Réinventer le contrôle fiscal (volet I)

Publié le 17/05/2019

Afin de sécuriser les relations entre administrations fiscales et les entreprises, Bercy table sur deux innovations majeures : une offre d’accompagnement personnalisé à destination des PME innovantes en croissance et une proposition de partenariat qui s’adresse aux grandes entreprises et aux ETI qui vient prendre le relais de l’ancienne relation de confiance.

Bercy innove afin d’améliorer les relations entre les entreprises et l’administration fiscale. « L’administration fiscale a un rôle essentiel à jouer pour faciliter la vie économique et contribuer à la compétitivité de notre économie. Dans un environnement juridique complexe et changeant, elle est la seule capable d’apporter de la prévisibilité aux entreprises sur la manière dont les textes en vigueur s’appliquent à leur situation », a rappelé le ministre du Budget, Gérard Darmanin, le 14 mars dernier, lors de la présentation détaillée d’une série de mesures destinées à renouveler profondément la pratique d’un contrôle fiscal et à refonder la relation entre les entreprises et Bercy. Qu’il s’agisse de mettre en place un partenariat fiscal avec les ETI et les grandes entreprises, de prévoir un accompagnement fiscal personnalisé pour les PME en forte croissance, de faciliter le traitement des demandes de mise en conformité, de formaliser un examen de conformité fiscale par un tiers de confiance, d’améliorer la procédure de rescrit ou de faciliter les relations des entreprises avec les administrations fiscales étrangères, ces mesures devraient opérer une véritable révolution culturelle. « Ces dispositions sont marquées par un trait commun : aucune ne crée d’obligation nouvelle, toutes reposent sur une participation volontaire des entreprises, explique Gérard Darmanin. Elles visent à insuffler un nouveau climat de confiance ».

Un besoin de sécurité majeur

Pour Bercy, ces mesures correspondent à une attente très forte qui ressort clairement de la vaste consultation conduite auprès des entreprises à l’automne 2018. En effet, les incertitudes juridiques liées à la fiscalité peuvent se traduire par des risques financiers élevés pour les entreprises. On ne peut se satisfaire d’attendre qu’elles soient tranchées tardivement dans le cadre d’un contrôle fiscal ou devant le juge. « Les entreprises, à partir du moment où elles fournissent à l’administration fiscale une information complète, claire et pertinente, doivent pouvoir être sécurisées de façon contemporaine à leurs opérations », conclut le ministre. L’aspiration des entreprises a davantage de sécurité fiscale est ancienne. Il y a douze ans déjà, à l’heure où le rapport Fouquet plaidait pour davantage de sécurité fiscale, les entreprises pointaient l’absence de sécurité juridique en matière fiscale (Étude quantitative réalisée en novembre 2007 auprès de 429 dirigeants et fiscalistes d’entreprise par le cabinet Taj, membre de Deloitte Touche Tohmatsu). Seul un dirigeant sur deux considérait la sécurité fiscale en France comme équivalente à celle des autres pays industrialisés. Un tiers des dirigeants la jugeait inférieure. Seul, un dirigeant sur cinq l’estimait supérieure. À l’origine de ce manque de sécurité près des trois quarts des fiscalistes interrogés évoquaient l’instabilité de la norme légale, en mettant l’accent sur la modification fréquente des lois et la rétroactivité des normes. Les fiscalistes pointaient également du doigt à 46 % les réticences de l’administration fiscale à prendre position sur une question de droit ou de fait lorsqu’on lui en fait la demande. Enfin, la longueur excessive des contentieux ainsi que les revirements de la jurisprudence participaient à cette instabilité pour un tiers des sondés. Ce phénomène est d’autant plus dommageable que ces dix dernières années, les relations entre l’administration fiscale et les entreprises se sont durcies. Le centre de gravité du rapport de force entre l’administration fiscale et le contribuable a basculé en faveur de Bercy, dont les prérogatives en matière de contrôle se sont accrues (EY, 37 propositions pour une modernisation du contrôle fiscal, 2018). Avec l’informatisation du contrôle, le durcissement des méthodes et des sanctions, l’amélioration de la procédure de recouvrement, le renforcement de la pénalisation de la matière fiscale, l’augmentation des délais de procédure et la multiplication des sources d’information, ce renforcement des prérogatives de l’administration fiscale est sans précédent. La décennie passée acte également une pénalisation accrue de la matière fiscale avec un renforcement des sanctions et des moyens d’enquête, avec notamment la création du Parquet national financier ou la création d’un délit de fraude fiscale aggravée. Plus des trois quarts des mesures de procédure fiscale votées depuis 2008 ont conduit à un renforcement des moyens d’enquête et de l’arsenal répressif de l’administration alors que seulement 13 % d’entre elles protègent les droits des contribuables.

Une offre dédiée aux PME

Pour remédier à cette situation, Bercy table tout d’abord sur un accompagnement fiscal personnalisé à destination des PME. En effet, souligne, l’administration fiscale, le risque économique, en cas de contrôle fiscal décelant des erreurs aux conséquences financières lourdes, est d’autant plus grand que l’entreprise est de taille modeste. Le besoin de sécurité juridique est particulièrement fort pour les PME en forte croissance, puisqu’elles sont confrontées à des problèmes nouveaux pour elles et n’ont généralement pas toute l’expertise nécessaire pour s’assurer du correct traitement fiscal de leurs opérations. L’objectif de l’accompagnement fiscal personnalisé pensé par Bercy consiste à décharger le chef d’entreprise, s’il le souhaite, des risques fiscaux associés à son activité, afin qu’il puisse se concentrer pleinement sur le développement de sa société. Cette offre comprend une intervention de l’administration fiscale, à la demande du contribuable, soit pour des opérations récurrentes à fort enjeu financier, soit à des étapes-clés de développement économique, ou de restructuration d’une entreprise (rachat d’une entreprise, définition d’un prix de cession, méthode de valorisation d’actifs, désengagement d’une activité, aide à une société liée, développement à l’international nécessitant une expertise fiscale au regard des stipulations d’une ou plusieurs conventions fiscales…), nécessitant dans les deux cas un dialogue de qualité entre l’administration fiscale et l’entreprise pour une parfaite compréhension des questions posées et de la situation de l’entreprise. Bercy précise que la liste des sujets justifiant une mobilisation spécifique de l’administration fiscale n’est pas fermée, la consultation avec les entreprises ayant montré qu’il est difficile de définir a priori un champ de questions éligibles sans risquer de laisser de côté des problématiques utiles. Cette offre comprend également une aide au diagnostic des principales questions fiscales à traiter. Pour ce faire, il n’est pas exigé de l’entreprise qu’elle ait mené à bien une complète analyse de son besoin et des options qui s’offrent à elle. Il lui est proposé directement une aide, d’une part, à l’identification des points fiscaux sur lesquels une prise de position de l’administration fiscale a une utilité, que ce soit pour éclairer une décision ponctuelle ou assurer la régularité d’une opération récurrente, et, d’autre part, à la formalisation des questions. Les questions examinées par l’administration sont définies conjointement avec l’entreprise, d’un commun accord. La DGFiP s’attache, dans un premier temps, à proposer cette offre en particulier aux PME présentant un faisceau de caractéristiques comprenant une phase de croissance en termes d’emploi et de chiffre d’affaires, un caractère innovant, l’implication dans la recherche et développement et l’appartenance à un secteur stratégique pour l’économie nationale. Elle prend un engagement de réactivité et d’adaptation au calendrier des échéances économiques et fiscales de l’entreprise : conduite des opérations par l’entreprise, date de dépôt des déclarations… Cet engagement porte sur le délai de délivrance des prises de position qui sécurisent l’entreprise, les rescrits, prenant en compte ses contraintes et le degré de complexité de ses préoccupations. Dans une logique de proximité, le service des impôts des entreprises (SIE) qui gère le dossier de l’entreprise, au sein des directions territoriales des finances publiques, a été choisi comme point de contact, à même d’assurer une information sur l’offre proposée. Des experts dédiés du réseau de la DGFiP, distincts des services de contrôle fiscal, prennent en charge le travail d’accompagnement si l’entreprise décide d’y recourir. Les contacts de travail avec les entreprises sont conduits au niveau des directions régionales. Si c’est nécessaire à la bonne compréhension des sujets, l’agent chargé de cet accompagnement peut se déplacer au sein des entreprises à leur demande.

Un partenariat fiscal pour les ETI et les grandes entreprises

En complément de l’offre d’accompagnement au bénéfice des PME, Bercy a mis au point une proposition de partenariat qui s’adresse aux grandes entreprises et aux ETI afin de répondre de manière sécurisée aux problématiques fiscales qu’elles identifient comme présentant un risque juridique et financier. Bercy a étudié la possibilité d’instaurer un dialogue en continu avec un interlocuteur dédié au sein de l’administration fiscale, techniquement compétent et à même d’appréhender l’environnement de leurs activités. Les conclusions de l’expérimentation de la relation de confiance mise en place en 2013 l’ont conduit à privilégier un dispositif plus agile, centré sur les thèmes complexes et à enjeux pour lesquels un dialogue avec un service dédié de la DGFiP présente le plus de valeur ajoutée. Le partenariat fiscal que Bercy a mis en place permet désormais aux entreprises, dès lors qu’elles optent pour cette démarche, d’engager un dialogue continu avec l’administration sur les problématiques fiscales identifiées par l’un ou l’autre des partenaires, entreprise ou administration, comme présentant des risques et/ou des enjeux stratégiques. Ce partenariat s’articule avec la procédure de rescrit, c’est-à-dire avec la position formelle émise, sur une question posée par l’entreprise, par l’administration et opposable à celle-ci. Le partenariat présente deux volets. Le premier volet, consiste en un engagement d’examiner le traitement fiscal de certaines opérations identifiées suffisamment à l’avance par rapport aux échéances déclaratives ou opérationnelles. Il vise notamment à améliorer le service de rescrit rendu aux grandes entreprises et aux ETI au travers d’un dialogue approfondi et d’une prise en compte organisée des contraintes de gestion du temps de part et d’autre. Le deuxième volet consiste dans la mobilisation d’un interlocuteur dédié à l’entreprise, de manière à développer dans le temps une meilleure connaissance de son activité et de ses caractéristiques et une meilleure confiance réciproque des deux parties, à la fois dans le professionnalisme des équipes, dans l’engagement de transparence des entreprises volontaires, et dans la capacité de l’administration à comprendre les contraintes de la vie économique. Les points à examiner seront déterminés conjointement par l’entreprise et l’administration fiscale. Cet examen conduira à l’émission de rescrits, permettant de sécuriser les déclarations d’impôt sur les sociétés de l’exercice, de TVA, etc. sur les points en question. Cette coopération entre la DGFiP et les entreprises, dans l’objectif partagé de renforcer la conformité fiscale et la sécurité juridique, est indissolublement liée à une démarche réciproque de confiance et de transparence. À cet égard, en vue d’assurer l’efficience et la qualité de ce partenariat, les entreprises s’engagent à fournir à l’administration les éléments dont elles disposent, internes comme externes, susceptibles de contribuer à l’identification des problématiques nécessitant une expertise et à assurer leur traitement conforme à la législation applicable. Ces travaux permettent de conférer à l’entreprise une sécurité juridique, opposable à l’administration, sur les problématiques fiscales ayant fait l’objet d’un examen. Ces points ne peuvent donc pas donner lieu à des rappels ultérieurs. L’entreprise continue de pouvoir faire l’objet d’un contrôle fiscal, mais le règlement dans le cadre du partenariat des principaux sujets à enjeux et à risques constitue la voie privilégiée, et réduit de fait le champ des contrôles possibles. Les entreprises susceptibles de solliciter ce mode de coopération au long cours doivent répondre à des critères de conformité fiscale et de coopération avec l’administration. Ces conditions devront être respectées pour pouvoir opter pour la procédure, puis tout au long de la relation. Ainsi, pour être éligible, l’entreprise doit en principe avoir respecté, au cours des trois années précédant celle du dépôt de sa candidature, ses obligations déclaratives en matière fiscale et les délais de paiement en découlant, en matière de retenue à la source, de documentation relative aux prix de transfert, et de reporting pays par pays, l’obligation de dépôt de l’imprimé fiscal unique et de l’état des honoraires, vacations, commissions, courtages, ristournes et jetons. Par ailleurs, au cours des trois années précédant celle du dépôt de sa candidature, l’entreprise doit avoir respecté son obligation de réponse aux demandes de renseignements et/ou aux demandes formulées par l’administration fiscale dans le cadre de son droit de communication, la conformité du fichier des écritures comptables (FEC) aux normes prévues, l’obligation relative aux systèmes de facturation et à la garantie d’une piste d’audit fiable, l’obligation de mise à disposition portant sur la documentation relative aux prix de transfert. Une entreprise qui a fait l’objet de pénalités pour manquement intentionnel au cours de cette période de trois années n’est pas éligible à ce nouveau dispositif. Toutefois, les manquements ayant fait l’objet d’une régularisation spontanée ou d’un dégrèvement ne sont pas pris en compte au regard de cette condition. Ces critères sont examinés conjointement avec l’entreprise intéressée et leur appréciation tient compte des circonstances et des enjeux. Dans une logique d’interlocuteur unique, distinct des services de contrôle, le point de contact de l’entreprise, quelle que soit sa taille, pour la mise en œuvre de ce partenariat fiscal est la Direction des grandes entreprises (DGE). Une équipe dédiée est mise en place au sein de celle-ci : le service partenaire des entreprises. Ce service partenaire des entreprises peut être contacté par courriel à l’adresse [email protected] et par téléphone au 01 49 91 15 60.

 

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