Joueurs de poker : l’imposition des gains se précise

Publié le 13/11/2018

Selon le Conseil d’État , le poker n’est pas un jeu de hasard et ses gains peuvent constituer des bénéfices non commerciaux dès lors qu’ils sont issus d’une pratique habituelle, qu’ils constituent des revenus significatifs et que le joueur a développé un savoir-faire lui permettant de maîtriser l’aléa.

Avis aux joueurs de poker qui rafleront peut-être la mise cet été au casino ! Peut-être devront-ils réserver une partie de leurs profits au paiement de l’impôt sur le revenu sur ces gains. Dans un arrêt du 21 juin dernier (CE, 21 juin 2018, 10e et 9e ch. réun. n°412124), le Conseil d’État a apporté d’importantes précisions sur l’imposition des gains des joueurs de poker.

L’aléa, au cœur du caractère non imposable des gains

En principe, la pratique de jeux de hasard ne constitue pas une occupation lucrative, ni une source de profits, au sens de l’article 92 du Code général des impôts (CGI). La raison : l’aléa qui pèse sur les perspectives de gains du joueur. La solution est la même si la pratique est habituelle. L’absence d’imposition ne résulte pas d’exonération spéciale. Elle découle plutôt de l’absence de disposition légale prévoyant leur taxation. Et du côté de la jurisprudence, celle-ci considère que le jeu ne constitue ni une occupation, ni une exploitation lucrative entrant dans le champ de l’impôt sur le revenu.

Il en va autrement lorsque cette pratique permet au joueur de maîtriser de façon significative l’aléa inhérent au jeu. Les revenus significatifs tirés de la pratique habituelle d’un jeu d’argent opposant un joueur à des adversaires doivent en effet  être inclus dans les bénéfices non commerciaux (BNC). C’est ce qu’il ressort de l’arrêt du Conseil d’État.

Un grand joueur

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt, un joueur de poker avait abandonné son emploi d’ingénieur en 2010, pour se consacrer à la pratique de sa passion. Figurant parmi les meilleurs joueurs français, il avait gagné 169 000 euros au cours de vingt-quatre compétitions jouées cette année-là – une somme supérieure à ses autres revenus au titre de cette même année.

Il avait fait l’objet d’un examen contradictoire de sa situation personnelle portant sur ses revenus en 2009 et 2010. En parallèle, l’administration avait procédé à la vérification de comptabilité de son activité de joueur de poker pour les années 2003 à 2010.

À l’issue de ces contrôles, elle avait évalué d’office les revenus tirés par l’intéressé de cette dernière activité au titre de l’année 2010, qu’elle a regardés comme des BNC taxables, les rattachant à la catégorie fourre-tout de l’article 92 du CGI : «  sont considérés comme provenant de l’exercice d’une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux (…) toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ».

Pour ce faire, l’administration s’était appuyée sur sa doctrine administrative (5 G-116 n° 8 61 et 119), précisée par une réponse ministérielle (Rép. min n° 110952, JOAN du 15 nov. 2011, p. 12011), publiée au BOFIP (BOI-BNC-CHAMP-10-30-40, n°20) et selon laquelle : «  sont imposables au titre de la catégorie des bénéfices non commerciaux, les gains réalisés par les joueurs professionnels dans des conditions permettant de supprimer ou d’atténuer fortement l’aléa normalement inhérent aux jeux de hasard. Cette position est pleinement applicable à la pratique habituelle du jeu de poker, y compris en ligne, dès lors que le jeu de poker ne peut être regardé comme un jeu de pur hasard et sous réserve qu’il soit exercé dans des conditions assimilables à une activité professionnelle ».

Le 20 octobre 2016, le tribunal administratif de Montreuil avait rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu résultant de cette rectification. Le 4 mai 2017, la cour administrative d’appel de Versailles (n° 16VE03203) l’avait déchargé de la pénalité pour activité occulte mais rejeté le surplus de ses conclusions. Elle considérait qu’un joueur peut parvenir, grâce à l’expérience, la compétence et l’analyse de la psychologie de ses adversaires, à maîtriser le caractère aléatoire du résultat et à accroître de façon sensible sa probabilité de percevoir des gains importants.

La qualification de jeu de hasard écartée

De son côté, le contribuable soutenait que le poker relevait du jeu de hasard, reposant sur l’existence d’un aléa. Les joueurs ne peuvent en effet pas connaître à l’avance leur main qui est tirée au sort, soit par le croupier, soit par l’ordinateur. D’un point de vue juridique, il se prévalait également de la position de la Cour de cassation, dont la chambre criminelle, dans un arrêt du 30 octobre 2013 rendu en matière de réglementation de maisons de jeu (n° 12-84784), avait qualifié le poker de jeu de hasard, considérant que « le poker est un jeu dans lequel la chance prédomine sur l’habileté et les combinaisons de l’intelligence ».

De plus, le joueur requérant s’appuyait également sur l’article 126 du CGI, annexe 4, selon lequel « sont considérés, en principe, comme jeux de hasard, tous les jeux d’argent qu’il s’agisse de jeux de cartes ou d’autres jeux ».

Pour la cour de Versailles, suivie par le Conseil d’État, ces diverses qualification de jeu de hasard étaient sans incidence sur l’application par le juge de l’impôt des règles relatives à l’imposition des revenus. Elle s’est attachée à démontrer la place prépondérante dans le jeu de poker de l’expérience, la compétence et l’analyse, étrangères aux jeux de hasard.

Expérience, compétence et analyse

Le jeu de poker et plus particulièrement la version «  Texas Hold’em Poker », pratiquée par le joueur en l’espèce,  fait intervenir des distributions aléatoires de cartes communes et de cartes propres à chaque joueur. Selon l’analyse de la cour d’appel, « un joueur peut parvenir, grâce à l’expérience, la compétence et l’analyse de la psychologie de ses adversaires, à maîtriser le caractère aléatoire du résultat et à accroître de façon sensible sa probabilité de percevoir des gains importants ».

Une occupation lucrative et source de profits

Contrairement au jeu de hasard qui ne constitue pas une source de profits, au sens de l’article 92 du CGI, en raison de l’aléa qui pèse sur les perspectives de gains du joueur, la pratique habituelle d’un jeu d’argent opposant un joueur à des adversaires, lorsqu’elle permet à ce dernier de maîtriser de façon significative l’aléa inhérent à ce jeu par les qualités et le savoir-faire qu’il développe et lui procure des revenus significatifs doit entrer dans la catégorie des BNC.

En résumé, ces précisions apportées par le Conseil d’État ne devraient concerner que des joueurs avertis, puisqu’il en résulte trois conditions cumulatives d’imposition  : les gains doivent être issus d’une pratique habituelle, le joueur doit avoir développé un savoir-faire lui permettant de maîtriser l’aléa et enfin, les gains doivent constituer des revenus significatifs.

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