Fiscalité immobilière : le juge administratif applique la Convention EDH

Publié le 16/07/2020

Le Conseil d’État annule pour excès de pouvoir des commentaires administratifs relatifs à une amende de 25 % pour non-respect d’un engagement de conservation d’un bien immobilier pendant une durée de cinq années. Le taux retenu pour cette amende est jugé disproportionné par rapport à la gravité du manquement réprimé au regard du droit conventionnel.

Le Conseil d’État vient de se prononcer sur la compatibilité d’une amende prévue en cas de rupture d’un engagement de conservation à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (Convention EDH) et son protocole additionnel (CE, 10 mars 2020, n° 437122). L’article premier de ce protocole additionnel, relatif à la protection de la propriété, prévoit que « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».

Une amende de 25 % de la valeur de cession de l’actif

Dans cet arrêt, la société civile de placement à capital variable (SCPI) Primopierre demande au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir le paragraphe n° 110 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques – impôts (BOFiP-impôts) le 3 octobre 2018, sous la référence BOI-CF-INF-20-10-20. Ces commentaires reprennent le texte de l’article 210 E du Code général des impôts (CGI), dans sa rédaction applicable à la date de l’adoption de cette doctrine administrative. L’article 210 E du CGI prévoyait un régime d’imposition au taux réduit de l’impôt sur les sociétés. Il s’agissait d’un mécanisme d’incitation à l’apport ou à la cession d’immeubles à titre onéreux, de droits afférents à un contrat de crédit-bail immobilier ou de titres de sociétés à prépondérance immobilière au profit de certaines sociétés immobilières ou de certains organismes, dont l’application a cessé au 31 décembre 2011. Le dispositif codifié à l’article 210 E du CGI et subordonné à la condition que la société cessionnaire prenne l’engagement de conserver pendant cinq ans l’immeuble transmis, consistait en une taxation au taux réduit à 19 % (au lieu de 33,1/3 %) des plus-values réalisées en cas de cessions ou d’apports d’immeubles, ou de droits réels immobiliers, au profit de certaines sociétés immobilières. Le non-respect de ces conditions par la société cessionnaire entraîne l’application de l’amende prévue au I de l’article 1764 du CGI. Cette amende dont le montant est égal à 25 % de la valeur de cession de l’actif pour lequel l’engagement de conservation n’a pas été respecté, doit être acquittée par la société cessionnaire. Précisons que la survenance de tout événement entraînant la sortie du bien de l’actif de la société cessionnaire dans le délai de conservation de cinq ans restant à courir est de nature à emporter rupture de l’engagement de conservation initialement pris par la société. Il peut s’agir de la sortie du bien de l’actif de la société cessionnaire mais aussi pour les sociétés à prépondérance immobilière de la perte du caractère de prépondérance immobilière. Le délai de cinq ans court de date à date. La rupture de l’engagement n’entraîne en revanche aucune remise en cause du taux réduit de 19 % chez le cédant.

Développer les foncières réglementées

Au regard des travaux parlementaires préalables à l’adoption de la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 dont est issu l’article 210 E du CGI, ces dispositions ont été prises afin de favoriser le développement des sociétés foncières chargées d’assurer la gestion professionnelle d’un patrimoine immobilier. Modifié par la loi de finances pour 2009 (art. 25 et 26), ce régime a fait l’objet de nouveaux aménagements dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2010 (art. 75). Ce dispositif temporaire qui s’est achevé au 31 décembre 2011 vise les sociétés foncières, des sociétés faisant appel public à l’épargne et ayant pour objet principal l’acquisition ou la construction d’immeubles en vue de la location ou la détention directe ou indirecte de participations dans des personnes morales dont l’objet est identique, ou des sociétés agréées par l’AMF et ayant le même objet, à savoir principalement les SIIC, les SPPICAV, les SPCI, ainsi que les filiales de SIIC et de SPPICAV sous statut SIIC. Il s’agissait pour le législateur de favoriser l’externalisation des actifs immobiliers, via des apports ou des fusions. Ce mécanisme a offert aux personnes morales un cadre fiscal avantageux pour leurs plus-values de cession relatives à leurs actifs immobiliers ou de titres de sociétés à prépondérance immobilière. L’utilisation de l’article 210 E du CGI a permis aux entreprises ayant déjà amorti leur parc immobilier, de céder tout ou partie de leurs biens pour en devenir locataire, tout en limitant l’impact fiscal d’une telle opération. Et ce dispositif a contribué à multiplier les opérations d’externalisation.

Un aménagement pour les fusions et les opérations de dissolution-confusion

Cet engagement de conservation est en principe rompu en cas de survenance de tout événement entraînant la sortie du bien de l’actif de la société cessionnaire. La rupture de l’engagement de conservation entraîne l’application de l’amende de 25 % prévue à l’article 1764 du CGI. Il a cependant été admis que les opérations de restructuration ultérieures concernant la société cessionnaire soient réputées ne pas entraîner la rupture de l’engagement de conservation, pour autant qu’elles soient soumises au régime spécial des fusions prévu aux articles 210 A et 210 B du CGI. Dès lors, les SCPI, qui ne sont pas soumises à l’impôt sur les sociétés, et les SPPICAV, qui en sont exonérées, ne peuvent bénéficier de cette tolérance. En effet, l’article 42 de la troisième loi de finances rectificative pour 2009 (n° 2009-1674 du 30 décembre 2009), codifié au troisième alinéa du II de l’article 210 E du CGI, a autorisé sous certaines conditions les SCPI et les SPPICAV, qui se sont engagées à conserver pendant cinq ans un actif immobilier reçu sous le bénéfice de l’article 210 E du CGI, à participer à une opération de fusion sans remise en cause de leur engagement de conservation. Il s’agit des seules opérations de fusion répondant à la définition fiscale des fusions prévue à l’article 210-0 A4, à savoir celles par lesquelles une ou plusieurs sociétés absorbées transmettent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l’ensemble de leur patrimoine à une autre société préexistante absorbante, moyennant l’attribution à leurs associés de titres de la société absorbante et, éventuellement, d’une soulte ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale de ces titres ; deux ou plusieurs sociétés absorbées transmettent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l’ensemble de leur patrimoine à une société absorbante qu’elles constituent, moyennant l’attribution à leurs associés de titres de la société absorbante et, éventuellement, d’une soulte ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale de ces titres. Il en va de même des opérations de dissolution-confusion du patrimoine visées à l’article 1844-5 du Code civil qui répondent à la définition fiscale des fusions. En revanche, les opérations de scissions et d’apports partiels d’actifs sont exclues de ce dispositif de neutralité. Ce dispositif de neutralité est subordonné à ce que la SCPI ou la SPPICAV absorbante s’engage à se substituer à la SCPI ou à la SPPICAV absorbée dans son engagement de conservation pris sur l’actif immobilier apporté. La société absorbante qui s’est substituée à la société absorbée pour respecter le délai de conservation de cinq ans doit donc conserver le bien apporté pour lequel l’engagement avait été souscrit par la société absorbée pour la durée de l’engagement de conservation restant à courir. Cet engagement doit être pris de manière expresse.

Un taux d’amende disproportionné

En déterminant le montant de cette amende en fonction de la valeur à laquelle l’immeuble a été acquis par la société auteur du manquement, les dispositions de l’article 1764 du CGI ont retenu une assiette en rapport avec l’infraction commise, tenant à la rupture de l’engagement de conservation de l’immeuble. Toutefois, en appliquant à cette valeur un taux de 25 %, alors que l’avantage fiscal dont bénéficie le cédant et le cas échéant, indirectement, le cessionnaire, s’élève seulement à la différence entre le taux réduit de 19 % et le taux normal de l’impôt sur les sociétés, appliqué à la plus-value imposable, les dispositions contestées ont retenu un montant d’amende disproportionné par rapport à la gravité du manquement qu’elle réprime et portent ainsi une atteinte disproportionnée, au regard de l’objectif poursuivi, au droit au respect des biens garanti par les stipulations de l’article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. La société Primopierre est donc fondée à demander l’annulation du paragraphe n° 110 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques – impôts le 3 octobre 2018 sous la référence BOI-CF-INF-20-10-20, qui réitère les dispositions du premier alinéa du I de l’article 1764 du Code général des impôts. Lequel paragraphe est donc annulé.

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