L’exception de litispendance internationale et la juridiction de l’autorité religieuse saisie

Publié le 03/04/2017

Encourt la censure de la Cour de cassation, l’arrêt qui retient qu’il n’existe pas au Liban de juridiction civile statuant en matière de divorce, et que la décision du conseil islamique chiite ne peut être reconnue en France.

Cass. 1re civ., 18 janv. 2017, no 16-11630

1. Cette décision rendue le 18 janvier 2017 nourrit une actualité féconde en matière d’exception de litispendance internationale et plus précisément en droit international privé du divorce1. Les faits ayant donné lieu au litige sont l’occasion de revenir sur la notion de litispendance internationale. Au cas d’espèce, M. X et Mme Y de nationalité libanaise et de confession chiite se sont mariés au Liban le 8 décembre 1988. Le 23 mars 2011 Mme Y a déposé une requête en divorce devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris. M. X a soulevé, devant le magistrat conciliateur, une exception de litispendance internationale au profit de la juridiction libanaise religieuse saisie le 30 juin 2010 par Mme Y. Le juge conciliateur avait rejeté sa demande, suivi par la cour d’appel le 27 novembre 2014, qui estime qu’il n’existe pas au Liban de juridiction civile statuant en matière de divorce, la compétence des juridictions étant déterminée par l’appartenance du justiciable à une communauté confessionnelle2. Les époux étant de religion chiite, leur contentieux relève de la compétence d’une instance religieuse – le conseil islamique chiite –, dont les décisions ne peuvent être reconnues en France3. L’époux forme alors un pourvoi en cassation. La haute juridiction par l’arrêt rapporté censure les juges parisiens au visa de l’article 100 du Code de procédure civile en estimant que « tout en constatant que les époux étaient de statut personnel musulman chiite et que leur divorce relevait de la juridiction de l’autorité religieuse, et alors que le litige se rattachait au juge libanais premier saisi, la cour d’appel qui s’est prononcée par un motif impropre à établir que la décision à intervenir n’était pas susceptible d’être reconnue en France, a violé les texte et principes susvisés ». Par cet arrêt, la Cour de cassation affine le régime juridique de l’exception de litispendance internationale.

2. La litispendance internationale est une notion complexe et donc particulièrement féconde pour la jurisprudence, puisque la mise en œuvre de l’exception de litispendance génère un contentieux particulièrement abondant4. Il résulte de l’article 100 du Code de procédure civil que : « Si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l’autre si l’une des parties le demande. À défaut, elle peut le faire d’office ». En effet, la litispendance est mise en œuvre au moyen d’une exception déclinatoire de litispendance qui peut être soulevée devant toutes les juridictions de l’ordre judiciaire5. De tradition légale, le divorce résulte d’une décision judiciaire. Dans cette optique, la jurisprudence a toujours affirmé qu’« il ne peut y avoir en France de divorce sans décision judiciaire ; les actes des autorités religieuses sont en la matière dénués d’effets civils »6. Toutefois, la réforme du divorce sans juge, désormais inscrite à l’article 229-1 du Code civil, démontre la nécessité de déjudiciariser le démariage par consentement mutuel7.

3. La haute juridiction admet la compétence de la juridiction religieuse étrangère saisie d’une demande de divorce sur celle des juridictions françaises (I), qui suppose une reconnaissance de la décision étrangère par l’ordre juridique de réception (II).

I – Le système de l’exception de litispendance international admettant la compétence d’une juridiction de l’autorité religieuse

4. En retenant le primat de la règle prior temporis (A), la Cour de cassation reconnaît la compétence de la juridiction de l’autorité religieuse dont le litige se rattachait au juge libanais saisi le premier d’une demande de divorce sur celle des juridictions françaises (B).

A – Le primat de la règle prior temporis

5. Il convient de souligner que les règles générales gouvernant la litispendance internationale et communautaire sont prévues à l’article 19 du règlement Bruxelles II bis qui est intitulé : « Litispendance et actions dépendantes ». Plus précisément, l’article 19 § 1 du règlement Bruxelles II bis dispose que « lorsque des demandes de divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie ». Au plan communautaire, une action en divorce devant une juridiction d’un État membre et une action en nullité du mariage devant une juridiction d’un autre État membre, n’impose aucunement de satisfaire au triptyque identité de parties, identité d’objet et identité de cause8. Conformément, à l’article 19 § 3 du règlement Bruxelles II bis, la compétence du juge premier saisi doit l’emporter et la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de celle-ci. Il en résulte que le premier qui saisit fixe donc la compétence, et par ricochet la loi applicable9. À cet égard, il a été jugé à maintes reprises que la date de la saisine est celle à laquelle a été déposée la requête en divorce10. La règle du primat prior temporis, qui conduit à donner une prime à l’époux le plus prompt à divorcer11. Comme l’exprime fort justement Richard Crône : « (…) La liste est importante et la multiplication des chefs de compétence aboutit, compte tenu de la règle prior temporis, à ce que le divorce dans l’Union devienne le prix de la course (…) »12.

6. En l’occurrence, la requête en divorce se rattachait au juge libanais premier saisi, devait mécaniquement dessaisir le juge français. Or, la cour d’appel pour rejeter l’exception de litispendance, estime qu’il n’existe pas au Liban de juridiction civile statuant en matière de divorce, et que la décision du conseil islamique chiite ne peut être reconnue en France. Cette décision des juges du fond est censurée par la haute juridiction13.

B – Compétence de la juridiction de l’autorité religieuse

7. À n’en pas douter, l’arrêt rapporté ne prend tout son sens que si l’on parvient à le replacer dans l’évolution jurisprudentielle à la suite d’une décision rendue par la Cour de cassation le 17 juin 199714. Dans cette dernière affaire rendue par la haute juridiction, deux époux de nationalité algérienne se sont mariés en Algérie. L’épouse dépose le 3 mars 1993 une requête en divorce devant le tribunal de grande instance de Lyon alors que le mari avait saisi antérieurement la juridiction civile algérienne de la même demande en divorce. En première instance, le juge aux affaires matrimoniales du tribunal de grande instance de Lyon a constaté, en date du 13 mai 1993, l’exception de litispendance internationale et s’est dessaisi au profit de la juridiction algérienne. La cour d’appel a confirmé la décision en estimant que : « par motifs adoptés des premiers juges, relève que le mari a engagé une procédure de divorce en Algérie en janvier 1993, et par motifs propres que cette procédure a été engagée par requête en date du 12 décembre 1992, ne permet pas à la Cour de cassation de vérifier l’état de litispendance qu’elle a constaté et n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 100 du nouveau Code de procédure civile ». La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’épouse en considérant : « qu’après avoir exactement énoncé que les juridictions algériennes étaient internationalement compétentes pour statuer sur le divorce des époux Bouaziz, de nationalité algérienne et domiciliés en Algérie, les juges du fond ont pu retenir l’état de litispendance internationale imposant le dessaisissement de la juridiction française saisie par l’épouse, en constatant que M. Bouaziz avait antérieurement engagé l’instance en divorce devant la juridiction algérienne, dont la décision était susceptible d’être reconnue en France. Par ces motifs ; rejette le pourvoi ». À la suite de cet arrêt rendu le 17 juin 1997, la Cour de cassation va admettre l’exception de litispendance internationale en matière de divorce15.

II – La réception de l’exception de litispendance internationale par l’ordre juridique français

8. Si le droit international privé considère que l’exception de litispendance en raison d’une instance engagée devant la juridiction de l’autorité religieuse saisie ne peut être accueillie si la décision à intervenir n’est pas susceptible d’être reconnue en France16 (A), il lui appartient alors de s’attaquer à la cause de ces maux, et qu’il serait alors plus opportun que le litige soit tranché par un for étranger également compétent en ayant recours à l’exception du forum non conveniens (B).

A – L’ordre juridique de réception

9. En droit communautaire, il est acquis que la norme s’intègre automatiquement dans l’ordre juridique interne de chaque État membre, sans exiger de mécanisme spécifique de réception de celle-ci17. En droit international privé, la méthode de reconnaissance de la situation est déterminée par la loi du for18. Sans devoir nier pour autant la compétence de la loi étrangère, la haute juridiction a toujours considéré que la reconnaissance de la situation ne devait pas choquer l’ordre juridictionnel français. C’est ainsi qu’il a été jugé « qu’une cour d’appel ayant relevé qu’une procédure intentée au Liban par un mari était une répudiation unilatérale, et que son épouse n’avait eu qu’un délai de quinze jours entre la requête et la première audience, alors qu’elle résidait en France, en a justement déduit que la décision à intervenir, qui heurtait des principes d’égalité entre époux et de respect des droits de la défense, ne pourrait pas être reconnue en France de sorte que l’exception de litispendance internationale ne pouvait qu’être écartée »19.

10. On enseigne traditionnellement que : « le jugement ne doit pas pouvoir être reconnu comme régulier en France si la solution qu’il consacre choque trop nos valeurs substantielles fondamentales »20. En matière de divorce, le droit étranger peut heurter des principes d’égalité entre époux et de respect des droits de la défense21. En l’espèce, la reconnaissance de la situation de l’ordre juridique ne semble pas avoir choqué l’ordre public de fond.

B – L’exception du forum non conveniens

11. Pour mettre en œuvre l’exception de litispendance internationale on pourrait également y intégrer l’exception de forum non conveniens qui serait certainement une façon plus opportune de résoudre les cas de conflits de procédures22. Pour convaincre de son opportunité, l’exception de forum non conveniens devrait fournir une flexibilité en cas de règles de compétences trop larges ou trop rigides et constituer plus particulièrement un antidote au forum shopping qui peut en découler23 particulièrement utilisé en matière de procédure de divorce. Cependant, il y a lieu de relever que Marie-Laure Niboyet estime que : « L’usage de l’exception de forum non conveniens est susceptible, en outre, de dégénérer en de graves dérives comme le montre la pratique américaine (enlisement des débats sur la compétence, procédures coûteuses et risques de solutions nationalistes) »24.

12. La Cour de cassation nous a, à maintes reprises, démontré dans le passé que, pour elle, rien n’est gravé dans le marbre et que cette solution rapportée ne permet pas de préjuger de celle que retiendront le moment venu les hauts magistrats.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Dorange A., « Litispendance internationale et reconnaissance de la compétence d’une juridiction religieuse », Lamy actualité, 25 janv. 2017 ; Mélin F., « Litispendance internationale en cas de saisine d’une autorité religieuse à l’étranger », Dalloz actualité, 1er févr. 2017 ; Rass-Masson L., Les fondements du droit international privé européen de la famille, thèse, Panthéon-Assas, 2015, p. 533.
  • 2.
    Dorange A., « Litispendance internationale et reconnaissance de la compétence d’une juridiction religieuse », préc.
  • 3.
    Ibid.
  • 4.
    Mélin F., « Litispendance internationale en cas de saisine d’une autorité religieuse à l’étranger », préc.
  • 5.
    Litispendance (Procédure civile) – Cadiet L. déc. 2016, édition Dalloz.
  • 6.
    Gaudemet-Tallon H., « Un acte de divorce dressé par un consul étranger en France ne peut recevoir l’exequatur », Rev. crit. DIP 1996, p. 699.
  • 7.
    Morin M. et Niel P.-L., « Chronique régimes matrimoniaux (Janvier 2016 – octobre 2016) », LPA 8 févr. 2017, n° 123j4, p. 10.
  • 8.
    Nord N., « Règles de compétence en matière de divorce », sur http://cdpf.unistra.fr/.
  • 9.
    Fulchiron H., « Divorce, séparation de corps », JCl Droit international 2016, n° 15.
  • 10.
    Ibid.
  • 11.
    Nord N., « Règles de compétence en matière de divorce », préc.
  • 12.
    Crône R., « Les principaux règlements communautaires intéressant la pratique notariale », Defrénois 15 févr. 2015, n° 118t5, p. 122.
  • 13.
    Berlaud C., « Divorce entre musulmans chiites et litispendance internationale », Gaz. Pal. 31 janv. 2017, n° 285g3, p. 32.
  • 14.
    Massip J., « L’exception de litispendance internationale en matière de divorce », Defrénois 15 mars 1998, n° 36753-3, p. 305, à propos de Cass. 1re civ., 17 juin 1997, n° 95-17031.
  • 15.
    Ibid.
  • 16.
    Gallmeister I., « Jugement marocain de divorce : transcription sur les registres de l’état civil (Cass. 1re civ., 23 févr. 2011, n° 10-14760) », D. 2011, p. 762.
  • 17.
    Nadaud S., Recherche sur le processus de codification européenne du droit civil, thèse, 2007, Limoges, n° 41.
  • 18.
    Rass-Masson L., Les fondements du droit international privé européen de la famille, préc., n° 611.
  • 19.
    « Litispendance internationale en matière de divorce », D. 2011, p. 762.
  • 20.
    Loussouarn Y., Bourel P. et de Vareilles-Sommières P., Droit international privé, Précis Dalloz, 2013, n° 887, p. 890.
  • 21.
    « Litispendance internationale en matière de divorce », préc.
  • 22.
    Rass-Masson L., Les fondements du droit international privé européen de la famille, préc., n° 611.
  • 23.
    Goldstein G., « Le Forum non conveniens en droit civil », Rev. crit. DIP 2016, p. 51.
  • 24.
    Niboyet M.-L., « La globalisation du procès civil international (dans l’espace judiciaire européen et mondial) », sur https://www.courdecassation.fr/.
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