Or au moment de la transmission, les fonds propres de ceux des actionnaires qui sortent doivent être repris et financés par ceux des actionnaires qui restent. Le poids financier du rachat des parts de cousins, frères et autres héritiers peut s’avérer compliqué. Cet effort fiscal supplémentaire est généralement financé au moyen de distributions de dividendes. Ces distributions peuvent affaiblir l’entreprise à un moment crucial. Dans ces conditions, faute de fonds propres suffisants et avec des capacités d’autofinancement trop limitées, la tentation est grande d’opter pour une vente plutôt qu’une transmission. D’après la 8e édition du baromètre européen des entreprises familiales, la transmission d’une entreprise n’est pas perçue comme une opération facile, notamment en France. Pour 45 % des dirigeants français d’entreprises familiales, il est difficile de financer sa succession (+ 19 points par rapport à la moyenne européenne). Ils sont tout aussi nombreux à penser qu’il est difficile de motiver son successeur (47 %), une tendance qui se place, là aussi, largement au-dessus de la moyenne européenne (+ 18 pts).

Réduire efficacement les droits de donation et succession

La transmission de l’entreprise familiale constitue un enjeu économique majeur tant en raison du vieillissement de la population des chefs d’entreprise que du volume d’entreprises concernées, soit 27 000 entreprises par an d’ici 2020, d’après les estimations de l’Institut Montaigne. Le rapport Mellerio pointe quant à lui l’impact de la fiscalité qui s’applique à la transmission. Malgré l’instauration des pactes Dutreil, notre fiscalité en matière de transmission de parts d’entreprises reste plus lourde, plus complexe et plus incertaine que chez la plupart de nos voisins européens, conclut le rapport Mellerio. Le régime des pactes Dutreil permet de réduire de façon très significative la charge fiscale d’un transfert d’entreprise dans le cadre d’une succession ou d’une donation et de réduire d’autant les problématiques de financement des héritiers ou des donataires. Il s’agit donc d’un outil incontournable pour bâtir une stratégie de transmission d’entreprise efficace et pérenniser l’activité tout en protégeant ses proches, que ceux-ci soient ou non décidés à prendre les rênes de l’entreprise familiale. La loi de finances pour 2019 a amélioré le régime des pactes Dutreil sur de nombreux points. Conformément à l’article 787 du Code général des impôts (CGI), la souscription d’un pacte Dutreil ouvre droit à un dispositif de défiscalisation permettant de réduire considérablement les droits de mutation dus en cas de transfert d’entreprise dans le cadre d’une succession ou d’une donation. En effet, la transmission d’une entreprise familiale bénéficie dans ce cadre d’une exonération de droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 75 % de sa valeur, sans limitation de montant, qu’il s’agisse d’une transmission en pleine propriété ou dans le cadre d’un démembrement de propriété.

Deux engagements

La mesure d’exonération prévue dans le cadre d’un pacte Dutreil s’applique seulement si un certain nombre de conditions cumulatives sont réunies au moment de la transmission. Un engagement collectif de conservation des titres doit être préalablement signé entre le chef d’entreprise et au moins un associé, pour une période d’au moins deux ans, portant a minima sur 34 % des droits de vote et 17 % des droits financiers attachés aux titres émis pour une société non cotée (ou 20 % des droits de vote et 10 % pour les droits financiers pour une société cotée). Au moment de la transmission et à l’expiration de l’engagement collectif, un engagement individuel de conservation des titres de quatre ans doit être pris par les héritiers ou les donataires. L’un des signataires de l’engagement collectif ou l’un des héritiers, donataires ou légataires devra exercer une fonction de direction dans l’entreprise pendant toute la durée de l’engagement collectif ainsi que pendant une période de trois ans après la transmission de l’entreprise.

L’engagement collectif est réputé acquis lorsque les titres représentant les seuils exigés en droits financiers et en droits de vote sont détenus par le défunt ou le donateur ou son conjoint ou partenaire depuis plus de deux ans à la date de transmission. Deuxième condition nécessaire pour que l’engagement collectif soit réputé acquis : le défunt ou le donateur, ou son conjoint ou partenaire doit exercer son activité professionnelle principale au sein de la société (lorsqu’elle est soumise à l’impôt sur les revenus) depuis plus de deux ans à la date de la transmission, ou y avoir exercé une fonction de direction pendant la même période (lorsque la société est soumise à l’impôt sur les sociétés). Enfin, lorsque les parts ou les actions sont transmises dans le cadre d’un décès et que les conditions d’un engagement collectif réputé acquis ne peuvent être remplies, un assouplissement spécifique a été mis en place. Dans ce cas de figure, un ou des héritiers ou des légataires peuvent entre eux ou avec d’autres associés conclure un engagement collectif de conservation des titres dans les six mois qui suivent la transmission de l’entreprise.

Un dispositif à améliorer encore

Une proposition de loi n° 2255 a été déposée en septembre dernier à l’Assemblée nationale, visant à exonérer totalement de droits de mutation la transmission des entreprises familiales dans le cadre du pacte Dutreil. Elle souligne que le déficit en matière de transmission d’entreprises familiales s’explique par le poids des prélèvements obligatoires relatifs à la transmission de ces entreprises familiales, précisant que la France détient le record européen du niveau de fiscalité des droits de mutation à titre gratuit. Cette pression fiscale conduit les dirigeants à retarder le moment de la transmission, à céder leur entreprise à des tiers, voire à des investisseurs étrangers, au décès du fondateur. « Entre 1990 et 2000, 1 000 champions français ont été ainsi cédés à des groupes étrangers, avant de voir leurs sites de production progressivement délocalisés hors de France », soulignent les parlementaires à l’origine de ce texte. L’objet de cette proposition de loi est donc d’exonérer totalement de droits de mutation la transmission des entreprises familiales dans le cadre du pacte Dutreil. « Selon l’IFRAP, une telle mesure aurait un coût initial d’un milliard d’euros pour les finances publiques, mais ce coût serait sans commune mesure avec les nombreuses externalités positives qu’elle entraînerait », précisent les députés. Rappelons, qu’à l’opposé, un groupe de sénateurs a déposé une proposition de loi visant notamment à limiter les effets de ce régime qu’ils assimilent à « une niche fiscale qui permet de faciliter le maintien d’une entreprise dans le giron familial au détriment des finances publiques ». Ils proposent de rationaliser un dispositif dont l’efficacité économique n’est pas démontrée en ramenant l’exonération existante de 75 % à 25 %. Afin d’éviter une application trop brutale, l’article prévoit l’organisation d’une période transitoire de 10 ans permettant de lisser les effets de seuil générés par une telle mesure.

De leur côté, les dirigeants d’entreprises familiales réclament davantage de sécurité juridique et un allégement fiscal. Plus de 50 % des dirigeants français se disent inquiets face aux changements réglementaires et à l’augmentation des taxes. Ils attendent donc davantage d’implication de la part du gouvernement, notamment en matière d’allègement et de simplification fiscale. Ces attentes sont le reflet de leurs principales préoccupations et de celles des autres dirigeants européens. Les dirigeants européens d’entreprises familiales citent les évolutions réglementaires parmi les principaux défis qui les attendent (60 %).

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