Succession : les biens incorporés à une donation-partage ne sont jamais rapportables

Publié le 17/10/2018

La Cour de cassation vient d’affirmer que la règle selon laquelle les biens qui ont fait l’objet d’une donation-partage ne sont pas soumis au rapport, la solution s’applique également aux biens qui ont d’abord été donnés en avancement d’hoirie, puis ont été inclus dans une donation-partage postérieure.

La Cour de cassation vient de se prononcer sur le caractère non rapportable de biens ayant fait l’objet d’une libéralité initiale avant d’être intégrés à une donation-partage. Dans son arrêt du 4 juillet 2018 (n° 16-15915), la première chambre civile de la haute juridiction a en effet cassé l’arrêt d’appel qui ordonnait le rapport à la succession de la libéralité.

Caractéristiques de la donation-partage

Rappelons que la loi veille, sinon à l’égalité entre les héritiers, tout au moins à l’équité entre eux. Conséquence : au moment de la succession, le partage des biens du défunt doit respecter les parts respectives de chaque héritier. Si le défunt a consenti des donations de son vivant, celles-ci sont sensées ne constituer qu’une avance sur l’héritage futur des héritiers. Au moment du partage de la succession du donateur, la valeur des donations consenties à un ou plusieurs héritiers par le passé doit être rapportée à l’actif successoral, pour pouvoir déterminer la part d’héritage revenant à chaque héritier. L’héritier qui a déjà reçu une donation excédant son droit dans l’héritage devra indemniser ses co-héritiers. Ce principe figure à l’article 843 du Code civil, « tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale ».

Si, en effectuant ses donations, le disposant a exprimé sa volonté d’utiliser sa quotité disponible (hors parts successorales), les donations antérieures ne sont alors pas rapportables. En revanche, si elles excèdent la quotité disponible, elles portent atteinte à la réserve héréditaire et encourent une action en réduction.

Une exception au rapport : les biens ayant fait l’objet d’une donation-partage. Cette opération opère un véritable partage anticipé et définitif de la succession. Cela présente l’avantage sur le plan civil d’apporter une grande stabilité : elle ne donne pas lieu à des comptes au moment de la succession, évitent de fastidieuses évaluations, tout au moins concernant les biens entrant dans son périmètre.

Sur ce point, la donation-partage peut porter sur des biens qui ont déjà été donnés par les disposants. Selon l’article 1078-1, alinéa 1er du Code civil : « Le lot de certains gratifiés pourra être formé, en totalité ou en partie, des donations, soit rapportables, soit faites hors part, déjà reçues par eux du disposant, eu égard éventuellement aux emplois et remplois qu’ils auront pu faire dans l’intervalle ». Le bien incorporé est alors retenu pour sa valeur au jour de la donation-partage, et non au jour de la donation initiale. Selon l’article 1078-1, aliéna 2 : « La date d’évaluation applicable au partage anticipé sera également applicable aux donations antérieures qui lui auront été ainsi incorporées. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite ». En cas d’accroissement de valeur, l’incorporation ne constitue pas une nouvelle donation « mais un partage fait par le disposant », selon l’article 1078-3 du Code civil. Rappelons en outre que la donation-partage est une convention : elle reçoit nécessairement le consentement de toutes les parties.

Avancement d’hoirie puis donation-partage

À son décès, Madame A, veuve, a laissé pour lui succéder ses deux fils, Hubert et Hugues, qui se sont confrontés pour le règlement de la succession de leur mère. Par acte notarié du 31 juillet 1987, celle-ci- avait fait donation en avancement d’hoirie à Hubert de la somme de 450 000 francs (68 602 euros) avec laquelle celui-ci avait acquis le 1er octobre 1987 un bien immobilier à Neuilly-sur-Seine (92) au prix de 1 145 000 francs (174 554,12 euros).

Le 16 juin 1992, Madame A et son époux avaient consenti une donation-partage à leurs deux fils. La donation-partage incorporait à la masse des biens donnés et partagés la précédente donation. Pour ce faire, l’immeuble acquis était valorisé au jour de la donation-partage, pour une valeur de 1 300 000 francs (198 183,72 euros). Afin d’égaliser les lots entre les copartageants, l’acte précisait aussi qu’Hubert, le premier fils, devait rapporter la somme de 510 920 francs (77 889,25 euros), c’est-à-dire réintégrer fictivement dans le patrimoine du défunt, une libéralité en numéraire de 450 000 francs.

Égaliser les lots entre co-partageants

Dans son arrêt du 2 mars 2016, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a fait droit aux revendications du second frère, Hugues, ordonnant le rapport à la succession de la valorisation de la donation du 31 juillet 1987, consentie au premier fils en avancement de sa part successorale.

Corrélativement, la cour a ordonné une expertise aux fins de renseigner sur la valeur foncière au jour le plus proche du partage et sur la valeur locative de l’appartement situé à Neuilly-sur-Seine.

Pour la cour, en application de l’article 860-1 du Code civil, le rapport d’une somme d’argent est égal à son montant, toutefois, si elle a servi à acquérir un bien, le rapport est dû de la valeur de celui-ci, dans les conditions prévues à l’article 860 du même code, le rapport devant « se calculer sur la base de la valeur actuelle du bien immobilier au prorata du montant de la donation par rapport au prix d’acquisition ».

Enfin, l’arrêt a jugé que l’estimation fixée à la date de la donation-partage était trop ancienne pour apprécier la valeur de l’appartement au jour du partage, aucune évaluation récente émanant d’agences immobilières n’ayant été communiquée aux débats. C’est pourquoi, il ordonnait une expertise aux fins de renseigner sur la valeur foncière de l’appartement au jour le plus proche du partage.

Cassation : la libéralité n’est pas rapportable

Un raisonnement que n’a pas suivi la Cour de cassation. Le 4 juillet dernier, la première chambre civile casse l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il ordonne le rapport à la succession de la valorisation de la donation.

Sous le visa de l’article 843 du Code civil, la Cour de cassation a rappelé « que les biens qui ont fait l’objet d’une donation-partage ne sont pas soumis au rapport qui n’est qu’une opération préliminaire au partage en ce qu’il tend à constituer la masse partageable », reprenant les termes de son arrêt du 16 juillet 1997, (Cass. 1re Civ., 16 juil. 1997, n° 95-13316).

Elle poursuit : « ces dispositions s’appliquent aussi à ceux, qui, donnés en avancement d’hoirie, sont ensuite inclus dans une donation-partage postérieure ». Par conséquent « en statuant ainsi, alors qu’il ressortait de ses constatations que la donation du 31 juillet 1987 avait été incorporée dans la donation-partage du 16 juin 1992, de sorte qu’elle n’était plus soumise au rapport, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

En conclusion, une donation d’abord consentie en avancement de part successorale, ensuite incorporée à une donation-partage n’est pas rapportable à la succession de son auteur.

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